Texte intégral
Europe 1 le 6 décembre 2000
A. Chabot Vous allez marcher tout à l'heure comme B. Thibault et M. Blondel, pour une fois réunis, contre cette Europe du commerce, de la monnaie, une Europe qui n'est pas encore sociale. Tous d'accord ?
- "Méfions-nous des amalgames. Comme vous le savez, le mouvement syndical européen - la CES - est au contraire un mouvement syndical très pro-européen. Ce que nous voulons faire à Nice, c'est demander plus d'Europe, "mieux" d'Europe et pas moins d'Europe. En clair, l'Europe nous semble pouvoir être une force dans le monde qui peut réguler la mondialisation, qui peut faire en sorte que ce ne soit pas la loi du plus fort, que ce ne soit pas toujours le marché qui décide de tout. Les droits sociaux fondamentaux, les conditions sociales dans lesquels s'organise notre monde sont des impératifs sur lesquels nous devons peser. Voilà ce que nous venons exprimer à Nice.
La Charte européenne des droits fondamentaux va être proclamée à Nice. A côté des droits politiques, il y a des droits sociaux, syndicaux reconnus. Vos amis syndicalistes disent que vous vous contentez de peu.
- "Ce n'est pas encore l'avis de la CES. Nous savons, en tant que syndicalistes, que nous avons besoin d'une Charte des droits fondamentaux qui soit bonne dans son contenu et qui ait une force juridique. Elle a vocation à être intégrée dans les traités. Quel est le bilan ? En matière de contenu, ce n'est jamais parfait, mais en tout cas, il y a eu des avancées réelles. Il y a deux-trois mois, on n'imaginait pas qu'on aurait la reconnaissance du droit de grève dans cette Charte. C'est donc une avancée, mais elle est encore perfectible. Ce qui est peu probable à Nice, c'est qu'elle reçoive la force juridique et d'intégration aux traités. Nous ne voulons pas que, au motif que nous n'allons pas obtenir tout de suite la force juridique, nous ne prenions pas déjà son contenu. C'est pour cela qu'une proclamation solennelle, c'est mieux que rien. Ensuite, nous demandons aux chefs d'Etat un engagement pour lui donner sa portée juridique. L'Europe s'est faite un pas après l'autre, une marche après l'autre. Tel a été le cas pour la monnaie, la paix, l'Europe économique. C'est maintenant l'heure de faire et de créer cette Europe sociale dans des conditions identiques."
C'est là qu'on retrouve la critique du "pas à pas", "peu à peu." Par exemple, B. Thibault dit qu'on est loin du droit syndical européen. Les citoyens européens ne sentent toujours pas cette Europe sociale qui se crée.
- "Ce que je partage avec B. Thibault sur la Charte, c'est qu'aujourd'hui, les droits y sont inscrits, mais l'application est renvoyée aux modalités de chacun des pays. Ce n'est pas encore l'objectif que nous voulions, c'est-à-dire des droits véritablement transnationaux. Que vont faire l'Europe, les gouvernements et les partenaires sociaux, tous ceux qui construisent cette Europe de demain pour que cela devienne une réalité concrète pour les salariés ? Tout le monde se souvient de Vilvorde, des conditions dans lesquelles Renault décidait de fermer une usine sans avoir informé, consulté, les représentants des salariés. La généralisation de l'information, de la consultation des salariés quand leurs entreprises vont prendre de grandes décisions qui les concernent, va-t-elle devenir une réalité, une obligation, un droit pour tous les salariés dans l'Europe de demain ? C'est une des questions qui est posée à Nice."
Avec une réponse positive à votre avis ou pas ?
- "En ce moment, nous l'attendons encore. Je crois savoir qu'il y a un ou deux pays qui ne sont pas encore tout à fait sûrs qu'il faille dire "oui." Car il faut l'unanimité : tous les pays doivent pouvoir être d'accord pour qu'on avance ; c'est aussi une forme de blocage des décisions dans l'Europe. Il faudrait que nous arrivions à une majorité qualifiée, c'est-à-dire comme on fonctionne dans toute démocratie. Ce serait d'ailleurs peut-être un bon levier pour que ceux qui traînent les pieds aujourd'hui soient davantage enclins à trouver des compromis et du coup, des consensus qui seraient peut-être plus favorables à tous."
Comment par exemple va-t-on arrêter le dumping social ? On l'a vu avec le conflit des routiers, il y a concurrence à l'intérieur de l'Union des Quinze, et avec l'élargissement, ce n'est pas fini.
- "Bien sûr. Il y a aujourd'hui des concurrences déloyales sur le plan social et sur le plan fiscal. Il y a des entreprises qui décident d'aller mettre leur siège social par exemple à la Haye, parce que l'impôt sur les entreprises est plus avantageux là-bas qu'il ne l'est dans d'autres pays européens. On est au coeur de l'harmonisation sociale et de l'harmonisation fiscale, puisque nous avons déjà réalisé les pleines conditions de la non concurrence sur les autres domaines. Voilà maintenant le défi qui est posé à l'Europe pour les années qui viennent. En ce sens, l'agenda social qui fixe un programme, un plan d'action, une feuille de route obligatoire pour les gouvernements, également pour que les partenaires sociaux - les patrons, les syndicats - s'impliquent dans cette affaire, c'est quelque chose qui va dans le bon sens. Encore faut-il que l'Europe se donne des moyens de décider, sans que ceux qui veulent jouer le statu quo soient finalement ceux qui gagnent."
C'est la Grande-Bretagne, il faut le dire, qui bloque surtout ce problème social. L. Jospin et J. Chirac font du social ? Vous dites : "bravo la présidence française ?"
- "En tout cas, hier - puisqu'ils nous recevaient à l'Elysée sur ces questions-là pour faire un peu le point sur l'état de la situation - nous avons dit très clairement, avec la CES, que la manière dont la France, Président et Gouvernement confondus, s'étaient impliqués, avaient pris les choses au sérieux sur les questions sociales, ont incontestablement été un élément positif pour aboutir à des décisions à Nice - celles qui sont déjà là en perspective, et je l'espère encore, celles sur lesquelles il va falloir débloquer les choses dans les trois jours du Sommet..."
Il y a un sujet sur lequel la France n'a pas convaincu ses partenaires européens, c'est les 35 heures, parce que nous, nous les appliquons, mais les autres, non. Nous les appliquons au moment où il y a la croissance, le plein-emploi. Il y a même des pénuries de main d'oeuvre. On n'est pas à contre-temps ?
