Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur les priorités de la présidence française en matière d'Europe sociale notamment la construction d'une Europe plus solidaire, la création d'emplois de qualité et la volonté de doter l'Union européenne d'un agenda social, Paris le 27 novembre 2000.

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Circonstance : Réunion du troisième Comité du dialogue social sur les questions européennes et internationales, à Paris le 27 novembre 2000

Texte intégral

Madame et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de vous retrouver, pour la troisième fois, dans le cadre de ce Comité du dialogue social sur les questions européennes et internationales. La première de ces rencontres a eu lieu fin 1998, avant le Conseil européen de Cologne, et la deuxième en mars de cette année, avant le Conseil extraordinaire de Lisbonne. A chaque fois, ces échanges m'ont été utiles pour aborder des étapes importantes de la construction européenne. C'est la raison pour laquelle je tenais à vous rencontrer de nouveau avant le Conseil européen de Nice. Celui-ci marquera, je l'espère, une étape positive pour l'Union européenne sur le plan institutionnel, mais aussi - c'est notre volonté - sur le plan social.
A l'occasion de cet échange avec vous, je salue votre président, Francis Blanchard. Je remercie la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Elisabeth Guigou, de nous accueillir dans le ministère dont elle a maintenant la charge. Il s'agit d'une lourde charge, surtout lors de la Présidence française, puisqu'il revient à la ministre de rechercher les convergences qui feront progresser les dossiers sociaux que nous évoquerons dans un instant. Elle est face à un exercice européen qu'elle connaît bien et qu'elle maîtrise. Elle sera d'ailleurs ce soir et demain à Bruxelles pour présider le Conseil Emploi et Politique sociale. Le ministre délégué chargé des Affaires européennes, Pierre Moscovici, et le secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, François Huwart, sont également à mes côtés. Le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Laurent Fabius, s'excuse, car il est à Bruxelles pour le Conseil ECOFIN.
A quelques jours du Conseil européen de Nice, je voudrais mettre en perspective l'action conduite par la Présidence française sur les questions sociales.
L'Europe a besoin d'une dimension sociale ambitieuse
Pendant trop longtemps, l'Europe sociale a piétiné. La construction européenne s'est en effet concentrée sur le constitution d'un espace économique unifié et sur la création d'une monnaie unique. La finalité sociale du développement économique et, en particulier, la lutte contre le chômage semblaient au second plan des préoccupations. Il n'y avait dans ce domaine ni priorité, ni méthode. Le modèle social européen était alors davantage perçu comme un héritage ancien et comme un fardeau que comme un atout. L'Europe sociale n'avançait guère.
Ce retard pris par l'Europe sociale était dommageable à la construction européenne. En effet, l'Europe n'est pas qu'un espace économique. Elle est un modèle de développement qui ne sépare pas l'efficacité économique de la justice sociale. C'est pourquoi l'Union européenne doit devenir un levier au service de la croissance et du progrès social.
Depuis trois ans et demi, nous avons favorisé des avancées importantes en ce sens.
Notre persévérance a permis l'adoption par les Quinze, au Sommet de Lisbonne, d'un objectif de croissance de 3 % en moyenne dans les années à venir. La reconquête du plein emploi dans la décennie a été affirmée comme une perspective politique essentielle. Cela traduit une mobilisation collective nouvelle des gouvernements européens sur ces objectifs.
La reconquête du plein emploi passe également par des politiques de l'emploi volontaristes faisant appel à toute la palette des moyens disponibles, chaque Etat membre les mettant en uvre à sa façon, mais avec un souci de convergence et en examinant ce que font ses voisins. C'est ce que nous faisons depuis le Sommet de Luxembourg. Cela aussi constitue un progrès important.
Des avancées ont été également accomplies dans le domaine du dialogue social, même si elles paraissent encore modestes. Le dialogue macro-économique mis en place après le Conseil de Cologne offre, aux côtés du Comité permanent de l'emploi, un nouvel espace au débat entre les partenaires sociaux, les Etats membres et la Commission. Une négociation entre l'UNICE et la Confédération européenne des syndicats (CES) a débuté sur le travail temporaire.
