Déclaration de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sur la recherche médicale et la nécessité de disposer d'avis de caractère éthique pour la consultation et la décision publique, Paris le 29 novembre 2000.

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Circonstance : Journées annuelles d'éthique à Paris le 29 novembre 2000

Texte intégral

Je voudrais d'abord souligner la grande utilité pour les pouvoirs publics des avis du Comité consultatif national d'éthique.
Consultation et décision publique
Confrontés à des problèmes d'une complexité et d'une technicité croissantes avec les avancées très rapides des recherches scientifiques, les décideurs publics doivent pouvoir disposer d'avis éclairés, qui contribuent à leur permettre de décider en pleine connaissance de cause.
Par ailleurs, les progrès de la science et particulièrement ceux de la recherche médicale nécessitent un encadrement éthique. Il est nécessaire d'accompagner ces progrès scientifiques par des normes éthiques et des règles juridiques qui expriment les valeurs de notre société.
Dans ce but, il est important qu'une même enceinte rassemble à la fois des spécialistes de la biologie et de la médecine et des juristes, des philosophes, des représentants des grandes familles de pensée, pour qu'ils puissent confronter leurs points de vue, réfléchir ensemble et parvenir ensemble à des positions communes, qui prennent en compte et la dimension scientifique et la dimension éthique, qui ne peuvent être dissociées.
L'expertise doit donc avoir toute sa place dans le processus de décision publique. Etant évidemment entendu que la consultation ne peut se substituer à la décision.
Celle-ci doit naturellement revenir aux pouvoirs publics issus du suffrage universel : gouvernement et Parlement, qui est le lieu naturel des grands débats de société et des grands choix publics. Même si le Parlement peut être très utilement éclairé par des avis antérieurs et extérieurs formulés dans d'autres enceintes.
Les cellules souches
Votre débat de cet après-midi porte sur les cellules souches et peut très utilement nous éclairer pour la révision des lois de bioéthique de 1994.
Les cellules souches peuvent se différencier, se transformer en cellules de différents types.
Les cellules souches embryonnaires (cellules ES) sont dites pluripotentes, car elles peuvent se différencier dans tous les lignages cellulaires. Elles peuvent donner naissance pratiquement à tous les types de cellules présents dans le corps : cellules du sang, de la peau, des muscles, du cerveau, du foie, du pancréas, etc
En revanche, les cellules souches adultes, présentes au sein des organes, sont capables de prendre les caractéristiques des différents types cellulaires constituant l'organe, mais seulement ceux-là. Elles sont dites multipotentes. Tel est le cas des cellules souches hématopoïétiques, capables de fabriquer toutes les lignées cellulaires sanguines : globules blancs, globules rouges, plaquettes.
Bref, les cellules souches adultes peuvent donner plusieurs types cellulaires définitivement différenciés, mais constituant un tissu ou un organe spécifique.
Les cellules souches adultes
L'utilisation des cellules souches adultes, des cellules souches prélevées sur des organismes adultes, ne pose évidemment pas les mêmes problèmes éthiques que celle des cellules souches embryonnaires.
J'ai donc souhaité qu'on développe très activement les recherches sur les cellules souches adultes.
J'ai donc demandé au Professeur François Gros de constituer sur ce sujet un groupe de travail. Ce groupe comprenait vingt experts, parmi lesquels Madame Marina Cavazanna-Calvo, René Frydman, Louis-Marie Houdebine, Marc Peschanski, Alain Pompidou et Marc Tardieu.
Ce groupe de travail m'a remis le 6 novembre son rapport, intitulé "Les cellules souches adultes et leurs potentialités d'utilisation en recherche et en thérapeutique - Comparaison avec les cellules souches embryonnaires".
Dans l'état actuel de nos connaissances, deux facteurs semblent limiter l'utilisation des cellules souches adultes. D'une part, "elles ne sont pas considérées comme pluripotentes et sont généralement programmées pour un tissu donné". D'autre part, "elles ne se multiplient pas à l'infini à l'état indifférencié" ; leur capacité de multiplication est très variable selon le tissu d'origine.
Ce rapport confirme donc que les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes n'ont pas, a priori, les mêmes capacités de différenciation et de multiplication.
Il est indispensable cependant de poursuivre très activement l'effort de recherche sur les cellules souches adultes, même si celles-ci semblent actuellement moins riches de potentialités que les cellules souches embryonnaires. Le Ministère de la Recherche veillera donc au renforcement des recherches menées sur les cellules souches adultes.
Mais, vu l'état actuel des connaissances, le groupe de travail présidé par F. Gros juge " urgent " " le développement de travaux fondamentaux sur les cellules souches embryonnaires. "
Les cellules souches embryonnaires
L'éthique nous invite à prendre en compte deux séries de considérations.
- D'une part, l'attention à accorder à l'embryon humain, qui ne peut être réifié.
- D'autre part, le droit des malades à être soignés. Le droit des personnes atteintes d'affections graves et le plus souvent incurables, à voir les recherches progresser et développer de nouvelles thérapeutiques, susceptibles de soulager leurs souffrances et de leur offrir des chances de guérison.
