Interview de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, à Europe 1 le 30 novembre 2000, sur l'inversion du calendrier électoral en 2002, le statut de la Corse et la préparation de l'élections municipale dans le 18ème arrondissement de Paris.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach Votre Gouvernement demande que les Français choisissent d'abord le Président de la République puis les députés. Le Président Chirac n'en veut pas : est-ce que vous passez outre ?
- "Formellement, ce n'est pas le Gouvernement qui demande. Mais il est vrai qu'il souhaite - le Premier ministre l'a dit - qu'on revienne au calendrier normal, conformément aux institutions de la Vème République et à l'élection du Président de la République au suffrage universel. C'est la constitution de 1958. Que ceux qui sont contre ce retour au calendrier normal disent qu'ils sont contre l'élection du Président de la République au suffrage universel ! On ne change pas la date de l'élection présidentielle !"
Est-ce que c'est pour 2002 seulement ou pour toutes les élections présidentielles à venir ? Sauf s'il y avait des accidents...
- "Soyons logique ! C'est un retour pour l'ensemble des élections qui viennent, bien évidemment. C'est un retour à une logique : on fait d'abord la présidentielle, et puis se constitue la majorité pour gouverner le pays."
Mais vous faîtes cette réforme du temps institutionnel sans le garant des institutions ?
- "Les institutions ne sont pas en cause. Il ne s'agit pas d'une loi constitutionnelle, il n'y a pas de révision de la constitution: c'est une loi organique, et je vous rappelle qu'il suffit pour cela d'une majorité à l'Assemblée nationale, en dernier ressort, qui décide. Et je pense qu'il y a aura une majorité pour voter cette loi, très courte, en deux articles. C'est une proposition de loi d'un député qui subira, je pense, l'onction positive de l'Assemblée nationale."
Donc, le Président de la République doit se contenter d'être spectateur à un moment où on croit reconnaître qu'il doit y avoir une prééminence du Président de la République ?
- "Il n'est pas spectateur, il est Président de la République ! L'élection du Président de la République ne sera pas touchée par la loi qui est proposée, qui vise simplement à ce qu'on élise d'abord le Président de la République - sans parler des problèmes que cela poserait d'élire les députés avant pour des raisons de parrainages des candidats à la présidentielle - et puis logiquement, on élira les députés ensuite, vraisemblablement au mois de juin, normalement, comme cela s'est fait en 1988, en 1981..."
En fait, les gaullistes devraient vous dire merci !
- "Je suis effectivement un peu surpris que nous soyons les lecteurs fidèles de la constitution qu'ils ont votée en 1958 et qu'ils ont ensuite modifiée pour faire que le Président de la République soit élu au suffrage universel direct. Nous respectons les institutions et leur esprit."
Je vous ai entendu dire il y a quelques instants : "ce projet de changement, de rétablissement du calendrier, aura la majorité." Vous le savez ?
- "Il y aura un débat à l'Assemblée nationale, parce qu'il faut que les arguments soient échangés. Mais j'ai entendu, bien avant la proposition de G. Gouzes, député socialiste, des personnalités éminentes de l'opposition - M. Giscard d'Estaing, M. Barre, M. Bayrou - s'exprimer dans ce sens."
M. Charette... Cela fait une poignée mais est-ce que cela fait une majorité ? Aurez-vous la vingtaine de voix de droite qui vous manque ?
- "Je ne sais pas s'il manquera vingt voix à gauche pour que le projet passe. Ce que je sais, c'est qu'avec 289 députés, le texte sera adopté. Il y aura des discussions pour convaincre de la bonne foi du Gouvernement dans cette affaire et des députés socialistes qui proposent cette proposition de loi. D'autres peuvent s'ajouter en rationalité et en clarté politique."
Quelques socialistes aussi se sont retranchés comme B. Derosier, P. Quilès...
- "Les parlementaires sont libres d'examiner une proposition de loi. Nous verrons au moment du vote, avec les groupes politiques qui ont leur fonction. En réalité, je pense que ce texte passera, parce que c'est le bon sens. Les Français, dans leur majorité, vont dans ce sens."
En un mois, les socialistes et L. Jospin, sur ce calendrier - changement, rétablissement, inversion etc. - ont changé d'avis. Entendez-vous venir de la droite qu'en fait vous avez peur de perdre les élections législatives ? Si elles avaient lieu dimanche, vous seriez secoués.
- "Je vois bien qu'un certain nombre de députés de droite avancent cette thèse. Je renverrais l'argument en disant qu'ils auraient peur de perdre la présidentielle. En réalité, aujourd'hui, tout démontre, élection partielle après élection partielle, sondage après sondage, que la confiance dans ce Gouvernement, qui a fait reculer le chômage, a maintenu la croissance, est là. Très sincèrement, aujourd'hui, rien ne devrait inquiéter la gauche, y compris lors des élections législatives."
