Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à LCI le 20 décembre 2005, sur la présence de la police dans les établissements scolaires, le débat budgétaire et la dette publique, et le financement de l'Union européenne.

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Média : La Chaîne Info

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Q- Est-ce que l'ancien ministre de l'Education nationale que vous êtes approuve et applaudit les mesures annoncées par votre ami, G. de Robien, pour palier la violence dans les établissements, et notamment, la permanence police-justice dans ces établissements ?
R- Tout ce qui est éducation civique conduit par des fonctionnaires de sécurité, de police ou de justice, on peut le comprendre. Mais pour moi, l'idée que l'on résoudrait les problèmes de violence dans les établissements scolaires en mettant des policiers dans chaque établissement, est une idée vaine. Il n'y aura jamais assez de policiers et ce n'est pas du tout le chemin à suivre. Tout cela risque ou risquerait, si on le menait à son terme, de coûter très cher. Mais une nouvelle fois, cela risque d'être des annonces qui ne seront pas suivies. La véritable question, pour ces situations de violence, c'est de savoir si on dispose de parcours à offrir à ces élèves déstabilisés et déstabilisants à
l'extérieur des établissements scolaires.
Q- Vous-même, quand vous étiez ministre de l'Education nationale, vous aviez fait un partenariat police-justice-gendarmerie...
R- Vous vous souvenez peut-être qu'à l'époque, il y avait une polémique, parce que j'avais refusé l'idée qu'il y ait de la police dans tous les établissements scolaires. Je ne crois pas que ce soit le chemin. Ce sont des réponses qui, au premier abord, sont sympathiques, qui vont dans le sens de l'émotion, mais quand on les examine : il y a 8.000 établissements scolaires en France. Et comme tout le monde l'a dit, ce drame est arrivé dans un établissement qui n'était pas à un degré de violence repérée. Il faut que les enseignants puissent signaler les situations de risque et que des décisions puissent être prises, qui ne soient pas des décisions définitives mais qui permettent de faire qu'un élève en situation déstabilisée soit placé dans une structure dans laquelle il trouvera de vraies réponses. L'idée que des portiques avec des détecteurs de métaux, des policiers dans chaque établissement serait la réponse, est une idée, qui, à mon sens, n'a pas de réalité.
Q- Parlons un peu de ce budget qui arrive en phase finale, voté aujourd'hui. La majorité, si je ne me trompe, des députés UDF, va voter "non". Vous allez jusqu'à dire, dans votre critique, que ce budget est "insincère", ce qui est une critique grave.
R- Il est insincère, tout le monde le sait, sans aucune exception. Les principaux animateurs de la discussion budgétaire, responsables de la Commission des finances et rapporteurs l'ont dit à l'Assemblée nationale. Il annonce que les dépenses vont augmenter de 1,8 % et elles vont augmenter de près de 5 % ! C'est dans le rapport, donc tout le monde la sait. Mais le plus grave de cela, c'est que le Premier ministre est venu à la télévision cette semaine, pour dire que maintenant, il allait lutter contre le déficit, contre la dette. Or on vote ces jours-ci un budget qui laisse s'accumuler quelque chose comme 50, et en réalité, 60 milliards d'euros de déficits et de dette supplémentaires. Vous voyez qu'il y a une incroyable contradiction, dans les heures mêmes, entre
l'annonce vertueuse que l'on va lutter contre les déficits et la dette, et la
réalité des décisions prises qui laissent s'accumuler le déficit et la dette.
Q- Hier, le Premier ministre a d'une part dressé le bilan de ces derniers mois à Matignon, et il a annoncé que l'année 206 devait être une "année utile". Estimez-vous que son bilan est positif, au regard, par exemple, de la baisse du chômage ?
R- Si c'était des créations d'emplois supplémentaires, je dirais que c'est bien, même en nombre limité. Mais on est très loin de tout cela, vous le savez. La création d'emploi ne bouge pas...
Q- Il y a des mesures qui ont été prises par ce Gouvernement...