- "La France n'a pas eu, je crois, l'ambition d'obliger les autres pays à pratiquer les 35 heures, en tout cas pas comme elle l'a décidé. Donc, personne ne demande qu'une directive existe en Europe pour faire passer tous les Européens à 35 heures. Par contre, je dois vous dire que la question du temps de travail est une question qui est aussi discutée dans les autres pays. Pourquoi ? Pour concilier ce que Lisbonne - la présidence précédente - avait décidé, à savoir à la fois une Europe performante sur le plan économique - l'Europe du plein emploi et, dans le plein emploi, la question du temps de travail existe - et la performance sociale. Dans la performance sociale, les salariés ont envie de vivre aujourd'hui, dans les pays européens, dans des conditions d'équilibre entre leur temps de travail et leur temps personnel, leur temps de vie en dehors du travail, de manière différente qu'hier."
Hier, un rapport a été remis à L. Jospin par le Conseil d'analyse économique qui propose d'infléchir sa politique pour que le plein emploi soit atteint en 2010. Faut-il l'infléchir et comment ?
- "D'abord, je crois qu'il faut saluer ce rapport, parce qu'il prend au sérieux la question du plein emploi, en disant que c'est accessible, mais que cela ne va pas arriver comme une baguette magique par la croissance. Au coeur de cette question de l'Europe du plein emploi, je trouve qu'à partir des propositions faites par J. Pisani-Ferry dans ce rapport, nous serions bien inspirés, en France mais aussi en Europe, de se mettre autour d'une table."
Vous dites à L. Jospin : il faut infléchir un peu cette politique économique ?
- "Bien sûr, nous sommes tous concernés par cette affaire, les gouvernements comme les partenaires sociaux. A quelles conditions allons-nous parvenir au plein emploi ? Il faut en discuter. J. Pisani-Ferry propose des orientations. Discutons-en. Comment les recevons-nous ? Et pourquoi pas autour de cette méthode, en utilisant cette méthode, pourquoi ne pas avancer vers des pactes européens, français, nationaux, ou européens ? On peut en discuter pour le plein emploi."
Hier, vous étiez effectivement à l'Elysée. L. Jospin, J. Chirac, le climat, les affaires ... D'un mot, votre sentiment personnel ?
- "Je suis allée à cette réunion. Je dois dire que je n'ai absolument pas constaté que le climat des affaires a perturbé la réunion et a perturbé je dirais la détermination avec laquelle, autant le Président de la République que le Premier ministre, s'emploient à faire réussir l'Europe. Je trouve que c'est bien, parce que le climat au moins n'a affaibli leur volonté de travail, leur volonté de jouer tout simplement leur rôle, d'assumer leurs responsabilités. C'est cela aussi la responsabilité collective."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 6 décembre 2000)
RMC le 7 décembre 2000
P. Lapousterle Hier, vous étiez à Nice pour une euro-manifestationt. On a parlé d'hier comme la journée des anti-Sommet. Est-ce que c'était votre état d'esprit ?
- "Non pas du tout. Il s'agit là d'un amalgame qui mélange effectivement des objectifs qui sont différents selon ceux qui manifestent. Avec la Confédération Européenne des Syndicats, la CES, nous avons manifesté à Nice non pas contre le Sommet, non pas pour qu'il ne prenne pas de décision, non pas pour qu'il n'assume pas ses responsabilités, mais qu'au contraire, il prenne de bonnes décisions et qu'il assume plus et mieux l'Europe que nous voulons pour demain. Nous ne sommes pas, dans le mouvement syndical, des anti-européens. Nous pensons que l'Europe nous en avons besoin, car elle est déjà là sur le plan économique, elle est déjà sur le plan monétaire - on va s'en rendre compte rapidement avec les euros dans notre poche au 1er janvier 2002. Il faut maintenant que l'Europe avance aussi sur le plan de l'harmonisation sociale, des droits et garanties, qui doivent permettre à tous les salariés de pouvoir trouver aussi leurs comptes dans cette Europe en construction. "
Cela dit, on peut dire que vous n'étiez pas très contents, si vous avez ressenti le besoin de manifester ?
- "Bien sûr que non, le mouvement syndical vient poser ses revendications, vient se faire entendre, vient tout simplement faire pression"
Pour la première fois ?
- "Non, nous avons déjà manifesté à Porto, nous avons manifesté, sous présidence portugaise, nous avons manifesté à Luxembourg sous présidence luxembourgeoise. Donc le mouvement syndical a maintenant l'habitude de se faire entendre. Simplement, on le voit à ces occasions-là parce qu'une manifestation est une bonne occasion de voir physiquement les syndicalistes européens. On le voit en France, à cette occasion-là. Eh bien, c'est une bonne chose, c'est pour ça que nous manifestons. Le mouvement syndical existe. Nous voulons le dire aux chefs d'Etat : "il est maintenant temps de prendre les moyens de réaliser cette Europe sociale que nous revendiquons depuis longtemps". "
Mais madame Notat, si vous ressentez le besoin de manifester à chaque fois qu'il y a des sommets, ça prouve que les manifestations précédentes n'ont pas abouti si j'ose dire ?
- "Non, ça prouve qu'à chaque fois, il y a des enjeux dans les sommets qui sont fonction des nouveaux chantiers qui s'ouvrent dans les questions qu'ont accepté les chefs d'Etat et de gouvernement. En ce moment, qu'est-ce qui est en cause ? Il est en cause, l'adoption d'une charte des droits fondamentaux qui se veut être la référence des valeurs communes que se donnent l'Europe et auxquelles tous les Européens adhéreront. Il faut que cette charte soit bonne dans son contenu, elle n'est pas encore parfaite, mais en tout cas, elle est meilleure que ce qu'on pouvait espérer, il y a trois mois. Et en plus, il faut qu'elle ait une force juridique. Visiblement, nous n'aurons pas - ça ne semble pas parti pour - enfin quand le sommet sera terminé, nous n'aurons pas la force juridique, elle ne sera pas intégrée au traité, en tout cas c'est ce que le Président et le Premier ministre nous ont fait entendre lorsque nous les avons rencontrés avant le Sommet. Mais au moins nous voulons que son contenu, qui reste à parfaire, mais celui qui est déjà là soit au moins capitalisé. Et puis la décision à Nice, c'est aussi un agenda social. Un agenda social, c'est un programme d'actions. "
Un calendrier.