Pour aller plus loin et approfondir l'Europe sociale, nous devons convaincre, parmi les Etats membres, certains de nos partenaires qui restent hostiles à de nouveaux progrès.
Quant à lui, le patronat européen, réuni dans l'UNICE, semble rétif à l'ouverture de négociations avec la CES sur les grands sujets qui le mériteraient, d'autant plus qu'il est souvent paralysé par ses propres règles pour la définition des mandats de négociation. Le traité a fixé en matière de négociation sociale un cadre institutionnel qui ne vaut que s'il permet des avancées concrètes. Ce cadre ne peut constituer aujourd'hui le seul levier de progrès de l'Europe sociale. La CES, que j'ai reçue, insiste à juste titre pour qu'on ne néglige aucun autre levier.
La Présidence française a fait de l'Europe sociale une de ses priorités.
Nous nous sommes fixé trois ambitions :
- avancer dans la construction d'une Europe plus solidaire ;
- promouvoir la création d'emplois de qualité ;
- doter l'Union européenne d'un agenda social.
A quelques jours du Conseil européen de Nice, je voudrais faire le point avec vous sur ces trois thèmes.
Trois d'abord, la construction d'une Europe plus solidaire progresse.
La Charte des droits fondamentaux réserve en effet une large place au droits économiques et sociaux. Cette Charte affirme ainsi la dimension sociale de l'identité européenne. Au départ, les réticences, même si elles étaient peu nombreuses, étaient fortes. Il a fallu que nous en parlions avec certains de nos partenaires pour qu'un accord puisse être obtenu au Conseil européen de Biarritz. Je sais que vous avez vous-mêmes beaucoup contribué à faire de la Charte un texte aussi complet que possible. Celui-ci mentionne notamment la liberté d'association, la liberté syndicale et la liberté d'entreprise, le droit au travail, le droit à l'information et à la consultation des travailleurs, le droit de négociation et le droit de grève, le droit à l'aide sociale et à l'aide au logement, et enfin l'accès aux services publics. Certes, je regrette que d'autres droits n'aient pas été retenus, mais connaissant les positions de départ, je suis satisfait des progrès accomplis et du résultat final.
La lutte contre toutes les formes de discrimination a été le second volet de nos efforts en vue d'une Europe plus solidaire. Le Conseil Emploi et Politique sociale du 17 octobre a permis de finaliser le travail engagé, avec beaucoup d'efficacité, sous la présidence portugaise. Ont pu ainsi être adoptés un programme communautaire d'action sur cinq ainsi qu'une directive contre les discriminations dans l'emploi et le marché du travail fondées sur l'orientation sexuelle, le handicap, l'âge, les convictions et la religion.
La lutte contre l'exclusion sociale a été inscrite, au Sommet de Lisbonne, contre un élément central du modèle social européen. Nous n'avions pu obtenir alors les grands engagements chiffrés que nous aurions souhaités. Cependant, la Présidence française a reçu le mandat de parvenir à la définition d'objectifs communs avant le Conseil européen de Nice. Martine Aubry s'était fortement engagée sur ce point dès le début de notre Présidence. Le Conseil Emploi et Politique sociale du 17 octobre a permis, là encore, de concrétiser cette ambition par l'adoption d'objectifs concrets dans quatre domaines : l'accès de tous aux ressources, aux droits, aux biens et services nécessaires à une participation pleine et entière à la vie économique et sociale ; la prévention des risques d'exclusion ; l'action pour les plus vulnérables ; la mobilisation de l'ensemble des acteurs. Des plans nationaux d'action de deux ans devront être présentés en juin 2001.
Notre deuxième ambition est de promouvoir la création d'emplois en Europe. C'est là l'objectif de la stratégie européenne pour l'emploi arrêtée au Sommet du Luxembourg, fin 1997. Je ne m'attarde pas sur ce processus que vous connaissez bien. Son évaluation à mi-parcours a démontré son utilité.
