Texte intégral
O. MAZEROLLE - Cette fois, c'est du concret, la défense européenne naît réellement à Bruxelles. Aujourd'hui, chacun des 15 pays européens va dire ce qu'il fait concrètement pour la création de la Force d'action rapide.
- "Oui, et je dois vous remercier parce que ce n'est jamais facile pour un grand média de traiter un sujet qui est simplement un train qui arrive à l'heure. Là, c'est vraiment le gros train qui arrive à l'heure : après 50 ans d'hésitations et de tâtonnements, les Européens ont pris les dispositions politiques et matérielles pour pouvoir utiliser une force militaire, si c'était leur choix politique."
Parmi les Quinze, quels sont les plus motivés ?
- "Ce n'est pas mon rôle, alors que je vais présider la réunion d'aujourd'hui, de commencer à faire un palmarès des bons et des moins bons. Il y avait des pays qui traditionnellement souhaitaient cela, et en particulier le nôtre. Beaucoup d'autres pays - parce qu'ils étaient surtout préoccupés par la sécurité face au bloc soviétique avant la fin de la guerre froide et étaient de ce fait très intégrés au système OTAN - ont considéré qu'ils trouvaient leur intérêt dans la diversité et qu'ils devaient avoir deux fers au feu en matière de sécurité européenne. L'Alliance atlantique restera face à deux grands risques qui pourraient réapparaître un jour. En revanche, pour la gestion des crises, nous pensons que l'Union européenne - qui par ailleurs sait aussi faire de l'humanitaire, des sanctions économiques, de l'aide à la reconstruction - a plus d'outils, donc il faut aussi qu'elle ait l'outil militaire pour arrêter la violence dans une crise locale."
Quand vous dites "crise locale en Europe," "gestion des crises", cela veut dire partir de l'exemple de ce qui s'est passé au Kosovo et en Yougoslavie ?
"Absolument, en Bosnie et au Kosovo. Quand on regarde la carte du monde des crises régionales liées à l'implosion d'un Etat, liées à la confrontation entre deux communautés
- souvent avec des dimensions religieuses mais aussi économico-mafieuses -, nous constatons qu'il en naît environ une par trimestre. Il est donc - hélas ! - tout à fait imaginable que cela se reproduise aussi dans notre environnement géographique. Il faut donc que nous soyons prêts à assurer cette fois-ci l'ensemble de la chaîne des décisions. Dans le cas du Kosovo, il faut se souvenir que les Européens ont été unis, ont exprimé des objectifs réalistes : arrêter l'épuration ethnique et permettre la coexistence au Kosovo. Il ne s'agissait pas de refaire toute l'Europe. Nous les avons décidés en temps et en heure et nous avons pris part à l'action militaire. Mais nous n'étions pas en capacité, nous n'avions pas les moyens de piloter nous-mêmes une action militaire. C'est ce qu'il s'agit de changer."
Maintenant que l'affaire du Kosovo et de la Yougoslavie semble militairement résolue, où faudrait-il encore intervenir en Europe dans le futur ?
- "Elle n'est pas militairement résolue. Quand vous voyez les protagonistes de ces conflits - ce sont quand même des gens qui vivent dans la violence politique depuis des décennies, voire des siècles -, ils restent encore facilement le doigt sur la gâchette. Si vous retirez toute force militaire, que ce soit en Bosnie ou au Kosovo, vous risquez d'avoir de nouveau des montées de violence. Il faudra donc, sans doute, une présence militaire encore assez durable. Mais le monde, tel qu'on le vit aujourd'hui, laisse apparaître des crises régionales..."
La Force d'action rapide européenne pourrait intervenir ailleurs qu'en Europe ?
- "Les Européens se sont mis d'accord. Ils ont aussi quelques responsabilités au niveau mondial et des convictions, parmi lesquelles il y a l'ONU, le fait qu'il y a une légalité internationale et qu'on doit avoir des moyens légitimes de maintien de la paix. Or, tout le monde voit que l'ONU, dans un certain nombre de circonstances, se trouve démunie militairement, que personne ne veut y aller quand il y a une crise à résoudre. Les Européens ont donc dit que la Force d'action rapide sera aussi disponible pour soutenir des opérations de maintien de la paix voulue par les Nations unies."