- "Avec un calendrier, avec des rendez-vous pour les ministres, mais aussi pour les chefs d'Etat qui vont suivre comme ça s'est fait pour Maastricht. Un objectif est fixé, des échéances sont fixées, un engagement est pris et des obligations de traitement pour obtenir des résultats. C'est comme ça que l'Europe s'est construite, il faut donc qu'elle le soit aussi comme ça, sur le plan social. Mais il y a un gros sujet sur lequel on attend des résultats. C'est : est-ce que les chefs d'Etat vont enfin faire sauter le verrou de l'unanimité pour prendre des décisions en Europe ? "
C'est-à-dire qu'on décide à la majorité seulement ?
- "Bien sûr, c'est la loi démocratique dans tous les pays européens. L'Europe démocratique, c'est une Europe qui fonctionne à la majorité, pas à l'unanimité. L'unanimité c'est la prime au statu quo, c'est la prime à ceux qui veulent ne pas voir avancer cette Europe. C'est une vision un peu nationaliste des choses, le maintien de l'unanimité. Donc un agenda social, je vous dis ; ça va être bien et sans doute que son contenu est intéressant : le plein emploi, la formation professionnelle, tout ce qui concerne le travail, la lutte contre les discriminations. Mais qu'est-ce que tout cela vaudrait, si les chefs d'Etat ou les ministres réunis ne pouvaient pas prendre des décisions si un seul des pays s'y opposait. Ce serait un bon agenda qui ne verrait jamais le jour. Donc il faut faire sauter ce verrou. Je dois dire que ça fait partie des questions sur lesquelles nous jugerons l'efficacité de ce sommet. "
Vous pensez qu'être dans les rues de Nice a une influence, une importance, aux yeux des chefs d'Etat ? Vous pensez que c'est un bon rappel ?
- "En tout cas nous avons déjà remarqué, qu'en juillet avec E. Gabaglio, le secrétaire général de la CES, quand nous avons rencontré - il a rencontré - tous les chefs d'Etat et nous sommes venus bien évidemment aussi, en France, où il a rencontré le Président de la République et le Premier ministre pour lui dire quels étaient les objectifs, les revendications de la CES, je peux vous dire qu'à cette époque-là, le contenu de la charte, il était médiocre. Nous n'étions absolument sûrs que les droits sociaux - le droit de grève par exemple - figurerait dans la charte. Eh bien, aujourd'hui, il y est. Ce qui montre que l'action de la CES, oui c'est une action qui est déjà efficace et c'est la raison pour laquelle nous n'allons pas abandonner. Et nous allons nous fait toujours plus et mieux entendre vis-à-vis de ceux qui prennent des décisions qui nous concernent. "
Un mot sur le PARE, le nouvel organisme qui va gérer les chômeurs en France. Etes-vous toujours certaine que malgré l'opposition continue de deux autres syndicats, c'est une chose qui sera favorable aux chômeurs ?
- "Bien sûr, sinon nous n'aurions pas revendiqué le PARE pour les chômeurs."
Vous entendez bien d'autres syndicats qui ne pensent pas comme vous ? Et qui représentent pas mal de, beaucoup de monde quand même. FO et CGT, c'est pareil ?
- "Bien sûr, mais ce sont des choix que je considère comme respectables. Mais ce ne sont pas les nôtres. Certains considèrent que tous les excédents de l'assurance-chômage devaient être orientés vers l'augmentation des allocations chômage. C'est un choix. Nous avons aussi souhaité améliorer l'indemnisation. Aujourd'hui, la dégressivité est supprimée. Nous, nous avons soutenu l'idée qu'en même temps qu'il fallait indemniser, il fallait aussi offrir à chaque chômeur, dans des conditions adaptées à ses besoins personnels, du sur-mesure pour chacun, des moyens supplémentaires pour l'aider à retrouver plus vite l'emploi qu'il souhaite retrouver demain. C'est ça le PARE, c'est du bon sens et je peux vous dire que lorsque vous interrogez les chômeurs, aujourd'hui, bien sûr qu'ils sont attachés à pouvoir le plus rapidement possible retrouver un job. "
Le bon sens, ce n'est pas la chose la mieux partagée du monde, en l'occurrence ?
- "Pas toujours. Disons que le Gouvernement a mis un peu de temps pour s'apercevoir que ce que nous avions négocié n'était pas cette horreur qu'il décrivait. Nous n'avions pas l'intention de mettre en cause, ou en danger, les droits des chômeurs. Cela a été des choses un peu difficiles à entendre pour les syndicalistes que nous étions. Bon, maintenant, tout le monde s'est rendu à l'évidence. Le PARE est une bonne chose, c'est bien pour les chômeurs et tant mieux. "
(Source http://sig.premier.ministre.gouv.fr, le 8 décembre 2000)
RTL le 11 décembre 2000
O. Mazerolle A Nice les Européens ont adopté ce que l'on appelle " l'agenda social ", mais les Britanniques conservent leur droit de veto dans le domaine social. Peut-on dire que les manifestations n'ont servi à rien ?
- "A Nice, il y a eu trois bonnes nouvelles, mais une grande déception à mes yeux. Les bonnes nouvelles, c'est que la charte des droits fondamentaux a été actée à Nice. Il faut encore la rendre meilleure, lui donner un statut juridique, l'intégration dans les traités, mais j'ai vu que c'était prévu pour les années qui viennent. La deuxième bonne nouvelle, c'est effectivement l'adoption d'un agenda social. A partir de cet agenda social, on peut se dire, qu'après la démarche, qu'après les procédures qui ont été adoptées pour le marché commun, pour la monnaie unique, qu'on passe enfin à une procédure identique pour l'Europe sociale. C'est donc un programme de travail, des objectifs sur la formation professionnelle, sur le plein-emploi, sur le refus des discriminations... Bref, il y a là, un volet social qui rééquilibre l'Europe, telle qu'on la connaît. Enfin, nous avons le statut de l'entreprise européenne, où les salariés trouveront des conditions d'information, de consultation, de participation, dans chacune de ces entreprises. Tout cela, ce sont les trois bonnes nouvelles. La grande déception, c'est que c'est bien de faire un agenda social, c'est bien de se donner un programme à cinq ans - où tous les thèmes qui doivent être traités le sont - mais si un seul pays garde son droit de veto, sur les questions sociales vous comprenez que cela amoindrit considérablement le succès. "
Et avec les Anglais c'est dur !
