Déclaration de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur son soutien à la campagne des Verts pour les élections municipales à Paris, le 16 janvier 2001.

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Circonstance : Campagne pour les élections municipales à Paris le 16 janvier 2001

Texte intégral

Je suis contente d'être avec vous ce soir pour ce second rendez-vous de la campagne des Municipales à Paris. Merci aux organisateurs, Yves Contassot, tête de liste dans la capitale, et Denis Baupin, tête de liste dans le 20ème et en charge de la question des transports, de m'avoir invitée. Ils savent que j'aime ces ambiances, un peu électriques, de débat électoral. Merci à vous toutes et tous d'être là !
La campagne que mènent ici les Verts est particulièrement observée, attendue, commentée : parce que c'est Paris justement ; et parce que nous sommes depuis quelques mois dans un contexte politique global un peu agité.
Aux yeux de nos concitoyens, va (peut être) se jouer en mars la fin d'une époque, et s'amorcer une perspective nouvelle.
Je partage bien sûr cette intuition.
Pendant un quart de siècle, des tendances lourdes et des enjeux de fond se sont mêlés à Paris.
La mondialisation du commerce et l'agressivité envahissante de la finance, ont concentré ici des masses incroyables de richesses.
Il suffit de voyager - et en premier lieu dans le Sud de la planète - dans les pays de l'Est européen, ou même dans le bassin minier du nord Pas de Calais ou sur les plateaux de la Lozère pour prendre la mesure de ce qui a été drainé au centre de Paris comme fortunes et comme signes extérieurs de la puissance.
Depuis les années 70, l'obsession des classes dirigeantes et des milieux d'affaires, a été de maintenir le rang de Paris par rapport aux grandes places financières concurrentes dans le monde. Au point de s'inventer le mythe, terrifiant pour elles-mêmes, d'un arc de puissance allant de Londres à Milan via Frankfort et qui contournerait l'Ile de France !
Le modèle de la mégapole ultra-performante dans l'archipel des cités-maîtresses du monde, a ainsi été cultivé dans toutes les écoles d'ingénieurs et de commerce.
Il imprègne profondément, jusqu'au cur, la classe politique, les grands corps de l'Etat et les administrations !
Le credo, c'était, et c'est encore : davantage d'équipements lourds ; plus d'aéroports, d'autoroutes, de pénétrantes, de palais des congrès..., pour accueillir l'homme d'affaires, favoriser le " toujours plus vite ", le " toujours plus fluide ", le " toujours plus loin "...
L'imagination, pour ne pas dire la mégalomanie de l'Etat, ont été largement mises à contribution : la politique culturelle fut concentrée sur de grands travaux pour remodeler la ville ; et sur des événements sportifs ou commémoratifs retransmis sur toute la planète.
La Défense + la Coupe du Monde + le Louvre + les Galeries Lafayette, voilà les principaux arguments qui figurent sur les catalogues des tours opérators vantant Paris comme première destination touristique mondiale !
Chacun est évidemment libre d'apprécier ou de détester telle ou telle réalisation, tel ou tel monument, tel ou tel équipement, produits par ce modèle et cette époque.
Mais je crois que l'ensemble, fondé sur la compétition, la course au profit, au prestige et au luxe, ne correspond ni à l'intérêt général, ni à l'idée que les écologistes se font d'une ville durable.
Notre idéal de ville à nous, notre idéal de capitale, est moins agressif, plus décontracté, moins uniforme ; il implique plus de diversité, plus de coopération, d'ouverture avec le Sud, avec les régions de France ou d'Europe.
Le prestige qu'il s'agit de redonner à Paris, c'est celui qui s'attache à sa capacité historique à accueillir les hommes libres du monde entier, à partager sa curiosité intellectuelle, son audace artistique et son savoir, à prendre de l'avance dans celles des sciences et techniques qui font avancer le bonheur de la planète.
Nous connaissons, le prix à payer pour cet amassement de richesses, pour le développement de cette sorte d'efficacité urbaine calculée sur le court terme ! Il a été particulièrement lourd ; et il le restera longtemps encore.
Les conséquences des décisions irrationnelles d'hier, les traites impayées, de cette période sont au cur de cette campagne municipale.
