Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la gestion des conflits par l'ONU et le développement de capacités européennes de gestion des crises, Paris le 20 octobre 2000.

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Circonstance : Conférence de l'Institut d'études de sécurité de l'UEO sur le thême : "L'Onu, l'Europe et la gestion des crises", Paris le 20 octobre 2000

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
C'est avec plaisir que j'ai accepté d'intervenir à l'issue de ce séminaire tant les sujets abordés me semblent d'actualité. Je voudrais féliciter l'International Peace Academy, Institut d'études de sécurité de PUEO, la Fondation pour la recherche stratégique, ainsi que la Délégation aux Affaires stratégiques du ministère de la défense, et vous tous présents dans cette salle, pour la qualité de ce séminaire. Je veux saluer cette organisation quadripartite, et surtout internationale. Vous avez bâti un séminaire de très haut niveau sur un thème qui est au coeur des préoccupations des Etats, de l'Organisation des Nations Unies, de l'Union européenne et des autres organisations européennes de sécurité.
Ce séminaire a en effet abordé des questions essentielles pour tirer les enseignements du passé, analyser l'évolution de la gestion des crises et faire un effort de prospective sur les défis à venir.
Tout d'abord, je voudrais dire que ces réflexions doivent s'accompagner de l'analyse d'un contexte international difficile et en pleine transition. Nous traversons, depuis la fin de la guerre froide, une période de profonds bouleversements dans le domaine de la gestion des crises, c'est-à-dire dans la façon dont les Etats, mais aussi les organisations internationales, les ONG ou d'autres acteurs des relations internationales, tentent d'apporter des solutions aux conflits qui mettent à mal la paix et la sécurité internationale.
Si nous n'avons, à l'horizon visible, ni menace sur nos propres frontières ni ennemi désigné ou menace obsédante, il n'en demeure pas moins que nous sommes confrontés à de nombreuses expressions de violence, violence exacerbée par la pauvreté économique, le recours aux slogans plutôt qu'aux idées et l'existence de stocks d'armements surdimensionnés, allant des armes de destruction massive aux armes légères et de petit calibre. De plus, il faut souligner l'état d'extrême décomposition du tissu politique, économique et social de certaines régions dans lesquelles nous intervenons. Les structures décisionnelles sont inexistantes ou corrompues, l'économie est défaillante, la guerre devient seule source de revenu et de légitimité, le droit est inexistant et la justice bafouée. Généralement, tout est à reconstruire tandis que s'installe durablement une culture de la violence. C'est donc la complexité des crises actuelles qu'il faut appréhender et auxquelles il faut apporter des solutions forcément multiples, pas uniquement militaires, des solutions adaptées aux objectifs poursuivis et aux situations sur le terrain. La pratique passée nous a appris que cela n'avait pas toujours été le cas.
Les objectifs recherchés et les réponses apportées doivent en premier lieu pouvoir bénéficier d'un engagement réel de la communauté internationale. Les mandats du Conseil de sécurité et la qualité des opérations menées doivent être le reflet de cet engagement. Dans cette perspective, le caractère international d'une opération ne doit plus constituer un handicap, mais, être au contraire un ferment d'efficacité pour faire prévaloir les décisions de la communauté internationale. Les mandats adoptés doivent permettre de choisir le bon niveau d'utilisation de la force tout en veillant à la sécurité des unités engagées. Le Chapitre VII est nécessaire pour tout engagement de forces armées. C'est à cette condition que sera respectée leur spécificité et empêché tout contournement de leur action.
Ces exigences vont de pair avec une prise en compte globale des crises. Cela veut dire que l'accent ne doit pas seulement porter sur le maintien de la paix. Il doit prendre en compte la continuité de la gestion de crise : la prévention des conflits, le règlement pacifique des différends, le maintien de la paix, la consolidation de la paix et la reconstruction.
Les organisations internationales, qu'elles soient à vocation universelle ou régionale, doivent s'inscrire dans cette perspective. L'action de la France tant à l'ONU qu'au sein de l'Union européenne va dans ce sens.
D'une part, la France reconnaît le rôle essentiel de l'ONU. Elle appuie pleinement les recommandations du rapport Brahimi incitant au renforcement des structures de soutien au maintien de la paix. Elle reconnaît la référence universelle que constitue l'ONU en matière de légitimité. D'autre part, la France va plus loin en préconisant un partenariat renforcé entre l'ONU et les organisations régionales ou encore en entamant une réflexion sur le rôle de l'Union européenne pour l'ONU.
