Texte intégral
Q - Mme Colonna, Bonsoir. L'Europe a une obligation morale vis à vis des pays dits de départ de l'immigration clandestine : Vous avez vous-même appelé au renforcement de l'aide au développement. Qu'est ce qui ne va pas selon vous ? Est-ce le rythme de cette aide, les fonds débloqués ? Les priorités de l'Europe ne se situent-elles pas ailleurs aujourd'hui ? Que faut-il améliorer ?
R - Je crois que nous devons, ensemble, faire face à des défis qui sont des défis communs. Ce qui s'est passé il y a une semaine dans le Nord du Maroc n'est pas pour nous un problème marocain qu'il reviendrait au Maroc de traiter seul. Cela n'est pas non plus un problème entre l'Espagne et le Maroc, c'est un problème entre l'Europe et l'Afrique. Donc, il faut développer une réponse globale. En effet, l'ensemble des pays concernés doivent être impliqués, aussi bien les pays d'origine que les pays de transit ou les pays de destination. La réponse doit être globale, parce que nous devons traiter tous les aspects de la question avec, bien sûr, des aspects de lutte contre l'immigration clandestine, de contrôle de frontières, de contrôle du flux, avec une politique de visa, sans oublier la lutte contre les mafias. Et puis, naturellement, l'autre volet, c'est la politique d'aide au développement et de co-développement à mener dans le cadre d'un dialogue politique qui doit porter sur l'éducation, la santé, la culture, mais aussi la bonne gouvernance. Nous avons déjà beaucoup fait. L'Europe est, je crois, l'ensemble au monde qui aide le plus l'Afrique, et de loin. Pourtant, nous savons qu'il y a encore beaucoup de défis à relever.
Q - Mme Catherine Colonna, aujourd'hui on constate que chaque pays européen a sa propre politique d'immigration dans une Europe qui a réussi, par exemple, à avoir une monnaie unique et réfléchit afin d'avoir une Constitution unique. Mais pour la lutte contre l'immigration, on n'arrive pas à trouver cette politique globale, consensuelle de lutte contre ce phénomène. Est-ce que, finalement, la responsabilité de l'Europe dans cette affaire n'est pas d'avoir cette faiblesse, d'avoir cette faille ?
R - Il faut sûrement coordonner davantage nos actions, c'est vrai, et nous voulons faire davantage. C'est la raison pour laquelle nous soutenons l'initiative qui a été prise par le Maroc et par l'Espagne d'une conférence ministérielle consacrée à la question des migrations et vous vous souvenez que le Premier ministre français l'a dit ici à Rabat, il y a à peu près un mois. Tout de suite, la France s'est jointe à cette initiative et nous avons maintenant progressé au point qu'avec nos amis marocains, nous souhaitons passer au travail concret de préparation de cette conférence. Cela permettra aux pays africains les plus concernés et à l'ensemble des pays, maintenant, de mieux coordonner leurs actions et donc d'être plus efficaces.
Q - Vous parliez du renforcement de la coopération entre les pays européens en matière de lutte contre l'immigration clandestine. Il est, en effet, communément admis que si les attentats de Londres et de Madrid ont eu lieu, c'est bien parce qu'il y avait des failles à ce niveau-là et qu'il n'y avait pas, en fait, une coordination parfaite entre les services de sécurité européens. Où en est-on aujourd'hui ? Est-ce que vous avez avancé à ce niveau là ?
R - Je voudrais tout d'abord ajouter quelques mots à ce qu'a dit Alberto sur le terrorisme. Il a raison ; il n'y a pas à choisir entre telle ou telle action, tout simplement parce que le terrorisme est quelque chose qui nous concerne tous, qui est un défi pour nous tous, qui menace notre sécurité, qui menace notre mode de vie et donc, c'est tous ensemble que nous devons répondre. Il y a eu, à Barcelone, l'adoption de ce code de conduite qui est très important parce qu'il nous permet de montrer le chemin pour les années qui viennent. Puis, il y a aussi un plan d'action entre l'Union européenne et le Maroc, en plus des coopérations bilatérales très importantes et de qualité que nous avons développées au fil des années et qui ont aussi leur efficacité, ne l'oublions pas. Néanmoins, là aussi, on sait bien que ce sont des questions de long terme et qu'il faudra continuer à travailler.
