Entretien de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, avec "France Inter", "RFI" et "France 2" le 7 février 2001, sur la victoire de M. Ariel Sharon aux élections législatives en Israël et le processus de paix au Proche-Orient.

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Circonstance : Victoire de M. Ariel Sharon aux élections législatives en Israël, le 6 février 2001

Média : France 2 - France Inter - Radio France Internationale - Télévision

Texte intégral

Entretien avec "France Inter"
Q - Hubert Védrine, bonjour. Vous avez été l'un de ceux qui ont été les plus virulents lorsque Ariel Sharon s'est rendu fin septembre sur l'Esplanade des Mosquées. Vous aviez parlé à l'époque de provocation délibérée pour des raisons de politique intérieure. Ariel Sharon est maintenant au pouvoir depuis hier soir, êtes-vous inquiet pour le Proche-Orient ?
R - Vous savez, ce qui s'était passé fin septembre sur l'Esplanade des Mosquées avait provoqué des réactions critiques à peu près partout, y compris d'ailleurs en Israël, je n'avais donc pas été le seul à faire ces remarques évidentes.
Q - Vous aviez été le plus virulent tout de même
R - J'ai le souvenir de beaucoup de commentaires sévères, compte tenu du contexte dans lequel tout cela était intervenu, et en plus de notre engagement très passionné pour la recherche de la paix. Mais c'était le contexte de fin septembre. Il n'en reste pas moins que les Israéliens ont le droit démocratique de choisir leurs dirigeants, comme les Palestiniens, comme les autres et nous devons travailler avec le Premier ministre que les Israéliens se sont donné qui plus est de façon extrêmement nette. C'est la situation nouvelle dans laquelle nous sommes aujourd'hui. Naturellement je suis triste en pensant à tous les efforts déployés et tout ce qui a été tenté et peut-être presque réussi au cours des derniers mois, en matière de paix. Mais, voilà, malheureusement cela n'a pas pu être conclu. Mais nous ne devons pas nous désespérer, nous ne devons pas relâcher l'effort, et à partir de maintenant, nous devons raisonner en nous demandant ce que nous pouvons faire d'utile dans cette nouvelle situation, après cette nouvelle donne au Proche-Orient.
Q - Vous pensez que tout ce qui a été fait dans les mois passés ne sert plus à rien ?
R - J'espère que non. Je voudrais croire que dans les avancées qui ont été faites, certaines vont être préservées. Ce qui est vrai, c'est qu'elles n'ont pas fait l'objet d'accords proprement dits. Il y a eu une déclaration commune des Israéliens et des Palestiniens à Tabah il y a quelques jours, qui était importante, mais ce ne sont plus les mêmes Israéliens ; le gouvernement qui sera constitué après la victoire de M. Sharon, et que d'ailleurs on ne connaît pas encore, se considérera comme peut-être engagé sur certains points. Si l'on en juge par les déclarations de campagne, rien ne resterait, mais il faut voir ce que fera le gouvernement. En un mot comme en cent, nous jugerons sur les actes réels. Quel gouvernement, quelle politique, quelle attitude par rapport à la recherche de la paix avec les Palestiniens ? C'est là où nous verrons ce qui restera de certaines offres tout à fait nouvelles qui avaient été faites par M. Barak, qui avaient entraîné des réponses tout à fait nouvelles de la part des Palestiniens, même si cela n'avait pas suffi à faire l'accord.
Q - Les nouvelles autorités américaines ne parlent plus de processus de paix au Proche-Orient, mais de négociations pour la paix. Est-ce que la France, qui a joué un grand rôle dans ce processus de paix, est aussi sur la même ligne ?
R - C'est un problème sémantique cela, on peut appeler les choses comme on veut. Ce qu'il faut avoir à l'esprit, c'est que tant que la paix n'est pas conclue, il faut la rechercher, point ! Que cela soit par des négociations ou des processus ou je ne sais quoi d'autre, peu importe. En tout cas, tant qu'il y aura cette situation entre les Israéliens et les Palestiniens, et qu'il n'y aura pas un véritable accord de paix qui soit équitable, et juste pour être durable, ce qui suppose la création d'un Etat palestinien viable avec tout ce que cela entraîne, et je n'oublie pas non plus le volet israélo-syrien qui est important, tant que cela n'aura pas été fait, on ne sera pas en paix. Ils ne seront pas en train de construire le Proche-Orient pacifique que nous appelons de nos vux et avec lequel nous voulons coopérer.