C'est le ministre de l'Intérieur qui le dit. Généralement, on a l'impression que vous avez des tas de machines, d'experts pour calculer...
- "Peu de machines, peu d'experts, mais en réalité du bon sens qui me fait penser que la majorité tient bien dans l'opinion, qu'elle travaille bien."
Pour la Corse, vous ne changez ni le calendrier, ni le contenu des 51 articles de l'avant-projet de loi. Vous le soumettez à l'Assemblée territoriale corse qui va en débattre les 7 et 8 décembre. J'ai envie de vous dire, - il y a tellement de questions autour de la Corse - vous agissez, là aussi, comme si le Président de la République était d'accord ou alors comme s'il n'existait pas.
- "Il s'agit de lois de la République qui sont préparées par le Gouvernement, qui passent en Conseil des ministres. La loi sur la Corse devrait passer au mois de janvier. Le Gouvernement gouverne. Je pense que, là encore, c'est la bonne application des institutions de la Vème République, et je constate d'ailleurs que le Président de la République en a la même lecture que moi."
Attendez qu'il s'exprime sur ce plan ! On va voir.
- "Bien sûr, mais je ne l'ai pas entendu beaucoup sur la Corse."
Il attendait votre texte. Il l'a.
- "Je constate qu'en Corse le travail est fait dans la transparence, la méthode, le cheminement, sont conçus pour parvenir à un texte qui permette peut-être d'avoir une Corse apaisée, enracinée dans la République, parce qu'on a reconnu son identité, sa spécificité. L'arc politique qui soutient ce texte est très large, y compris des députés de l'opposition en Corse : J. Baggione, le président de l'exécutif, est RPR."
Un des négociateurs, J.-G. Talamoni, dit ce matin dans Le Parisien qu'il y a des saboteurs, qu'à cause d'eux, il y a des menaces sur la paix civile. C'est vrai : pendant que vous négociez avec les élus nationalistes corses, il y a au même moment des magistrats antiterroristes qui interpellent, qui raflent et qui contrôlent ?
- "Je ne négocie pas avec tel ou tel élu. Je vois les élus dans leur ensemble, tous ensemble."
J'ai dit tous les élus.
- "Non, vous avez dit "les élus nationalistes." Il se trouve que les électeurs ont envoyé M. Talamoni et M. Quastana à l'Assemblée de Corse. Je les vois comme les autres, ils travaillent comme les autres. Le Gouvernement fait une proposition. A eux maintenant, collectivement et individuellement, de s'en saisir."
Vous ne m'avez pas répondu : est-ce qu'il y a des gens qui - magistrats ou autres - peuvent mettre en cause le processus ? Est-ce qu'il y a une justice qui est politisée ou politique ?
- "Le Gouvernement fait son travail, je fais mon travail, la justice doit faire le sien. Je pense que si les juges font ce qu'ils font, c'est qu'ils pensent faire ce qu'ils doivent faire."
Et sinon ?
- "L'accusation serait tellement grave que je n'ose imaginer qu'elle puisse être plausible."
Vous êtes dans le 18ème arrondissement. Il paraît que Séguin est peut-être en train de pouvoir gagner le 18ème et de devenir le maire de Paris. C'est vrai ?
- "Franchement, je ne sais pas. Il semble bien que M. Séguin soit candidat à la mairie de Paris, en tout cas il l'était. Ce que je sais, c'est qu'il n'est pas candidat à la mairie du 18ème arrondissement. Moi, je suis tête de liste dans le 18ème, candidat à la mairie du 18ème, parce que c'est mon seul mandat, c'est celui qui m'intéresse. Cela fait 43 ans que je suis dans le 18ème. Moi c'est la clarté. C'est clair, B. Delanoë sera sur ma liste, en seconde position, et il est candidat à la mairie de Paris. Je ne sais même pas qui est candidat pour la mairie d'arrondissement du 18ème, ce qui, pour les électeurs, reconnaissez-le, n'est quand même pas un signe de clarté."
D'accord, mais au-delà de cela, B. Delanoë est-il aujourd'hui maire de Paris ?
- "Non. Le maire de Paris, c'est J. Tiberi, celui qu'a choisi M. Séguin pour l'être, avec d'autres. Ce qui m'embête, c'est la confusion qui règne au Conseil de Paris. On va bientôt examiner le budget de la Ville de Paris. C'est un peu la chienlit. Je trouve cela dommageable pour la démocratie. La droite, toute la droite - les trois groupes de l'opposition confondue - ont la paternité de cette situation. Je le regrette. Le temps de l'alternance va venir à Paris, c'est ce que je souhaite, et c'est ce que, je crois, souhaitent une majorité de Parisiens."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 4 décembre 2000)