Déclaration de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sur les mesures en faveur de la recherche et de l'innovation, le soutien à la recherche fondamentale et le rôle du CNRS, Paris le 20 décembre 2000.

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Circonstance : Remise de la médaille d'or du CNRS à M. Michel Lazdunski à Paris le 20 décembre 2000

Texte intégral

Les raisons pour lesquelles vous recevez aujourd'hui cette médaille d'or du CNRS, Michel Lazdunski, ressortent assez de ce que nous venons de voir, d'entendre, de votre vie et de vos travaux. J'insisterai pourtant sur quelques points, que votre modestie a trop passés sous silence.
Tout en menant une carrière personnelle exemplaire, vous vous êtes toujours intéressé à la recherche en général, à son organisation, à la place de la France dans la recherche mondiale. Vous êtes à la fois un scientifique et un homme de conscience, de responsabilité.
Je rappellerai d'abord votre parcours exceptionnel, et les avancées qu'on vous doit. J'essaierai de répondre ensuite aux questions d'intérêt général que vous avez, à juste titre, soulevées.
Votre carrière
Cet enthousiasme dont manquent un peu, d'après vous, certains chercheurs, vous en êtes vous-même la meilleure illustration. A vous entendre, la recherche se déploie comme une belle aventure, avec ses surprises et ses émerveillements. Je vous cite : "La découverte n'est jamais totalement prévisible. Sur un travail souvent acharné, elle intègre un ensemble de facteurs personnels et de hasards heureux. Ce hasard, cette chance, il faut savoir les saisir". Je ne mettrais pas tout à fait sur le compte de la "chance" votre entrée au CNRS à Marseille, vos rapides succès universitaires, la reconnaissance et l'appui de Jacques Monod et Jean Dieudonné, la création du premier institut de recherche biochimique à Nice, la fondation de l'institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire à Sophia Antipolis
J'attribuerais plutôt ces réussites à votre curiosité inlassable, à votre énergie, à votre esprit d'entreprise : des qualités que l'on retrouve d'abord dans votre talent pour animer des équipes, pour intégrer dans une démarche commune les apports de chacun. C'est ainsi que vos travaux ont apporté un nouvel éclairage sur les canaux ioniques, parce qu'ils se sont souvent situés aux frontières entre la biochimie, la biologie moléculaire, la physiologie, la chimie des macromolécules et des substances naturelles, la pharmacologie, la pathologie.
On les retrouve ensuite dans votre goût pour le partage des connaissances, puisque la fonction d'enseignant n'a jamais perdu de son intérêt à vos yeux. Professeur dès 1965 à l'Université de Marseille, vous occupez bientôt la chaire de biochimie de l'Université de Nice, puis celle de pharmacologie moléculaire. Vous aimez communiquer à vos jeunes élèves vos motivations, vos doutes et vos intuitions. Ils sont ainsi nombreux à vous devoir leur persévérance dans les chemins que vous avez montrés et à s'engager à leur tour, comme l'a rappelé Geneviève Berger, dans des recherches propres teintées de l'esprit que vous leur avez transmis.
Interdisciplinarité, mobilité entre laboratoire et université : vous avez cumulé les atouts qui permettent à la recherche de se montrer créative. Cela n'a évidemment pas échappé à vos pairs, qui vous ont distingué par de nombreux prix, à commencer par le CNRS qui a marqué de son estime chaque étape de vos travaux. Vous avez également reçu, en 1991, le prix de la Fondation Athéna-Institut de France, le Grand Prix de l'Académie des sciences pour la recherche d'intérêt médical et, avec votre équipe, le Neuroscience Award de la Fondation Bristol-Myers. Membre de l'Académie des sciences, de l'Académie royale de Belgique, de l'Academia Europea, vous êtes, dit-on, l'un des dix savants du monde les plus consultés.
Votre apport à la recherche et à la médecine
Je veux bien reconnaître à la chance le fait de vous avoir fait naître dans le flux de ce qu'on a appelé "la génération 36".
Cette génération a porté aux sommets de la recherche des scientifiques de grand renom comme Jean-Pierre Changeux, Henri Korn, Philippe Ascher et bien d'autres Elle a été la pépinière des chercheurs français en neurosciences, faisant de la France l'une des toutes premières nations du monde dans ce domaine. Vous êtes l'une de ces grandes figures de proue qui ont orienté l'avenir de notre médecine.