Alors même que le chômage jetait à la rue des dizaines de milliers de personnes, quartier(s) après quartier(s), la machine spéculative est passée sur Paris.
Systématique. Impitoyable. Sans égards ni pour le patrimoine architectural et culturel, ni pour la diversité sociale - et sans un mot évidemment pour les équilibres écologiques ou environnementaux dont la simple évocation passait alors pour une grossière ringardise ou pour un témoignage flagrant d'inadaptation sociale.
Le 20ème et le Nord Est de Paris, (mais la colline du 13ème pourrait leur faire écho) en savent quelque chose.
Le bureau a chassé l'atelier et parfois ce qui restait d'usine. L'accès à la propriété a réduit à la portion congrue le logement locatif, ne parlons même pas des HLM ! La grande surface aux portes de Paris a coulé le petit commerce...
Dans une folie aujourd'hui encore incroyable, l'automobile, en bordure de fleuve ou de canal, a fait fuir le pêcheur, le flâneur, l'amoureux, le peintre....
Maintenus ici ou là dans des poches provisoirement préservées de cette fuite en avant, les plus pauvres ont traversé le périphérique, nouvelles fortifications-témoin du mal vivre urbain et de la discrimination.
Mais, à des degrés divers, tous les parisiens ont eu à subir les impacts négatifs de ces bouleversements considérables.
La difficulté à respirer, les affections liées à la pollution, le désarroi des enfants et la solitude des personnes âgées, le temps perdu dans les embouteillages, l'insécurité routière, l'insécurité tout court, la difficulté à se déplacer quand on est handicapés : bien sûr, tout cela ne frappe pas également les uns ou les autres, mais tout le monde en subit les conséquences...
A une telle échelle, un héritage urbain aussi négatif, un passif aussi fort, n'ont pas en Europe (d'autres) équivalents à Londres et peut être Rome...
Ils appellent un projet global de reconstruction progressive des équilibres fonciers, sociaux, écologiques.
Ne nous y trompons pas : il a fallu 25 ans pour produire la situation où nous sommes ; il en faudra autant pour commencer à remonter la pente.... Il y a donc urgence...
Vous l'avez, vous, bien compris : il ne s'agit pas de continuer la fuite en avant, en rajoutant un petit zeste d'écologie au brouet indigeste auquel nous sommes habitués.
Marie-Pierre et Denis l'ont bien montré : il n'est guère possible de concevoir des politiques publiques écologiques sans peser sur toutes les autres en même temps.
Nous sommes heureux, alors qu'on a fait l'inverse pendant 40 ans, d'entendre nos concurrents dire qu'il faut réduire la place de l'automobile pour réduire la pollution : voyons voir de combien, comment et dans quels délais.
Nous ne boudons pas notre plaisir non plus quand ces bonnes intentions s'accompagnent également de l'intention de diversifier les modes de transports collectifs, de les rendre plus fréquents, plus agréables, plus sûrs, plus accessibles aux plus handicapées. Là encore, voyons quoi, quand, de où à où, et surtout si cette bonne volonté intègre tout ce qui concerne les transports de marchandises, les livraisons...
Mais nous commençons à nous sentir beaucoup plus seuls, quand il s'agit d'aller à la racine : qui dira avec les Verts que, dans une agglomération de douze millions d'habitants, une politique innovante des transports n'a de sens que si les communes agissent les unes avec les autres ?
Que si elles maîtrisent ensemble le marché locatif et l'habitat social ?
Que si elles agissent de façon concertée, et non pas n'importe comment dans une logique de concurrence, pour implanter intelligemment les activités économiques, les grandes surfaces, les activités sportives ou les services publics ?
Sur tous ces sujets, la responsabilité et le rôle de l'Etat sont bien sûr considérables :
Le gouvernement de la majorité plurielle, a d'ores et déjà engagé une inflexion de la politique des transports et de l'urbanisme. Elles ne sont pas aussi importantes que je l'aurais souhaité ! Mais elles doivent beaucoup aux Verts et aux nouvelles attentes de l'opinion. Elles ne sont hélas pas assez connues.
