Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, à "RTL" le 28 juin 2005, sur son refus de se rendre à Matignon à l'invitation du Premier ministre, sur l'alternative représentée par son parti pour les prochaines échéances électorales.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


Jean-Michel APHATIE : Bonjour Jean-Marc Ayrault. Vous essuyez beaucoup de critiques dans la presse ce matin après avoir refusé de vous rendre à Matignon hier avec François Hollande, au motif que Dominique de Villepin avait également invité les responsables du Front National pour parler de l'Europe. On vous reproche au choix, d'avoir cherché à faire parler de vous, ou bien de ne pas avoir grand chose à dire sur l'Europe. Confesseriez-vous ce matin Jean-Marc Ayrault une erreur de jugement ?
Jean-Marc AYRAULT : Qu'on parle de nous, ça ce n'est pas une surprise. Le principal parti de l'opposition, donc j'espère qu'on continuera à parler de nous.
Q - C'était un coup politique, c'est ce qu'on vous reproche.
R - C'est un petit rappel, une petite piqûre de rappel quand même, parce que, en 2002, il fallait tout faire pour battre Le Pen. On a même été obligé de voter Jacques Chirac. Moi je vous le dis franchement je l'ai fait sans conviction. Je l'ai fait parce qu'il fallait un geste fort, comme l'ont fait plus de 80 % des Français, pour dire non à Le Pen. Et puis tout d'un coup, on le banalise là. Je rappelle que Jacques Chirac avait refusé de débattre à la télévision au deuxième tour, comme ça s'est toujours fait à la Présidentielle avec Monsieur Le Pen. Donc, tout d'un coup là, on retrouve qu'on peut dialoguer normalement avec lui, comme avec tous les partis politiques. Nous avons simplement fait ce petit rappel. Au-delà de ça, je dirais : à quoi a servi cette rencontre à Matignon pour la relance du projet européen ? Je pose la question...
Q - Mais c'est démocratique de consulter les partis politiques. Vous l'avez fait avant, et quelquefois vous le réclamez même.
R - Oui mais je vais vous dire une chose. Ce qui est démocratique, c'est que le Parlement puisse pleinement jouer son rôle. Et Monsieur de Villepin, c'est le Premier ministre, il n'était même pas au Conseil européen. C'est-à-dire qu'on a des institutions qui sont surréalistes. On a un président de la République qui représente la France à Bruxelles lors des sommets européens. Il n'a de comptes à rendre à personne. Le Premier ministre n'y va pas, ne représente pas la France, et c'est lui qui consulte. Je vous rappelle quand même que nous avons eu un débat, à la demande des socialistes, le 15 juin juste avant le sommet au Parlement, à l'Assemblée nationale. Je me suis exprimé au nom des socialistes. On nous a octroyé dix minutes, et puis nous avons eu une réponse d'une demi-heure du Premier ministre. Et puis la semaine dernière j'ai réinterrogé à nouveau le Premier ministre pour savoir ce qu'avait fait le président de la République à Bruxelles. Nous avons fait plein de propositions pour la relance du projet européen. Pour l'instant je ne vois rien venir. J'ai l'impression que la France est absente.
Q - Pour en finir avec le Front National, Alain Duhamel le disait d'un mot : et puis tout à l'heure Patrick Cohen aussi le disait : sur les plateaux de télé, vous débattez avec les responsables du Front National.
R - Mais écoutez il ne s'agit pas de diaboliser quiconque.
Q - C'est ce que vous avez fait hier.
R - Il faut traiter les problèmes et aujourd'hui, on a un gouvernement qui est pratiquement le même que le gouvernement précédent à la seule différence c'est qu'il y a un nouveau Premier ministre, Monsieur de Villepin, dont on attendait monts et merveilles. Mais aujourd'hui, Monsieur de Villepin me fait penser à 'L'Albatros" de Baudelaire, majestueux en vol, et puis empêtré dans ses ailes lorsqu'il revient sur terre. Et aujourd'hui, Monsieur de Villepin est sur terre, et qu'est-ce qu'il voit ? Il voit la France en déficit, il voit le chômage qui continue d'augmenter, il est incapable d'agir. On attendait un souffle, on attendait un peu d'espoir, et puis finalement on retombe dans la routine du sauvetage à tout prix d'un régime en fin de règne.
Q - Vous voyez ce que c'est la politique, je vous parle du Front National, et vous, vous me parlez de "l'Albatros", l'albatros Villepin.
R - Non je vous parle de la France.
Q - Justement, il y a un mois qu'il est là, les commentaires sont plutôt positifs sur Dominique de Villepin, "plutôt habile... concret", alors qu'on pensait qu'il était un peu trop poète pour diriger le pays. Un mois après, ce jugement plutôt positif sur Dominique de Villepin. Il vous embarrasse peut-être en fait.
R- Plutôt positif de qui ? Des commentateurs.
Q - Oui, des commentateurs, de ses amis politiques, qui peut-être n'en attendaient pas tant. Il n'est pas malhabile peut-être Dominique de Villepin.
R - Alors cent jours pour réussir.
Q - Il y a un mois qu'il est là.
R - Il connaît bien la formule des cent jours puisqu'il a même écrit un livre sur les cent jours. C'est quand même un rappel historique. Ça s'est mal terminé. Aujourd'hui c'est déjà morne plaine, mais j'ai peur que ça se termine en Waterloo. Waterloo pour la France parce qu'il faudrait?
Q - Vous avez plein de formules ce matin.