R- Il y a deux raisons à la baisse du chômage. La première, c'est que l'on a rayé beaucoup de chômeurs de l'ANPE qui sont passés au RMI - et je ne trouve pas que ce soit un progrès pour l'emploi. Et deuxièmement, en effet, on a repris la politique des socialistes pour les emplois aidés et cela a créé un certain nombre d'emplois. Mais de vraies créations d'emplois de l'économie française, de vrais emplois durables des entreprises, là, on est à encéphalogramme plat.
Q- Donc vous diriez que c'est un bilan négatif ?
R- Non, je ne condamne pas. On peut avoir des discussions civiques sans être forcément en situation de condamnation...
Q- En revanche, pour l'année 2006, de votre point de vue, qu'est-ce qui pourrait la rendre "utile", si vous étiez à la place de D. de Villepin ?
R- L'année 2006 serait utile si elle traitait les problèmes qui se posent au pays en profondeur, et notamment, le premier d'entre eux, massif, c'est la dette. Le deuxième d'entre eux, on vient de l'évoquer, c'est l'espèce d'enlisement de la France, aussi bien économique que dans d'autres domaines - on vient de le voir avec les banlieues. Mais à mon sens, il y a très peu de chance que cela se produise, parce qu'on est en année préélectorale et que la guerre de succession fait rage sous les apparences. Donc je doute un peu que cette année puisse être une année qui traite en profondeur les problèmes de la France.
Q- Evoquons un autre budget, c'est celui du budget européen. Les Européens ont réussi à s'entendre sur un compromis. Estimez-vous que le Parlement européen doit revenir sur l'accord passé par les 25 pour augmenter ce budget, et revenir, par exemple, au compromis imaginé par la présidence luxembourgeoise, avec 10 milliards supérieurs au budget qui a été trouvé ?
R- Je ne doute pas, en tout cas, que le niveau du budget européen soit une question pour l'Europe. Prenez la richesse créée en Europe, prenez 100 euros de richesse : en France, les budgets publics dépensent 53 de ces 100 euros - 53, plus de la moitié ! Le seul budget de l'Etat dépense 17 euros. Et le budget européen, c'est 1 euro. Et cette disparité incroyable entre l'action nationale et l'action européenne fait donc que l'Europe ne peut pas faire face à ses obligations. Or nous sommes, la France, parmi les Etats, qui ont insisté, à force de pressions, pour que le budget européen soit limité dans des zones extrêmement basses. Il ne faut pas s'étonner qu'il ne puisse pas faire face à ses obligations.
Q- Néanmoins, après avoir réussi tout de même à trouver un compromis, le président de la République a annoncé qu'il allait prendre des initiatives audacieuses pour rendre l'Europe plus
démocratique...
R- C'est un besoin.
Q- Faut-il revenir au corpus institutionnel du projet de Constitution ?
R- Peut-être en le dépouillant de ce qu'il avait de trop lourd, alourdit pas des textes qui, selon moi, n'avait pas grand-chose à y faire. Mais faire de l'Europe une démocratie, cela va avec donner à l'Europe les moyens de son action. Une partie des raisons qui font que les opinions publiques et les pays se méfient de ces institutions européennes, c'est qu'elles sont trop bureaucratiques. Et donc toute initiative qui ira dans le sens de faire de l'Europe quelque chose de plus transparent, démocratique, simple, sans qu'il y ait besoin de s'encombrer des paperasseries avec lesquelles on vit, ira dans le bon sens. Est-ce qu'on va pouvoir le faire ? Là encore, scepticisme...
Q- Est-ce que vous faites confiance à J. Chirac pour utiliser les derniers mois de son mandat pour prendre ces initiatives ?
R- Je trouve que ce devrait être sa ligne de conduite. Il y a des commentaires extrêmement déplaisants qui sont faits sur lui, des sondages qui, en raison de la manière dont la question est posée, lui donne 1 %, ce qui naturellement est très loin de la réalité. Je n'ai pas de conseil à donner, mais il me semble que le président de la République devrait profiter de sa dernière année et demi de mandature, pour dire un certain nombre choses qu'il n'a peut-être pas dites jusqu'à maintenant et pour prendre des initiatives plus libres que celles qu'il a pu prendre jusqu'à maintenant. Je le souhaite et nous allons voir si les mois qui viennent s'y prêtent. Là aussi, on peut avoir des points d'interrogation...(Source: Premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 décembre 2005)