Il faudra rechercher cette paix, quel que soit le nom des efforts que l'on déploie dans ce sens. Quand je dis on, il ne faut pas oublier que la responsabilité première est celle des Israéliens et des Palestiniens, et nous autour, les Américains, les Européens, la France en particulier, nous pouvons faciliter, encourager, faire des propositions, même se montrer disposés à apporter le moment venu certains types de garanties. Mais on ne peut pas se substituer à leurs décisions à eux./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 février 2001)
Q - Hubert Védrine, bonjour. Vous avez été l'un de ceux qui ont été les plus virulents lorsque Ariel Sharon s'est rendu fin septembre sur l'Esplanade des Mosquées. Vous aviez parlé à l'époque de provocation délibérée pour des raisons de politique intérieure. Ariel Sharon est maintenant au pouvoir depuis hier soir, êtes-vous inquiet pour le Proche-Orient ?
R - Vous savez, ce qui s'était passé fin septembre sur l'Esplanade des Mosquées avait provoqué des réactions critiques à peu près partout, y compris d'ailleurs en Israël, je n'avais donc pas été le seul à faire ces remarques évidentes.
Q - Vous aviez été le plus virulent tout de même
R - J'ai le souvenir de beaucoup de commentaires sévères, compte tenu du contexte dans lequel tout cela était intervenu, et en plus de notre engagement très passionné pour la recherche de la paix. Mais c'était le contexte de fin septembre. Il n'en reste pas moins que les Israéliens ont le droit démocratique de choisir leurs dirigeants, comme les Palestiniens, comme les autres et nous devons travailler avec le Premier ministre que les Israéliens se sont donné qui plus est de façon extrêmement nette. C'est la situation nouvelle dans laquelle nous sommes aujourd'hui. Naturellement je suis triste en pensant à tous les efforts déployés et tout ce qui a été tenté et peut-être presque réussi au cours des derniers mois, en matière de paix. Mais, voilà, malheureusement cela n'a pas pu être conclu. Mais nous ne devons pas nous désespérer, nous ne devons pas relâcher l'effort, et à partir de maintenant, nous devons raisonner en nous demandant ce que nous pouvons faire d'utile dans cette nouvelle situation, après cette nouvelle donne au Proche-Orient.
Q - Vous pensez que tout ce qui a été fait dans les mois passés ne sert plus à rien ?
R - J'espère que non. Je voudrais croire que dans les avancées qui ont été faites, certaines vont être préservées. Ce qui est vrai, c'est qu'elles n'ont pas fait l'objet d'accords proprement dits. Il y a eu une déclaration commune des Israéliens et des Palestiniens à Tabah il y a quelques jours, qui était importante, mais ce ne sont plus les mêmes Israéliens ; le gouvernement qui sera constitué après la victoire de M. Sharon, et que d'ailleurs on ne connaît pas encore, se considérera comme peut-être engagé sur certains points. Si l'on en juge par les déclarations de campagne, rien ne resterait, mais il faut voir ce que fera le gouvernement. En un mot comme en cent, nous jugerons sur les actes réels. Quel gouvernement, quelle politique, quelle attitude par rapport à la recherche de la paix avec les Palestiniens ? C'est là où nous verrons ce qui restera de certaines offres tout à fait nouvelles qui avaient été faites par M. Barak, qui avaient entraîné des réponses tout à fait nouvelles de la part des Palestiniens, même si cela n'avait pas suffi à faire l'accord.
Q - Les nouvelles autorités américaines ne parlent plus de processus de paix au Proche-Orient, mais de négociations pour la paix. Est-ce que la France, qui a joué un grand rôle dans ce processus de paix, est aussi sur la même ligne ?
R - C'est un problème sémantique cela, on peut appeler les choses comme on veut. Ce qu'il faut avoir à l'esprit, c'est que tant que la paix n'est pas conclue, il faut la rechercher, point ! Que cela soit par des négociations ou des processus ou je ne sais quoi d'autre, peu importe. En tout cas, tant qu'il y aura cette situation entre les Israéliens et les Palestiniens, et qu'il n'y aura pas un véritable accord de paix qui soit équitable, et juste pour être durable, ce qui suppose la création d'un Etat palestinien viable avec tout ce que cela entraîne, et je n'oublie pas non plus le volet israélo-syrien qui est important, tant que cela n'aura pas été fait, on ne sera pas en paix. Ils ne seront pas en train de construire le Proche-Orient pacifique que nous appelons de nos vux et avec lequel nous voulons coopérer.
