Texte intégral
Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
C'est pour moi un honneur et un plaisir de me trouver parmi vous aujourd'hui, les difficiles négociations menées par la France dans le cadre des perspectives financières de l'Union ayant retenu le ministre des Affaires étrangères à Bruxelles. Permettez-moi, avant d'aborder notre débat, d'avoir une pensée pour notre compatriote Bernard Planche, qui a été enlevé lundi matin à Bagdad et dont nous sommes encore sans nouvelle. Nous faisons bien sûr tout notre possible pour obtenir sa libération aussi rapidement que possible comme nous le faisons pour chacun de nos compatriotes en difficulté à l'étranger.
Je souhaite tout d'abord vous remercier, Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères, ainsi que vous, Mesdames et Messieurs les Rapporteurs, pour la qualité de vos analyses. Je sais l'attachement que vous portez à l'action du Quai d'Orsay et à la parole d'une France forte et respectée dans le monde. Permettez-moi aussi de remercier les intervenants dans ce débat pour la pertinence de leurs questions, auxquelles je répondrai tout à l'heure.
Nous partageons tous ici une même ambition : donner à notre pays la place qui lui revient sur la scène internationale, pour servir nos intérêts, mais aussi porter plus loin notre vision du respect du droit et de la recherche d'un plus grand dialogue entre les pays et les cultures.
Cette ambition - chacun le comprend - est indissociable des moyens dont dispose notre diplomatie. Aujourd'hui, la politique étrangère de notre pays, et plus particulièrement, la mission "action extérieure de l'Etat" qui vous est présentée ici, doivent être menées dans le contexte d'une contrainte budgétaire particulièrement forte.
Cette année encore, nous rendons des emplois et nous réalisons des économies de fonctionnement. Le ministère des Affaires étrangères est donc très engagé dans la réforme de l'Etat, et je voudrais vous le montrer au travers de trois grands axes qui sous-tendent ce budget :
- I - L'amélioration de la cohérence de l'architecture budgétaire ;
- II - La poursuite des efforts d'économie ;
- III - La modernisation de ce ministère.
I - L'architecture retenue pour notre budget dans le cadre de la LOLF montre bien les efforts accomplis.
D'abord, le budget ne reflète qu'une partie de l'action extérieure de l'Etat. Votre rapporteur spécial, Adrien Gouteyron, l'a souligné à juste titre dans son rapport, de même que votre rapporteur pour avis de la Commission des Affaires étrangères, Jean-Guy Branger.
Vingt-sept programmes relevant d'autres ministères comprennent des crédits mis en oeuvre à l'étranger.
A court terme, pour remédier partiellement à cet éclatement, nous avons souhaité mettre en oeuvre la recommandation du préfet Le Bris de réactiver le Comité interministériel des moyens de l'Etat à l'étranger. Le Premier ministre a annoncé devant les ambassadeurs sa prochaine convocation.
Nous prenons en compte votre préoccupation M. de Montesquiou.
Au-delà, nous considérons qu'il ne faudra pas craindre de faire évoluer l'architecture budgétaire et institutionnelle des moyens de l'Etat à l'étranger.
A cet égard, certains regrettent l'exclusion du périmètre de la mission "action extérieure de l'Etat" du réseau financier et commercial avec lequel nous travaillons étroitement dans chaque pays. Dans cette perspective, nous présentons un document de politique transversale (DPT) qui vous permet de disposer d'une vision plus large.
Ensuite, la structure même des deux missions sur lesquelles nous travaillons est très certainement perfectible.
Je remarque que vos rapporteurs des Commissions des Finances et des Affaires étrangères, contrairement à celui de la Commission des Affaires culturelles, ne souhaitent pas voir l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) rattachée au programme "rayonnement culturel" au lieu du programme "Français de l'étranger". Un souhait contraire a été exprimé par leurs collègues de l'Assemblée nationale et j'y reviendrai tout à l'heure, lors de l'examen des amendements.
En ce qui concerne l'action culturelle, plusieurs d'entre vous ont déploré son éclatement entre le programme 185, qui relève de l'action extérieure de l'Etat, et le programme 209, qui participe à l'aide publique au développement.
Certains s'inquiètent en particulier du risque d'un défaut de pilotage global du dispositif culturel extérieur. Nous comprenons cette préoccupation, aussi nous montrerons-nous vigilants pour que la continuité et la cohérence de notre politique culturelle extérieure soient pleinement préservées.
