Article de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, dans "le Figaro" du 12 février 2001, sur l'art et la création artistique de l'Afrique ainsi que l'aide internationale et l'aide de la France pour le développement culturel en Afrique.

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Le continent africain connaît plus que son lot de guerres et de misère. Il n'est guère de journée sans que les médias ne nous le rappellent. Mais il existe aussi une "face cachée" de l'Afrique, et elle est plus radieuse : c'est celle de la vitalité et de la créativité culturelle. L'opinion commence à l'entrevoir. Mais elle mérite d'être mieux connue et, au besoin, accompagnée.
Paris, pont des Arts, 1999. Chaque jour des milliers de Parisiens et des visiteurs venus du monde entier se pressent sur les traverses de bois pour y découvrir les statues du sénégalais Ousmane Sow. Chaque jour, ils rencontrent ces grandes silhouettes colorées et néanmoins hiératiques, des uvres fortes, inoubliables.
Une partie du public commence à prendre conscience de l'émergence d'une nouvelle création contemporaine. Bien sûr, les interrogations violentes qui agitent le continent noir s'y reflètent. Mais on y trouve également la marque de l'inventivité et du formidable rayonnement humain des Africains d'aujourd'hui. Certains des visiteurs font le rapprochement avec des événements tels que le livre d'Ahmadou Kourouma, "Allah n'est pas obligé" (prix Renaudot), ou avec l'écho rencontré par les musiques et la scène africaine, de Youssou N'dour à Cesaria Evora, de Myriam Makeba à Rokia Traoré, sans oublier Ismael Lo ou Joffrey Oryema.
Bref, beaucoup devinent qu'il se passe quelque chose. Rares, en revanche, sont ceux qui savent que, dans son difficile parcours d'artiste, Ousmane Sow fut encouragé, accompagné et soutenu par la coopération française. Sa reconnaissance spectaculaire sur un pont piétonnier de la Seine n'est que la partie émergée - émergente ! - d'un long travail ayant pour nom développement culturel.
Washington, siège de la Banque mondiale 1998. James Wolfensohn, président de l'institution financière internationale affirme : "Nous devons impulser et promouvoir la culture vivante sous toutes ses formes". Aussi tardif soit-il, ce ralliement de la Banque mondiale à la politique culturelle est à saluer. Car il valide un constat essentiel : quand une société jouit d'une identité culturelle reconnue, son aptitude au développement dans toutes ses dimensions s'en trouve confortée car les mutations qui vont de pair avec le développement ne sont plus vécues comme une acculturation. Elles deviennent la composante assumée d'un processus voulu, organisé, pensé. Elles s'inscrivent dans le progrès de toute une société.
Bien avant la Banque mondiale, l'Union européenne avait, elle aussi, emboîté le pas à la France en insérant des actions de soutien aux activités culturelles dans son partenariat avec le Sud.
Pour la coopération française, le fait d'avoir joué un rôle précurseur est naturellement une invitation à continuer. Nous devons multiplier les occasions de rencontres. L'Association française d'action artistique, l'AFAA, s'y emploie avec succès. A son programme "Afrique en créations" nous devons, par exemple, un ensemble de manifestations qui se sont déroulées à Lille durant le dernier trimestre et qui ont permis à un public nouveau, jeune, passionné, de découvrir "les" cultures de l'Afrique.
Nous ne pourrons pas en rester là : la vitalité même de la création africaine est source de nouveaux défis. Son épanouissement n'en est qu'à ses débuts et la route est semée d'embûches. Celles qui tiennent à la faiblesse des moyens et à la précarité des Droits de l'Homme sautent aux yeux. Ici, l'encouragement aux activités artistiques n'est pas séparable de la lutte contre la pauvreté ou de la promotion de l'état de droit. Mais un sujet plus précis est également à l'ordre du jour : c'est le débat sur "l'économie culturelle" en Afrique et, à travers elle, dans l'ensemble du monde en développement.
Les initiatives privées trouveront-elles leurs sources de financement ? Le droit d'auteur sera-t-il respecté ? L'effort de formation - fil d'Ariane de toute filière artistique - sera-t-il suffisamment intense et continu ?
La vérité oblige à dire que, dans la plupart de ces domaines, rien, encore, n'est acquis.
C'est pourquoi j'entends moderniser nos actions de développement culturel dans le cadre de la réforme de la coopération engagée en 1998 par Lionel Jospin et dont nous commençons à recueillir les fruits. Demain, j'installe une nouvelle instance : le Conseil d'orientation stratégique de notre coopération. Composé de hauts fonctionnaires, de parlementaires et également d'experts internationaux, ce Conseil d'orientation aura pour rôle de déterminer sous la présidence du ministre en charge de la Coopération, la stratégie du ministère des Affaires étrangères dans ce qu'il est convenu d'appeler "l'aide-projet". Celle-ci est au cur de la coopération que nous menons avec les pays en développement.
Elle bénéficie d'un nouvel instrument : le Fonds de solidarité prioritaire. Son originalité est d'agir en amont sur les enjeux les plus névralgiques du développement : la conception des politiques, la formation des hommes, l'appui aux institutions. Cet outil s'applique à une grande variété de domaines : du soutien à l'état de droit au développement rural, de la recherche scientifique à l'éducation, en passant par la santé et l'environnement.
Si j'ai tenu à inscrire la culture - avec d'autres sujets - à l'ordre du jour de sa première réunion, ce n'est certainement pas pour occulter les autres domaines. Mais c'est pour adresser un signal : l'époque est révolue, où à l'aune du développement elle était regardée comme un luxe.
Elle est vitale. Comme le reste. Elle fait partie de la dignité humaine et si, au passage, elle contribuait à vivifier les sociétés civiles et à stimuler, en leur sein, la conscience critique, cela ne serait pas pour nous déplaire !.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 février 2001)