Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Recteur,
Madame et Messieurs les Vice-Recteurs,
Messieurs les Doyens,
Mesdames et Messieurs,
Avant toute autre chose, je veux vous dire l'émotion qui est la mienne de retrouver Sarajevo et d'être ici, avec vous, en des temps nouveaux, dix ans après la conclusion des accords de paix. Pour nous tous, Européens, le martyre de Sarajevo a été pendant trop longtemps une blessure, une insulte à nos valeurs et à notre conscience, la négation même de ce que doit être l'esprit européen. Votre ville porte en elle la marque tragique de l'histoire de notre continent.
Ce siècle est passé. Tournons-en la page et, la paix revenue, faisons triompher cette fois les forces de la vie. C'est ce que demande la jeunesse de ce pays. C'est ce que vous attendez.
Je viens aujourd'hui dans une ville différente, qui forge son avenir, qui est en pleine renaissance. Je veux donc commencer en saluant cette nouvelle aurore, cette énergie vitale qui anime votre ville, si chère au coeur des Français.
Venue il y a sept ans avec le président de la République française, qui vous avait assuré du soutien de la France et lancé un vibrant appel à la réconciliation, je suis aujourd'hui devant vous pour vous confirmer ce soutien, vous dire que la France est toujours à vos côtés. Je viens vous apporter un message d'encouragement et de persévérance, et regarder avec vous l'avenir.
Car la France, je veux le dire avec force, entend rester pleinement mobilisée en faveur d'une Bosnie-Herzégovine diverse mais unie, multiculturelle et démocratique, moderne et partageant les valeurs européennes.
Notre engagement à vos côtés reste guidé par notre foi profonde dans ces valeurs : le refus de la haine, qu'elle soit ethnique ou religieuse, le respect de la personne humaine, le respect de l'autre dans sa différence, la primauté du droit sur la force, la justice. La proximité qui existe entre nos deux pays, cette affinité profonde, trouve d'abord sa source dans ces idéaux, au nom de l'humanisme qui fonde notre civilisation européenne.
En 1995, la France a su rappeler ces principes. Elle a été le premier pays à parler clair, enfin, et à trouver la force du sursaut de nos démocraties. Quatre-vingt quatre soldats français, je veux le rappeler pour leur rendre hommage, ont payé de leur vie cet engagement de la France. Leur action et celle de nos partenaires de la Force de réaction rapide ont joué un rôle décisif pour le retour à la paix.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? A l'heure où l'on s'apprête à célébrer le dixième anniversaire de la signature, à Paris, le 14 décembre 1995, des Accords de Dayton, mais aussi où un pas décisif est en passe d'être franchi dans le rapprochement de votre pays avec l'Union européenne, que de chemin a été parcouru ! Permettez-moi, en introduction à notre échange, de revenir d'abord sur le travail de reconstruction patient et déterminé auquel se livre la Bosnie-Herzégovine depuis maintenant près d'une décennie. Je me tournerai ensuite vers l'avenir, pour évoquer avec vous les efforts qui doivent être encore consentis par votre pays, non seulement pour lui-même, mais aussi pour progresser vers son intégration européenne.
Le chemin de la paix est souvent long. Il est toujours exigeant. Mais comment ne pas se réjouir des progrès significatifs déjà accomplis sur la voie de la réconciliation ? Je pense à tous les réfugiés qui ont pu regagner leurs foyers - ils sont plus d'un million -, je pense aussi aux trois peuples qui apprennent à nouveau à vivre en paix et en fraternité, je songe encore à la justice bosnienne, qui est désormais, comme il se doit, le gardien du respect des Droits de l'Homme. Ce sont autant de signes de maturité qui ne trompent pas et que je veux saluer.