En outre, j'indique que nous avons demandé à l'ambassadeur Jacques Blot de nous faire des propositions opérationnelles pour la mise en place d'une agence culturelle sur le modèle de celle qu'avait proposée Louis Duvernois. Nous disposerons de son rapport dans les jours qui viennent et nous espérons mener ce projet très rapidement.
S'agissant de l'audiovisuel extérieur, sur lesquels MM. Gouteyron et Assouline comme Mme Cerisier ben Guiga s'interrogent, j'y reviendrai en vous présentant un amendement du gouvernement qui, je l'espère, répondra à vos préoccupations.
II - Au-delà des questions d'architecture, il est clair que la contrainte la plus importante est la réduction des moyens alloués au ministère.
M. Vinçon, et d'autres parmi vous, ont ainsi marqué leur préoccupation quant aux conditions matérielles difficiles que connaît notre diplomatie. Autant le dire franchement : nous partageons votre inquiétude, non seulement pour 2006, mais aussi pour les années suivantes.
Ainsi, en 2006, la mission "action extérieure de l'Etat" serait en légère réduction de 0,8 %, sans les transferts en provenance des charges communes et les expérimentations nouvelles.
La masse salariale diminue - de 976 à 910 millions d'euros hors pensions - de même que les effectifs, M. Nogrix, merci de l'avoir signalé : le plafond des emplois passe de 16.955 à 16.720 équivalents temps plein (ETP), soit une réduction de 235.
Au cours des dix dernières années, le ministère a ainsi réduit ses effectifs de 11 %, en respectant scrupuleusement la règle du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux.
En parallèle, nous constatons aussi une réduction des moyens de fonctionnement. Le coût de structure du Quai d'Orsay est passé en six ans de 33 % du budget à moins de 25 %. C'est là un progrès tout à fait considérable, et je remercie MM. Gouteyron et Branger de l'avoir mis en évidence dans leurs rapports.
Par ailleurs, le volume des dépenses obligatoires réduit nos marges de man?uvre.
Les contributions obligatoires aux organisations internationales, en particulier celles destinées aux Nations unies et à ses opérations de maintien de la paix (OMP), s'établissent à 486 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2006, soit 34 % des crédits du programme 105, "Action de la France en Europe et dans le monde".
De même, les contributions du ministère à ses principaux opérateurs ont tendance à introduire de la rigidité dans l'emploi de ses ressources, comme certains d'entre vous l'ont relevé.
Je partage d'ailleurs leur souhait d'obtenir de nos partenaires au sein de TV5 une hausse de leur contribution, car la France acquitte à elle seule plus de 80 % du budget de cette chaîne qui, par ailleurs, remporte d'excellents résultats en termes d'audience. Mais je n'approuve pas, en revanche, la proposition d'amendement déposée par Mme Cerisier ben Guiga consistant à accroître la subvention du ministère au détriment de ses propres moyens. J'y reviendrai tout à l'heure.
S'agissant de RFI, permettez-moi de nuancer la perspective mentionnée par Mme Cerisier ben Guiga et M. Assouline d'économies que pourrait permettre la renégociation du contrat avec Télédiffusion de France (TDF), car tout dépend de l'aboutissement de cette négociation.
Quant à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, je souhaite vous rassurer MM. Ferrand et Del Picchia : nous estimons en effet que l'année 2006 ne devrait pas poser de difficultés, malgré le transfert de la compétence immobilière sur les établissements en gestion directe - 15 transferts sont prévus pour 2006 - et en dépit du prélèvement opéré sur le fonds de roulement de l'établissement, qui sera d'environ 57 millions d'euros fin décembre.
Soyez-en certains : nous veillerons à ce que l'agence puisse remplir sa mission, car elle est, à nos yeux, essentielle pour nos intérêts dans le monde. J'y reviendrai lorsque nous discuterons l'amendement de M. Gouteyron visant à augmenter la subvention de l'Etat pour 2006.
Enfin, je voudrais dire un mot sur la priorité que nous accordons, dans ce contexte budgétaire, à nos compatriotes à l'étranger.
