Interview de M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, à Europe 1 le 28 novembre 2005, sur la création du Conseil représentatif des associations noires, la définition de la colonisation dans les manuels scolaires et le traitement de l'immigration clandestine dans les DOM TOM.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Europe 1 : Il faut attendre la communication officielle des magistrats
instructeurs chargés de l'enquête judiciaire et qui coordonnent leur
action avec les Vénézueliens et les Colombiens. Il faut attendre
également les résultats de l'expertise du Bureau enquêtes accidents qui
ont a travaillé sur les boîtes noires, l'enregistreur de vol avec les
informations des pilotes, l'enregistreur des examens des paramètres de
l'avion et, ce qui a été demandé il y a trois semaines, l'examen des
moteurs, qui étaient encore sur place au moment où l'équipe de France
est allée en Martinique. Cependant ?
François Baroin : Cependant, c'est une hypothèse qui a été examinée. Je
ne suis pas qualifié pour m'exprimer définitivement, compte tenu des
enjeux très importants, d'abord des enjeux humains, puisque ce que nous
disons est un élément de réponse très attendu par les familles des
victimes. Et ce que nous disons est également un élément très important
au regard de la recherche en responsabilité, pénale et civile, pour
l'issue. Ce qu'il faut savoir, c'est que ce qui nous a été dit par les
magistrats instructeurs, il y a trois semaines, c'est qu'à l'issue de
l'examen des moteurs qui étaient sur place, et il faut reconnaître que
le Venezuela a bien travaillé, puisqu'ils ont accepté que les moteurs
soient examinés par nos experts français, et que donc, il y ait une
totale objectivité...
Europe 1 : Les moteurs et les boîtes noires...
François Baroin : Les moteurs et les boîtes noires, donc une très bonne
coopération. Ils nous disaient que dans quelques semaines, on saurait
les raisons pour lesquelles cet avion est tombé.
Europe 1 : Vous dites que c'est une piste. Mais il y a une autre
hypothèse, dans le rapport : les pilotes auraient traversé des
nuages...
François Baroin : C'est exact - et c'est de l'information publique, ce
n'est pas couvert par le secret de l'instruction -, qu'au moment où
l'avion a survolé la zone qui a provoqué le crash, ils sont rentrés
dans un cumulonimbus. Et tous les experts d'aviation nous expliquent
que ces cumulonimbus créent des conditions extrêmement difficiles et
des contraintes physiques sur les avions, avec notamment la provocation
de blocs de glace, ce qui peut être susceptibles d'entraîner non pas
des chutes, mais des difficultés pour un aéronef.
Europe 1 : Auraient-ils pu ne pas traverser les nuages ?
François Baroin : C''est trop compliqué comme question technique pour
moi... En tout cas, pouvez-vous dire que la vérité entière sera dite ?
On en a pris l'engagement, c'est une exigence. Les garanties de cette
vérité sont réunies, puisqu'il y a coopération impeccable entre la
France, le Venezuela et la Colombie, que les magistrats instructeurs
ont accès à tout, et que donc les experts pourront dire aussi la vérité
dans quelques semaines.
Europe 1 : On change de rythme, parce qu'il y a beaucoup d'informations
avec vous ! Deux faits nouveaux vont marquer les prochaines semaines.
Un, la création du Conseil représentatif des associations noires, qui
regroupe 56 organisations, le CRAN, qui prépare une manifestation noire
pour vendredi et samedi, et se propose de lutter contre les
discriminations. Est-ce le meilleur moyen ?
François Baroin : Il y a un décalage énorme dans la société française
entre la représentation de ses élites et la réalité de ce que l'on vit
sur le terrain. Tout ce qui va dans le sens d'un renforcement, d'une
bonne compréhension de l'évolution de la société française, on ne peut
pas continuer à vivre avec des visages qui sont décalés. Vous avez
vousmême été reçu par le président de la République, qui a mis en place
il y a quelques semaines, la Haute Autorité de lutte contre les
discriminations. Elle a pour rôle justement d'alerter la société
française et également de punir quand cela ne va pas...
Europe 1 : Comme vous le savez, L. Schweitzer, le président, fait un
éditorial tous les dimanches matin, à 9h05 sur Europe 1.