Comment ne pas se féliciter également des progrès, ces dernières années, dans le renforcement des institutions centrales de Bosnie-Herzégovine ? Qui aurait cru, il y a dix ans, à l'existence d'un gouvernement central, qui s'appuiera bientôt sur une armée et une police nationales, qui administre d'ores et déjà un espace économique unifié et est en charge de la préparation d'un Accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne ? Telle est pourtant la réalité qui prend forme aujourd'hui. Elle devra continuer à s'affirmer à l'avenir.
La communauté internationale a pris toutes ses responsabilités depuis dix ans et a pris toute sa part dans cette évolution. Je tiens en particulier à saluer l'action des Hauts Représentants successifs, de Carl Bildt, de Carlos Westendorp, de Wolfgang Petritsch et de Paddy Ashdown. Mais n'oublions pas que ce sont avant tout les Bosniens eux-mêmes qui tiennent dans leurs mains l'avenir de leur pays. C'est leur détermination, leur volonté qui a permis la patiente mise en place de ces réformes. Sans eux, sans vous, rien n'aurait été possible.
Ce dixième anniversaire doit donc être avant tout l'anniversaire de dix ans de progrès d'une Bosnie-Herzégovine qui, comme nous l'avons tous espéré, renoue avec les valeurs européennes.
Pour autant, et personne ne l'ignore, la tâche n'est pas achevée. Si la Bosnie-Herzégovine est en paix depuis dix ans, la page de l'après-guerre n'est pas encore totalement tournée : les institutions restent trop faibles, votre pays doit poursuivre sa marche pour recouvrer la totalité de sa souveraineté, certains comportements dérangent, la réconciliation n'est pas faite dans tous les coeurs.
Et je veux vous dire l'absolue conviction de la France que la réconciliation ne sera pleine et entière que si justice est faite. Il n'y a pas de paix durable sans justice. Et la justice exige l'arrestation et le jugement par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie des criminels de guerre, à commencer par Karadzic et Mladic, qui doivent répondre de leurs crimes. Inculpés de génocide, crimes de guerre, crimes contre l'humanité, ils doivent être livrés au TPIY.
Certes, de réels progrès ont été enregistrés au cours de l'année 2005 avec le transfert à La Haye de plusieurs criminels encore en fuite. C'est une bonne chose, mais il est indispensable de persévérer dans cette voie : cet effort doit aller à son terme, et le plus rapidement possible. Arrêter les criminels de guerre, vous le devez non seulement à la communauté internationale, au droit et à la justice, mais vous le devez aussi à vous-mêmes. Car c'est vous qui tournerez définitivement la page du passé, c'est à vous que vous rendrez hommage en achevant cette rupture. C'est aussi, je ne vous le cache pas, une condition absolue de votre intégration dans la famille européenne.
La réconciliation impose également que toute la lumière soit faite sur la question douloureuse des personnes disparues. La France continuera à apporter son soutien à la Commission internationale pour les personnes disparues, qui fait un travail remarquable en la matière.
Le processus de reconstruction d'un Etat de Bosnie-Herzégovine doit également se poursuivre. Il faut mener à leur terme les réformes de la défense et de la police, qui jouent, la France en est convaincue, un rôle majeur dans le processus de réconciliation. L'Etat de droit doit retrouver toute sa place, afin d'assurer la sécurité et la confiance du citoyen et afin de combattre avec une détermination sans faille la criminalité organisée et la corruption. Il est également nécessaire de renforcer et de rationaliser le fonctionnement du gouvernement central, ce qui impliquera d'adapter les structures institutionnelles héritées du conflit, complexes autant que coûteuses. La France suit ainsi avec intérêt les efforts en cours qui visent à apporter à la Constitution de votre pays certains amendements ciblés pour améliorer le fonctionnement de vos institutions. Ces réformes sont autant de conditions importantes à remplir pour que la Bosnie-Herzégovine puisse de nouveau présider, en toute autonomie, à sa propre destinée.