Tout d'abord, le sénateur Cantegrit ne doit pas s'inquiéter du financement de l'aide sociale de la Caisse des Français de l'étranger (CFE), qui a reçu et recevra les crédits nécessaires à la prise en charge de la part qui revient à l'Etat. Ces crédits ont largement bénéficié de l'effet de change. Les critères d'attribution des aides sont établis avec équité, en rapport avec le coût de la vie locale comme le sont également les rémunérations de nos propres agents à l'étranger.
S'agissant ensuite du délicat problème des Français ayant cotisé à des caisses de retraite africaines, je réaffirme avec force la volonté de notre diplomatie de tout mettre en ?uvre pour obtenir des pays partenaires le paiement de ces engagements. J'aurai l'occasion d'en reparler lorsque vous examinerez la mission "aide publique au développement".
Enfin, je peux confirmer à M. Del Picchia que le gouvernement entend, par le biais d'un amendement dont nous discuterons dans un instant, prendre en compte les intérêts des Français de l'étranger.
S'agissant du vote électronique, je vous confirme que le marché vient d'être signé pour 1,4 millions d'euros et que nous avons bien l'intention de mettre en oeuvre ce système en juin 2006.
Quant à la fusion des listes, elle entre en vigueur le 1er juin 2006. La nouvelle liste consulaire unique sera opérationnelle pour la présidentielle de 2007.
III - Malgré ce contexte de contrainte budgétaire, le ministère des Affaires étrangères se modernise rapidement.
Les ressources sont tout d'abord diversifiées.
Nous avons décidé, au vu d'une étude comparative avec les autres ministères des Affaires étrangères, d'accroître notre investissement dans les systèmes de communication et d'information. Ce choix implique de plus fortes économies sur d'autres dépenses et s'accompagne d'une réflexion globale sur l'informatisation du ministère à l'horizon 2010.
S'agissant de l'immobilier, le ministère des Affaires étrangères s'est engagé dans une gestion plus dynamique que MM. Gouteyron et Branger ont bien voulu saluer dans leurs rapports et je les en remercie. Réduisant de plus de 50 % les crédits inscrits en Loi de finances, nous avons décidé d'autofinancer une partie des opérations par un recours accru aux ressources extra-budgétaires - produits de cession, fonds de concours - ainsi qu'aux partenariats public-privé.
Nous avons également choisi de participer à l'expérimentation des loyers domaniaux pour plusieurs implantations en France et à l'étranger.
Enfin, dans plusieurs autres domaines, nous avons demandé à nos services de faire preuve d'imagination et de mobiliser des ressources extra-budgétaires au service de l'action publique à l'étranger. Cela va dans le sens de la proposition de Mme Garriaud-Maylam de création de fondations pour la présence française.
C'est le cas dans le domaine consulaire, où, au-delà de l'amendement que je vous proposerai dans un instant, nous prévoyons de financer en partie en 2006 la mise en place des visas biométriques grâce aux frais de dossier payés par les demandeurs de visas. Vos rapporteurs ont exprimé leur soutien à cette orientation, et relevé qu'il importait d'affecter aux services des visas une part substantielle des recettes.
C'est aussi le cas dans le domaine culturel, où nos services encouragent l'auto-financement des centres culturels, celui des centres pour les études en France (CEF), mais aussi les co-financements à travers des partenariats de bourses et de recherche.
J'insiste sur le caractère vertueux de cette politique qui permet à la fois de financer nos actions et d'en tester l'attrait et la pertinence. La mesure de l'auto-financement sera d'ailleurs affinée en 2006 et un objectif chiffré sera assigné aux centres culturels, en Europe pour commencer.
Enfin, dans le domaine de l'enseignement du français à l'étranger, nous envisageons de réaliser en contrats de partenariat de nouveaux lycées français. Cinq projets ont déjà été identifiés par l'agence. Ce faisant, nous prenons bien en compte le souhait de Mme Garriaud-Maylam d'en appeler davantage à la contribution du secteur privé pour développer notre réseau de lycées français.
Mais nous le savons aussi, une modernisation efficace suppose un cadre budgétaire prévisible, ainsi qu'un intéressement sur les économies : c'est tout l'enjeu du contrat de modernisation en cours de négociation avec le ministre du Budget.
En contrepartie des efforts effectués sur 17 grands chantiers de modernisation, nous souhaitons obtenir des garanties portant aussi bien sur les moyens de fonctionnement que sur les moyens d'intervention. C'est à cette condition seulement que perdurera cette capacité de réaction et d'adaptation dont les agents ont su faire preuve face aux situations de crise de ces derniers mois.