Néanmoins, l'ONU doit se réformer et se renforcer, notamment en améliorant l'efficacité de ses méthodes de décision, de planification et d'action. Ses Etats membres, et en particulier les membres du Conseil de sécurité, doivent être davantage responsabilisés et s'engager de manière plus substantielle sur le terrain. Il est, à cet égard, nécessaire que l'ONU dispose d'un ensemble de forces capables d'intervenir efficacement et rapidement. Ces forces doivent-elles être des " forces en attente" ou peut-on considérer que les forces des Etats membres constituent telles quelles un immense réservoir ? Quelle que soit la réponse à cette question, j'estime que ces forces doivent être parfaitement entraînées, structurées, équipées et, dans la mesure du possible, interopérables.
De son côté, l'Union européenne poursuit avec détermination la construction d'une politique européenne commune de sécurité et de défense, pleinement autonome et dotée de capacités crédibles. L'originalité de cette démarche réside dans son pragmatisme, qui devrait être le gage le plus certain de sa réussite. L'enjeu pour les Européens n'est plus seulement de contrer, comme du temps de la guerre froide, une hypothétique menace globale, pour laquelle l'Alliance atlantique au travers de son article 5 demeure la référence, mais d'être capables de traiter par eux-mêmes les crises et les facteurs d'instabilité sur leur continent ou à sa périphérie.
Tout comme l'ONU, l'Union européenne ne s'attache pas uniquement à la dimension militaire du règlement des crises. En effet, dans le prolongement des efforts pour doter l'Union européenne d'une capacité de gestion militaire des crises, nous n'avons pas oublié les outils de gestion civile des crises. Lors des opérations en Albanie, en Bosnie, au Kosovo, à Timor, les besoins non militaires (assistance aux populations, santé, police, justice) se sont révélés d'une acuité particulière. Aussi a-t-il été institué, au sein de l'UE, un Comité chargé des aspects civils de la gestion des crises. Aussi le Sommet de Feira a-t-il identifié comme première priorité la mise à disposition, d'ici 2003, de 5 000 policiers pour des missions internationales. La France, qui possède en ce domaine un savoir-faire reconnu, démontré par l'action exemplaire de ses unités de gendarmerie déployées au sein de la KFOR, entend prendre une part active au développement de ce volet de la gestion des crises. Je dirais même que c'est précisément cette occasion unique de dégager une telle synergie entre les volets civil et militaire au sein d'une même organisation qui donne toute sa valeur à la démarche entreprise par l'UE.
Deux rendez-vous importants attendent la Présidence française : d'une part la Conférence d'engagement des capacités, qui se tiendra à Bruxelles les 21 et 22 novembre prochains et devra permettre à chaque Etat membre de s'engager précisément sur sa contribution; d'autre part, le Sommet de Nice, en décembre prochain, au cours duquel nous entendons franchir un nouveau cap en préparant la mise en place d'organes permanents, si possible avant l'été 2001.
Le développement d'une politique européenne commune de sécurité et de défense ne concerne pas seulement le continent européen. Ainsi que l'a souligné avec conviction le président de la République en février 2000," Le moment est venu pour l'Europe d'apporter toute sa contribution à la sécurité de notre continent et du monde ". En effet, si l'Union européenne s'intéresse avant tout à la sécurité de son continent et à la stabilité de ses régions voisines, elle pourra également mettre ses moyens au service de la communauté internationale.
Ainsi, le Premier ministre indiquait le 22 septembre devant l'IHEDN que, " la sécurité internationale gagnerait à ce que l'Union européenne puisse s'impliquer hors d'Europe, en soutien d'actions engagées sous l'autorité de l'ONU. Les Quinze pourraient à cette fin contribuer au renforcement des capacités de l'0NU en matière de planification, de mise en place et de conduite des opérations de maintien de la paix".
L'évolution ultérieure dépendra essentiellement de ses capacités collectives de commandement, de renseignement et de mobilité stratégique qui sont au coeur même de l'efficacité. Autrement dit, l'Europe jouera demain un rôle majeur pour l'ONU. Elle sera un instrument de gestion des crises en Europe, selon les dispositions du Chapitre VIII, et éventuellement hors d'Europe, capable de prendre en compte la globalité politique de toute opération.
Mesdames, Messieurs,
En ce début de XXIème siècle, pouvoir apporter des réponses aux conflits qui menacent la stabilité internationale doit faire partie intégrante des missions de l'Union européenne. Ces réponses, associant la gestion civile et la gestion militaire des crises, participent à la mise en oeuvre d'un plan de paix, comme nous le faisons aujourd'hui au Kosovo. Ces interventions nécessitent que nous travaillions en étroite collaboration avec nos partenaires, les Etats-Unis bien sûr, mais aussi des organisations comme l'OTAN ou l'OSCE.
Mais nous ne devons pas non plus exclure d'autres cadres d'interventions, où l'Europe serait amenée à intervenir seule, avec ses moyens propres. La Politique européenne de sécurité et de défense ne sera une réalité que si nous sommes capables de faire face à toute la gamme des situations constituant des menaces pour la stabilité de notre continent.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 4 janvier 2001)