Déclaration de M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, sur le rôle des archives dans le cadre de la politique de la ville et notamment pour les programmes de renouvellement urbain, Toulouse le16 juin 2000.

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Circonstance : Rencontre sur les archives et la politique de la ville à Toulouse le 16 juin 2000

Texte intégral

Mesdames et messieurs,
Depuis quelques semaines, je suis mobilisé sur des déplacements qui sont souvent en rapport avec la question du temps.
Par exemple, à Poitiers, une rencontre sur le temps et la place des femmes dans la ville.
Plus récemment encore, des démolitions de barres aux Tarterets, à Saint-Etienne ou à la Courneuve, m'ont fait réfléchir à la mémoire des villes et des habitants, qu'on ne saurait effacer d'un coup de dynamite.
L'objet même de votre travail quotidien d'archivistes, ainsi que le sujet de vos réflexions de ces trois derniers jours, rentrent à cet égard parfaitement en résonance avec cette actualité. Je ne crois pas que ce soit une coïncidence.
Vous êtes au coeur même du temps et de la mémoire des lieux et des personnes. Et, si la ville est bien un espace, elle est en effet aussi une affaire de temps.
Je suis donc très heureux d'être parmi vous, et vous me donnez l'occasion de dire tout l'intérêt que je porte à des sujets qui peuvent paraître subsidiaires pour un Ministre de la ville, alors qu'ils sont, bien au contraire, prééminents.
Le métier d'archiviste est un métier de l'ombre qui, loin des projecteurs et des lumières médiatiques, souffre injustement d'une image empoussiérée, bien éloignée de la réalité de votre action.
Premier stéréotype : le métier d'archiviste est une activité désuète. On classe, trie et conserve des papiers anciens. C'est ignorer, par exemple, que les nouvelles technologies sont votre outil de prédilection depuis longtemps.
Deuxième stéréotype : vos efforts sont uniquement tournés vers les chercheurs et les érudits, alors que votre public est plus vaste, et que vous avez le constant souci d'informer et de servir toute la population.
Les archivistes modernes que vous êtes méritent donc qu'on leur rende justice et hommage.
Ce qui m'a intéressé dans le thème de votre rencontre, c'est justement que vous tordez le coup à ces idées préconçues, et que vous manifestez à quel point vous êtes des acteurs indispensables de la politique de la ville.
Vous avez pris conscience que votre métier, loin des conservatismes, sert à conserver, certes, mais aussi à nourrir l'action présente. Vous répondez à des préoccupations actuelles et votre position stratégique de médiateurs entre les temps passés et ceux qui viennent, vous donne la prérogative d'être au centre du mouvement d'aujourd'hui.
Sous la double impulsion de certaines collectivités territoriales et de quelques pionniers, vous êtes devenus des acteurs du mouvement social, et, au lieu d'enregistrer seulement, vous accompagnez désormais le changement.
Je vous remercie d'avoir su oser, d'oser encore, et de sortir sans ambages des sentiers battus d'une profession de tradition, pour la rendre vivante et neuve, pour inventer d'autres modes d'intervention.
C'est d'autant plus nécessaire que, vous le savez, le gouvernement a décidé d'un programme de renouvellement urbain très ambitieux.
La civilisation urbaine peine à être reconnue et, alors qu'il n'y a pas de retour possible, il flotte encore dans notre pays un air de nostalgie rurale. La ville suscite beaucoup d'intérêt mais provoque aussi de l'inquiétude.
Les habitants l'ont souvent vécue sur le mode du temps effréné, de la perte des valeurs, de l'insécurité ou des nuisances, parce que le principe d'urbanité a été oublié, parce que nous avons rassemblé nos forces sur d'autres enjeux, parce qu'elle s'est agrandie sans précaution. Le bouleversement engendré par un changement d'échelle très important et l'organisation de cités à forte densité de population, mais aussi l'existence de quartiers relégués, de logements parfois indignes, de services publics absents, nécessitent que l'on réinvente la ville.
Il a fallu attendre la fin du XXe siècle et la violence dans les quartiers, pour qu'on accepte l'idée que la ville mérite une politique.
Vingt ans après les débuts de la politique de la ville, l'enjeu est toujours aussi fort.
C'est pourquoi le gouvernement a décidé de déployer des moyens très importants et la mise en uvre de cinquante grands projets de ville pour marquer une rupture forte avec la logique ségrégative.