Elles se traduisent par exemple par un début de priorité donné aux transports en commun pour les déplacements urbains, et aux modes non routiers pour le transport de marchandises dans le schéma national de service transports.
Elles se manifestent dans les Contrats de Plan Etat-Régions par de premiers efforts en faveur des investissements ferroviaires.
En Ile de France, comme cela a été noté, et grâce à l'action des Conseillers Régionaux Verts, les actions retenues en faveur des transports en commun représentent 2/3 des crédits consacrés aux transports, cas, je crois, unique en France.
Ces inflexions s'inscrivent aussi dans certains aspects de la loi dite de Solidarité et renouvellement urbain qui fixe désormais des règles plus strictes de répartition du logement social.
Elles se concrétisent enfin dans les dispositifs des lois nouvelles concernant l'intercommunalité, et qui tendent à encourager, notamment à travers l'outil fiscal, des coopérations plus fortes en matière de développement économique ou d'environnement.
Vous dire que tout cela va assez loin, cela serait difficile pour moi ! Vous savez par exemple les difficultés qu'ont rencontrées les Verts il y a quelques mois : nous proposions alors, tout en compensant les dépenses supplémentaires pour les plus pauvres, de ne pas baisser trop vite le TIPP sur l'essence !
Vous savez aussi la discussion qui s'engage à propos de la construction d'un 3ème aéroport en Région Parisienne...
Tout n'est donc pas facile, et la pression est très forte pour qu'on relâche les efforts.
Je me bats en permanence contre cette fuite en avant qui consiste à créer sans cesse de nouvelles routes pour répondre à l'augmentation des trafics et permettre la poursuite de l'étalement urbain, qui à leur tour, produiront de nouvelles demandes de déplacements.
C'est par exemple une des raisons pour lesquelles je m'oppose fermement, pour l'instant avec succès, aux demandes de doublement de l'A1O et de l'A13, et aux solutions de type " péage urbain " alors qu'il faut miser sur la solidarité et des solutions de fond...
J'invite également à ne pas être aveuglé par toute la propagande autour de l'automobile dite propre que fait le lobby des constructeurs ! Elle vise à réduire à néant nos efforts pour un autre type d'urbanisme et de déplacement en ville...
Mais cette action des pouvoirs publics nationaux, et singulièrement des Verts au sein du gouvernement, trouve aussi dans votre région des limites ; La cause de ces limites réside dans les réticences, parfois même l'opposition ou le sabotage, de la plupart des villes de droite.
Arc-boutées sur leurs privilèges, peu soucieuses de la solidarité, il n'est guère de domaine dans lesquels elles ne traînent les pieds...
Au premier rang de celle-ci, la ville de Paris, égoïste parmi les égoïstes, fermée sur la banlieue ; elle a été incapable par exemple de contribuer au moindre effort dans le cadre de la journée sans voiture ; plus grave encore, elle a refusé de prendre une part significative aux objectifs pourtant raisonnables du Plan de Déplacement Urbain....
Je voudrais dire ici, qu'un aspect lourd de l'héritage et du passif que nous avons à gérer, c'est le mode d'administration municipale dans la capitale :
A vrai dire, je crois même que c'est la principale pollution parisienne.
Alors, j'ai lu ici ou là que les Verts, au lieu de passer leur temps à dénoncer les affaires de la Ville de Paris, feraient mieux de mettre l'accent sur leurs propres propositions....
Cette accusation est étrange, et pour tout dire scandaleuse.
Pour ce qui est des propositions et du programme des Verts, il me semble que la rencontre de ce soir, et celles qui vont venir, montrent la minutie avec laquelle ils ont été élaborés, et cela en liaison avec les associations et les mouvements concernés.
Les priorités sont claires, détaillées, inscrites dans le temps, chiffrées ; on peut les comparer avec la structure actuelle des dépenses et surtout des gaspillages. Elles ne se réduisent pas à des voeux pieux, à de vagues intentions de préau électoral : elles forment un projet innovant, crédible, inscrit dans le quotidien des parisiens.
Pour ce qui des affaires, celles de Paris d'ailleurs comme les autres, une mise au point s'impose :
Yves Contassot, n'est pas Zorro (il n'a de Don José que l'insolente petite moustache !) et les Verts ne sont pas des justiciers !
