Texte intégral
Le ministre - Mesdames et Messieurs merci d'être venus à ce point de presse.
Ce conclave était un moment très important avec un rendez-vous pour la présidence britannique qui me paraît être un moment clé, à quelques jours du Conseil européen. Nous avons examiné les dernières propositions de la présidence britannique concernant le budget de l'Union pour la période 2007-2013. Je vais être clair, ces propositions ne peuvent pas constituer une base pour cette négociation. C'est ce qu'ont dit la plupart des Etats membres.
Notre objectif est bien sûr d'aboutir à un accord au Conseil européen de la semaine prochaine, nous avons tout fait déjà en juin pour parvenir à un accord acceptable et équitable pour tous. D'abord parce que c'est une urgence, l'Europe a besoin de financer dans la durée ses politiques communes pour répondre aux attentes de tous les Européens, pour lancer un grand programme de convergence économique et sociale entre anciens et nouveaux Etats membres. Chacun le sait, la présidence britannique le sait. Mais il y a aussi des principes qui sont au c?ur du projet européen, la solidarité et l'équité auxquelles on ne peut porter atteinte de façon aussi flagrante et totalement inacceptable.
Quelle est la véritable question posée dans cette négociation ? C'est le financement équitable pour tous des dépenses d'élargissement. Nous avons tous voulu, nous avons tous été très heureux d'accueillir ces dix nouveaux Etats membres et en particulier ceux qui viennent de l'Est, ceux qui ont attendu des années, des dizaines d'années pour arriver à la démocratie, qui ont fait des réformes, qui n'ont pas eu peur des alternances, du courage politique, qui se trouvent enfin à la table européenne ; il est normal que chacun prenne sa part dans l'effort pour le financement de cet élargissement. Cela a été rappelé par la France et cela a en fait été rappelé par toutes les délégations autour de la Présidence. Nous demandons simplement au Royaume-Uni de prendre sa juste part, pas plus, pas moins, dans le financement de l'élargissement, dont son rabais, aujourd'hui, le dispense. Aujourd'hui, pour ne pas avoir à réviser son chèque, la présidence britannique préfère proposer une réduction de l'ordre de 8 % des fonds structurels devant bénéficier aux nouveaux entrants. C'est une atteinte au principe de solidarité, nous ne pouvons pas espérer bénéficier demain du développement des nouveaux entrants si nous ne leur donnons pas aujourd'hui les moyens d'effectuer leur rattrapage économique.
Concernant le rabais ce n'est pas le principe de solidarité mais le principe d'équité qui est gravement mis à mal. Si le Royaume-Uni conserve à l'identique son rabais et consent à verser une simple contribution forfaitaire, temporaire et partielle, cela veut dire que les autres contributeurs, à commencer par la France et quelques autres, devront payer toute accélération de la dépense d'élargissement et tout nouvel élargissement éventuel.
Il est de surcroît explicitement prévu dans les propositions de la Présidence britannique qu'après 2013 c'est bien le rabais actuel qui s'appliquera au moment où sans doute le Royaume-Uni insistera plus que jamais en faveur des nouveaux élargissements. Qui paiera alors ? Seulement la France, l'Allemagne et l'Italie, toujours pas le Royaume-Uni.
Je voudrais également dire que l'effort britannique proposé, qui est un effort de 8 milliards d'euros, est profondément inéquitable : si le Royaume-Uni ne paie que 8 milliards d'euros supplémentaires sur la période, cela veut dire que l'effort financier que va consentir la France se fera non plus essentiellement au profit de l'élargissement mais au profit des Etats membres les plus riches qui ne paieront pas leur juste part, à commencer par le Royaume-Uni. Ca, c'est inacceptable.
Même en admettant que le rabais soit maintenu sur la PAC pour les nouveaux Etats membres, comme cela avait été concédé par la présidence luxembourgeoise en juin 2005, il faudrait que le rabais ne baisse pas de 8 milliards mais de 14 milliards d'euros par rapport à un rabais inchangé pour que le Royaume-Uni paie sa quote-part normale de l'élargissement, je le rappelle, hors Politique agricole commune, alors qu'il n'en propose que 8.