La mobilisation des acteurs, sans laquelle les moyens ne servent de rien, a également permis de créer une nouvelle dynamique.
Ainsi, la première conférence des villes, le 4 avril dernier, placée sous l'autorité de Lionel Jospin, a réuni les élus et constitué officiellement le socle d'une alliance nouvelle des villes. Il est temps en effet de rentrer de plein pied dans la civilisation urbaine sans plus de résistance et de faire de nos villes l'espace de rencontres qu'ont voulu les hommes.
Il s'agit de préparer les villes de demain, et de les mener vers des formes d'organisation du territoire qui faciliteront le passage encore redouté vers cette renaissance urbaine.
Je compte sur vous pour y participer. Je demande aux acteurs sociaux d'aller vers vous et je vous demande d'aller à eux pour créer ce réseau commun, qui donnera aux projets leur force et leur cohésion.
Le centre de ressources de la DIV et le réseau national des centres de ressources pour la politique de la ville constituent des points d'appui privilégiés et ils sont d'ores et déjà à votre disposition pour coopérer dans notre ambition commune.
Mesdames et messieurs, votre rôle est très grand, d'abord auprès des jeunes générations
Faire comprendre aux enfants que la ville est un stock de données inépuisable où ils peuvent trouver bien des réponses, est un acte éducatif essentiel. C'est dans la compréhension des faits du passé, reliés à ceux d'aujourd'hui, que l'on peut exercer au quotidien une citoyenneté, dont on parle trop, pour ne pas assez souvent la vivre.
C'est dans l'histoire des villes et dans une connaissance vive et actuelle, que les enfants d'aujourd'hui peuvent comprendre leur environnement immédiat.
C'est, par exemple, en retraçant l'histoire de nos banlieues et en faisant resurgir la vérité des faits, qu'on peut expliquer aux jeunes des décisions qui peuvent leur apparaître a priori inexcusables. C'est aussi le moyen de leur donner envie d'agir pour transformer la réalité de la ville.
J'ai mis en place les classes de ville, parce que la ville s'apprend et que nous avons le devoir de guider les jeunes générations dans la connaissance de cet univers familier, mais dont ils ignorent souvent la très grande complexité.
Vous avez également un rôle à jouer dans le renforcement de la démocratie.
En écho à la question que vous vous posiez ce matin : " où sont et où seront les sources pour une politique de la ville ? j'ajouterais celle-ci : " où sont les documents d'aujourd'hui qui présentent la ville de demain ? ".
Car il est aussi capital d'informer les habitants du devenir de leur ville, non pas seulement pour exposer des maquettes déjà toutes faites au moment où le projet est quasiment bouclé, mais pour permettre le débat, pour que la ville se fasse avec la population.
Cela demande des efforts : efforts d'information, efforts d'explication, efforts de consultation, efforts de dialogue. Cela nécessite des lieux de rencontres qui créent les conditions des échanges indispensables.
C'est pourquoi, pour ne plus opposer histoire et modernité des villes, et pour donner aux habitants un point de ralliement et de débats visible, nous avons décidé, Catherine Tasca et moi-même, sous la double impulsion de François Barré, directeur de l'architecture et du patrimoine, et de Philippe Bélaval, directeur des archives de France, de proposer un programme qui permettra de faire le lien entre le devoir de conserver et celui de porter le projet de la ville future. Dans les sites en renouvellement urbain, les maisons des archives municipales auront vocation à devenir également les maisons des projets de ville.
Ainsi les habitants pourront trouver dans le même lieu, à la fois le passé raconté et le futur imaginé, et toutes les clés de la compréhension de leur ville.
Pour conclure, j'ai envie de prendre, l'image du palimpseste. Je ne vous ferais pas l'injure de rappeler, à vous qui êtes dans le secret des écrits, le sens de cette expression.
La métaphore du parchemin qu'on efface, puis sur lequel on réécrit de nouvelles formules, est selon moi une des plus belles pour évoquer la ville.
Le tout est de ne pas oublier, de savoir avancer en s'inspirant des leçons de l'histoire, et d'écrire sur les traces du passé, estompées mais encore lisibles, les figures de l'avenir.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr, le 22 janvier 2001)