Interview de M. Hervé Morin, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, dans "Acteurs publics" de décembre 2005, sur la loi de séparation entre les Eglises et l'Etat de 1905.

Prononcé le 1er décembre 2005

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Média : Acteurs publics

Texte intégral

Q - La réponse des Français à notre sondage le prouve : la laïcité est avant tout vécue comme un concept de liberté davantage que d'interdiction. Cela vous surprend-t-il ?
R - Non, ça ne me surprend pas. C'est vrai que l'on aurait pu penser qu'il y aurait des conceptions plus combattantes de la laïcité qui émergent. Mais les réponses à votre sondage montrent que la situation est apaisée et c'est une bonne chose.
Q - Les Français sont majoritaires à penser que la laïcité est menacée, plus encore qu'en 2003. Quels périls menacent selon vous la laïcité en France ?
R - Je ne suis pas du tout convaincu qu'il y ait une menace sur la laïcité en France aujourd'hui. Simplement, nos compatriotes vivent une période troublée et se disent qu'elle ne sera pas sans conséquences. Certes, nous assistons à une certaine montée en puissance du communautarisme. Mais ces phénomènes de repli religieux sont surtout dus au fait que ces personnes ne se sentent pas intégrées. Le communautarisme, c'est un repli. Parce que quand la France ne nous fait pas de place, on retourne dans les cellules de base. Cela peut-être la religion pour certains. Il faut donc prendre des mesures rapides pour remédier à cette situation.
Q - Quels types de mesures ?
R - Il faut avant tout relancer la croissance dans le pays, parce que c'est la clé de tout. Ensuite, il faut faire de la place à ces jeunes, notamment en luttant contre les discriminations. Il faut mener une véritable politique de l'égalité des chances telle qu'elle n'est pas aujourd'hui mise en ?uvre.
Q - Diriez-vous que les violences urbaines ont provoqué un sursaut au sein de la classe politique ?
R - Je dirais qu'il y a une prise de conscience, mais pas de sursaut. Pour parler de sursaut, il faudrait mettre en ?uvre des mesures de long terme, et non un catalogue de mesurettes comme il nous a été proposé depuis quinze jours.
Q - Pour en revenir à la laïcité, vous ne pensez donc pas qu'il faille une réforme ou des ajustements de la loi de 1905 ?
R - Absolument pas. Ce serait rentrer dans des guerres inutiles. La France a assez de combats à mener comme cela pour ne pas se lancer dans de nouvelles batailles.
Q - Pourtant, l'inquiétude des Français n'est pas feinte. Est-ce à dire que la loi du 15 mars 2004 sur le port des signes religieux à l'école n'a pas permis de consolider le principe de laïcité en France ?
R - Cette loi ne change rien par rapport à la circulaire Bayrou (ndlr : circulaire de 1994 prônant l'interdiction du port de signes ostentatoires dans les écoles publiques). C'était donc davantage une loi d'affichage et de réaffirmation du principe de laïcité. Quant à l'inquiétude des Français, je pense qu'elle est avant tout conjoncturelle.
Q - Dans quel esprit souhaitez-vous que soit célébré le centenaire de la loi de 1905 ?
R - Je souhaite qu'on la joue modeste. On est très fort pour les commémorations, mais il s'agit de faire vivre le concept de laïcité aujourd'hui. Or je pense que c'est un concept très moderne, parce que c'est un principe de tolérance qui permet de vivre sa religion en toute sérénité, du moment que cela se fait dans la sphère privée.
Q - Que pensez-vous des propositions faites en son temps par la commission Stasi d'instaurer deux jours fériés supplémentaires pour l'Aïd-el-Kebir et le Kippour et d'enseigner le fait religieux à l'école ?
R - L'enseignement religieux, pourquoi pas, mais est-ce bien nécessaire ? Il y a déjà tant de choses à apprendre à l'école, faut-il encore davantage charger les programmes ? Quant aux deux jours fériés, c'est idiot, parce que ce serait vécu comme une agression par toute une partie de la population. Encore une fois, je pense qu'il faut prendre garde à ne pas ouvrir de guerres inutiles.Propos recueillis par Aurélie Seigne