Exportation des valeurs démocratiques, c'est donc l'ambition affichée. Mais on voit qu'un certain nombre de pays membres de l'Alliance atlantique, qui ne sont pas Européens, pourraient être associés, comme la Turquie par exemple. La Turquie peut-elle dire qu'elle exporte les valeurs démocratiques ?
- "Il ne faut pas trop simplifier ce problème. La Turquie est un pays contradictoire, le pays dans lequel le pluralisme politique, avec un vrai engagement de citoyens qui votent pour des partis différents, est sans doute plus développé que dans n'importe quel autre pays du Proche-Orient, si vous faites la comparaison. Mais il n'est pas question de mettre la Turquie dans l'Union européenne à cette occasion-là. La Turquie a déposé une candidature à l'Union européenne. Sa candidature a été déclarée recevable. Tout le monde sait qu'il y a en a pour des dizaines d'années probablement pour rapprocher la Turquie suffisamment de l'Union européenne. L'objet que nous construisons - cette force de réaction rapide - et les outils de décision pour traiter les crise, c'est à Quinze : ce sont les Quinze avec toute leur homogénéité."
Ambitions militaires, cela veut dire de l'argent or les pays européens dépensent plutôt moins d'argent pour leur défense. Cela veut dire aussi regroupements industriels ?
- "Les regroupements industriels, pour une grande partie, sont faits et ils marchent. Nous pouvons être fiers de cela. La convergence des budgets : d'une part, il faut que tout le monde mette un écho raisonnable parce que s'il y en a qui consacrent pas mal d'argent à la défense, comme c'est notre cas et celui des Britanniques, et d'autres qui ne mettent pratiquement rien, cela devient une subvention déguisée. Il faut un certain rapprochement et il faut surtout une mise en commun. Quand nous achetons nos avions de transport de la prochaine génération à sept nations, quand nous réalisons pour la première fois des missiles de protection aérienne qui seront communs aux rafales et à l'eurofighter des autres Européens, quand nous faisons des frégates en commun avec les Italiens et leurs missiles avec les Britanniques, je pense que nous faisons aussi du bon travail en terme de meilleur emploi de nos budgets de défense."
Quelque soit la suite du feuilleton juridico-électoral aux Etats-Unis, peut-on dire que les Américains étaient sincères quand ils disaient qu'ils voulaient l'émergence d'une puissance militaire européenne ?
- "Oui, puissance mais pas super puissance. Mais cela n'est pas en question. Il s'agit pour nous de garder une ambition très raisonnable."
Vous croyez à leur sincérité ?
- "Oui parce que les Etats-Unis, eux, sont une super puissance. Ils ont des engagements souvent militaires, ou susceptibles de le devenir, aux quatre coins de la planète et s'il y a au moins un espace où il y a un partenaire de confiance avec lequel il y a beaucoup de valeurs partagées, qui peut prendre ses responsabilités, c'est pour eux une certaine forme de soulagement."
Tout à fait autre chose : est-ce qu'on sert du boeuf dans les assiettes des cantines de l'armée ?
- "J'ai demandé qu'on continue à servir du boeuf mais, comme en général à l'ordinaire les gens ont le droit entre deux menus, qu'il y ait toujours un autre choix."
L'armée va participer au stockage des farines animales ?
- "Non, nous allons fournir des infrastructures. Dans toutes nos réorganisations, on a beaucoup concentré les espaces utilisés par la défense. Donc, nous avons une série d'emprises qui sont à l'heure actuelle en vente et qui sont libérées. Nous proposons au ministère de l'Agriculture de les reprendre pour une période pour assurer ce stockage sous sa responsabilité parce que c'est eux qui ont l'expertise technique."
La cohabitation. L. Jospin et J. Chirac s'envoient des vacheries. Vous êtes dans un secteur qui les concerne tous les deux. Vous comptez les coups ?
- "Non, je crois que le Premier ministre, comme le Président de la République, ont tout à fait le sens de leurs responsabilités. En matière de défense, je n'ai aucune préoccupation de tensions ou d'incompréhensions entre les deux autorités. J'arrive à faire mon travail dans une totale clarté de décision et d'orientation. Quand sur un sujet il y a désaccord, le Président de la République a pris la liberté depuis que nous sommes en fonction d'émettre des critiques ou des objections à l'action du Gouvernement. Il n'est pas déraisonnable que le Premier ministre lui réponde."
