Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice, sur la formation du personnel pénitentiaire, l'ENAP (école nationale d'administration pénitentiaire), l'action gouvernementale en faveur du personnel pénitentiaire et la réhabilitation des prisons, Agen le 8 novembre 2000.

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Circonstance : Inauguration des nouveaux locaux de l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire, Agen le 8 novembre 2000

Texte intégral

Monsieur le Premier Ministre,
Messieurs les ministres,
Monsieur le maire,
Monsieur le président du conseil général,
Monsieur le président du conseil régional,
Monsieur le directeur,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais d'abord, Monsieur le Premier Ministre, vous dire la gratitude de tous ceux qui s'intéressent aux questions pénitentiaires pour votre présence à Agen aujourd'hui.
Je sais que vous avez voulu, en acceptant d'inaugurer personnellement la nouvelle Ecole d'administration pénitentiaire, marquer l'importance que revêt pour vous la question des prisons, au coeur de bien des débats, en particulier depuis le début de cette année. Au nom de tous ceux qui sont ou se sentent concernés, je vous remercie.
Je voudrais aussi spécialement saluer les personnalités politiques, judiciaires, membres de l'administration pénitentiaire ou universitaires de pays étrangers qui nous font l'honneur et l'amitié de participer à cette journée et aux travaux qui vont suivre. A tous je souhaite la bienvenue.
Mesdames, Messieurs, L'ENAP a vu le jour en 1966 à Fleury-Mérogis. Ainsi, son installation à Agen, 34 ans plus tard, le temps d'une génération, intervient à l'âge de la maturité, quand les projets ne cèdent pas la place au bilan, à la seule rétrospective.
La formation professionnelle est un élément fondamental du changement du monde pénitentiaire, dans un contexte qui nous mobilise à un double titre :
l'évolution permanente de l'environnement qui oblige à une adaptation rapide des compétences ;
le renouvellement important des personnels qui impose un effort accru d'intégration des nouveaux agents.
L'installation de l'ENAP à Agen répond pleinement à cette double exigence pédagogique et organisationnelle.
Ainsi, cette nouvelle école est un élément fort du chantier qui nous attend pour construire l'administration pénitentiaire du XXIème siècle. Je parle des projets immobiliers mais aussi des réformes qui porteront sur le sens de la prison, sur la mission des personnels, sur les moyens à mettre en oeuvre pour satisfaire l'objectif primordial de réinsertion.
I. J'évoquerai d'abord les questions de pédagogie, ainsi que ce lieu nous y invite.
L'administration pénitentiaire se trouve en permanence sous la pression de recrutements très importants. Pour répondre à cette situation, le site d'Agen est doté de locaux adaptés à ces données nouvelles.
Ce campus est fait d'espace, d'ouverture, de circulation. Les lieux de rencontre et de convivialité y sont riches. Je salue les concepteurs et leur adresse toutes mes félicitations.
Ainsi se trouve dessiné le cadre dans lequel seront renforcées et développées les formations qui permettront d'accompagner les réformes en cours et la modernisation de l' administration.
Outre les champs dans lesquels elle intervient traditionnellement avec un savoir faire pédagogique et innovant, je discerne plusieurs domaines dans lesquels l'Ecole pourra porter plus particulièrement son effort.
Je pense à la formation continue des cadres, qui reste une priorité du Ministère de la justice et doit être développée à tous niveaux.
Je pense aussi à la formation des personnels administratifs, dont nous savons que leur recrutement va s'accentuer ces prochaines années.
Je pense enfin au développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Le réseau informatique interne, la bibliothèque-médiathèque avec des espaces de travail individuels, le service audiovisuel doté d'un plateau technique, de salles de montage et d'un laboratoire de photographie mettent à disposition des enseignants et des élèves un instrument de formation d'exceptionnelle qualité.
Ainsi, l'ENAP devient-elle un interlocuteur de choix dans le réseau des grandes écoles de service public qui rassemble notamment les autres écoles du Ministère de la Justice, l'Ecole nationale de la magistrature, l'Ecole nationale des greffes et le Centre national de la formation et d'études de la Protection judiciaire de la jeunesse.