Il faudra rechercher cette paix, quel que soit le nom des efforts que l'on déploie dans ce sens. Quand je dis on, il ne faut pas oublier que la responsabilité première est celle des Israéliens et des Palestiniens, et nous autour, les Américains, les Européens, la France en particulier, nous pouvons faciliter, encourager, faire des propositions, même se montrer disposés à apporter le moment venu certains types de garanties. Mais on ne peut pas se substituer à leurs décisions à eux./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 février 2001)

Entretien avec "RFI"
M. Sharon est le Premier ministre d'Israël et à partir de maintenant, il y a une situation nouvelle qui se crée mais nous allons attendre de voir quel est le gouvernement de M. Sharon, comment il est composé, quelle est sa politique, quelles sont ses déclarations, quelles sont ses positions notamment sur l'affaire de la recherche de la paix avec les Palestiniens, donc, on ne peut pas commenter encore à cette minute ce qui n'est pas encore annoncé ou acquis.
Mais je voudrais simplement dire que j'ai, malgré tout, un sentiment de tristesse quand je pense aux ratages des derniers mois parce qu'il y avait justement de la part des Palestiniens et des Israéliens, des avancées, des négociations sur des sujets qui n'avaient jamais été abordés avant parce que c'était des sujets tabous, vraiment cela était allé loin. Mais, malheureusement, cela n'a pas pu aller assez loin pour qu'un accord soit trouvé sur Jérusalem, sur les réfugiés, sur d'autres sujets. Et là, il y a un vrai regret parce que, pendant quelques mois, à plusieurs reprises, on a eu le sentiment que la paix était vraiment possible et, croyez-moi, la France a vraiment fait tout ce qu'elle a pu, auprès de tous les protagonistes, Israéliens, Palestiniens, mais aussi auprès des Egyptiens, des Américains et de quelques autres, pour contribuer à cet effort. Il y a donc un sentiment de tristesse. Mais, il faut regarder vers l'avenir, il ne faut jamais baisser les bras.
Q - Bien sûr Monsieur Védrine, mais quand vous parlez de regrets et de tristesse, est-ce que vous pensez que, d'une certaine façon, ce sont certains acquis de Camp David et du processus d'Oslo qui sont compromis ce soir ?
R - Je souhaite énormément que les avancées de Camp David ou que les éléments contenus dans la Déclaration de Taba, les plus récents, ne soient pas perdus et que passé une sorte de phase un peu turbulente, après les élections, le fil soit renoué, que la négociation reprenne. Le problème de fond est toujours là, il y a toujours les Israéliens, les Palestiniens. La seule solution équitable, la seule solution digne, c'est un Etat palestinien viable, et cela suppose de régler correctement les questions de territoire, de frontière, la question de Jérusalem, celle des réfugiés, celle de l'eau... on connaît le fond du sujet. Donc, des choses ont été dites, on ne peut quand même pas oublier qu'elles ont été dites. Je voudrais croire et espérer que, même si, politiquement, à un moment donné, une ligne plus dure est défendue, quand même, dans les esprits, y compris les esprits israéliens, y compris ceux qui ont voté pour des raisons qui sont les leurs, aujourd'hui pour M. Sharon, eh bien tout cela, continuera à exister, et que le désir de paix finira par l'emporter. Nous allons donc travailler dans cette perspective.
Q - Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, quels contacts avez-vous pu avoir par le passé - si vous en avez eus - avec M. Sharon ? Quels contacts la France et l'Union européenne peuvent-elles établir aujourd'hui avec M. Sharon ?
