Texte intégral
Madame la Présidente, Madame la ministre,
Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux d'ouvrir les travaux de votre colloque. Je tiens à saluer l'initiative prise par deux grands titres de presse, Les Echos et The Economist, d'organiser avec le Mouvement européen -dont je salue la présidente, Mme Anne-Marie IDRAC- une réflexion sur l'identité de l'Europe. Les sujets que vous aborderez aujourd'hui et demain -l'élargissement de l'Union, la défense européenne, la croissance économique, la place des régions en Europe, la réforme institutionnelle- sont autant de façons d'aborder un thème aux multiples facettes. Ma contribution à votre débat s'inscrira logiquement dans votre premier thème à dimension historique et sera aussi une occasion privilégiée de faire le point sur les avancées de la Présidence française de l'Union européenne. A travers celle-ci, mais aussi, depuis trois ans et demi, à travers son action, le Gouvernement français s'est efforcé de faire vivre une conviction : l'Europe n'est pas qu'un espace géographique, ni même qu'un ensemble économique, elle est d'abord une civilisation.
En tant que civilisation, l'unité de l'Europe est une réalité historique. Selon Fernand BRAUDEL, " l'Europe est, à la fois, unité et diversité ", trait lumineux qui a d'ailleurs inspiré la devise de l'Union européenne.
Cette unité est ancienne. Sa profondeur temporelle apparaît à celui qui interroge l'Histoire de notre continent non en s'arrêtant aux chocs parfois tragiques des souverainetés et des nationalismes, mais en parcourant les flux qui ont irrigué l'Europe. Les flux du commerce, bien sûr : de foires en foires, l'économie marchande a fait surgir un système d'échanges dont le centre de gravité s'est déplacé de Venise vers Lisbonne, puis Anvers, Londres, d'autres villes encore. Mais l'Europe ne s'est jamais résumée à une communauté de marchands. Les oeuvres de l'esprit, elles aussi, ont toujours su dépasser les limites de leur patrie d'origine. La diffusion à travers l'Europe de l'art roman précéda celle du gothique, dont témoignent aujourd'hui la Chapelle de Trinity College à Cambridge comme la cathédrale Saint-Etienne à Bourges. L'art classique, flamboyant à Versailles, se retrouve dans les châteaux de Hongrie. Inscrite dans la pierre, cette unité européenne se retrouve dans les livres, les musiques, les peintures. Les collections des musées du Louvre, du Prado ou de l'Hermitage témoignent toutes de l'unité des courants artistiques nés en Europe.
L'unité européenne a donc une histoire, avec laquelle nous renouons. Hier, notait CONDORCET, l'imprimerie de GUTENBERG a permis que se tisse à travers notre continent une trame favorisant l'échange des idées ; l'Allemand KEPLER a pu ainsi préciser les travaux du Polonais COPERNIC, qui lui-même s'était fondé sur ceux de l'Italien GALILÉE. Aujourd'hui, grâce aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, l'Europe doit se doter d'un puissant réseau d'échanges au service de l'innovation et de la création.
De même, dans l'Europe de la Renaissance, la figure itinérante d'ERASME a incarné l'échange intellectuel, au point que Stefan ZWEIG voyait dans l'humaniste hollandais " le premier européen conscient ". Aujourd'hui, nous devons encourager les échanges de chercheurs, d'enseignants et de jeunes en formation, au sein de l'Université ou de l'entreprise. Le nombre des bénéficiaires d'une éducation européenne reste trop faible. Afin de favoriser la mobilité en Europe, la Présidence française a obtenu des résultats encourageants : les Quinze ont adopté un plan d'action regroupant plus de quarante mesures concrètes. C'est là une nouvelle étape pour faire revivre l'Europe des universités, d'Oxford à Salamanque, de la Sorbonne à Bologne.
L'unité de notre civilisation s'épanouit dans l'extraordinaire diversité des cultures que font vivre les Nations européennes. Nous en avons tous fait l'expérience. N'est-il pas dépaysant de marcher dans les rues d'Athènes, de Glasgow ou de Prague ? Et pourtant, lequel d'entre nous n'a pas le sentiment d'être chez lui partout en Europe ? De ce sentiment, votre colloque offre une illustration supplémentaire. Si les organisateurs de ces journées ont réuni, entre autres, des Espagnols et des Britanniques, des Allemands et des Français, des Tchèques et des Polonais, c'est parce que nous restons assez différents pour avoir envie d'apprendre les uns des autres. De plus en plus de femmes et d'hommes, et en particulier chez les jeunes, se savent français et se sentent européen. Etre européen, c'est être à la fois britannique avec SHAKESPEARE ou tel groupe de musique pop, italien avec TITIEN ou les designers milanais, français avec RAMEAU ou la jeune génération de réalisateurs de cinéma. Ainsi, l'Europe que nous contribuons à construire donne raison à André SUARES, qui nous avait prévenu, dès 1927, que " la véritable Europe est un accord et non l'unisson ". C'est dans cette harmonie réussie entre plusieurs instruments bien distincts que réside l'identité européenne.