Pas de force d'action rapide entre les deux ?
- "Je n'ai même pas besoin de faire le casque bleu."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 20 novembre 2000)
- "Oui, et je dois vous remercier parce que ce n'est jamais facile pour un grand média de traiter un sujet qui est simplement un train qui arrive à l'heure. Là, c'est vraiment le gros train qui arrive à l'heure : après 50 ans d'hésitations et de tâtonnements, les Européens ont pris les dispositions politiques et matérielles pour pouvoir utiliser une force militaire, si c'était leur choix politique."
Parmi les Quinze, quels sont les plus motivés ?
- "Ce n'est pas mon rôle, alors que je vais présider la réunion d'aujourd'hui, de commencer à faire un palmarès des bons et des moins bons. Il y avait des pays qui traditionnellement souhaitaient cela, et en particulier le nôtre. Beaucoup d'autres pays - parce qu'ils étaient surtout préoccupés par la sécurité face au bloc soviétique avant la fin de la guerre froide et étaient de ce fait très intégrés au système OTAN - ont considéré qu'ils trouvaient leur intérêt dans la diversité et qu'ils devaient avoir deux fers au feu en matière de sécurité européenne. L'Alliance atlantique restera face à deux grands risques qui pourraient réapparaître un jour. En revanche, pour la gestion des crises, nous pensons que l'Union européenne - qui par ailleurs sait aussi faire de l'humanitaire, des sanctions économiques, de l'aide à la reconstruction - a plus d'outils, donc il faut aussi qu'elle ait l'outil militaire pour arrêter la violence dans une crise locale."
Quand vous dites "crise locale en Europe," "gestion des crises", cela veut dire partir de l'exemple de ce qui s'est passé au Kosovo et en Yougoslavie ?
"Absolument, en Bosnie et au Kosovo. Quand on regarde la carte du monde des crises régionales liées à l'implosion d'un Etat, liées à la confrontation entre deux communautés
- souvent avec des dimensions religieuses mais aussi économico-mafieuses -, nous constatons qu'il en naît environ une par trimestre. Il est donc - hélas ! - tout à fait imaginable que cela se reproduise aussi dans notre environnement géographique. Il faut donc que nous soyons prêts à assurer cette fois-ci l'ensemble de la chaîne des décisions. Dans le cas du Kosovo, il faut se souvenir que les Européens ont été unis, ont exprimé des objectifs réalistes : arrêter l'épuration ethnique et permettre la coexistence au Kosovo. Il ne s'agissait pas de refaire toute l'Europe. Nous les avons décidés en temps et en heure et nous avons pris part à l'action militaire. Mais nous n'étions pas en capacité, nous n'avions pas les moyens de piloter nous-mêmes une action militaire. C'est ce qu'il s'agit de changer."
Maintenant que l'affaire du Kosovo et de la Yougoslavie semble militairement résolue, où faudrait-il encore intervenir en Europe dans le futur ?
- "Elle n'est pas militairement résolue. Quand vous voyez les protagonistes de ces conflits - ce sont quand même des gens qui vivent dans la violence politique depuis des décennies, voire des siècles -, ils restent encore facilement le doigt sur la gâchette. Si vous retirez toute force militaire, que ce soit en Bosnie ou au Kosovo, vous risquez d'avoir de nouveau des montées de violence. Il faudra donc, sans doute, une présence militaire encore assez durable. Mais le monde, tel qu'on le vit aujourd'hui, laisse apparaître des crises régionales..."
La Force d'action rapide européenne pourrait intervenir ailleurs qu'en Europe ?
- "Les Européens se sont mis d'accord. Ils ont aussi quelques responsabilités au niveau mondial et des convictions, parmi lesquelles il y a l'ONU, le fait qu'il y a une légalité internationale et qu'on doit avoir des moyens légitimes de maintien de la paix. Or, tout le monde voit que l'ONU, dans un certain nombre de circonstances, se trouve démunie militairement, que personne ne veut y aller quand il y a une crise à résoudre. Les Européens ont donc dit que la Force d'action rapide sera aussi disponible pour soutenir des opérations de maintien de la paix voulue par les Nations unies."
Exportation des valeurs démocratiques, c'est donc l'ambition affichée. Mais on voit qu'un certain nombre de pays membres de l'Alliance atlantique, qui ne sont pas Européens, pourraient être associés, comme la Turquie par exemple. La Turquie peut-elle dire qu'elle exporte les valeurs démocratiques ?
