Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, dans le quotidien bosno-serbe "Nezavisne Novine/Banja Luka" du 18 novembre 2005, sur le dixième anniversaire de l'accord de paix en Bosnie- Herzégovine et sur les relations euro-bosniaques.

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Circonstance : Déplacement en Bosnie-Herzegovine, le 18 novembre 2005

Média : Nezavisne Novine

Texte intégral

Q - A l'occasion du 10ème anniversaire de l'Accord de Dayton, comment la France, pays où l'accord a été signé en 1995, voit-elle sa portée et sa réalisation dans la période précédente ?
R - Cet anniversaire sera l'occasion de faire un bilan. Les accords de Dayton-Paris ont non seulement permis de rétablir la paix mais aussi d'accompagner la Bosnie-Herzégovine sur la voie de la souveraineté. Je retiendrai tout particulièrement de ces accords une forte ambition visant à faire cohabiter dans un Etat commun des communautés encore profondément déchirées par les souvenirs d'un conflit armé. Par ailleurs, certaines de ses dispositions sont essentielles, comme la proclamation d'un droit au retour pour les réfugiés. Un autre intérêt de ces accords est qu'ils sont suffisamment souples pour établir les bases institutionnelles de l'Etat de Bosnie-Herzégovine et permettre des évolutions futures. Le contexte du 10ème anniversaire peut être l'occasion de franchir une nouvelle étape dans le renforcement de l'efficacité et de la cohérence du dispositif institutionnel.

Q - La Bosnie-Herzégovine a reçu, ces jours-ci, le feu vert à l'ouverture des négociations sur un Accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne. Comment commentez-vous la décision de Bruxelles d'entamer les négociations avec la Bosnie-Herzégovine?
R - La recommandation de la Commission européenne d'ouvrir des négociations sur l'ASA traduit les progrès significatifs réalisés, depuis quelques temps, par la Bosnie-Herzégovine. Les ministres des Affaires étrangères et des Affaires européennes de l'Union européenne se réuniront lundi et devraient suivre cette recommandation. En novembre 2003, la Commission européenne avait publié une étude de faisabilité sur l'état de préparation du pays, sur sa capacité à négocier et à mettre en oeuvre un accord de stabilisation et d'association. Seize priorités avaient été définies par cette étude. Elles ont été suivies. Je pense à la coopération avec le Tribunal pénal international pour la Yougoslavie (TPIY) de La Haye et aussi à la réforme de la défense, de la police ou de l'audiovisuel public. Ce sera une étape importante mais le chemin est encore long et des efforts considérables attendent les responsables de Bosnie-Herzégovine : arrêter les criminels de guerre, et notamment Mladic et Karadzic, est une condition absolue pour l'intégrer dans la famille européenne.

Q - On attend le début des négociations d'ici la fin de l'année. A quelles tâches la Bosnie-Herzégovine et ses négociateurs seront-ils confrontés lors de ce processus ? Quels sont les changements nécessaires auxquels la Bosnie-Herzégovine doit procéder afin de signer cet Accord ?
R - Les accords de ce type, vous le savez, comportent de multiples volets. Je ne les aborderai pas tous, mais il est évident que la Bosnie-Herzégovine doit poursuivre ses efforts tant en ce qui concerne la coopération avec le TPIY, que j'ai déjà citée, que le renforcement de l'efficacité de son administration, l'application des règles du Conseil de l'Europe, par exemple dans l'éducation, l'amélioration de l'environnement des affaires ou la lutte contre le crime organisé. Par ailleurs, il s'agit également d'une négociation où les aspects économiques sont essentiels.

Q - Que faut-il mettre encore en place en Bosnie-Herzégovine pour franchir ce pas ?
R - Le gouvernement et les Institutions de Bosnie-Herzégovine doivent continuer à s'affirmer pour pouvoir négocier avec l'Union européenne. Certaines responsabilités doivent pouvoir s'exercer au niveau étatique à commencer, comme on l'évoque, par l'agriculture, la santé ou l'environnement.

Q - La France considère-t-elle, à l'instar du gouvernement américain, que la Bosnie-Herzégovine devrait n'avoir qu'un seul président et un gouvernement au lieu de l'actuel Conseil des ministres ? Paris a-t-il été consulté au sujet du nouveau plan de modifications constitutionnelles pour la Bosnie-Herzégovine et est-il d'accord avec ce plan?
R - Nous sommes informés des discussions qui se sont tenues dans le cadre du groupe de travail associant les présidents des huit principaux partis politiques de Bosnie-Herzégovine, présidé par le député Beriz Belkic et qui vient de se réunir à Bruxelles. Ce processus doit permettre aux dirigeants de Bosnie-Herzégovine de vraiment prendre en main les destinées de leur pays. La France est favorable à un processus de réforme constitutionnelle qui permettrait de rationaliser les institutions et qui doit être basé sur un large consensus entre les acteurs politiques locaux. Elle suivra avec intérêt toute démarche visant à renforcer l'efficacité de l'Etat en Bosnie-Herzégovine. Basée sur une démarche positive, ne remettant pas en cause l'existence des entités, l'initiative actuelle tend à renforcer l'efficacité des institutions étatiques et notamment à simplifier le fonctionnement du pouvoir exécutif. Son succès dépendra de la modération, du caractère progressif et du consensus établi entre les responsables locaux, qui doivent être, je le répète, les maîtres d'oeuvre d'un projet de cette nature.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 novembre 2005)