Cette diversité culturelle est une de nos plus grandes richesses. Elle est notre bien commun. Nous devons la défendre contre les risques d'uniformisation. Ce combat se fonde sur une conviction : la culture n'est pas une marchandise, parce que la culture est au fondement de l'identité, et que l'identité ne se monnaye pas. Il est donc nécessaire de soutenir sans relâche la création artistique et culturelle. Cette responsabilité est celle de chacun des gouvernements européens. Elle revient aussi à l'Union. Je me réjouis de l'accord obtenu au Conseil des ministres de la Culture sur le programme " Média Plus " : doté de 400 millions d'euro sur cinq ans, ce nouveau programme d'aide à la production et à la diffusion d'oeuvres audiovisuelles fait naître l'Europe du cinéma.
Mesdames et Messieurs,
En évoquant l'âme de notre continent -sa culture, ses cultures-, j'ai voulu marquer combien l'unité de celui-ci -entendu comme civilisation- était une réalité historique. Je voudrais maintenant rappeler que c'est par la volonté que s'est construite son unité politique.
L'Europe est une communauté de destin fondée sur des valeurs partagées.
La construction européenne a permis de placer côte à côte des Nations qui seraient sinon restées face à face. Ces Nations, que l'Histoire avait séparées, ont peu à peu réalisé que leur avenir ne pouvait se préparer qu'en commun. L'Europe est ainsi devenue une Union de nations. Elle est un prolongement de la Nation, qui reste le lieu où bât le cur de la démocratie et où s'expriment les solidarités les plus fortes. Mais elle est bien la traduction concrète et vivante des valeurs que nous avons en partage et qui inspiraient les " pères fondateurs " : le respect des droits de l'Homme, la démocratie, la liberté -les libertés-, le droit international. Il manquait une proclamation solennelle à ces valeurs communes. Le Président Vaclav HAVEL fut un des premiers à suggérer un tel texte, dans lequel s'exprimerait, selon sa propre expression, " le génie européen ". Le Conseil européen de Nice verra l'aboutissement de cette grande idée, lancée à Cologne sous présidence allemande.
La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne consacre l'ensemble des principes et des valeurs qui fondent notre identité collective. Elle unit dans une même déclaration des droits civils et politiques, mais aussi économiques et sociaux, ainsi que des droits dits " nouveaux ". Qu'il s'agisse de dignité humaine ou de libertés, d'égalité ou de solidarité, de citoyenneté ou de justice, il y a en effet, dans les quelque cinquante articles de la Charte, la vision humaniste présente au cur du projet européen. Je me réjouis que cette démarche trouve son aboutissement au moment où la France assume la présidence de l'Union.
L'Europe doit avoir les moyens de défendre ces valeurs lorsqu'elles sont menacées. Tel était le sens de l'intervention européenne au Kosovo. L'Europe doit aller de l'avant pour construire une défense européenne, capable de mener, si c'est absolument nécessaire, une opération militaire de façon entièrement autonome. La mise en place d'une force de réaction rapide est une étape majeure dans ce projet. L'objectif est de permettre à l'Union, d'ici trois ans, de déployer en 60 jours des forces terrestres comprenant jusqu'à 60.000 hommes.
L'adhésion des citoyens européens au projet européen sera d'autant plus forte que l'Europe répondra à leurs préoccupations. Cela doit être le cas chaque fois que les problèmes, devenus globaux, appellent des réponses globales. Je pense en particulier à la sécurité des transports maritimes ; la Présidence française s'attache à définir avec ses partenaires une stratégie communautaire pour prévenir les désastres écologiques provoqués par les naufrages. Je pense aussi à la sécurité alimentaire. La France a pris toutes les mesures nécessaires pour faire face, sur son territoire, à la crise de la vache folle. Mais cette maladie concerne toute l'Europe. C'est au niveau communautaire qu'il faut généraliser les tests de dépistage, l'interdiction des farines animales et le développement de la filière protéique de substitution. La France a porté ces demandes au Conseil des ministres de l'Agriculture il y a quelques jours. La Commission européenne vient de faire des propositions. Le mouvement est engagé. Nous déployons tous nos efforts pour le faire aboutir très rapidement.