- "Il ne faut pas trop simplifier ce problème. La Turquie est un pays contradictoire, le pays dans lequel le pluralisme politique, avec un vrai engagement de citoyens qui votent pour des partis différents, est sans doute plus développé que dans n'importe quel autre pays du Proche-Orient, si vous faites la comparaison. Mais il n'est pas question de mettre la Turquie dans l'Union européenne à cette occasion-là. La Turquie a déposé une candidature à l'Union européenne. Sa candidature a été déclarée recevable. Tout le monde sait qu'il y a en a pour des dizaines d'années probablement pour rapprocher la Turquie suffisamment de l'Union européenne. L'objet que nous construisons - cette force de réaction rapide - et les outils de décision pour traiter les crise, c'est à Quinze : ce sont les Quinze avec toute leur homogénéité."
Ambitions militaires, cela veut dire de l'argent or les pays européens dépensent plutôt moins d'argent pour leur défense. Cela veut dire aussi regroupements industriels ?
- "Les regroupements industriels, pour une grande partie, sont faits et ils marchent. Nous pouvons être fiers de cela. La convergence des budgets : d'une part, il faut que tout le monde mette un écho raisonnable parce que s'il y en a qui consacrent pas mal d'argent à la défense, comme c'est notre cas et celui des Britanniques, et d'autres qui ne mettent pratiquement rien, cela devient une subvention déguisée. Il faut un certain rapprochement et il faut surtout une mise en commun. Quand nous achetons nos avions de transport de la prochaine génération à sept nations, quand nous réalisons pour la première fois des missiles de protection aérienne qui seront communs aux rafales et à l'eurofighter des autres Européens, quand nous faisons des frégates en commun avec les Italiens et leurs missiles avec les Britanniques, je pense que nous faisons aussi du bon travail en terme de meilleur emploi de nos budgets de défense."
Quelque soit la suite du feuilleton juridico-électoral aux Etats-Unis, peut-on dire que les Américains étaient sincères quand ils disaient qu'ils voulaient l'émergence d'une puissance militaire européenne ?
- "Oui, puissance mais pas super puissance. Mais cela n'est pas en question. Il s'agit pour nous de garder une ambition très raisonnable."
Vous croyez à leur sincérité ?
- "Oui parce que les Etats-Unis, eux, sont une super puissance. Ils ont des engagements souvent militaires, ou susceptibles de le devenir, aux quatre coins de la planète et s'il y a au moins un espace où il y a un partenaire de confiance avec lequel il y a beaucoup de valeurs partagées, qui peut prendre ses responsabilités, c'est pour eux une certaine forme de soulagement."
Tout à fait autre chose : est-ce qu'on sert du boeuf dans les assiettes des cantines de l'armée ?
- "J'ai demandé qu'on continue à servir du boeuf mais, comme en général à l'ordinaire les gens ont le droit entre deux menus, qu'il y ait toujours un autre choix."
L'armée va participer au stockage des farines animales ?
- "Non, nous allons fournir des infrastructures. Dans toutes nos réorganisations, on a beaucoup concentré les espaces utilisés par la défense. Donc, nous avons une série d'emprises qui sont à l'heure actuelle en vente et qui sont libérées. Nous proposons au ministère de l'Agriculture de les reprendre pour une période pour assurer ce stockage sous sa responsabilité parce que c'est eux qui ont l'expertise technique."
La cohabitation. L. Jospin et J. Chirac s'envoient des vacheries. Vous êtes dans un secteur qui les concerne tous les deux. Vous comptez les coups ?
- "Non, je crois que le Premier ministre, comme le Président de la République, ont tout à fait le sens de leurs responsabilités. En matière de défense, je n'ai aucune préoccupation de tensions ou d'incompréhensions entre les deux autorités. J'arrive à faire mon travail dans une totale clarté de décision et d'orientation. Quand sur un sujet il y a désaccord, le Président de la République a pris la liberté depuis que nous sommes en fonction d'émettre des critiques ou des objections à l'action du Gouvernement. Il n'est pas déraisonnable que le Premier ministre lui réponde."
Pas de force d'action rapide entre les deux ?
- "Je n'ai même pas besoin de faire le casque bleu."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 20 novembre 2000)