R - J'ai des formules, ce n'est pas des formules, je m'adresse à Monsieur de Villepin pour démontrer que, finalement, il est impuissant. Il est impuissant parce que nous vivons une crise de régime. Ce n'est pas simplement une crise politique avec la fin de règne de Jacques Chirac. Nous vivons une crise de régime. Les Français ont le sentiment que la France perd son rang. Que dans ce contexte, ils ne voient pas leur propre avenir. Que l'ascenseur social pour beaucoup de Français est en panne. Qu'ils n'ont plus confiance dans le projet français, et en même temps qu'ils n'ont plus confiance dans le projet européen qui pouvait être une perspective aussi pour eux. Et c'est ce qui explique en partie l'échec du référendum du 29 mai.
Q - Mais vous dites qu'il est impuissant, mais il vient d'arriver. Il propose un plan de lutte contre le chômage, vous commencerez à en parler cet après-midi à l'Assemblée nationale.
R - Non, nous ne commencerons pas à en parler. Nous allons débattre des ordonnances. C'est-à-dire que le gouvernement a décidé de légiférer tout seul sur un certain nombre de mesures, et qui concernent essentiellement le Code du Travail, puisque vous savez qu'il envisage de mettre en place un nouveau contrat de travail, avec une durée d'essai - vous vous rendez compte pour les salariés - de deux ans. Moi j'ai testé dans mon propre département, dans ma ville de Nantes, ce qu'en pensaient notamment les jeunes. Je dois vous dire qu'ils ressentent ça très douloureusement...
Q - Mais si des employeurs pour embaucher, si ça crée des emplois, c'est une bonne chose pour le pays.
R - On nous a dit ça tout le temps.
Q - Vous aussi vous avez pu le dire dès fois, on cherche tous les réponses depuis longtemps.
R - Monsieur Aphatie, depuis trois ans ce gouvernement est en place. On en est plus aux questions. On en est plus aux petites mesurettes. Où sont les mesures de relance de la croissance ? De relance de l'investissement ? De relance du pouvoir d'achat ? Il n'y a rien. Le ministre des finances a reconnu que les hypothèses de croissance devaient être revues à la baisse. Nous, nous avons demandé un audit des finances publiques. Nous demandons que la Cour des Comptes fasse un état des lieux, précis. Qu'ensuite il y ait un débat au Parlement sur la réalité des comptes de la France, et en particulier la dette, les déficits de l'Etat, les déficits des comptes sociaux - et on voit sur l'assurance-maladie qu'ils sont en train d'augmenter alors qu'on nous avait promis qu'ils allaient baisser - Et puis nous demandons un collectif budgétaire, avec des mesures qui permettront par exemple de doubler la prime pour l'emploi parce qu'il faut donner du pouvoir d'achat aux ménages les plus modestes, pour relancer la machine économique, mais aussi un plan d'investissement industriel.
Q - Vous êtes prêts à gouverner alors ! En vous écoutant, on se dit : tiens, eh bien voilà. On n'a pas toujours cette impression hein Jean-Marc Ayrault.
R - Non mais moi c'est ce qui m'intéresse. C'est que je crois profondément que les Français ont besoin d'une nouvelle ère, d'un nouvel espoir à remettre la France en mouvement.
Q - Et les socialistes sont prêts ?
R - Ils ne sont pas complètement prêts, mais c'est pourquoi il ne faut pas perdre de temps et concentrer notre effort au moment du congrès sur cette question essentielle. Quel est le message que nous allons adresser aux Français ? Plutôt que les querelles et les compétitions de personnes.
Q - Mais ce sera ça votre congrès. Tout le monde le sait, ce sera une querelle de personnes.
R - Nous choisirons fin 2006, début 2007, notre candidat, mais en attendant il faut dire aux Français quel est notre projet pour la France, et quel est notre projet pour l'Europe. Et concrètement, pour que chacun s'y retrouve. Et je pense en particulier à la jeunesse qui aujourd'hui voit l'avenir avec pessimisme. Et quand dans un pays, la jeunesse majoritairement voit l'avenir avec pessimisme, il y a quelque chose qui ne va pas et c'est là qu'il faut agir.
Q - C'est vous qui en avez parlé Jean-Marc Ayrault choisir un candidat socialiste pour la prochaine élection présidentielle.
R - Fin 2006, début 2007.
Q - Ça pourrait être par hypothèse quelqu'un qui a appelé à voter "Non" au référendum ?
R - Écoutez ce qui compte, c'est que ce soit celui qui incarne le mieux les conditions de l'alternance, qui crée la confiance du parti socialiste et du rassemblement de la gauche. Et là je peux vous dire qu'il y a beaucoup de travail à faire parce qu'il faudra, à la fois être audacieux, assumer notre réformisme pour le XXe siècle, c'est-à-dire pas simplement refaire ce que nous avons fait il y a quelques années, le faire pour la France et pour l'Europe. Et puis en même temps, il faudra être réaliste, c'est-à-dire qu'on n'est pas simplement le parti de la parole, on est le parti de la transformation, de la vie des Français, pour leur redonner confiance dans leur avenir.
Q - Donc ça peut être quelqu'un qui appelle à voter "Non".
R - Ça peut être l'un, ça peut être l'autre, on verra ou l'une ou l'autre.
Q - Il n'y a pas d'exclusive.
R - Mais moi je n'ai aucune exclusive vis-à-vis de personne. Ce qui compte c'est le résultat, c'est-à-dire permettre aux Français d'avoir le choix, et ne pas se retrouver dans la situation de 2002 parce que ça, c'est quand même un très mauvais souvenir !
Q - Jean-Marc Ayrault, qui a comparé Dominique de Villepin à "l'Albatros", il fallait le faire, était l'invité d'RTL ce matin. Bonne journée.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 29 juin 2005)