Venant de la physique-chimie, en passant par les enzymes puis les toxines extraites du venin de scorpion ou de serpent, vous en arrivez, "à votre grande surprise", au canal sodium, l'un des canaux ioniques essentiels qui permettent aux cellules excitables de générer des signaux électriques. Commencent alors des travaux fondamentaux que vous et vos équipes êtes les seuls à mener.
Je ne reviendrai pas sur les découvertes, essentielles, que vous avez expliquées dans le film que nous avons vu tout à l'heure. Mais je relèverai ce trait qui vous caractérise : imaginer immédiatement quel bénéfice l'humanité pourrait en retirer dans le domaine de la santé ; diriger vos travaux vers leurs applications thérapeutiques.
Vous dites : "Je ne pourrais totalement me satisfaire de décrire les propriétés d'un objet biologique sans en appréhender simultanément les implications pharmacologiques et thérapeutiques". Toute votre activité de recherche se tourne donc vers le prolongement clinique de la recherche fondamentale - comme en témoignent, d'ailleurs, vos fonctions parallèles de Chef du service pharmacologie et toxicologie de l'Hôpital Pasteur de Nice. En utilisant des approches expérimentales très diverses, vous déterminez le rôle des canaux ioniques et d'autres systèmes de transport d'ions dans une grande variété de pathologies : l'hypertension, les anomalies du rythme cardiaque, l'ischémie cérébrale et de la moelle épinière, l'épilepsie, les pathologies musculaires, le diabète, les atteintes rétiniennes dues au glaucome
Si la médecine ne sait toujours pas guérir la mucoviscidose, la plus fréquente de toutes les maladies génétiques, nous savons que son dépistage permettrait d'améliorer la qualité de la vie des enfants malades, et de prolonger leur espérance de vie.
C'est grâce à vos travaux, Michel Lazdunski, que ce dépistage est aujourd'hui possible. Dès 2001, un programme sera installé. Il devrait atteindre un an plus tard son objectif, le dépistage des 800 000 bébés qui voient le jour chaque année en France. Il devra permettre de prescrire rapidement les séances de kinésithérapie respiratoire quotidiennes, et de maintenir constant un régime à haute énergie.
Ces progrès encourageants, cependant, ne se réalisent pas sans avoir à surmonter de nombreux obstacles. Vous en avez évoqué quelques-uns, qui correspondent aux préoccupations du Ministère de la recherche.
Des mesures en faveur de la recherche et de ses applications
Les remarques que vous avez faites sur les moyens de la recherche et les conditions faites aux chercheurs sont très justes. Elles témoignent du retard que nous avions pris. Mais je crois pourtant que la France dispose maintenant de nombreux atouts pour se placer au premier plan de la recherche dans les sciences du vivant. Elle peut être demain l'un des premiers pays à développer des applications préventives, diagnostiques ou thérapeutiques issues de cette recherche.
L'année 2000 a d'ailleurs démontré l'excellence de nos équipes avec la première thérapie génique réalisée par l'équipe du Professeur Alain Fisher, et les succès importants obtenus en thérapie cellulaire par des équipes comme celles de Philippe Ménaché et Marc Péchanski.
Le budget 2001 confirme la priorité du Gouvernement pour les sciences de la vie. La capacité de nos chercheurs sera soutenue. Elle le sera grâce à une politique volontariste, d'une part dans le domaine de la recherche fondamentale, d'autre part dans un soutien à l'innovation, enfin par une amélioration du statut des chercheurs.
1) Un soutien à la recherche fondamentale
L'avancement général des connaissances constitue le premier objectif des crédits publics. Si l'on cumule les dépenses en recherche fondamentale du domaine des sciences de la vie et de la santé, c'est plus de 14,7 milliards de francs qui sont engagés sur le BCRD 2000, en progression de 6,5% sur 1999, pour arriver à 24,8 % des crédits publics de recherche.
Cet effort va être poursuivi en 2001, avec des progressions significatives des crédits de fonctionnement et d'investissement pour les EPST, au premier rang desquels l'INSERM et le CNRS.