Q - Et pour la lutte antiterroriste en Europe, comment ça se passe ?
R - Pour la lutte antiterroriste en Europe, depuis 2001, il y a eu une accélération des actions menées par l'Union européenne avec l'adoption de plans d'action qui ont été renouvelés et mis à jour en 2004. Vous avez reçu ici le coordonnateur européen pour la lutte antiterroriste. Nous avons mis en oeuvre un instrument tout à fait efficace, qui est le mandat d'arrêt européen, renforcé les moyens d'Europol, renforcé la coopération entre les services, et pourtant, nous savons que ce travail n'est pas terminé.
Q - Nous parlions tout à l'heure d'immigration clandestine, parlons à présent d'immigration régulière. A la lumière des événements qui ont embrasé les banlieues françaises - ce sont des événements d'ailleurs qui se sont un peu propagés au reste de l'Europe puisque d'autres pays ont été touchés, faut-il tirer de cela que l'intégration n'est pas possible ou que vous vous y êtes mal pris ?
R - C'est parfois la tentation de certains que de juger les choses ainsi. Je ne dirais pas les choses comme ça. La lutte contre l'immigration clandestine doit aller de pair, c'est vrai, avec une politique d'accueil et une politique d'intégration. Et d'ailleurs, le Sommet Afrique-France, qui vient de se terminer, vient de rappeler l'importance de cela.
Nous avons, en France, cette tradition d'accueil, cette tradition d'intégration et pourtant, vous l'avez dit, il y a quelques semaines, un certain nombre de quartiers français ont connu des violences inadmissibles et une série d'événements qu'il faut condamner. La priorité, c'était le retour au calme, le respect de la légalité. Maintenant, le calme est revenu et le gouvernement a lancé une série d'actions, de longue haleine et en profondeur, qui touchent à la fois aux questions de logement, d'éducation, à la lutte contre les discriminations et à l'accès à l'emploi. Et je mettrai un accent tout particulier sur l'égalité des chances et l'éducation dont on voit bien que c'est l'une des clés pour l'avenir.
Q - Si l'on considère, comme la Commission européenne, que l'échec de l'intégration peut conduire au renforcement des mouvements extrémistes et des mouvements radicaux, il y a urgence. Donc, il faut agir au plus vite ?
R - Oui, en poursuivant des actions qui ont été menées depuis fort longtemps. Je ne partage pas le sentiment de ceux qui estiment qu'il y a un échec de l'intégration. Il y a des difficultés, il y a de nouveaux défis, nous devons nous adapter, puis renforcer une série d'actions encore une fois dans tous les domaines qui étaient déjà des domaines dans lesquels nous agissions, faire plus et peut-être plus vite, et avec, aussi, en tête, l'obligation qu'en France, chaque citoyen européen ou chaque personne qui est accueillie régulièrement en France s'y sente bien. Là aussi, cela donne à réfléchir pour nous-mêmes sur ce que nos sociétés présentent et offrent comme repères aux uns et aux autres. Je pense que cela conduit, en effet, à des remises en question mais il faut faire face. Le gouvernement est à l'oeuvre.
Q - Aujourd'hui, il y a une batterie de mesures qui est annoncée par le gouvernement de Villepin pour essayer d'apporter une réponse à la crise des banlieues : éducation, formation, dialogue inter-culturel. Vous l'avez dit, mais il y aussi une approche répressive avec le durcissement de la politique d'immigration en ce qui concerne la politique de regroupement familial, la polygamie. Est-ce que vous pensez que c'est la bonne approche aujourd'hui ?
R - Je crois que les deux vont de pair, en effet, et qu'il n'y aura pas de réussite de l'immigration légale et donc pas d'intégration pour ceux qui resteraient éventuellement dans notre pays, s'il n'y a pas une lutte déterminée contre l'immigration illégale et contre un certain nombre d'anomalies que nous avons décelées dans les années passées.
Vous parlez, par exemple, des mariages. Il y a eu une augmentation très importante et elle nous conduit à vouloir regarder de plus près quelle est la sincérité de l'engagement de ceux qui se marient en terre étrangère. Il ne s'agit pas d'empêcher les gens de se marier, comprenez-moi bien. Il s'agit de vérifier la réalité de ces liens, donc les consulats auront un rôle à jouer.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 décembre 2005)