Il nous revient de faire adopter pour 2001 les lignes directrices pour l'emploi, qui comportent un certain nombre d'améliorations et d'approfondissement. Je mentionne, en particulier, l'objectif de progression du niveau de l'investissement dans les ressources humaines, qui était un des thèmes importants du Sommet de Lisbonne, le renforcement du "troisième pilier" consacré à la capacité d'adaptation des entreprises et des travailleurs, la réponse aux difficultés de recrutement qui se font jour, ou encore la prise en compte de la notion de qualité de l'emploi.
Comme les années précédentes, nous aurons à décliner ces lignes directrices dans un plan national d'action pour l'emploi, un "PNAE". Je réitère mon souhait de vous voir contribuer pleinement à son élaboration et prolonger le travail réalisé dans le PNAE pour 2000. Cela serait d'autant plus utile, cette année, que nous allons ensemble pouvoir intensifier l'action de l'ANPE en faveur du "nouveau départ", en généralisant, dans le cadre strict des droits existants, l'accompagnement personnalisé des demandeurs d'emploi. Ce sera un progrès qui concernera tous les demandeurs d'emploi, quelle que soit leur situation au regard de l'assurance-chômage.
La qualité de l'emploi que nous voulons promouvoir passe également par de meilleures garanties pour les droits des travailleurs. La Présidence française s'efforce, en particulier, d'avancer sur deux textes importants : la société européenne, en discussion depuis près de trente ans, et l'information-consultation des travailleurs qui fait l'objet depuis 1998 d'un projet de directive mais qu'aucune présidence avant la nôtre n'avait voulu mettre à l'ordre du jour. Sur ces sujets, les difficultés à surmonter sont assez focalisées, mais considérables. Le gouvernement ne ménage pas sa peine pour parvenir à un accord politique sur chacun de ces textes. Je les ai personnellement évoqués à plusieurs reprises avec certains de mes homologues. Une négociation décisive va se nouer dans les prochaines quarante-huit heures sous la conduite d'Elisabeth Guigou puis, le cas échéant, à Nice.
Notre troisième ambition est de doter l'Union d'un agenda social. Il ne s'agit pas d'inventer un "processus de Nice" qui s'ajouterait à ceux qui existent déjà, mais de donner aux initiatives sociales un cadre cohérent, volontariste, assorti d'un calendrier, suivi régulièrement dans sa réalisation. Nous pensons ainsi donner davantage de visibilité à des réalisations concrètes, souvent méconnues des citoyens européens. Ce cadre fédérera les énergies de tous les acteurs européens - et naturellement des partenaires sociaux - et incitera à définir des échéances là où, parfois, leur absence est regrettable.
Je sais que vous avez travaillé sur le projet d'agenda au sein de votre Comité. Certains d'entre vous estiment que celui-ci va trop loin ; d'autres, qu'il ne va pas assez loin, ou pas dans la bonne direction. Ce débat anime aussi les Quinze. Durant la Présidence française, notre responsabilité est de trouver le bon équilibre pour un agenda que nous voulons ambitieux. En particulier, nous restons très attachés à cette fonction - que certains voudraient voir s'effacer - de "calendrier" pour les cinq années à venir. Nous souhaitons également que cet agenda couvre tous les instruments disponibles dans le cadre européen : les outils d'échange et de coordination ainsi que les dispositifs normatifs, quand cela s'avère nécessaire. Notre texte, qui s'appuie largement sur la contribution de la Commission du mois de juin, sur la résolution du Parlement européen et sur certaines propositions des partenaires sociaux, est bien accueilli par la plupart de nos interlocuteurs européens. Nous sommes donc confiants : les travaux en cours devraient permettre d'aboutir à un texte ambitieux d'ici le Conseil européen de Nice.
Mesdames, Messieurs,
Les sujets sociaux que nous faisons progresser dans le cadre de la Présidence française sont nombreux et importants. C'est pourquoi j'ai voulu les rappeler. A présent, avec les ministres qui m'entourent, je souhaite vous écouter, puis engager avec vous un dialogue dont l'expérience prouve qu'il est toujours utile pour la construction d'une Europe sociale plus forte, c'est-à-dire d'une Europe plus juste.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 novembre 2000)