A l'opposé des démagogues qui font sur le thème du " tous pourris ", nous voulons au contraire redonner de la dignité et du sens à l'engagement public !
Les événements qui font la une des journaux ne discréditent pas la politique en général.
Ils mettent plutôt en lumière une certaine pratique de la politique, celle des années 70/80/90 pendant la vague spéculative et affairiste que j'évoquais à l'instant.
Nous n'avons aucune raison de mettre une sourdine ou un bémol à la dénonciation de ce curieux mélange des genres ; à notre aversion pour cette jet-society où se croisent des politiques, des starlettes, des truands, des trafiquants, des présidents de clubs sportifs et des hommes d'affaires...
Ni même à notre critique de ce loto national qui consiste à distribuer des appartements, des postes de chargés de mission plus ou moins fictifs, des dessous de tables, des exonérations et des passe-droits divers et variés...
Ça, c'est la politique conçue comme une rente, au profit de petites bandes d'initiés.
Et bien non, nous ne nous tairons pas !
On doit savoir que les Verts combattent le béton et ceux qui truquent les marchés du béton !
Les Verts sont opposés à l'opacité incroyable du commerce mondial des armes et ils n'ont aucune indulgence pour ceux qui grenouillent, directement ou indirectement, dans des eaux aussi troubles...
En effet, c'est bien une époque qui s'achève : à nouvelle époque, nouvelles façons de faire la politique, nouvelles générations.
Soyons concrets : non cumul des mandats, dose de proportionnelle, statut de l'élu, transparence des passages public-privé, parité, tout ça mériterait un long développement.....
En tout cas, je trouve bizarre, alors que viennent au grand jour des faits que les Verts ont dénoncés depuis leur création, qu'on mette les événements actuels sur le dos des juges.
A coup sûr, là encore, il y aurait beaucoup à dire sur la réforme nécessaire de la justice et de la police : une première chose serait par exemple de donner une priorité absolue à la lutte contre les grands trafics internationaux, les paradis fiscaux et les circuits de blanchiment d'argent sale qui, en bout de chaîne, pourrissent toutes nos villes....
Mais s'attaquer aux juges parce que, peut-être, ils ont manqué de courtoisie vis-à-vis de tel ou tel " mis en examen " un peu connu, cela me paraît être un très mauvais signal quant au respect par tous, de la loi républicaine.
Mesdames, Messieurs,
Cher(e)s ami(e)s,
Les Verts ont choisi à Paris au premier tour, de solliciter sur leurs propres orientations, les suffrages des électeurs. C'est le cas dans plusieurs dizaines d'autres villes, où, depuis longtemps comme ici, les scrutins récents montrent l'écho des thèmes écologistes.
Nous contribuons ainsi à la clarté du débat et surtout, à terme, aux possibilités de victoire de la majorité plurielle.
Jusqu'à la dernière minute, les Verts ne se tromperont ni de cible, ni de camp. Ils ont d'ores et déjà indiqué leur disponibilité à examiner les conditions dans lesquelles, avec leurs partenaires, il serait possible de gérer Paris.
Mais cette bataille n'est pas gagnée.
Il serait bien facile d'ironiser sur la droite ! Sur les malheurs de Philippe Seguin ! Sur la volonté de Jean Tibéri d'être sur toutes les photos ! Sur les curieux positionnements d'Edouard Balladur ! Sur les trois appels récents à l'unité de la droite...
Mais prudence ! il y a trop d'intérêts en jeu et il faut s'attendre jusqu'au bout aux retournements spectaculaires et aux alliances les plus imprévues !
L'essentiel est donc de poursuivre le dialogue avec la population ; de mobiliser jusqu'au plus hésitant des électeurs ; de montrer à celles et ceux qui pourraient se désintéresser du jeu, que cette fois il a de l'importance ; de commencer à construire ou à mettre en ordre de marche les réseaux de la démocratie locale et de la participation qui seront demain les socles du changement.
Avec Yves Contassot et les Verts, arrondissement par arrondissement, montrons que l'écologie est la force montante et la condition de ce changement !
(source http://www.vertsparis2001.org, le 31 janvier 2001)