Mesdames et Messieurs,
L'identité de l'Europe repose aussi sur un modèle économique.
L'Europe est un modèle de développement qui ne sépare pas la performance économique du progrès social.
La force de l'Europe, cette force qui lui a notamment permis de se reconstruire après 1945 et de se hisser de nouveau au tout premier rang de l'économie mondiale, c'est de savoir rechercher l'efficacité économique sans jamais renoncer à la justice sociale. Nous devons prolonger et conforter cette inspiration.
L'Europe doit être un espace de croissance. Elle doit retrouver le plein emploi. Il y faut de la persévérance et du volontarisme. Au cours des dernières années, beaucoup a été fait, et la France y a amplement contribué. Au Conseil européen de Lisbonne, en mars 2000, un objectif de croissance de 3 % en moyenne dans les années à venir a été adopté, la perspective de reconquête du plein emploi en Europe dans la décennie a été affirmée.
La Présidence française s'efforce d'approfondir l'Europe sociale. La France a proposé à ses partenaires l'adoption d'un agenda social européen. Je me réjouis vivement de l'accord unanime obtenu par Elisabeth GUIGOU, avant-hier, au Conseil des ministres de l'Emploi et de la Politique sociale. Cadre de travail sur cinq ans, cet agenda doit rassembler les actions sociales prioritaires que décideront les Etats. Celles-ci sont assorties d'un calendrier et leur mise en uvre sera suivie régulièrement. Cet agenda, en traduisant concrètement les valeurs de solidarité et de justice qui caractérisent l'Union, sera un levier important pour moderniser et améliorer dans la durée le modèle social européen.
Afin de renforcer ce dernier, d'autres accords ont été obtenus en matière de lutte contre l'exclusion sociale et de lutte contre toutes les formes de discrimination au travail. Par ailleurs, la Présidence française a fait des propositions à ses partenaires pour conduire une réflexion sur les services d'intérêt économique général en Europe -ce qu'en France nous appelons les services publics-, afin de mettre en uvre la reconnaissance dont ils font l'objet dans le traité d'Amsterdam. L'égalité entre les femmes et les hommes a été particulièrement prise en considération dans ce que l'on appelle les lignes directrices pour l'emploi 2001. Enfin, la reconnaissance des droits des salariés dans l'entreprise a été un chantier important qui a connu des négociations délicates, compte tenu de la vive opposition exprimée par quelques partenaires pourtant minoritaires. Notre souhait de renforcer toujours plus le modèle social européen passe par une relance du dialogue social européen : c'est une des raisons d'être de l'agenda social européen.
Mesdames, Messieurs,
Voilà, brossé à grands traits, un tableau de l'identité européenne, dans son mouvement comme dans son actualité. Au cours de vos travaux, certains de ces traits seront soulignés, d'autres apparaîtront, tandis que d'autres encore pourront s'effacer. Il est juste que chacun d'entre vous, avec sa sensibilité propre, ses références imprégnées de l'histoire du pays dont il vient, ait une vision différente de cette identité. C'est d'ailleurs ce qui fait l'originalité de l'Europe et l'intérêt de la rencontre qui nous réunit.