- "C'est dur. Les Anglais continuent à mettre un droit de veto, quasi systématique sur le social mais aussi sur un autre volet - qui est aussi important pour l'Europe sociale - c'est le fiscal. On ne le voit peut-être pas assez, mais aujourd'hui le manque d'harmonisation fiscale est aussi un handicap pour une vraie Europe sociale. "
Vous, vous vous occupez aussi de ce qui se passe en France. La CFDT y va très fort, elle dit : "La retraite à 60 ans, ce n'est pas ce qu'il faut faire, nous voulons la retraite à la carte." ?
- "Oui. On ne va pas caricaturer. "
Non, mais c'est quand même l'affichage.
- "Non ce n'est pas à l'affichage. La CFDT dit aujourd'hui aux salariés qui savent bien de quoi il retourne : quand on a 60 ans aujourd'hui, si on n'a pas ses 40 années de cotisations, on est pénalisé. On ne peut pas prendre sa retraite pleine et entière. Aujourd'hui, énormément de salariés vont au-delà de 60 ans, pour avoir accès à leur retraite pleine et entière. La retraite à 60 ans, c'est déjà du facultatif. Par contre, les salariés qui ont déjà leurs 40 années de cotisations à 57, à 58, à 59 ans, - il y en a beaucoup en France - eux, ne peuvent pas partir avant la barre de 60 ans. Donc vous voyez qu'il y a là des injustices criantes. Nous disons que c'est la durée de cotisation qui doit permettre d'avoir accès à une retraite pleine et entière avant 60 ans - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. C'est 300 000 salariés qui pourraient ainsi bénéficier d'une retraite pleine et entière, sans abattement - comme c'est le cas aujourd'hui - avant 60 ans. quant à ceux qui n'ont pas leurs 40 années à 60 ans, rien ne change pour eux dans notre proposition. "
Donc vous considérez comme acquise la durée de cotisation à 40 ans, définitivement ?
- " Je pense qu'aujourd'hui personne n'imagine un recul de la durée de cotisation. Pourquoi ? Parce que vous savez bien que toute la France et tous les pays"
La CGT dit qu'il faut revenir à une durée de 37 ans et demi"...
- "Si on décide aujourd'hui de mettre l'accent sur la durée, il faut bien voir que le montant des retraites sera grignoté. Aujourd'hui, il y a beaucoup moins d'actifs pour financer beaucoup plus de retraités qui vivent plus longtemps. C'est un énorme besoin de financement. Nous disons : "pas touche au niveau des pensions". Le niveau des retraites ne doit pas être grignoté. Or vous savez déjà dans le régime général, ce n'est plus de 50 % du salaire de référence que touchent les retraités aujourd'hui, mais seulement 44 %. Il est donc déjà en recul. nous voulons stopper ce recul et mieux : le faire reprogresser. Donc pas touche au niveau des niveaux des pensions. Si on ne touche pas au niveau des pensions,- et il faudrait même l'améliorer - alors les paramètres sur lesquels on peut jouer sont la durée et le niveau des cotisations. "
Un rapport récent a été remis au Premier ministre
- "Permettez-moi de vous signaler sur les retraites que cette proposition est une alternative claire à la proposition du Medef. Vous savez ce que le Medef propose aujourd'hui, dans la négociation ? De passer à 45 ans de cotisations et à 65 ans, les deux réunis. Vous voyez qu'entre les deux, il y a un effet très concret sur les retraités"
Vous avez peur qu'on vous dise "Notat-Seillière, toujours ensemble" ?
- "Je veux surtout attirer l'attention des personnes qui nous écoutent sur le fait que se joue ce matin, mais plus fondamentalement dans les semaines qui viennent, un vrai enjeu sur les retraites. Il se joue dans les retraites complémentaires, là, aujourd'hui mais il touche aussi le régime général. Donc il faudra bien un jour entamer la réforme."
Récemment les conseillers économiques du Premier ministre lui ont remis un rapport sur le plein-emploi, en disant qu'il était tout à fait possible d'atteindre cet objectif, à la condition d'amender un peu la politique menée actuellement, la retoucher. Vous êtes d'accord avec cet affichage qui dit " les 35 heures, c'est très bien ; les emplois-jeunes, c'était très bien, mais les circonstances ont un peu changé" ?
- "D'abord je partage totalement les objectifs fixés par ce rapport qui dit " le plein emploi est un horizon accessible ". Enfin on peut réfléchir au plein-emploi ! Mais il dit en même temps que cela ne va pas se réaliser magiquement. Si nous voulons l'atteindre, il faut conduire un certain nombre d'actions, un certain nombre de politiques, tout acteur confondu - les pouvoirs publics, les banques et aussi les partenaires sociaux - pour véritablement parvenir à cet objectif. Donc, c'est un rapport ou en tout cas un horizon, un objectif, qui doit aujourd'hui, me semble-t-il, mobiliser tous les acteurs en France mais aussi en Europe. Cette question est aussi au centre de la question de l'Europe, l'Europe du plein-emploi. Eh bien mettons-nous autour d'une table. Ce rapport est une bonne base, parce qu'il est sérieux, il analyse les choses d'une manière tout à fait correcte. Et si on se mettait autour d'une table en France - avant peut-être de pouvoir réaliser cela au niveau européen - pour dire comment les uns et les autres nous recevons les propositions de ce rapport, comment les pouvoirs publics et les partenaires sociaux pourraient participer de cet objectif du plein-emploi. ?"
Il y a dans ce rapport des choses qui peuvent choquer la gauche, par exemple, la modération salariale, cela vous gêne ?
- "Pourquoi voulez-vous que quelqu'un soit choqué de conditions à réunir pour obtenir le plein-emploi ? L'intérêt de ce rapport est justement de ne pas se focaliser sur une seule solution mais, au contraire, de dire que la croissance à elle seule ne va pas suffir pour garantir ce plein-emploi. Regardons donc à tous les autres volets : la formation professionnelle, les conditions dans lesquelles on évite - on rejoint le débat de tout à l'heure - de faire sortir les salariés entre 54 et 60 ans dans les entreprises, comment on articule les politiques de salaires avec les politiques de l'emploi. En même temps, on entre dans une période où on n'est plus dans la modération salariale, telle que nous pouvions l'envisager au moment de la réduction de la durée du travail et d'une croissance moins forte. "
Donc autour de ce rapport vous souhaitez que le Premier ministre provoque une concertation patronat-syndicats-gouvernement ?