François Baroin : Mais c'est une initiative très remarquable. C'est
vrai pour les grands medias, cela doit être vrai partout, cela doit
être vrai dans toutes les couches de la société. Si la logique de cette
association est d'aller dans le sens du renforcement et de l'alerte, je
crois que c'est un travail utile... Elle-même ne suffit pas. "Le CRAN
est bienvenu, disait F. Hollande hier, s'il n'encourage pas le
communautarisme et la formation d'un parti politique des Noirs de
France". Je crois que l'on est au coeur du débat politique. Soit c'est
le modèle américain, soit c'est le modèle français. Je crois encore aux
vertus du modèle français. Le modèle américain, c'est quoi ? L'intérêt
général est la somme des intérêts particuliers. Vous êtes Noir, vous
êtes dans une communauté, vous êtes dans un ghetto, vous demandez un
truc, cela fait une loi, et comme cela vous êtes défendu. Si c'est cela
que l'on veut appliquer en France, cela ne marchera pas. Le modèle
français, c'est l'intérêt général, la loi est l'expression de la
volonté générale. Il y a donc une majorité qui se dessine, mais chaque
minorité est respectée et intégrée dans ce pacte républicain. Or là, ce
qui se passe, c'est que cette belle idée de l'égalité des chances,
aujourd'hui, ne s'appuie plus sur une prise de conscience réelle au
quotidien vécue par tous. Il faut que tout le monde se sente concerné
par ce débat. Donc que la République ouvre et qu'elle intègre davantage
? Il faut qu'elle le fasse plus vite. Et en réalité, c'est une
politique qu'il faut mener sans pour autant le porter en bandoulière.
Le Parti socialiste va réclamer demain, à l'Assemblée nationale, la
suppression de la récente loi du 21 février 2005, un amendement
controversé de l'UMP, qui demande que les programmes scolaires
soulignent d'abord les aspects positifs de la colonisation. D'abord,
rappelez le contexte : c'était un sous-amendement qui était présenté
pour un amendement, et c'est la sagesse...
Europe 1 : D'accord, mais il a fait du mal, partout, à l'intérieur et à
l'extérieur !
François Baroin : Sous-amendement d'un député - ce n'est pas la ligne
de l'UMP - qui a proposé une loi pour dire que l'on va imposer dans les
manuels pour nos petits-enfants qu'ils comprennent bien que la
colonisation a eu des aspects positifs. Donc c'est la sagesse de
l'Assemblée qui s'est exprimée sous cette forme-là... Mais votre avis ?
Mon avis et ma position, c'est que l'honneur de la République est qu'il
n'y a pas d'Histoire officielle. Que par ailleurs, l'Histoire est une
matière importante, qu'il faut manier avec beaucoup de prudence, et que
ce n'est pas le regard du quotidien ou le regard du politique, qui est
engagé, qui doit créer la loi. Il n'y pas d'Histoire officielle, ce
n'est pas le législateur qui fait les manuels scolaires. C'est un
collège d'inspection générale des professeurs avec des experts, qui
disent : "Voilà ce qui s'est passé". Ce sont des esprits en formation
qui doivent juger librement, quand ils auront compris ce qui s'est
passé... Donc je traduis : si le sous-amendement de l'amendement du
sousamendement UMP était supprimé ... Vous pouvez rajouter : Vanneste
plus Kert, ainsi tout le monde aura compris...
Europe 1 : ... vous-même, vous ne vous plaindriez pas ?
François Baroin : Je pense que quand le politique se mêle de l'Histoire
pour un regard sur le passé, c'est forcément sujet à caution. Cela
pouvait l'être dans l'initiative de ce sous-amendement, cela peut
l'être aussi dans l'initiative demain matin. C'est la raison pour
laquelle je préfère que l'Histoire doit dite par des historiens, des
professeurs, pour nos enfants. Demain a lieu un Comité interministériel
sur l'immigration, qui va prolonger la réunion actuelle de Barcelone.
L'Europe et la France promettent de lutter contre l'immigration
clandestine.
Europe 1 :Y aura-t-il, pour les illégaux arrêtés par exemple, des
reconduites aux frontières ? Comment le ferez-vous ? Qu'est-ce qui va
être fait en matière de mariage, le mariage détourné, de vrais-faux
mariages ?
François Baroin : Il ne faut pas tout mélanger, ce ne sont pas des
problèmes de même nature. Le Premier ministre va effectivement annoncer
un dispositif important de lutte contre l'immigration illégale,
irrégulière, de gens qui viennent sur le territoire sans respecter
l'Etat de droit...
Europe 1 : Quel type de mesures, par exemple ?
François Baroin : C'est très simple. Il faut quand même d'abord
rappeler les chiffres : il y a à peu près 30.000 reconduites à la
frontière en France, vous en avez un peu plus de 15.000 pour la
métropole, vous en avez autant pour l'Outre-Mer. Ce qui veut dire que
quand on parle de reconduite, une fois sur deux, il faut penser à la
Guyane, à la Guadeloupe, à Mayotte. Cela veut dire que dans le respect
de la Constitution, qui donne beaucoup de dérogations possibles, nous
allons effectivement proposer, s'agissant de l'Outre-Mer, des mesures
qui sont déjà appliquées en Guyane et qui ont montré leur efficacité :
des recours non suspensifs pris par les préfets. Lorsque les préfets
interceptent des gens qui sont entrés clandestinement sur le
territoire, ils prennent des recours de reconduite à la frontière, ils
ne seront pas suspensifs de dispositifs qui peuvent être engagés par
les avocats par exemple. Et cela, c'est immédiatement opérationnel. Il
faut dire que lorsque le territoire est petit et lorsque les flux sont
importants, la question qui est posée est une question humaine et c'est
une question de cohésion sociale. Le point de départ de ce débat sur
l'immigration clandestine, c'est tout simplement d'avoir un point de
départ humain. On va prendre des mesures répressives, c'est
indiscutable, mais il faudra également des mesures avec des actions
diplomatiques vigoureuses et des mesures d'aides au développement.