Il est, cependant, un point que je crois commun à toutes ces visions. L'unité de l'Europe est un acte de volonté. Seule la volonté a permis que de l'idéal visionnaire d'une poignée d'hommes naisse la réconciliation entre l'Allemagne et la France, la paix entre les Nations d'Europe et la prospérité de millions de femmes et d'hommes. Le projet européen ne cessera pas d'appeler de nouveaux signes de cette volonté. C'est le cas aujourd'hui, pour réussir la réforme des institutions européennes, dans la perspective de l'élargissement. Par-delà ces questions institutionnelles, aussi importantes soient-elles, l'Europe doit avoir la volonté de proposer au monde, sans arrogance, mais avec la juste fierté de ce qu'elle a accompli, le modèle de civilisation qu'elle est en train de construire : celui d'une Union de Nations, respectueuse de la diversité culturelle, apportant, à travers la régulation et la coordination des politiques, des réponses globales à des problèmes devenus globaux. Car notre continent, que l'on dit " vieux ", reste riche d'idées neuves.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 1er décembre 2000)
Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux d'ouvrir les travaux de votre colloque. Je tiens à saluer l'initiative prise par deux grands titres de presse, Les Echos et The Economist, d'organiser avec le Mouvement européen -dont je salue la présidente, Mme Anne-Marie IDRAC- une réflexion sur l'identité de l'Europe. Les sujets que vous aborderez aujourd'hui et demain -l'élargissement de l'Union, la défense européenne, la croissance économique, la place des régions en Europe, la réforme institutionnelle- sont autant de façons d'aborder un thème aux multiples facettes. Ma contribution à votre débat s'inscrira logiquement dans votre premier thème à dimension historique et sera aussi une occasion privilégiée de faire le point sur les avancées de la Présidence française de l'Union européenne. A travers celle-ci, mais aussi, depuis trois ans et demi, à travers son action, le Gouvernement français s'est efforcé de faire vivre une conviction : l'Europe n'est pas qu'un espace géographique, ni même qu'un ensemble économique, elle est d'abord une civilisation.
En tant que civilisation, l'unité de l'Europe est une réalité historique. Selon Fernand BRAUDEL, " l'Europe est, à la fois, unité et diversité ", trait lumineux qui a d'ailleurs inspiré la devise de l'Union européenne.
Cette unité est ancienne. Sa profondeur temporelle apparaît à celui qui interroge l'Histoire de notre continent non en s'arrêtant aux chocs parfois tragiques des souverainetés et des nationalismes, mais en parcourant les flux qui ont irrigué l'Europe. Les flux du commerce, bien sûr : de foires en foires, l'économie marchande a fait surgir un système d'échanges dont le centre de gravité s'est déplacé de Venise vers Lisbonne, puis Anvers, Londres, d'autres villes encore. Mais l'Europe ne s'est jamais résumée à une communauté de marchands. Les oeuvres de l'esprit, elles aussi, ont toujours su dépasser les limites de leur patrie d'origine. La diffusion à travers l'Europe de l'art roman précéda celle du gothique, dont témoignent aujourd'hui la Chapelle de Trinity College à Cambridge comme la cathédrale Saint-Etienne à Bourges. L'art classique, flamboyant à Versailles, se retrouve dans les châteaux de Hongrie. Inscrite dans la pierre, cette unité européenne se retrouve dans les livres, les musiques, les peintures. Les collections des musées du Louvre, du Prado ou de l'Hermitage témoignent toutes de l'unité des courants artistiques nés en Europe.
L'unité européenne a donc une histoire, avec laquelle nous renouons. Hier, notait CONDORCET, l'imprimerie de GUTENBERG a permis que se tisse à travers notre continent une trame favorisant l'échange des idées ; l'Allemand KEPLER a pu ainsi préciser les travaux du Polonais COPERNIC, qui lui-même s'était fondé sur ceux de l'Italien GALILÉE. Aujourd'hui, grâce aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, l'Europe doit se doter d'un puissant réseau d'échanges au service de l'innovation et de la création.
De même, dans l'Europe de la Renaissance, la figure itinérante d'ERASME a incarné l'échange intellectuel, au point que Stefan ZWEIG voyait dans l'humaniste hollandais " le premier européen conscient ". Aujourd'hui, nous devons encourager les échanges de chercheurs, d'enseignants et de jeunes en formation, au sein de l'Université ou de l'entreprise. Le nombre des bénéficiaires d'une éducation européenne reste trop faible. Afin de favoriser la mobilité en Europe, la Présidence française a obtenu des résultats encourageants : les Quinze ont adopté un plan d'action regroupant plus de quarante mesures concrètes. C'est là une nouvelle étape pour faire revivre l'Europe des universités, d'Oxford à Salamanque, de la Sorbonne à Bologne.
L'unité de notre civilisation s'épanouit dans l'extraordinaire diversité des cultures que font vivre les Nations européennes. Nous en avons tous fait l'expérience. N'est-il pas dépaysant de marcher dans les rues d'Athènes, de Glasgow ou de Prague ? Et pourtant, lequel d'entre nous n'a pas le sentiment d'être chez lui partout en Europe ? De ce sentiment, votre colloque offre une illustration supplémentaire. Si les organisateurs de ces journées ont réuni, entre autres, des Espagnols et des Britanniques, des Allemands et des Français, des Tchèques et des Polonais, c'est parce que nous restons assez différents pour avoir envie d'apprendre les uns des autres. De plus en plus de femmes et d'hommes, et en particulier chez les jeunes, se savent français et se sentent européen. Etre européen, c'est être à la fois britannique avec SHAKESPEARE ou tel groupe de musique pop, italien avec TITIEN ou les designers milanais, français avec RAMEAU ou la jeune génération de réalisateurs de cinéma. Ainsi, l'Europe que nous contribuons à construire donne raison à André SUARES, qui nous avait prévenu, dès 1927, que " la véritable Europe est un accord et non l'unisson ". C'est dans cette harmonie réussie entre plusieurs instruments bien distincts que réside l'identité européenne.