Ces deux impératifs éthiques doivent être pris en compte l'un et l'autre.
Médecine régénérative et thérapie cellulaire
L'enjeu, c'est la médecine régénérative, remplaçant un jour cellules et organes défaillants.
Beaucoup de maladies humaines sont liées à la dégénérescence cellulaire et à la destruction de tissus qu'on n'a pas aujourd'hui les moyens de remplacer.
La solution actuelle est la transplantation d'organes. Mais le nombre de donneurs d'organes est limité. Et il importe donc de pallier le manque de dons d'organes.
La thérapie cellulaire vise donc à remplacer des cellules malades ou en nombre insuffisant par des greffes de cellules. Elle vise donc à traiter les affections qui nécessitent une régénérescence des cellules.
Les maladies neuro-dégénératives : de très nombreuses maladies neurologiques sont le résultat de la perte de cellules nerveuses. C'est le cas de la maladie d'Alzheimer et de la maladie de Parkinson. De même, on peut espérer traiter par des cellules nerveuses spécialisées la sclérose latérale amyotrophique et la sclérose en plaques.
Les maladies cardiaques : la transplantation de cellules musculaires cardiaques pourrait aider les malades en insuffisance cardiaque chronique et repeupler le tissu cardiaque.
Les hépatites : la culture de cellules hépatiques pourrait repeupler le foie et remplacer les cellules défectueuses.
Le diabète de type I : la production d'insuline par les cellules spécialisées réunies dans les îlots de Langerhans est abolie dans le diabète de type I. La transplantation d'îlots isolés est susceptible de guérir la maladie. Les faire dériver de cellules souches permettrait d'en disposer en nombre suffisant pour la transplantation.
On voit bien les bénéfices potentiellement considérables de ces recherches, pour mettre au point des thérapies prometteuses, pour sauvegarder ou améliorer des vies humaines.
Les cellules souches embryonnaires sont obtenues à partir d'un embryon qui peut provenir d'une fécondation in vitro (FIV) ou du transfert d'un noyau adulte dans un ovocyte énucléé (transfert de noyaux des cellules somatiques).
Les embryons surnuméraires sans projet parental
Quel peut être le devenir des embryons humains conçus dans les centres d'AMP (assistance médicale à la procréation) qui, ne faisant plus l'objet d'un projet parental, sont conservés depuis par congélation ? Le nombre de ces embryons, dits "surnuméraires" demeure mal connu : il se situerait entre 60 000 et 150 000.
Actuellement, la loi de bioéthique de 1994 dispose que ces embryons qui ne font plus l'objet d'un projet parental et qui ne peuvent pas être accueillis par un autre couple cesseront d'être conservés au-delà d'un délai de 5 ans.
Plutôt que de détruire ces embryons conservés par congélation, faut-il permettre leur utilisation à des fins de recherche ?
Le Comité consultatif national d'éthique a répondu positivement dans son avis du 11 mars 1997, de même que l'Académie nationale de médecine, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, l' UNAF, ainsi que le Conseil d'Etat dans un rapport du 25 novembre 1999.
"L'objet de ces recherches, précise ce rapport, n'est plus seulement d'améliorer les techniques d'assistance médicale à la procréation, mais de s'engager, par ailleurs, dans un développement des thérapeutiques susceptibles d'apporter des réponses à des maladies très graves et les plus souvent incurables."
C'est aussi la solution que retient donc l'avant-projet de loi du gouvernement révisant les lois de bioéthique :"La constitution de lignées des cellules souches d'origine embryonnaire à partir d'embryons ne faisant plus l'objet d'un projet parental ne peut être effectuée, après un délai de réflexion, qu'avec le consentement écrit préalable des membres du couple dont ils sont issus et après information des intéressés sur les possibilités d'accueil des embryons par un autre couple ou d'arrêt de leur conservation."
Le transfert de noyaux de cellules somatiques
Une seconde voie permettrait la constitution de lignées de cellules souches embryonnaires : le transfert de noyaux de cellules somatiques, le transfert dans un ovocyte énucléé du noyau d'une cellule adulte du patient qu'on désire traiter.
Il ne s'agit pas là, à la différence de la fécondation in vitro, de mettre en contact un spermatozoïde et un ovule, c'est-à-dire deux cellules reproductrices, deux cellules germinales.
Cette seconde technique présente un avantage : éviter les problèmes immunologiques qui peuvent faire suite à une transplantation, éviter le rejet immunologique, éviter le rejet du transplant.
En effet, les cellules souches prélevées sur les embryons surnuméraires ne seraient pas identiques génétiquement à celles du receveur et pourraient entraîner des problèmes de rejet. D'où la nécessité de traitements de longue durée à l'aide de médicaments immunosuppresseurs, qui augmentent la sensibilité aux infections. En revanche, le transfert de noyaux de cellules somatiques constitue des lignées cellulaires totalement compatibles avec le système immunitaire du patient donneur du noyau.