A tout cela s'ajoute, qu'au moment où nous cherchons à moderniser le budget européen tout en garantissant la stabilité aux bénéficiaires des politiques européennes, je pense aux régions, aux entreprises, aux ménages, aux chercheurs, aux agriculteurs, la présidence britannique envisage une clause de rendez-vous qui remet ces politiques en cause avant même 2013. Je redis, et Catherine Colonna le dit aussi, que nous voulons préparer une nouvelle et plus vaste réforme des dépenses et des ressources avant 2013 et avec une mise en ?uvre après 2013.
Je conclurai en disant que nous avons demandé à la présidence britannique de nous présenter très rapidement de nouvelles propositions en vue du Conseil européen de décembre, cela suppose notamment une réforme du rabais britannique par l'exclusion de son assiette de la plus grande partie des dépenses d'élargissement. Je crois qu'il est encore temps, j'ai de l'espoir, pour notre part nous ne ménagerons pas notre peine pour y parvenir. Et avant de laisser la parole à Catherine Colonna, je dirai donc que pour nous, aujourd'hui, en face d'une présidence britannique à qui pratiquement tous les Etats membres ont demandé de "réviser sa copie", d'en proposer une nouvelle au rendez-vous de la solidarité, il est hors de question de ne pas accueillir comme il faut ces nouveaux Etats membres, en particulier ceux venus de l'Est et en même temps qu'au rendez-vous de l'équité, tous les pays doivent payer, le Royaume-Uni y compris. Merci.
La ministre déléguée - Merci beaucoup Philippe.
Sans vouloir retarder l'heure de bouclage de votre confrère de La Tribune et la votre propre, mais je m'adresse en particulier à lui parce que son journal a publié une très instructive tribune ce matin dont je vous recommande la lecture sans malice excessive, elle vous apprendra beaucoup.
Je voudrais simplement ajouter qu'avec Philippe Douste-Blazy nous pensons qu'un accord est non seulement souhaitable mais qu'il est possible. Beaucoup d'autres délégations l'ont dit et c'est la raison pour laquelle, en réalité c'est la déception qui a dominé dans toute l'Europe depuis lundi. Aujourd'hui, en effet, la très grande majorité des délégations indiquait qu'elle souhaitait que les propositions soient révisées, soit en disant que les propositions actuelles n'étaient pas acceptables soit en disant qu'elles ne constituaient pas une bonne base soit en demandant une révision fondamentale. Tout ceci dit de façon claire et j'ajouterai même parfois avec quelque sévérité. Les propositions actuelles en effet ne répondent pas aux besoins de l'Europe, qui sont de financer les politiques communes, de faire monter en puissance un certain nombre de politiques, recherche, innovation, justice, affaires intérieures et bien d'autres et de financer l'élargissement, premier point. Deuxième point, elles ne correspondent pas à notre vision de l'Europe, deux des principes essentiels pour faire un budget c'est la solidarité et l'équité, je n'y reviens pas Philippe vous l'a dit clairement, c'est tout le contraire. Les débats d'aujourd'hui ont tourné autour de la question du financement de l'élargissement et de la part que chacun doit y prendre, cela a été dit par toutes les délégations. Je comprends que la Présidence britannique fera une nouvelle proposition avant le Conseil européen, a-t-elle indiqué, cela va de soi, il serait même utile que nous puissions en disposer bien plus tôt. Merci.
Q - Si la man?uvre britannique fonctionne et que les nouveaux Etats membres acceptent ce chantage, est-ce que la France s'opposera néanmoins à cette solution ? La France et l'Allemagne ont-elles un examen divergent de la proposition britannique ?
R - Le ministre - Autant avant le début du conclave on aurait pu se poser la première question, autant après celui-ci cette question ne semble pas d'actualité. La présidence britannique a appris aujourd'hui la dure réalité, c'est à dire que tous les Etats membres, y compris d'ailleurs ceux qui pouvaient être les plus proches d'elle, ont dit qu'ils n'étaient pas d'accord. On peut dire que Malte est une exception, elle a dit qu'elle était pour la proposition britannique. Les Britanniques sont très isolés, il faut qu'ils "révisent leur copie", qu'ils en proposent une autre.