- "Ce serait de bonnes méthodes et je trouve aussi que cela donnerait une perspective à un objectif qui devrait aujourd'hui rassembler beaucoup de monde. "
(source http://www.cfdt.fr, le 15 janvier 2003)
A. Chabot Vous allez marcher tout à l'heure comme B. Thibault et M. Blondel, pour une fois réunis, contre cette Europe du commerce, de la monnaie, une Europe qui n'est pas encore sociale. Tous d'accord ?
- "Méfions-nous des amalgames. Comme vous le savez, le mouvement syndical européen - la CES - est au contraire un mouvement syndical très pro-européen. Ce que nous voulons faire à Nice, c'est demander plus d'Europe, "mieux" d'Europe et pas moins d'Europe. En clair, l'Europe nous semble pouvoir être une force dans le monde qui peut réguler la mondialisation, qui peut faire en sorte que ce ne soit pas la loi du plus fort, que ce ne soit pas toujours le marché qui décide de tout. Les droits sociaux fondamentaux, les conditions sociales dans lesquels s'organise notre monde sont des impératifs sur lesquels nous devons peser. Voilà ce que nous venons exprimer à Nice.
La Charte européenne des droits fondamentaux va être proclamée à Nice. A côté des droits politiques, il y a des droits sociaux, syndicaux reconnus. Vos amis syndicalistes disent que vous vous contentez de peu.
- "Ce n'est pas encore l'avis de la CES. Nous savons, en tant que syndicalistes, que nous avons besoin d'une Charte des droits fondamentaux qui soit bonne dans son contenu et qui ait une force juridique. Elle a vocation à être intégrée dans les traités. Quel est le bilan ? En matière de contenu, ce n'est jamais parfait, mais en tout cas, il y a eu des avancées réelles. Il y a deux-trois mois, on n'imaginait pas qu'on aurait la reconnaissance du droit de grève dans cette Charte. C'est donc une avancée, mais elle est encore perfectible. Ce qui est peu probable à Nice, c'est qu'elle reçoive la force juridique et d'intégration aux traités. Nous ne voulons pas que, au motif que nous n'allons pas obtenir tout de suite la force juridique, nous ne prenions pas déjà son contenu. C'est pour cela qu'une proclamation solennelle, c'est mieux que rien. Ensuite, nous demandons aux chefs d'Etat un engagement pour lui donner sa portée juridique. L'Europe s'est faite un pas après l'autre, une marche après l'autre. Tel a été le cas pour la monnaie, la paix, l'Europe économique. C'est maintenant l'heure de faire et de créer cette Europe sociale dans des conditions identiques."
C'est là qu'on retrouve la critique du "pas à pas", "peu à peu." Par exemple, B. Thibault dit qu'on est loin du droit syndical européen. Les citoyens européens ne sentent toujours pas cette Europe sociale qui se crée.
- "Ce que je partage avec B. Thibault sur la Charte, c'est qu'aujourd'hui, les droits y sont inscrits, mais l'application est renvoyée aux modalités de chacun des pays. Ce n'est pas encore l'objectif que nous voulions, c'est-à-dire des droits véritablement transnationaux. Que vont faire l'Europe, les gouvernements et les partenaires sociaux, tous ceux qui construisent cette Europe de demain pour que cela devienne une réalité concrète pour les salariés ? Tout le monde se souvient de Vilvorde, des conditions dans lesquelles Renault décidait de fermer une usine sans avoir informé, consulté, les représentants des salariés. La généralisation de l'information, de la consultation des salariés quand leurs entreprises vont prendre de grandes décisions qui les concernent, va-t-elle devenir une réalité, une obligation, un droit pour tous les salariés dans l'Europe de demain ? C'est une des questions qui est posée à Nice."
Avec une réponse positive à votre avis ou pas ?
- "En ce moment, nous l'attendons encore. Je crois savoir qu'il y a un ou deux pays qui ne sont pas encore tout à fait sûrs qu'il faille dire "oui." Car il faut l'unanimité : tous les pays doivent pouvoir être d'accord pour qu'on avance ; c'est aussi une forme de blocage des décisions dans l'Europe. Il faudrait que nous arrivions à une majorité qualifiée, c'est-à-dire comme on fonctionne dans toute démocratie. Ce serait d'ailleurs peut-être un bon levier pour que ceux qui traînent les pieds aujourd'hui soient davantage enclins à trouver des compromis et du coup, des consensus qui seraient peut-être plus favorables à tous."
Comment par exemple va-t-on arrêter le dumping social ? On l'a vu avec le conflit des routiers, il y a concurrence à l'intérieur de l'Union des Quinze, et avec l'élargissement, ce n'est pas fini.
- "Bien sûr. Il y a aujourd'hui des concurrences déloyales sur le plan social et sur le plan fiscal. Il y a des entreprises qui décident d'aller mettre leur siège social par exemple à la Haye, parce que l'impôt sur les entreprises est plus avantageux là-bas qu'il ne l'est dans d'autres pays européens. On est au coeur de l'harmonisation sociale et de l'harmonisation fiscale, puisque nous avons déjà réalisé les pleines conditions de la non concurrence sur les autres domaines. Voilà maintenant le défi qui est posé à l'Europe pour les années qui viennent. En ce sens, l'agenda social qui fixe un programme, un plan d'action, une feuille de route obligatoire pour les gouvernements, également pour que les partenaires sociaux - les patrons, les syndicats - s'impliquent dans cette affaire, c'est quelque chose qui va dans le bon sens. Encore faut-il que l'Europe se donne des moyens de décider, sans que ceux qui veulent jouer le statu quo soient finalement ceux qui gagnent."
C'est la Grande-Bretagne, il faut le dire, qui bloque surtout ce problème social. L. Jospin et J. Chirac font du social ? Vous dites : "bravo la présidence française ?"
- "En tout cas, hier - puisqu'ils nous recevaient à l'Elysée sur ces questions-là pour faire un peu le point sur l'état de la situation - nous avons dit très clairement, avec la CES, que la manière dont la France, Président et Gouvernement confondus, s'étaient impliqués, avaient pris les choses au sérieux sur les questions sociales, ont incontestablement été un élément positif pour aboutir à des décisions à Nice - celles qui sont déjà là en perspective, et je l'espère encore, celles sur lesquelles il va falloir débloquer les choses dans les trois jours du Sommet..."
Il y a un sujet sur lequel la France n'a pas convaincu ses partenaires européens, c'est les 35 heures, parce que nous, nous les appliquons, mais les autres, non. Nous les appliquons au moment où il y a la croissance, le plein-emploi. Il y a même des pénuries de main d'oeuvre. On n'est pas à contre-temps ?
