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Q - Ce lundi à Rabat, vous aurez des entretiens tripartites, Maroc, France, Espagne, sur les dossiers euro-méditerranéens. Cette rencontre intervenant juste après le Sommet de Barcelone, quelle analyse faites-vous de ce Sommet qui a beaucoup déçu ?
R - Catherine Colonna et Alberto Navarro - Peut être cela vient-il du fait que l'on demande toujours plus à ses proches et que, à juste titre, les ambitions du partenariat sont grandes. Le plan d'action, mais aussi le code de conduite euro-méditerranéen sur le terrorisme sont deux textes importants qui ont été adoptés à l'occasion de ce Sommet : ils tracent un chemin pour l'avenir.
Au-delà, nous devons continuer à travailler pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Pour cela, nous avons l'acquis de dix années de coopération, ce qui est loin d'être négligeable.
Regardez les chiffres : plus de 9 milliards d'euros de dons de l'Union et 11 milliards d'euros de prêts mobilisés par la Banque européenne d'investissement. C'est ainsi que ce lundi matin, nous irons tous les deux visiter un site de formation professionnelle à Salah El Jadida qui est co-financé par l'Union européenne.
Sans doute, ce partenariat a-t-il parfois manqué de visibilité. Il est vrai aussi que des lenteurs ont pu apparaître dans la mise en ?uvre de certains projets. Mais notre histoire, notre destin et les défis que nous avons à relever sont communs. Ce n'est qu'ensemble et dans un esprit de co-responsabilité que nous relancerons efficacement ce processus.
Q - Au menu de vos entretiens, le problème des migrations sera évidemment essentiel. Après les tragiques incidents, cet été, de Ceuta et Melilla, le Maroc a dit qu'il refusait d'assumer seul la charge de contrôler la frontière sud de l'Europe. Rabat a donc lancé l'idée d'une Conférence euro-africaine pour traiter la question des clandestins dans sa globalité. Quelle est la réponse de l'Europe ?
R - Catherine Colonna et Alberto Navarro - Nous gardons en mémoire ces images terribles qui nous rappellent une réalité que souvent l'on refuse de voir en face, celle de tant et tant d'Africains qui préfèrent risquer la mort plutôt que de vivre mal dans leur pays. Nous soutenons résolument l'idée d'une conférence euro-africaine sur les migrations.
Seule une action rassemblant l'ensemble des pays concernés sera efficace : les pays d'origine, les pays de transit et les pays de destination doivent travailler tous ensemble pour couvrir toutes les étapes des routes migratoires.
Nous n'obtiendrons des résultats que si la coopération sur ces sujets est globale. Globale par son étendue géographique mais globale également par la nature des mesures à prendre. Quant aux 25 pays de l'Union, ils doivent se décider à développer une politique consensuelle et globale contre l'immigration clandestine. Cela suppose la mise en place d'une politique commune des visas, pour renforcer le contrôle des entrées et sorties des ressortissants des Etats extérieurs à l'Union, voire la mutualisation des systèmes de visas biométriques. Cela suppose encore une politique de sécurité commune contre toutes les mafias.
Nous devons également utiliser le plus rapidement possible les 40 millions d'euros qui, dans le cadre du programme européen MEDA, sont prévus pour aider le Maroc dans la gestion de ses frontières et mettre en place des actions de formation pour les garde-frontières.
Q - Face au flot des clandestins, il faut évidemment une réponse à court terme qui se résume à une action policière. Mais il faut aussi organiser une stratégie de prévention qui, en offrant une vie décente dans le pays d'origine, dissuadera les candidats à l'exil. Quelle politique à long terme de soutien à l'Afrique les Etats européens sont-ils donc disposés à engager pour diminuer la pression sur les pays au sud du Sahara ?
R - Catherine Colonna et Alberto Navarro - Au-delà des situations d'urgence, il faut effectivement une stratégie de long terme pour apporter des réponses durables aux causes profondes des mouvements migratoires. C'est là qu'intervient la lutte contre la pauvreté, dans laquelle l'Europe est très active puisqu'elle fournit plus de 60% de l'aide apportée au continent africain. Elle développe une politique de partenariat à long terme centrée sur la réduction de la pauvreté, sur le dialogue politique et une coopération économique renforcée.