Enfin, et même si l'union des peuples en Bosnie progresse, il est nécessaire de renforcer cette société tolérante et multiculturelle que la France appelle de ses v?ux. Les traumatismes hérités de la guerre, s'ils sont moins visibles, ne sont pas totalement effacés et le temps devra accomplir son oeuvre. Le lent travail des peuples pour réapprendre à vivre ensemble, dans le respect de leurs différences, dans l'estime et l'amitié, doit donc se poursuivre. Le refus de la haine est un combat qui se gagne chaque jour. C'est forts de cette exigence non seulement politique mais aussi morale que les Bosniens sauront bâtir une société démocratique véritable où tous les citoyens, de toutes origines, de toutes confessions, pourront s'épanouir librement.
Cette construction d'une société unie, multiculturelle, tolérante passe aussi par le déploiement d'efforts accrus dans le domaine de l'éducation, domaine si crucial pour l'avenir de votre pays. Or la communauté internationale observe le maintien ou la résurgence d'attitudes de séparation des enfants en fonction de leurs origines, ce qui est un élément très préoccupant. L'école doit être le lieu de l'apprentissage de l'autre, du respect, non celui de la discrimination et des préjugés. De même, l'université a vocation à favoriser l'ouverture d'esprit sur la diversité des cultures et doit dans ce cadre proposer aux étudiants des cursus qui encouragent la mobilité. Les jeunes générations de ce pays ont droit à une formation qui puisse s'inscrire dans l'environnement intellectuel européen et au-delà. Elles le souhaitent, l'Etat doit la leur offrir. C'est aussi sa responsabilité.
Pour vous aider sur ce chemin difficile, la France et l'Union européenne continueront d'être à vos côtés. L'effort de cette dernière en Bosnie-Herzégovine reste exceptionnel par son ampleur et sa diversité : forte de 6.500 hommes, dont 450 Français, l'opération Althéa est la plus grosse opération militaire menée par l'Union européenne non seulement sur le continent mais également sur l'ensemble de la scène internationale. Avec la mission de police de l'Union européenne, elle montre que l'Europe de la défense, dans ses composantes tant militaire que civile, existe bel et bien. Le Haut Représentant est aussi Représentant spécial de l'Union européenne. Cette dernière est le principal donateur multilatéral avec des programmes importants d'aide à la reconstruction et à la modernisation. L'Europe fait ainsi la preuve qu'elle a su tirer les leçons de sa trop grande absence au début du conflit dans l'ex-Yougoslavie et qu'elle agit désormais concrètement et efficacement. C'est d'ailleurs aussi pour nous tous un sujet de réflexion : au moment où le projet européen est parfois mal compris, il est important de voir - et de dire - que l'Union sait agir efficacement. C'est pour moi une raison supplémentaire de saluer l'action qu'elle mène dans votre pays et dont vous pouvez témoigner.
Tout comme la justice, la paix est une exigence. La France et l'Europe continueront donc à vous accompagner dans cette voie pour installer durablement la Bosnie-Herzégovine dans la modernité, la stabilité et la démocratie et lui donner la perspective européenne. Car, je veux le redire avec force, l'avenir de votre pays, c'est l'Europe. Comme l'a prévu expressément le Conseil européen de Thessalonique en juin 2003, vous avez en effet vocation à rejoindre demain la famille européenne dont vous avez été trop longtemps séparés. L'âme de l'Europe, le président de la République française l'avait lui-même souligné en 1998, est "tout autant à Sarajevo, à Banja Luka ou à Mostar qu'à Paris, Londres ou Berlin".
Lundi prochain à Bruxelles, le Conseil Affaires générales de l'Union européenne sera saisi de la question de l'ouverture de la négociation d'un Accord de stabilisation et d'association entre la Bosnie-Herzégovine et l'Union européenne et se prononcera. Cette ouverture sera bien sûr une étape décisive dans ce processus d'ancrage de votre pays à l'Europe. Elle a été rendue possible par une mobilisation remarquable des énergies pour satisfaire, sous l'égide du Premier ministre, M. Adnan Terzic, les seize conditions rappelées par la Commission européenne. Cette ouverture prochaine est la preuve que les efforts sont récompensés.