- "La France n'a pas eu, je crois, l'ambition d'obliger les autres pays à pratiquer les 35 heures, en tout cas pas comme elle l'a décidé. Donc, personne ne demande qu'une directive existe en Europe pour faire passer tous les Européens à 35 heures. Par contre, je dois vous dire que la question du temps de travail est une question qui est aussi discutée dans les autres pays. Pourquoi ? Pour concilier ce que Lisbonne - la présidence précédente - avait décidé, à savoir à la fois une Europe performante sur le plan économique - l'Europe du plein emploi et, dans le plein emploi, la question du temps de travail existe - et la performance sociale. Dans la performance sociale, les salariés ont envie de vivre aujourd'hui, dans les pays européens, dans des conditions d'équilibre entre leur temps de travail et leur temps personnel, leur temps de vie en dehors du travail, de manière différente qu'hier."
Hier, un rapport a été remis à L. Jospin par le Conseil d'analyse économique qui propose d'infléchir sa politique pour que le plein emploi soit atteint en 2010. Faut-il l'infléchir et comment ?
- "D'abord, je crois qu'il faut saluer ce rapport, parce qu'il prend au sérieux la question du plein emploi, en disant que c'est accessible, mais que cela ne va pas arriver comme une baguette magique par la croissance. Au coeur de cette question de l'Europe du plein emploi, je trouve qu'à partir des propositions faites par J. Pisani-Ferry dans ce rapport, nous serions bien inspirés, en France mais aussi en Europe, de se mettre autour d'une table."
Vous dites à L. Jospin : il faut infléchir un peu cette politique économique ?
- "Bien sûr, nous sommes tous concernés par cette affaire, les gouvernements comme les partenaires sociaux. A quelles conditions allons-nous parvenir au plein emploi ? Il faut en discuter. J. Pisani-Ferry propose des orientations. Discutons-en. Comment les recevons-nous ? Et pourquoi pas autour de cette méthode, en utilisant cette méthode, pourquoi ne pas avancer vers des pactes européens, français, nationaux, ou européens ? On peut en discuter pour le plein emploi."
Hier, vous étiez effectivement à l'Elysée. L. Jospin, J. Chirac, le climat, les affaires ... D'un mot, votre sentiment personnel ?
- "Je suis allée à cette réunion. Je dois dire que je n'ai absolument pas constaté que le climat des affaires a perturbé la réunion et a perturbé je dirais la détermination avec laquelle, autant le Président de la République que le Premier ministre, s'emploient à faire réussir l'Europe. Je trouve que c'est bien, parce que le climat au moins n'a affaibli leur volonté de travail, leur volonté de jouer tout simplement leur rôle, d'assumer leurs responsabilités. C'est cela aussi la responsabilité collective."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 6 décembre 2000)
RMC le 7 décembre 2000
P. Lapousterle Hier, vous étiez à Nice pour une euro-manifestationt. On a parlé d'hier comme la journée des anti-Sommet. Est-ce que c'était votre état d'esprit ?
- "Non pas du tout. Il s'agit là d'un amalgame qui mélange effectivement des objectifs qui sont différents selon ceux qui manifestent. Avec la Confédération Européenne des Syndicats, la CES, nous avons manifesté à Nice non pas contre le Sommet, non pas pour qu'il ne prenne pas de décision, non pas pour qu'il n'assume pas ses responsabilités, mais qu'au contraire, il prenne de bonnes décisions et qu'il assume plus et mieux l'Europe que nous voulons pour demain. Nous ne sommes pas, dans le mouvement syndical, des anti-européens. Nous pensons que l'Europe nous en avons besoin, car elle est déjà là sur le plan économique, elle est déjà sur le plan monétaire - on va s'en rendre compte rapidement avec les euros dans notre poche au 1er janvier 2002. Il faut maintenant que l'Europe avance aussi sur le plan de l'harmonisation sociale, des droits et garanties, qui doivent permettre à tous les salariés de pouvoir trouver aussi leurs comptes dans cette Europe en construction. "
Cela dit, on peut dire que vous n'étiez pas très contents, si vous avez ressenti le besoin de manifester ?
- "Bien sûr que non, le mouvement syndical vient poser ses revendications, vient se faire entendre, vient tout simplement faire pression"
Pour la première fois ?
- "Non, nous avons déjà manifesté à Porto, nous avons manifesté, sous présidence portugaise, nous avons manifesté à Luxembourg sous présidence luxembourgeoise. Donc le mouvement syndical a maintenant l'habitude de se faire entendre. Simplement, on le voit à ces occasions-là parce qu'une manifestation est une bonne occasion de voir physiquement les syndicalistes européens. On le voit en France, à cette occasion-là. Eh bien, c'est une bonne chose, c'est pour ça que nous manifestons. Le mouvement syndical existe. Nous voulons le dire aux chefs d'Etat : "il est maintenant temps de prendre les moyens de réaliser cette Europe sociale que nous revendiquons depuis longtemps". "
Mais madame Notat, si vous ressentez le besoin de manifester à chaque fois qu'il y a des sommets, ça prouve que les manifestations précédentes n'ont pas abouti si j'ose dire ?
- "Non, ça prouve qu'à chaque fois, il y a des enjeux dans les sommets qui sont fonction des nouveaux chantiers qui s'ouvrent dans les questions qu'ont accepté les chefs d'Etat et de gouvernement. En ce moment, qu'est-ce qui est en cause ? Il est en cause, l'adoption d'une charte des droits fondamentaux qui se veut être la référence des valeurs communes que se donnent l'Europe et auxquelles tous les Européens adhéreront. Il faut que cette charte soit bonne dans son contenu, elle n'est pas encore parfaite, mais en tout cas, elle est meilleure que ce qu'on pouvait espérer, il y a trois mois. Et en plus, il faut qu'elle ait une force juridique. Visiblement, nous n'aurons pas - ça ne semble pas parti pour - enfin quand le sommet sera terminé, nous n'aurons pas la force juridique, elle ne sera pas intégrée au traité, en tout cas c'est ce que le Président et le Premier ministre nous ont fait entendre lorsque nous les avons rencontrés avant le Sommet. Mais au moins nous voulons que son contenu, qui reste à parfaire, mais celui qui est déjà là soit au moins capitalisé. Et puis la décision à Nice, c'est aussi un agenda social. Un agenda social, c'est un programme d'actions. "
Un calendrier.