Nous souhaitons un accord, la France fait tout pour qu'il y ait un accord dans ce Conseil européen parce que nous sommes profondément européens et que nous savons que, sans budget, il y a une crise qui s'ouvrira au-delà de la crise institutionnelle, donc ce n'est pas possible.
J'ajoute quelque chose : l'idée de l'Europe n'est pas celle d'un marchandage pays par pays. Je ne suis pas là pour savoir ce que la France va gagner, je suis là parce que l'Europe peut gagner et la France gagne dans l'Europe. Nous sommes là, tous, pour avoir un sens de l'intérêt général, nous devons défendre notre pays dans une Europe forte ; c'est cela l'idée de l'Union européenne, il est absolument fondamental de revenir aux racines mêmes de l'idée européenne, il n'est pas possible de dire : "mais regardez, on va avoir telle discussion sur la TVA mais vous sur le paquet financier qu'est-ce que vous faites ?" Ce n'est pas possible, ce n'est pas comme cela que l'Europe peut avancer.
Demain le président de la République rencontrera la chancelière allemande. Le sujet des perspectives financières sera abordé. Je peux vous dire, pour avoir eu plusieurs contacts avec mon homologue, qu'il y a une excellente ambiance entre l'Allemagne et la France sur ces sujets, et en particulier, je vois que les Allemands souhaitent que les Britanniques fassent une nouvelle offre et en particulier sur le chèque britannique. Le caractère pérenne du système proposé pour baisser le chèque est fondamental, je crois pouvoir dire pour nous et aussi pour les Allemands. Lorsque l'on dit qu'il va y avoir une clause de rendez-vous avant 2013 sur la PAC, je ne suis pas sûr que cela fasse plaisir aux Allemands. Il y a probablement aussi une volonté allemande et française d'obtenir un accord d'obtenir un accord, de défendre les mêmes intérêts européens d'abord et ensuite de principes.
Q - La France est-elle vraiment prête à "mourir pour Dantzig" parce que si effectivement les pays de l'Est acceptent le paquet que l'on proposera la semaine prochaine, sans doute quelques milliards de plus, allez-vous vous battre pour utiliser le droit à l'enveloppe prévue en juin dernier, jusqu'à bloquer et provoquer une crise ? Où avez-vous situé votre marge ultime entre le 1,03 et le 1,06 ?
R - Le ministre - Je crois que cela aurait été possible s'il y avait eu quelque soutien vis-à-vis des Anglais. Aujourd'hui les Britanniques sont tellement isolés que je ne pense pas que cela se passe dans les termes dont vous parlez. Maintenant "la balle est dans le camp britannique", ce n'est pas une affaire de quelques milliards, c'est en effet ce que nous avons demandé, on passe de 8 à 14, c'est ce qui est important et je crois que la présidence britannique le fera car je ne vois pas comment le Royaume Uni peut être responsable d'une crise comme celle-là, ce n'est pas possible. Je vois en même temps que les Allemands et les Français tiennent à la pérennité du mécanisme de diminution du chèque britannique. Si vous mettez en parallèle les deux parties de la question remarquable de votre confrère, il y a une sorte de cohésion aussi dans ma première réponse.
Q ? (inaudible)
R - Le ministre - Non, je ne dis pas ça, nous disons la même chose, nous voulons un accord, quand je dis par exemple que je considère que la diminution du chèque va dans le bon sens mais qu'elle n'est pas pérenne et il faut aller un peu plus loin, c'est une base de négociation en effet.
Q - Et entre le 1,03 et le 1,06 ?
R - Le ministre - Là c'est quelque chose que nous allons négocier dans les heures qui viennent et je ne veux pas m'avancer sur le chiffre. En ce qui me concerne, ce chiffre ne sera certainement pas aujourd'hui ce qui est le plus important. Ce n'est pas là-dessus que nous bloquerons, ce sera plutôt sur la capacité en termes de solidarité et d'équité d'avoir des bases de négociation saines par rapport à nos principes. Le respect des principes, en particulier de solidarité et d'équité, sont supérieurs, si vous voulez, aujourd'hui aux chiffres.
Merci beaucoup, au revoir.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 décembre 2005)