Cette diversité culturelle est une de nos plus grandes richesses. Elle est notre bien commun. Nous devons la défendre contre les risques d'uniformisation. Ce combat se fonde sur une conviction : la culture n'est pas une marchandise, parce que la culture est au fondement de l'identité, et que l'identité ne se monnaye pas. Il est donc nécessaire de soutenir sans relâche la création artistique et culturelle. Cette responsabilité est celle de chacun des gouvernements européens. Elle revient aussi à l'Union. Je me réjouis de l'accord obtenu au Conseil des ministres de la Culture sur le programme " Média Plus " : doté de 400 millions d'euro sur cinq ans, ce nouveau programme d'aide à la production et à la diffusion d'oeuvres audiovisuelles fait naître l'Europe du cinéma.
Mesdames et Messieurs,
En évoquant l'âme de notre continent -sa culture, ses cultures-, j'ai voulu marquer combien l'unité de celui-ci -entendu comme civilisation- était une réalité historique. Je voudrais maintenant rappeler que c'est par la volonté que s'est construite son unité politique.
L'Europe est une communauté de destin fondée sur des valeurs partagées.
La construction européenne a permis de placer côte à côte des Nations qui seraient sinon restées face à face. Ces Nations, que l'Histoire avait séparées, ont peu à peu réalisé que leur avenir ne pouvait se préparer qu'en commun. L'Europe est ainsi devenue une Union de nations. Elle est un prolongement de la Nation, qui reste le lieu où bât le cur de la démocratie et où s'expriment les solidarités les plus fortes. Mais elle est bien la traduction concrète et vivante des valeurs que nous avons en partage et qui inspiraient les " pères fondateurs " : le respect des droits de l'Homme, la démocratie, la liberté -les libertés-, le droit international. Il manquait une proclamation solennelle à ces valeurs communes. Le Président Vaclav HAVEL fut un des premiers à suggérer un tel texte, dans lequel s'exprimerait, selon sa propre expression, " le génie européen ". Le Conseil européen de Nice verra l'aboutissement de cette grande idée, lancée à Cologne sous présidence allemande.
La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne consacre l'ensemble des principes et des valeurs qui fondent notre identité collective. Elle unit dans une même déclaration des droits civils et politiques, mais aussi économiques et sociaux, ainsi que des droits dits " nouveaux ". Qu'il s'agisse de dignité humaine ou de libertés, d'égalité ou de solidarité, de citoyenneté ou de justice, il y a en effet, dans les quelque cinquante articles de la Charte, la vision humaniste présente au cur du projet européen. Je me réjouis que cette démarche trouve son aboutissement au moment où la France assume la présidence de l'Union.
L'Europe doit avoir les moyens de défendre ces valeurs lorsqu'elles sont menacées. Tel était le sens de l'intervention européenne au Kosovo. L'Europe doit aller de l'avant pour construire une défense européenne, capable de mener, si c'est absolument nécessaire, une opération militaire de façon entièrement autonome. La mise en place d'une force de réaction rapide est une étape majeure dans ce projet. L'objectif est de permettre à l'Union, d'ici trois ans, de déployer en 60 jours des forces terrestres comprenant jusqu'à 60.000 hommes.
L'adhésion des citoyens européens au projet européen sera d'autant plus forte que l'Europe répondra à leurs préoccupations. Cela doit être le cas chaque fois que les problèmes, devenus globaux, appellent des réponses globales. Je pense en particulier à la sécurité des transports maritimes ; la Présidence française s'attache à définir avec ses partenaires une stratégie communautaire pour prévenir les désastres écologiques provoqués par les naufrages. Je pense aussi à la sécurité alimentaire. La France a pris toutes les mesures nécessaires pour faire face, sur son territoire, à la crise de la vache folle. Mais cette maladie concerne toute l'Europe. C'est au niveau communautaire qu'il faut généraliser les tests de dépistage, l'interdiction des farines animales et le développement de la filière protéique de substitution. La France a porté ces demandes au Conseil des ministres de l'Agriculture il y a quelques jours. La Commission européenne vient de faire des propositions. Le mouvement est engagé. Nous déployons tous nos efforts pour le faire aboutir très rapidement.