- "Avec un calendrier, avec des rendez-vous pour les ministres, mais aussi pour les chefs d'Etat qui vont suivre comme ça s'est fait pour Maastricht. Un objectif est fixé, des échéances sont fixées, un engagement est pris et des obligations de traitement pour obtenir des résultats. C'est comme ça que l'Europe s'est construite, il faut donc qu'elle le soit aussi comme ça, sur le plan social. Mais il y a un gros sujet sur lequel on attend des résultats. C'est : est-ce que les chefs d'Etat vont enfin faire sauter le verrou de l'unanimité pour prendre des décisions en Europe ? "
C'est-à-dire qu'on décide à la majorité seulement ?
- "Bien sûr, c'est la loi démocratique dans tous les pays européens. L'Europe démocratique, c'est une Europe qui fonctionne à la majorité, pas à l'unanimité. L'unanimité c'est la prime au statu quo, c'est la prime à ceux qui veulent ne pas voir avancer cette Europe. C'est une vision un peu nationaliste des choses, le maintien de l'unanimité. Donc un agenda social, je vous dis ; ça va être bien et sans doute que son contenu est intéressant : le plein emploi, la formation professionnelle, tout ce qui concerne le travail, la lutte contre les discriminations. Mais qu'est-ce que tout cela vaudrait, si les chefs d'Etat ou les ministres réunis ne pouvaient pas prendre des décisions si un seul des pays s'y opposait. Ce serait un bon agenda qui ne verrait jamais le jour. Donc il faut faire sauter ce verrou. Je dois dire que ça fait partie des questions sur lesquelles nous jugerons l'efficacité de ce sommet. "
Vous pensez qu'être dans les rues de Nice a une influence, une importance, aux yeux des chefs d'Etat ? Vous pensez que c'est un bon rappel ?
- "En tout cas nous avons déjà remarqué, qu'en juillet avec E. Gabaglio, le secrétaire général de la CES, quand nous avons rencontré - il a rencontré - tous les chefs d'Etat et nous sommes venus bien évidemment aussi, en France, où il a rencontré le Président de la République et le Premier ministre pour lui dire quels étaient les objectifs, les revendications de la CES, je peux vous dire qu'à cette époque-là, le contenu de la charte, il était médiocre. Nous n'étions absolument sûrs que les droits sociaux - le droit de grève par exemple - figurerait dans la charte. Eh bien, aujourd'hui, il y est. Ce qui montre que l'action de la CES, oui c'est une action qui est déjà efficace et c'est la raison pour laquelle nous n'allons pas abandonner. Et nous allons nous fait toujours plus et mieux entendre vis-à-vis de ceux qui prennent des décisions qui nous concernent. "
Un mot sur le PARE, le nouvel organisme qui va gérer les chômeurs en France. Etes-vous toujours certaine que malgré l'opposition continue de deux autres syndicats, c'est une chose qui sera favorable aux chômeurs ?
- "Bien sûr, sinon nous n'aurions pas revendiqué le PARE pour les chômeurs."
Vous entendez bien d'autres syndicats qui ne pensent pas comme vous ? Et qui représentent pas mal de, beaucoup de monde quand même. FO et CGT, c'est pareil ?
- "Bien sûr, mais ce sont des choix que je considère comme respectables. Mais ce ne sont pas les nôtres. Certains considèrent que tous les excédents de l'assurance-chômage devaient être orientés vers l'augmentation des allocations chômage. C'est un choix. Nous avons aussi souhaité améliorer l'indemnisation. Aujourd'hui, la dégressivité est supprimée. Nous, nous avons soutenu l'idée qu'en même temps qu'il fallait indemniser, il fallait aussi offrir à chaque chômeur, dans des conditions adaptées à ses besoins personnels, du sur-mesure pour chacun, des moyens supplémentaires pour l'aider à retrouver plus vite l'emploi qu'il souhaite retrouver demain. C'est ça le PARE, c'est du bon sens et je peux vous dire que lorsque vous interrogez les chômeurs, aujourd'hui, bien sûr qu'ils sont attachés à pouvoir le plus rapidement possible retrouver un job. "
Le bon sens, ce n'est pas la chose la mieux partagée du monde, en l'occurrence ?
- "Pas toujours. Disons que le Gouvernement a mis un peu de temps pour s'apercevoir que ce que nous avions négocié n'était pas cette horreur qu'il décrivait. Nous n'avions pas l'intention de mettre en cause, ou en danger, les droits des chômeurs. Cela a été des choses un peu difficiles à entendre pour les syndicalistes que nous étions. Bon, maintenant, tout le monde s'est rendu à l'évidence. Le PARE est une bonne chose, c'est bien pour les chômeurs et tant mieux. "
(Source http://sig.premier.ministre.gouv.fr, le 8 décembre 2000)
RTL le 11 décembre 2000
O. Mazerolle A Nice les Européens ont adopté ce que l'on appelle " l'agenda social ", mais les Britanniques conservent leur droit de veto dans le domaine social. Peut-on dire que les manifestations n'ont servi à rien ?
- "A Nice, il y a eu trois bonnes nouvelles, mais une grande déception à mes yeux. Les bonnes nouvelles, c'est que la charte des droits fondamentaux a été actée à Nice. Il faut encore la rendre meilleure, lui donner un statut juridique, l'intégration dans les traités, mais j'ai vu que c'était prévu pour les années qui viennent. La deuxième bonne nouvelle, c'est effectivement l'adoption d'un agenda social. A partir de cet agenda social, on peut se dire, qu'après la démarche, qu'après les procédures qui ont été adoptées pour le marché commun, pour la monnaie unique, qu'on passe enfin à une procédure identique pour l'Europe sociale. C'est donc un programme de travail, des objectifs sur la formation professionnelle, sur le plein-emploi, sur le refus des discriminations... Bref, il y a là, un volet social qui rééquilibre l'Europe, telle qu'on la connaît. Enfin, nous avons le statut de l'entreprise européenne, où les salariés trouveront des conditions d'information, de consultation, de participation, dans chacune de ces entreprises. Tout cela, ce sont les trois bonnes nouvelles. La grande déception, c'est que c'est bien de faire un agenda social, c'est bien de se donner un programme à cinq ans - où tous les thèmes qui doivent être traités le sont - mais si un seul pays garde son droit de veto, sur les questions sociales vous comprenez que cela amoindrit considérablement le succès. "
Et avec les Anglais c'est dur !