Il sera complété par une augmentation importante des fonds d'intervention du FNS permettant, en particulier, de hisser notre action en génomique au niveau nécessaire pour rester parmi les grands pays en pointe sur ce secteur : le budget global consacré à la génomique atteindra 4 milliards de francs sur cinq ans.
Les développements français et internationaux dans ce domaine nous conduisent, dès à présent, à envisager l'étape suivante : la post-génomique, donc le retour vers la physiologie intégrative. L'Etat y reprendra son rôle incitatif, comme il y a quelques années avec l'action "Dynamique du Neurone" à laquelle vous avez participé : cette action a permis, par une action soutenue pendant près de dix ans, le renouvellement en France d'une communauté scientifique particulièrement créative en neurosciences.
J'ai donc décidé, sur le conseil du CNS, la création d'une Action concertée incitative composée de deux premières lignes : biologie du développement et physiologie intégrative ; et, sur la base du rapport que m'a remis très récemment le professeur Alain Berthoz, d'une troisième ligne : neurosciences intégratives.
Chacune de ces lignes sera dotée, pour la première année, d'un budget de dix millions de francs inscrit sur le Fonds National de la Science.
Vous aurez prochainement à évaluer les premiers résultats de ces ACI et à me faire part de vos propositions. Je profite de cette occasion pour vous remercier d'avoir accepté de succéder au Professeur Nicole Le Douarin à la Présidence du Comité Consultatif des Sciences du Vivant (CCSV), l'instance de conseil du Ministère de la recherche pour les actions incitatives de recherche et développement, et les grands sujets de prospective.
2) Un soutien à l'innovation
Parallèlement aux efforts accomplis pour la recherche fondamentale, le Gouvernement a lancé une politique déterminée en faveur de l'innovation technologique. Son objectif, c'est de rapprocher recherche et entreprise, c'est de favoriser le transfert de technologies et la création d'entreprises innovantes, en particulier dans les secteurs stratégiques d'avenir. Les sciences du vivant et les biotechnologies en font évidemment partie.
· La Loi sur l'innovation et la recherche du 12 juillet 1999 permet aux chercheurs et enseignants-chercheurs d'apporter leur concours scientifique à une entreprise qui valorise les résultats de leurs travaux, de prendre une participation minoritaire dans son capital, voire de devenir son dirigeant. Ainsi, en 2000, plus de cent entreprises auront été créées par des chercheurs.
· Trente incubateurs ont été créés par le Gouvernement, parmi lesquels neuf bio-incubateurs dont celui de l'Institut Pasteur, BioTop, que j'ai inauguré le 8 décembre. 152 MF ont été consacrés à cette action qui devrait permettre l'émergence de 300 à 400 entreprises sur trois ans.
J'ai également favorisé l'émergence de la Fédération française des bio-incubateurs - dont les statuts ont été déposés au mois de novembre 2000 -, et la naissance d'un réseau pour les échanges d'information. De plus, une réunion s'est récemment tenue à Paris, au Ministère, avec des représentants allemands et britanniques en vue de créer un réseau européen de bio-incubateurs sur la base du projet NeuBioInc déjà présenté à la Commission européenne.
· Nous avons créé plusieurs fonds d'amorçage spécialisés dans l'apport de capitaux à des entreprises émergentes, dont le Fonds BioAm, fonds de bio-amorçage, dédié au financement des entreprises en biotechnologies et que j'ai installé le 11 juillet 2000. Le fonds BioAm est un succès, puisque le plafond fixé, de 40 millions d'euros, est d'ores et déjà atteint, et que les premiers investissements ont commencé.
· Je rappelle par ailleurs le succès obtenu par le concours national de créations d'entreprises, doté de 200 MF pour sa deuxième édition. Sur les 1 805 dossiers reçus, 296 feront l'objet d'une dotation, dont 60 en biotechnologies - soit plus de 20% des lauréats.
3) Une amélioration du statut des chercheurs
La question de l'amélioration des conditions offertes aux personnels de la recherche a également été prise en compte par le Ministère de la recherche.