L'implantation à Agen ne pouvait que s'accompagner d'une harmonisation avec le tissu universitaire régional. Je me réjouis particulièrement du partenariat de l'ENAP avec les universités de Bordeaux et de Pau, qui favorisera la reconnaissance dans le monde universitaire des problématiques et des métiers pénitentiaires.
Avec l'ENAP, enfin, le monde pénitentiaire s'élargit au delà des frontières, comme le montre ce colloque, comme le montre aussi la participation de l'Ecole aux programmes européens Socrate et Erasmus.
Je souhaite bien évidemment que perdure cette dimension internationale, non seulement pour le rayonnement de notre pays, mais aussi pour l'enrichissement que nous apportent toujours la comparaison et la confrontation.
II. Cette école rénovée est à l'image de l'administration pénitentiaire de demain avec des missions mieux définies, des homme et des femmes mieux reconnus
1. Des missions mieux définies
Des opinions sévères ont été exprimées sur notre système pénitentiaires, notamment par les rapports des commissions d'enquête parlementaire dont je salue la qualité. De nombreux reportages ont révélé à la France entière des situations indignes d'une démocratie quels que soient les faits reprochés aux personnes incarcérées
Dans ce contexte, l'interrogation est plus forte que jamais : pourquoi la prison ?
Bien sûr, nous pouvons rêver d'un monde sans prison, mais ce monde là n'existe malheureusement pas encore, et aujourd'hui, il nous faut penser aux faibles, aux victimes que notre société se doit de protéger des agissements de ceux que seule la détention peut empêcher d'agir. Il nous faut admettre que dans certains cas, la détention est l'unique moyen de marquer la gravité d'un manquement à la loi.
Pour autant, la prison doit rester l'ultime solution, quand aucune action éducative, quand aucune mesure alternative ne peut être mise en oeuvre. Et si la seule solution est la privation de liberté, alors il faut encore que le résultat soit positif : le temps de l'incarcération doit être celui de la réinsertion, car tous les détenus, sauf une infime minorité sont un jour libérés.
C'est là le grand défi de l'institution pénitentiaire : donner un sens à la peine. Cela se fait au quotidien, au travers de mesures concrètes. Beaucoup de progrès ont déjà été accomplis, par exemple pour une prise en charge spécifique des mineurs incarcérés, pour un suivi plus individualisé des condamnés, ou par la mise en place d'établissements orientés vers la préparation à la sortie, comme les futurs centres pour peines aménagées.
Pour l'administration pénitentiaire et les personnels, nous devons aborder le sens des missions. Pour les détenus, nous devons prendre en compte la dignité des personnes incarcérées. Pour la société tout entière et les victimes, nous devons privilégier la réinsertion et la prévention de la récidive.
2. Cela ne se fera pas sans une réorganisation des tâches des personnels pénitentiaires
En effet, confrontés à des exigences parfois contradictoires dans l'exercice de la surveillance et de la prise en charge des personnes placées sous main de justice, les personnels pénitentiaires doivent disposer d'un cadre normatif incontestable.
La réforme de l'aménagement et la réduction du temps de travail doit être déjà l'occasion d'une réflexion approfondie sur les conditions de travail des personnels pénitentiaires. Elle s'accompagnera d'une évaluation des moyens à mettre en oeuvre pour répondre aux missions des personnels.
Les personnels pénitentiaires demandent à être mieux reconnus. Ils ont durement ressenti les critiques sur l'état de délabrement de certains de nos établissements et sur les dysfonctionnements qui y sont associés.
Les constats les plus négatifs ont pu renvoyer une image dévalorisante sans distinction entre les bâtiments et ceux qui y travaillent avec conscience et dévouement.
Or je veux le dire ici nettement et solennellement : ces personnels qui souffrent d'une situation qu'ils n'ont pas créée, qu'ils n'ont pas voulue et qui accomplissent avec courage leur difficile mission, méritent toute notre reconnaissance.