- "C'est dur. Les Anglais continuent à mettre un droit de veto, quasi systématique sur le social mais aussi sur un autre volet - qui est aussi important pour l'Europe sociale - c'est le fiscal. On ne le voit peut-être pas assez, mais aujourd'hui le manque d'harmonisation fiscale est aussi un handicap pour une vraie Europe sociale. "
Vous, vous vous occupez aussi de ce qui se passe en France. La CFDT y va très fort, elle dit : "La retraite à 60 ans, ce n'est pas ce qu'il faut faire, nous voulons la retraite à la carte." ?
- "Oui. On ne va pas caricaturer. "
Non, mais c'est quand même l'affichage.
- "Non ce n'est pas à l'affichage. La CFDT dit aujourd'hui aux salariés qui savent bien de quoi il retourne : quand on a 60 ans aujourd'hui, si on n'a pas ses 40 années de cotisations, on est pénalisé. On ne peut pas prendre sa retraite pleine et entière. Aujourd'hui, énormément de salariés vont au-delà de 60 ans, pour avoir accès à leur retraite pleine et entière. La retraite à 60 ans, c'est déjà du facultatif. Par contre, les salariés qui ont déjà leurs 40 années de cotisations à 57, à 58, à 59 ans, - il y en a beaucoup en France - eux, ne peuvent pas partir avant la barre de 60 ans. Donc vous voyez qu'il y a là des injustices criantes. Nous disons que c'est la durée de cotisation qui doit permettre d'avoir accès à une retraite pleine et entière avant 60 ans - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. C'est 300 000 salariés qui pourraient ainsi bénéficier d'une retraite pleine et entière, sans abattement - comme c'est le cas aujourd'hui - avant 60 ans. quant à ceux qui n'ont pas leurs 40 années à 60 ans, rien ne change pour eux dans notre proposition. "
Donc vous considérez comme acquise la durée de cotisation à 40 ans, définitivement ?
- " Je pense qu'aujourd'hui personne n'imagine un recul de la durée de cotisation. Pourquoi ? Parce que vous savez bien que toute la France et tous les pays"
La CGT dit qu'il faut revenir à une durée de 37 ans et demi"...
- "Si on décide aujourd'hui de mettre l'accent sur la durée, il faut bien voir que le montant des retraites sera grignoté. Aujourd'hui, il y a beaucoup moins d'actifs pour financer beaucoup plus de retraités qui vivent plus longtemps. C'est un énorme besoin de financement. Nous disons : "pas touche au niveau des pensions". Le niveau des retraites ne doit pas être grignoté. Or vous savez déjà dans le régime général, ce n'est plus de 50 % du salaire de référence que touchent les retraités aujourd'hui, mais seulement 44 %. Il est donc déjà en recul. nous voulons stopper ce recul et mieux : le faire reprogresser. Donc pas touche au niveau des niveaux des pensions. Si on ne touche pas au niveau des pensions,- et il faudrait même l'améliorer - alors les paramètres sur lesquels on peut jouer sont la durée et le niveau des cotisations. "
Un rapport récent a été remis au Premier ministre
- "Permettez-moi de vous signaler sur les retraites que cette proposition est une alternative claire à la proposition du Medef. Vous savez ce que le Medef propose aujourd'hui, dans la négociation ? De passer à 45 ans de cotisations et à 65 ans, les deux réunis. Vous voyez qu'entre les deux, il y a un effet très concret sur les retraités"
Vous avez peur qu'on vous dise "Notat-Seillière, toujours ensemble" ?
- "Je veux surtout attirer l'attention des personnes qui nous écoutent sur le fait que se joue ce matin, mais plus fondamentalement dans les semaines qui viennent, un vrai enjeu sur les retraites. Il se joue dans les retraites complémentaires, là, aujourd'hui mais il touche aussi le régime général. Donc il faudra bien un jour entamer la réforme."
Récemment les conseillers économiques du Premier ministre lui ont remis un rapport sur le plein-emploi, en disant qu'il était tout à fait possible d'atteindre cet objectif, à la condition d'amender un peu la politique menée actuellement, la retoucher. Vous êtes d'accord avec cet affichage qui dit " les 35 heures, c'est très bien ; les emplois-jeunes, c'était très bien, mais les circonstances ont un peu changé" ?
- "D'abord je partage totalement les objectifs fixés par ce rapport qui dit " le plein emploi est un horizon accessible ". Enfin on peut réfléchir au plein-emploi ! Mais il dit en même temps que cela ne va pas se réaliser magiquement. Si nous voulons l'atteindre, il faut conduire un certain nombre d'actions, un certain nombre de politiques, tout acteur confondu - les pouvoirs publics, les banques et aussi les partenaires sociaux - pour véritablement parvenir à cet objectif. Donc, c'est un rapport ou en tout cas un horizon, un objectif, qui doit aujourd'hui, me semble-t-il, mobiliser tous les acteurs en France mais aussi en Europe. Cette question est aussi au centre de la question de l'Europe, l'Europe du plein-emploi. Eh bien mettons-nous autour d'une table. Ce rapport est une bonne base, parce qu'il est sérieux, il analyse les choses d'une manière tout à fait correcte. Et si on se mettait autour d'une table en France - avant peut-être de pouvoir réaliser cela au niveau européen - pour dire comment les uns et les autres nous recevons les propositions de ce rapport, comment les pouvoirs publics et les partenaires sociaux pourraient participer de cet objectif du plein-emploi. ?"
Il y a dans ce rapport des choses qui peuvent choquer la gauche, par exemple, la modération salariale, cela vous gêne ?
- "Pourquoi voulez-vous que quelqu'un soit choqué de conditions à réunir pour obtenir le plein-emploi ? L'intérêt de ce rapport est justement de ne pas se focaliser sur une seule solution mais, au contraire, de dire que la croissance à elle seule ne va pas suffir pour garantir ce plein-emploi. Regardons donc à tous les autres volets : la formation professionnelle, les conditions dans lesquelles on évite - on rejoint le débat de tout à l'heure - de faire sortir les salariés entre 54 et 60 ans dans les entreprises, comment on articule les politiques de salaires avec les politiques de l'emploi. En même temps, on entre dans une période où on n'est plus dans la modération salariale, telle que nous pouvions l'envisager au moment de la réduction de la durée du travail et d'une croissance moins forte. "
Donc autour de ce rapport vous souhaitez que le Premier ministre provoque une concertation patronat-syndicats-gouvernement ?
- "Ce serait de bonnes méthodes et je trouve aussi que cela donnerait une perspective à un objectif qui devrait aujourd'hui rassembler beaucoup de monde. "
(source http://www.cfdt.fr, le 15 janvier 2003)