· 2001 sera la première année de mise en uvre d'une gestion prévisionnelle et pluriannuelle de l'emploi scientifique visant à anticiper les grandes vagues de départ en retraite de la prochaine décennie. De nouveaux emplois de chercheurs seront créés : les postes seront affectés par priorité au domaine des sciences de la vie et des nouvelles technologies. Cela devrait nous permettre de recruter aujourd'hui de jeunes chercheurs brillants et bien formés, en courant un risque moindre de les voir héberger - comme vous l'avez souligné tout à l'heure - par des structures étrangères ressenties comme plus favorables.
· Pour ce qui concerne la coupure, que vous déplorez, entre médecine et recherche, je vous rappelle que, dès 1989, Hubert Curien avait réussi à imposer que tout médecin poursuivant une carrière hospitalo-universitaire fasse au moins une année de recherche et soit titulaire d'un Diplôme d'Etudes Approfondies.
Pour ma part j'ai indiqué, dès mon arrivée, mon souhait de développer la recherche médicale et de rapprocher les univers des laboratoires et des services cliniques. Je procèderai prochainement, avec ma collègue Secrétaire d'Etat à la santé, à la nomination du directeur général de l'INSERM dont les missions en terme de recherche médicale s'avèrent fondamentales dans les prochaines années. Quant à Geneviève Berger, choisie pour diriger le CNRS, elle est l'illustration même d'une carrière qui a concilié la recherche et ses développements. Je ne doute pas qu'elle encourage le CNRS, et plus particulièrement le Département des sciences de la vie, à poursuivre et amplifier une politique de partenariats.
***
Je voudrais terminer sur cette belle institution qu'est le CNRS, à laquelle vous avez vous-même rendu hommage.
Que le CNRS soit à intervalles réguliers l'objet d'attaques caricaturales ne prouve qu'une chose : l'incompréhension qu'ont certains médias de la réalité scientifique aujourd'hui. C'est à nous de communiquer davantage, et d'expliquer que, pour déboucher sur des applications industrielles et profitables à tous, la recherche doit d'abord se développer en profondeur sur des terrains variés. Il n'existe pas de recherche appliquée sans recherche fondamentale : à titre de rappel, ce sont des travaux sur les archéobactéries vivant dans des sources chaudes qui nous ont permis de découvrir les outils les plus essentiels de la biologie moléculaire - grâce auxquels nous avons aujourd'hui accès à plus de vingt génomes séquencés.
Sachez qu'en tant que Ministre de la recherche, je défendrai de toutes mes forces une institution dont les laboratoires propres et associés à l'université produisent aujourd'hui 70 % des publications scientifiques françaises. Une institution qui compte en ses rangs tant de chercheurs de réputation internationale - dont vous êtes, Michel Lazdunski, l'un des plus estimés.
Je la défendrai en poursuivant sa modernisation. Le CNRS est l'un des piliers de la recherche européenne, et beaucoup de pays nous envient cet organisme national. A ce titre il doit donner l'exemple, suivant des axes que vous appelez vous-même de vos vux : un rajeunissement, le rapprochement avec les universités, la signature de contrats d'objectifs, le partenariat avec le monde industriel et médical, la mobilité accrue des personnels, la valorisation des travaux, une évaluation objective et transparente, l'interdisciplinarité - qui, dans vos propres recherches, s'est montrée si féconde.
La réforme des statuts a posé le socle de cette rénovation. En donnant plus d'autonomie à l'organisme, en l'ouvrant sur l'extérieur, elle lui donne la liberté de mouvements indispensable à la recherche du XXI° siècle. Le CNRS saura se saisir de cette liberté. Et, grâce à la personnalité du Président Gérard Mégie et de la Directrice Geneviève Berger, je sais qu'il en fera le meilleur usage.
Grâce également à la réussite de travaux remarquables comme les vôtres, Michel Lazdunski. La médaille d'or que vous recevez aujourd'hui consacre vos résultats, mais aussi un parcours entièrement dédié à la recherche publique, à l'enseignement, à la formation des jeunes chercheurs. Par votre grande expérience, vous avez su nous montrer des voies : ce sont celles dans lesquelles nous nous sommes déjà engagés.
Merci, au nom de tous, pour votre lucidité et pour votre apport à la science, qui honore notre pays.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 22 décembre 2000)