R - J'ai eu l'occasion de recevoir M. Sharon, dans le passé, quand il était ministre des Affaires étrangères. Il souhaitait venir, il souhaitait avoir un échange. Il a eu un échange et c'était tout à fait normal. Quand M. Sharon voudra établir des contacts avec les Européens, ceux-ci, naturellement, comme d'ailleurs les pays arabes eux-mêmes, accepteront ce contact. Le fait est là, les Israéliens choisissent leurs dirigeants, personne ne peut les choisir à leur place. De même que personne ne peut choisir les dirigeants des Palestiniens à leur place. Et les dirigeants palestiniens et israéliens doivent travailler ensemble quoi qu'ils pensent les uns des autres. Il faut revenir aux données de base, tant que la paix n'est pas faite, elle doit être recherchée par un travail israélo-palestinien et tous les autres qui veulent contribuer, qui sont animés par ce désir de paix, par la bonne volonté, que ce soit des Européens et notamment la France mais aussi les Américains et d'autres. Les autres pays peuvent accompagner, faciliter le mouvement, faire des propositions, rappeler les principes, et peuvent proposer des garanties en cas d'accord, mais ils ne peuvent pas se substituer à l'accord direct des principaux protagonistes./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 février 2001)

Entretien avec "France 2"
Q - Monsieur le Ministre, l'élection de M. Sharon est plutôt une mauvaise nouvelle pour la France ?
R - Les Israéliens choisissent leur Premier ministre. Ils ont très nettement choisi M. Sharon. Nous allons nous déterminer en fonction de la situation réelle, des faits et des actes du futur gouvernement israélien quand il sera formé. A partir de là, nous verrons dans la nouvelle situation ainsi créée ce que nous pouvons faire d'utile pour la paix.
Q - Vous avez l'impression que le processus de paix est en panne, quand même avec l'élection de M. Sharon.
R - Il est en panne depuis un bout de temps, puisque en dépit des efforts considérables des derniers mois auxquels nous avons participé autant que nous l'avons pu, malheureusement l'accord n'a pas été conclu. Les avancées proposées, envisagées, n'ont pas été concrétisées. Il ne faut pas se décourager, au Proche-Orient, quelles que soient les difficultés, les moments d'incertitude, il ne faut jamais baisser les bras et en ce qui nous concerne, nous, nous resterons disponibles pour tout effort utile pour la paix.
Q - Quand vous dites "on jugera sur les actes" on a l'impression que c'est quand même une grosse méfiance...
R - Non, je pense que c'est un bon principe, de bon sens. Nous voulons savoir d'abord quel sera le gouvernement formé après l'élection d'Ariel Sharon. C'est un vote direct pour le Premier ministre, ce n'est pas la même chose que le gouvernement. Il faut voir quelle est l'assise du futur gouvernement israélien par rapport à la Knesset, quel est son programme. Tout cela n'est pas clair à ce stade. Nous allons attendre de voir quel gouvernement, quel est son programme, quelle est son attitude par rapport à la question des relations avec les Palestiniens, par rapport à la question de la paix avec les Palestiniens, son attitude par rapport aux avancées, à ce qui avait été envisagé au cours des mois écoulés en ce qui concerne les territoires de l'Etat palestinien, en ce qui concerne les réfugiés, en ce qui concerne Jérusalem, tous les sujets. C'est à partir de là que nous déterminerons notre position.
Q - Vous avez eu un mot très dur pour Ariel Sharon lorsqu'il est allé sur l'esplanade des Mosquées. Est-ce que vous pensez que cela handicape maintenant le rôle de la France dans la région ?
R - Pas du tout. Ce qui s'était passé fin septembre sur l'esplanade des Mosquées avait été jugé sévèrement dans le monde entier. Et la France est là, de toutes façons, elle est toujours un des éléments de la recherche de la paix au Proche-Orient, c'était comme ça avant, c'est toujours comme ça maintenant, ça sera comme ça demain. En réalité, la paix ne peut être conclue au Proche-Orient que par les Israéliens et les Palestiniens. La France peut faciliter, aider, mais nous ne pouvons pas nous substituer aux protagonistes principaux. Nous sommes tout à fait, comme nous l'étions avant, un élément important, disponible, dans la recherche de la paix, si elle est toujours à l'ordre du jour, ce que nous souhaitons.
Q - Mais c'était quand même pas votre candidat ?
R - On n'a pas à choisir à la place des autres peuples. On n'a pas à choisir à la place des Israéliens qui est leur Premier ministre, à la place des Palestiniens qui est leur dirigeant, et c'est vrai pour n'importe quel autre peuple dans le monde. Et notre tâche, si vous me le demandez, c'est de leur être utile dans n'importe quelle situation, même quand elle paraît plus difficile. Il faut respecter le choix démocratique des peuples quant à leurs dirigeants.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 février 2001)