La première manière d'exprimer cette reconnaissance est de donner à la gestion des ressources humaines, la place qui lui revient.
Je crois en particulier à la nécessité de créer la fonction "ressources humaines" au sein des établissements pénitentiaires, comme il me paraît souhaitable de développer le dialogue social dans toutes ses composantes au travers notamment de la création de comités techniques paritaires locaux dans les établissements les plus importants. Il faut aussi renforcer les comités d'hygiène et de sécurité.
A la structure verticale traditionnelle de l'administration pénitentiaire, doit se substituer une organisation déconcentrée, qui vise à confier aux acteurs locaux un large éventail de compétences et de responsabilités
Cette réforme, qui ne pourra se faire sans moyens nouveaux, passe naturellement par une large concertation.
Nous devons également assurer une protection juridique sans faille des surveillants et de l'ensemble des personnels pénitentiaires.
Ces derniers sont les représentants de l'autorité de l'Etat et de la puissance publique avec, en corollaire, un statut spécial et de strictes exigences déontologiques.
Les personnels et leur famille doivent avoir la certitude d'une protection et d'une indemnisation des préjudices subis à l'occasion de leur activité professionnelle. Nous avons malheureusement des raisons de penser qu'il s'agit là d'une mesure indispensable.
Ainsi la loi pénitentiaire permettra de reconsidérer dans son ensemble la question de la prison, de son sens, de son organisation, du contrôle extérieur de son fonctionnement.
Elle aura pour premier mérite de provoquer au sein du Parlement et de la société tout entière, un large débat sur le sujet.
III. Il faut aussi adapter les équipements et les moyens de fonctionnement aux exigences du respect de la dignité humaine
La France ne saurait tolérer plus longuement la vétusté de ses établissements pénitentiaires, la promiscuité imposée à ses détenus et le non-respect des règles d'hygiène et de sécurité.
Elle doit pouvoir, au prix d'un effort sans précédent, enfin disposer d'un parc immobilier pénitentiaire respectueux de la dignité humaine et de moyens adaptés à la prise en charge des publics qui lui sont confiés, respectueux de la règle "une cellule - un détenu".
Cet effort passe par la démolition des établissements les plus vétustes, la construction de structures adaptées et la rénovation des seuls établissements dont les fonctionnalités correspondent aux critères actuels de la détention.
L'accueil des familles devra faire l'objet d'un examen particulièrement attentif.
Un effort budgétaire à la hauteur de cette ambition sera nécessaire dans les années à venir. Je sais, Monsieur le Premier ministre, que vous avez, comme le Gouvernement, la volonté d'aboutir, et je vous en remercie.
Cet effort doit être l'occasion de repenser l'organisation même des structures et de leur fonctionnement. Il faudra veiller à la mise en place de dispositifs de travail, de formation professionnelle, de culture, pour aider le détenu à préparer sa sortie.
La santé des détenus, et la prise en compte de ceux présentant des troubles psychologiques devront faire l'objet d'un examen particulier.
En conclusion
Au terme de ces propos, je voudrais vous redire toute la satisfaction que je trouve dans l'inauguration de ces splendides bâtiments et aménagements, qui symbolisent une forme de renouveau pour notre administration pénitentiaire.
Le chantier de construction de l'ENAP est terminé. Il en annonce d'autres, qui ne sont pas tous immobiliers :
pour répondre à la question "pourquoi la prison ?",
pour donner un sens à la peine,
pour restituer sa dignité au détenu,
pour assurer aux personnels la reconnaissance qui leur est due.
En ce moment, en ce lieu, c'est à toutes celles, tous ceux qui assument le système pénitentiaire que je pense, et tout particulièrement à celles et ceux qui sont dans cette école ou qui vont y entrer prochainement et qui représentent l'avenir. A tous je dis qu'ils peuvent être fiers des progrès accomplis et de ceux qui se feront avec eux et grâce à eux.
Je vous remercie.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 09 novembre 2000).