Ce processus de rapprochement, cette maturité croissante de la Bosnie-Herzégovine devront entraîner, le moment venu, une évolution de la présence internationale dans votre pays. La France, pour sa part, est convaincue que, si l'élan actuel se poursuit, une profonde transformation du rôle du Haut Représentant sera rapidement possible ; dans ce contexte, il faudra veiller à assurer la cohérence la plus grande de l'action de l'Union européenne sur le terrain.
D'ici là la mobilisation devra se poursuivre. La négociation qui va s'ouvrir, vous ne l'ignorez pas, impliquera d'autres réformes, d'autres efforts. La France vous y aidera, mais elle sera aussi un partenaire exigeant et vigilant: il sera essentiel de réussir dans un premier temps ce processus de stabilisation et d'association pour être à même d'envisager, plus tard, les étapes suivantes. C'est pourquoi il faut avancer pas à pas, sans précipiter les choses tout en maintenant le cap, et ce cap est européen.
En effet, l'Europe vous attend. Non pas passivement, sans rien faire ; elle vous aide au contraire, comme je l'ai souligné. Mais ce travail, ce rendez-vous avec l'Histoire, avec votre histoire qui est en Europe, c'est à la Bosnie-Herzégovine, c'est à vous qu'il appartient de le réussir. Mobilisez-vous pour achever ce que vous avez si bien commencé depuis dix ans. L'enjeu en vaut la peine, pour vous et pour vos enfants.
La Bosnie-Herzégovine, pays de vieille culture, longtemps modèle de tolérance et de respect mutuel, est donc aujourd'hui en quelque sorte au milieu du gué : elle est sortie de la guerre, mais elle n'est pas encore entièrement réconciliée avec elle-même.
Cependant le chemin parcouru depuis dix ans est porteur d'espoir : le projet d'une Bosnie-Herzégovine enfin réconciliée, respectée à l'intérieur comme à l'extérieur, forte de sa diversité, unie par un même idéal de paix et de tolérance, n'est plus cette utopie qui nous unissait de Sarajevo à Paris. Ce projet est désormais à portée de main.
La France continuera de vous aider à en faire une réalité. La France, qui elle aussi a connu des guerres terribles, et qui a su surmonter les haines d'hier pour construire l'Europe, vous appelle aujourd'hui une nouvelle fois à poursuivre avec détermination et courage la tâche entamée par la signature des accords de paix il y a dix ans. Le ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, qui était à vos côtés à Srebrenica en juillet dernier, recevra les autorités de votre pays en décembre prochain, à Paris, à l'occasion des dix ans de cette signature.
Mesdames, Messieurs, chers Amis,
Soyez convaincus qu'en agissant ainsi, en persévérant dans cette démarche, votre pays se rapprochera un peu plus chaque jour de l'Union européenne. Car être européen, c'est d'abord croire en la paix, dans la force du droit et non pas dans le droit du plus fort. Etre européen, c'est aussi vouloir construire ensemble alors que l'on se sait différent et qu'il ne saurait être question de nier les identités. C'est être unis dans la diversité, selon la devise de l'Union européenne.
Cette devise, la Bosnie-Herzégovine doit la faire sienne. Votre pays peut ainsi demain devenir pour l'Europe et le monde un symbole de fraternité, l'incarnation des plus belles valeurs européennes. Cet objectif doit devenir celui de tous les peuples de la Bosnie, celui qui les rapprochera et les fera vivre ensemble dans la citoyenneté, comme il a réuni et continue de réunir tous les peuples de l'Union européenne. Faisons ensemble vivre une Europe fraternelle.
Je vous remercie.
(Source http://www,diplomatie,gouv,fr, le 24 novembre 2005)