Europe 1 : On dit que la situation est préoccupante dans l'Hexagone,
mais après tant de voyages, est-ce qu'en Outre-Mer, elle ressemble à ce
que dit J. de Rohan, qui préside l'UMP au Sénat : une "bombe à
retardement" ?
François Baroin : Je ne sais même pas si elle est à retardement ! Une
bombe sûrement, un risque social et de cohésion certainement, et c'est
normal. En Guyane, il y a plus de 5.000 reconduites à la frontière,
mais la densité d'habitants au kilomètre carré est de deux habitants au
kilomètre carré. En Guadeloupe, il y a 1.400 reconduites à la frontière
- on va monter à 2.000 -, mais c'est une île. Ils viennent d'Haïti, ils
viennent de la Dominique. Et là, vous avez 280 habitants au kilomètre
carré. Et à Mayotte, c'est grand comme l'Ile d'Oléron, on retrouve des
corps d'hommes et de femmes, des bébés sur les côtes mahoraises, qui
ont été mis par-dessus bord des embarcations de fortune par les
passeurs de clandestins, et là, c'est 480 habitants au kilomètre carré.
Et quand vous avez 40 % de clandestins, la question qui est posée,
c'est de savoir si ce sont les mêmes mesures à Mayotte et en
Guadeloupe, sur des îles, que celles appliquées en métropole...
Europe 1 : Il y a urgence d'agir...
François Baroin : Naturellement...
Europe 1 : Et comme vous l'avez dit, l'Outre-Mer reçoit des aides et
des subventions mais le meilleur remède est une assistance massive au
développement.
François Baroin : C'est indiscutable. C'est tout le sens de la
proposition de J. Chirac : la taxe sur les avions, c'est bien adresser
un message sur le thème que l'on ne peut plus accueillir tous ces
gens-là, qu'il faut les aider à rester chez eux, qu'ils n'ont pas les
moyens d'assurer leur développement, contribuons à ce développement par
des constructions d'écoles, d'hôpitaux. La France ne peut pas le faire
seul, l'Europe devrait le prendre et, en réalité, c'est le monde qui
devrait se saisir de ce dossier. Nous proposons cette taxe sur les
billets d'avion. C'est un problème planétaire...
Europe 1 : Vous êtes un proche - même un très proche - de J. Chirac. F.
Hollande lui a fait un cadeau d'anniversaire plutôt empoisonné : il a
dit que "les faits et gestes du président de la République n'ont plus
aucune importance, il a inauguré une présidence passive, verbale,
fondée sur l'irresponsabilité. Il faut rompre avec le chiraquisme".
Vous êtes un enfant et un héritier du chiraquisme, que répondez-vous ?
François Baroin : Que "Quand je me regarde, je me désole et quand je me
compare je me console" ! J'imagine que monsieur Hollande, depuis très
longtemps, ne se regarde plus.
Europe 1 : Oui, mais quand en ce moment, la mode est de dire que "c'est
la fin de règne de J. Chirac"...
François Baroin : Oui, mais ça, c'est une facilité... D'abord parce
qu'ils ont leurs petites foulées pour la campagne présidentielle. Très
franchement, que monsieur Hollande balaie devant sa porte !
Franchement, la responsabilité de F. Hollande et des socialistes dans
l'échec du référendum est majeure. Ils ont été incapables de fixer une
ligne, incapables de dire ce qu'ils pensent, ils ne savent plus si
c'est la socialdémocratie ou la post-révolution qui est proposée.
"C'est embrassonsnous Folleville" et ils viennent nous donner des
leçons de morale ?!
Europe 1 : Non, mais quand on oublie les socialistes, sur cet argument
de la fin règne : il reste encore dix-sept mois, qu'en pensez-vous ?
François Baroin : Je pense que, un, non seulement cela ne s'appuie sur
aucune vérité ; deux, le président de la République est
extraordinairement motivé au quotidien sur ses projets ; trois, sur le
faux débat sur les banlieues, il a été dans son rôle et chacun a été
dans son rôle. Il a fixé le cap, il redonne de l'énergie. Et pour bien
connaître J. Chirac, et pour bien le voir travailler au quotidien, il
est là, il est bien là, il est présent, n'en déplaise à monsieur
Hollande et à ses amis.
Europe 1 : Vous restez fidèle en tout cas...
François Baroin : Oui, c'est une marque de fabrique, mais je crois
aussi que c'est une attitude qui est valable pour tout le monde. Que
monsieur Hollande soit fidèle à monsieur Mitterrand et il fera son
droit d'héritage...
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 29 novembre 2005)