Même s'il juge actuellement "prématuré" le recours au transfert nucléaire, le Groupe européen d'éthique écrit dans son rapport du 14 novembre 2000 (page 33) :
"Cette technique est peut-être la manière la plus efficace d'obtenir des cellules souches pluripotentes génétiquement identiques à celles du patient et, dès lors, des tissus parfaitement histocompatibles, le but étant d'éviter le rejet de tissus après leur transplantation."
Il importerait évidemment de réglementer très strictement le don d'ovocytes prélevés sur des donneuses volontaires, pour éviter les dérives auxquelles ce prélèvement pourrait donner lieu.
Il conviendrait, en tout cas, de ne pas écarter a priori cette perspective : la recherche sur la constitution de lignées de cellules souches d'origine embryonnaire par transfert de noyaux de cellules somatiques, si cela s'avérait un jour nécessaire, et en cas d'échec des autres techniques, au sein de protocoles strictement définis et encadrés.
Un dispositif d'encadrement très strict
En effet, les recherches sur les cellules souches embryonnaires, constituées par l'une ou l'autre de ces techniques, seront régies par un dispositif d'encadrement très strict.
La constitution de lignées de cellules souches d'origine embryonnaire ne pourra être entreprise qu'à des conditions très strictes :
embryons n'ayant pas atteint le stade de la différenciation tissulaire intervenant vers le 6ème ou 7ème jour;
finalité thérapeutique, impossible à atteindre par une méthode alternative d'une efficacité comparable;
protocole soumis à l'autorisation préalable des ministres de la santé et de la recherche après avis d'un organisme ad hoc, de contrôle et de suivi, compétent dans les champs de la reproduction humaine, de la recherche en biologie du développement et de la génétique prédictive.
Cette Agence comportera un Haut Conseil dont l'indépendance sera garantie par sa composition et ses procédures internes.
La composition de ce Haut Conseil de 18 membres garantira son autorité et sa compétence. Le président de la République et les présidents des assemblées parlementaires désigneront chacun une personnalité qualifiée. L'Académie des sciences, l'Académie de médecine, le CNRS, l'INSERM et l'INRA désigneront huit membres. Ce Haut Conseil comportera en outre deux parlementaires, un membre du Conseil d'Etat, un membre de la Cour de cassation, deux représentants d'associations de malades et, bien sûr, un membre du Comité consultatif national d'éthique désigné par ses pairs.
Comme l'a souligné hier le premier ministre, "le lien entre votre Comité et ce Haut Conseil est indispensable parce que vos missions, si elles sont distinctes, sont complémentaires. Des échanges sont nécessaires et nous prévoirons que chaque instance puisse saisir l'autre."
Ce Haut Conseil rendra des avis sur les demandes d'autorisation des protocoles de recherche dans les domaines nouvellement ouverts par la loi. Cet avis se fondera sur la pertinence scientifique du protocole, l'importance de ses objectifs ainsi que sur l'acceptabilité du projet du point de vue éthique.
Cet avis du Haut Conseil sera rendu public, la décision d'autoriser ou non le protocole de recherche appartenant ensuite aux ministres de la Santé et de la Recherche.
Bref, nous veillons à mettre en place un dispositif de régulation très précis, pour encadrer très strictement les recherches.
L'avant-projet de loi comporte également d'autres garanties essentielles au plan éthique.
- "Est interdite toute intervention ayant pour objet de faire naître un enfant ou de laisser se développer, à compter du stade de la différenciation tissulaire, un embryon humain, qui ne seraient pas directement issus des gamètes d'un homme ou d'une femme."
Le clonage reproductif reste donc, bien évidemment, strictement interdit.
- "Il est interdit de faire se poursuivre, à compter du stade de la différenciation tissulaire, le développement d'un embryon in vitro, à des fins autres que l'assistance médicale à la procréation."
Ces embryons ne pourront donc servir à d'autres recherches.
- " Les embryons à partir desquels est entreprise la constitution de lignées de cellules souches sont exclusivement destinés à celle-ci. Ils ne peuvent être ni conservés ni transférés. La constitution d'embryons à partir de cellules souches d'origine embryonnaire est interdite."
Donc, d'une part, l'implantation d'un embryon utilisé pour la recherche est interdite. Et, d'autre part, les cellules souches ne peuvent pas servir à la constitution d'un embryon.
L'avis que rendra le Comité d'éthique, saisi par le gouvernement, nous sera évidemment très utile pour arrêter définitivement les dispositions de l'avant-projet de loi sur lequel vous êtes consultés.
Nous attendons cet avis avec intérêt et nous en prendrons connaissance avec attention.
Parce qu'il importe de recueillir les avis les plus autorisés pour légiférer sur des questions qui concernent intimement le devenir humain.
Et parce que votre avis émanera de femmes et d'hommes de science et de conscience, qui ont toujours contribué à éclairer notre chemin commun : celui du progrès de la science dans le respect des valeurs fondamentales.


(Source http://www.education.gouv.fr, le 5 décembre 2000)