Mesdames et Messieurs,
L'identité de l'Europe repose aussi sur un modèle économique.
L'Europe est un modèle de développement qui ne sépare pas la performance économique du progrès social.
La force de l'Europe, cette force qui lui a notamment permis de se reconstruire après 1945 et de se hisser de nouveau au tout premier rang de l'économie mondiale, c'est de savoir rechercher l'efficacité économique sans jamais renoncer à la justice sociale. Nous devons prolonger et conforter cette inspiration.
L'Europe doit être un espace de croissance. Elle doit retrouver le plein emploi. Il y faut de la persévérance et du volontarisme. Au cours des dernières années, beaucoup a été fait, et la France y a amplement contribué. Au Conseil européen de Lisbonne, en mars 2000, un objectif de croissance de 3 % en moyenne dans les années à venir a été adopté, la perspective de reconquête du plein emploi en Europe dans la décennie a été affirmée.
La Présidence française s'efforce d'approfondir l'Europe sociale. La France a proposé à ses partenaires l'adoption d'un agenda social européen. Je me réjouis vivement de l'accord unanime obtenu par Elisabeth GUIGOU, avant-hier, au Conseil des ministres de l'Emploi et de la Politique sociale. Cadre de travail sur cinq ans, cet agenda doit rassembler les actions sociales prioritaires que décideront les Etats. Celles-ci sont assorties d'un calendrier et leur mise en uvre sera suivie régulièrement. Cet agenda, en traduisant concrètement les valeurs de solidarité et de justice qui caractérisent l'Union, sera un levier important pour moderniser et améliorer dans la durée le modèle social européen.
Afin de renforcer ce dernier, d'autres accords ont été obtenus en matière de lutte contre l'exclusion sociale et de lutte contre toutes les formes de discrimination au travail. Par ailleurs, la Présidence française a fait des propositions à ses partenaires pour conduire une réflexion sur les services d'intérêt économique général en Europe -ce qu'en France nous appelons les services publics-, afin de mettre en uvre la reconnaissance dont ils font l'objet dans le traité d'Amsterdam. L'égalité entre les femmes et les hommes a été particulièrement prise en considération dans ce que l'on appelle les lignes directrices pour l'emploi 2001. Enfin, la reconnaissance des droits des salariés dans l'entreprise a été un chantier important qui a connu des négociations délicates, compte tenu de la vive opposition exprimée par quelques partenaires pourtant minoritaires. Notre souhait de renforcer toujours plus le modèle social européen passe par une relance du dialogue social européen : c'est une des raisons d'être de l'agenda social européen.
Mesdames, Messieurs,
Voilà, brossé à grands traits, un tableau de l'identité européenne, dans son mouvement comme dans son actualité. Au cours de vos travaux, certains de ces traits seront soulignés, d'autres apparaîtront, tandis que d'autres encore pourront s'effacer. Il est juste que chacun d'entre vous, avec sa sensibilité propre, ses références imprégnées de l'histoire du pays dont il vient, ait une vision différente de cette identité. C'est d'ailleurs ce qui fait l'originalité de l'Europe et l'intérêt de la rencontre qui nous réunit.
Il est, cependant, un point que je crois commun à toutes ces visions. L'unité de l'Europe est un acte de volonté. Seule la volonté a permis que de l'idéal visionnaire d'une poignée d'hommes naisse la réconciliation entre l'Allemagne et la France, la paix entre les Nations d'Europe et la prospérité de millions de femmes et d'hommes. Le projet européen ne cessera pas d'appeler de nouveaux signes de cette volonté. C'est le cas aujourd'hui, pour réussir la réforme des institutions européennes, dans la perspective de l'élargissement. Par-delà ces questions institutionnelles, aussi importantes soient-elles, l'Europe doit avoir la volonté de proposer au monde, sans arrogance, mais avec la juste fierté de ce qu'elle a accompli, le modèle de civilisation qu'elle est en train de construire : celui d'une Union de Nations, respectueuse de la diversité culturelle, apportant, à travers la régulation et la coordination des politiques, des réponses globales à des problèmes devenus globaux. Car notre continent, que l'on dit " vieux ", reste riche d'idées neuves.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 1er décembre 2000)