Le deuxième vecteur de modernisation est l'adaptation de notre réseau consulaire et culturel en Europe.
Un effort résolu de rationalisation se trouve aujourd'hui mené, M. Branger le montre bien dans son rapport. Cela dit, comme l'a bien dit Mme Garriaud-Maylam, prenons garde de ne pas perdre en qualité de services pour nos usagers, qui sont aussi bien les Français de l'étranger que les étrangers désireux d'accéder à la culture française.
S'agissant de la taille et des moyens de notre réseau diplomatique, la problématique est différente : chaque jour, nous mesurons les bénéfices que nous apporte un réseau mondial dans l'accomplissement de nos missions et la poursuite de nos objectifs. Même si, je reconnais que vous avez raison, M. de Montesquiou, nous devons faire un effort particulier sur certaines régions d'Asie.
Enfin, troisième aspect de cette modernisation, le ministère des Affaires étrangères a besoin de plus de clarté pour le financement des contributions obligatoires, notamment celles dues aux Nations unies pour les opérations de maintien de la paix.
MM. Gouteyron et Branger ont déploré l'écart qui existe, une fois encore, entre les prévisions faites dans le projet de loi de finances et les probables réalisations. Ils insistent sur le caractère indispensable et urgent d'un rebasage de ces contributions. Nous partageons leur analyse. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons obtenu que la réévaluation de ces crédits, en base budgétaire, fasse partie du contrat de modernisation en cours de négociation avec Bercy. Ce rebasage interviendra à partir de 2007, et c'est pourquoi je serai conduite, tout à l'heure, à émettre un avis défavorable à l'amendement qui vous est proposé par votre Commission des Finances.
Je souhaite également qu'un accord intervienne, dans le cadre de ce contrat, sur un mécanisme permettant de couvrir les risques de change auxquels est exposé le ministère. Je peux confirmer à M. Gouteyron que nos services travaillent avec l'Agence France Trésor à la mise au point d'un dispositif qui pourrait être expérimenté dès 2006.
Enfin, nous souhaitons améliorer la mesure de notre performance et le contrôle des opérateurs, mais aussi conférer plus de visibilité à nos actions.
Votre rapporteur spécial de la Commission des Finances, M. Gouteyron, comme les rapporteurs de la Commission des Affaires étrangères, et M. Nogrix, émettent un certain nombre de critiques ou préoccupations à l'égard du dispositif de mesure de la performance qui mériterait d'être enrichi. Je ne suis pas surprise par cette critique, dans la mesure où il s'agit là d'un exercice nouveau, et s'agissant de l'action diplomatique, particulièrement délicat. Nous tiendrons compte, dans toute la mesure du possible, de leurs remarques et de leurs propositions dont je les remercie.
Au-delà, pour appliquer ces indicateurs aux opérateurs qui mettent en ?uvre les crédits de ce ministère, nous entendons en renforcer la tutelle : nous entendons signer progressivement avec chacun d'entre eux un contrat d'objectif du même type que celui en cours de finalisation avec l'Agence française de Développement.
Enfin, la gestion de l'action extérieure de la France sous contrainte budgétaire stricte nous oblige à faire un effort tout particulier de visibilité. C'est vrai dans le domaine de l'action culturelle. Mais il en ira de même dans le domaine de la mobilité universitaire et auprès des institutions multilatérales.
En conclusion, je dirais que ce projet de budget du ministère des Affaires étrangères est à bien des égards ambitieux : nos missions sont croissantes, dès lors que le Quai d'Orsay se trouve confronté à des crises graves de plus en plus nombreuses. Nos moyens, en revanche, ne cessent d'être contraints, limités, resserrés.
Aussi, je veux le souligner devant vous avec une certaine gravité : des choix lucides et courageux devront être faits, afin de garantir l'avenir de ce ministère dont nous attendons beaucoup et qui donne déjà tant. Si nous voulons, demain, continuer d'avoir une diplomatie ambitieuse et respectée dans le monde - et je remercie M. Vinçon pour son témoignage à ce propos -, nous devrons nous en donner les moyens et assumer ce choix en toute transparence. Il en va en effet de l'influence de notre pays dans le monde. A nous tous ensemble d'être à la hauteur du défi ainsi posé à notre pays.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 décembre 2005)