L'Europe est également la zone la plus ouverte aux importations en provenance des pays pauvres : elle importe beaucoup plus de produits agricoles que les Etats-Unis, le Canada, le Japon et l'Australie réunis. L'Europe favorise aussi l'accès aux médicaments génériques pour les pays touchés par les grandes pandémies, telles que le sida et elle est en première ligne pour le traitement de la dette. Tout ceci est nécessaire mais pas encore suffisant. Notre effort doit donc se poursuivre.
Q - Comment envisagez-vous le développement des relations entre le Maroc et l'Union européenne ? Qu'en est-il du statut avancé qui pourrait être accordé au Maroc ? Par l'ancienneté et l'intensité de ses liens avec l'Union européenne, le Maroc ne mérite-t-il pas ce traitement particulier ?
R - Catherine Colonna et Alberto Navarro - Les relations entre l'Union européenne et le Maroc sont particulièrement denses et étroites. Plusieurs événements en témoignent cette année : l'adoption du plan d'action donnant une vision globale des relations entre l'Union européenne et le Maroc ; la mise en place de jumelages institutionnels ; la conclusion de l'accord de partenariat dans le domaine de la pêche ; la tenue du 5ème Conseil d'association UE/Maroc le 22 novembre dernier? Quant au statut avancé, il s'inscrit dorénavant dans la politique de voisinage qui prévoit le resserrement des liens entre l'Union européenne et ses partenaires.
Q - Les discussions sur le programme qui prendra la succession de MEDA II sont actuellement en cours. Y-a-t-il une approche commune franco-espagnole de ce dossier ? Et les moyens financiers seront-ils à la hauteur des ambitions ?
R - Catherine Colonna et Alberto Navarro - Le prochain instrument d'aide extérieure de l'Union européenne à ses partenaires méditerranéens est l'instrument de voisinage. Son enveloppe sera déterminée lors de la conclusion des négociations qui sont actuellement en cours pour arrêter le budget européen de la période 2007-2013. La France et l'Espagne, avec d'autres pays européens, plaident en faveur de la poursuite des engagements financiers pour la Méditerranée à un niveau qui soit à doublement à la hauteur.
C'est-à-dire à la hauteur simultanément des relations privilégiées que l'Union européenne entretient avec ses partenaires du sud de la Méditerranée et des défis que nous avons à relever ensemble. Nous souhaitons que les équilibres actuels entre l'est de l'Europe et ses partenaires du Sud ne soient pas rompus.
En d'autres termes, les deux tiers de l'effort européen devront être toujours consacrés à la région méditerranéenne et un tiers pour la région des pays d'Europe centrale et orientale./.
Q - Le Premier ministre français Dominique de Villepin a annoncé que l'accueil des étudiants serait plus restrictif et les naturalisations par mariage contrôlées de plus près. La France n'est-elle pas en train de fermer ses portes au Maroc ?
R - Catherine Colonna - La France accueille 50.000 nouveaux étudiants étrangers chaque année. Dès le pays d'origine, des centres pour les études en France animés par des agents du ministère de l'Education donneront désormais un avis sur les projets présentés. Les démarches des étudiants étrangers seront facilitées puisque les étudiants passés par ces centres auront immédiatement un titre de séjour : d??s leur arrivée en France et sur simple présentation de leur visa. Ceci vise à garantir la bonne intégration des étrangers s'installant en France.
Q - Et pour les mariages ?
R - Catherine Colonna - Les mariages célébrés à l'étranger sont passés de 13.000 en 1995 à 34.000 en 2004. Le nombre de personnes venant en France à la suite d'un mariage avec un Français dépasse aujourd'hui le nombre de personnes qui entrent au titre du regroupement familial. Pour répondre à cette augmentation, il faut renforcer nos moyens de contrôle, tout en respectant le droit au mariage des personnes concernées. Il ne s'agit pas de porter atteinte au droit de se marier, mais de vérifier que les conditions d'un véritable mariage sont bien réunies. De nouvelles dispositions devront être adoptées à la fin du premier semestre 2006 : la transcription des actes de mariage conclus à l'étranger ne sera plus automatique et ne vaudra donc plus mécaniquement titre de séjour.
Désormais, les consulats devront effectuer un contrôle préalable au mariage.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 décembre 2005)