Texte intégral
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Cher Albert Mallet, à qui je souhaite rendre hommage, ainsi qu'à toute son équipe pour leur engagement au service de la paix et du dialogue interculturel.
Je suis très heureux de participer, à vos côtés, à cette grande rencontre du Forum de Paris, et plus particulièrement à cette séance de clôture, qui est consacrée au défi le plus ardu, le plus exigeant, mais aussi le plus essentiel au dialogue entre les deux rives de la Méditerranée : je veux parler, naturellement, de "l'économie de paix".
Comment répondre à ce défi ? L'économie de la paix, nous le savons, s'inscrit au c?ur même de l'ambition que nous nous sommes donnés, il y a dix ans, à Barcelone. Nous nous étions alors fixés trois grands objectifs : établir une zone commune de paix et de stabilité ; créer une zone de prospérité partagée ; promouvoir la compréhension entre les cultures et les échanges entre les sociétés civiles.
Aujourd'hui, la paix, la stabilité, la sécurité sont devenus des enjeux globaux, qui nous engagent à davantage de coopération, d'entraide et de solidarité. Nous nous devons, par conséquent, d'être la fois humbles et ambitieux dans notre démarche.
Humbles, parce que nos objectifs communs sont loin d'être remplis, ambitieux, parce qu'ils restent plus pertinents que jamais et qu'un échec serait impensable : c'est l'avenir même de l'Europe et de ses relations avec ses voisins du Sud les plus proches qui se trouve ici en jeu.
A l'heure où la mondialisation soumet les sociétés à des épreuves difficiles, à un moment où les flux migratoires bousculent la notion de frontière, sans oublier le défi terroriste qui impose une vigilance accrue des deux rives, la stabilité du pourtour méditerranéen reste un objectif majeur pour la sécurité de tous.
Or, cette stabilité, nous le savons bien, passe avant tout par davantage d'intégration régionale et sous-régionale. Nous devons éviter à tout prix que notre mer commune ne devienne une zone de fracture, ce qui signifie, pour les gouvernements, davantage de modernisation politique, économique et sociale, la réduction des déséquilibres et la recherche d'un règlement juste et durable des conflits.
La tâche devant nous est immense, c'est pourquoi il nous revient de mieux nous organiser. Bien des raisons font aussi que nous devons rester optimistes. D'abord, l'Union européenne est aujourd'hui un partenaire solide, dont le poids est appelé à grandir. Ses valeurs pluralistes et démocratiques, son économie sociale de marché, en font pour les pays du Sud un pôle majeur d'attraction et de stabilité. On l'ignore souvent, mais la première économie mondiale est aussi le premier fournisseur de l'aide internationale. Dans le cadre du programme MEDA, ce sont 9 milliards d'euros qui ont été transférés vers nos partenaires méditerranéens depuis 1995, sans oublier les 11 milliards d'euros de prêts réalisés par la Banque européenne d'investissement.
Mais la singularité de l'aventure euro-méditerranéenne ne tient pas uniquement au pouvoir d'attraction de l'Europe. Elle repose aussi sur une philosophie et une morale : celle d'un partenariat au service des peuples, celle d'une volonté de lier la stabilité aux progrès et aux réformes nécessaires. Nous sommes tous les héritiers de l'humanisme méditerranéen. A nous de nous montrer dignes, en donnant à nos ambitions un contenu concret et généreux, mais aussi en adoptant des méthodes véritablement partenariales, responsables et transparentes.
C'est cette approche globale que la France soutient, et qu'elle continuera de soutenir, soyez-en assurés, avec une très grande détermination.
Nous voulons préserver ce qui fait l'originalité, l'identité et la valeur de notre projet. Nous sommes en particulier très attachés à ce que soient préservés les liens qui unissent les dimensions politique, économique et socio-culturelle de notre partenariat. Tel est d'ailleurs le sens du renouvellement des méthodes que nous avons proposé. Nous soutenons le développement d'instruments financiers et institutionnels innovants, parce que sommes confiants dans leur capacité à renforcer le pilotage politique de notre partenariat, et parce que nous savons qu'ils permettront d'associer plus étroitement les sociétés civiles.
Notre pays a proposé plusieurs initiatives concrètes pour atteindre ces objectifs :
- c'est la création d'un "Espace commun euro-méditerranéen" de coopération en matière de migration, qui associerait intégration sociale, justice et sécurité ;
- c'est aussi la transposition, pour certaines régions pilotes du Sud, de certains principes de gestion de la politique régionale européenne, des principes qui viendraient soutenir une politique structurelle menée par les partenaires eux-mêmes ;
- nous avons aussi proposé de transformer la facilité de financement et de partenariat de la Banque européenne d'investissement (FEMIP) en une structure financière propre à la Méditerranée - le Conseil européen en décidera d'ici un an précisément, en décembre 2006 ;
- enfin, nous soutenons l'idée de "coopérations renforcées" en format flexible qui auraient force d'exemple en concourant, de manière pragmatique, à la réalisation de nos objectifs, et qui pourraient à ce titre bénéficier de crédits communautaires.
Notre ambition est donc toujours la même ; celle de bâtir un partenariat autour d'une mer qui renouerait avec sa vraie vocation : le dialogue, l'échange et la paix. Les grandes civilisations, dont la Méditerranée fut le berceau, doivent réapprendre à mieux se connaître et à mieux échanger. Respecter l'autre, c'est d'abord chercher à le comprendre. La "vision de Barcelone" demeure à mon sens le cadre privilégié pour soutenir une approche de la Méditerranée qui renoue avec le concept d'interpénétration des cultures cher au grand méditerranéen que fut l'historien Fernand Braudel.
Au-delà, je n'ignore pas que, parmi les critiques adressées au Processus de Barcelone, certaines font valoir que notre partenariat n'a pas tenu toutes ses promesses en raison, notamment, des vicissitudes du processus de paix au Proche-orient.
La paix est en effet la condition de tout développement, et le rapport du PNUD l'a souligné à juste titre. L'importance de notre dialogue politique est cruciale, mais cela ne veut pas dire, pour autant, que nous devions négliger les deux autres volets : la dimension socio-culturelle de notre partenariat, et naturellement sa dimension économique, ont tout leur rôle à jouer dans la recherche d'une plus grande stabilité régionale.
Le plan d'action qui a été adopté par les chefs d'Etat et de gouvernement réunis à Barcelone reflète bien cette conviction. Pour les cinq prochaines années, nous disposons désormais d'une feuille de route concrète, pragmatique, dans chacun des domaines de notre coopération : c'est là une avancée substantielle, dont nous ne pouvons que nous féliciter.
L'économie, nous le voyons bien, est donc un facteur essentiel de stabilité : "l'économie de paix", pour reprendre l'intitulé de ce colloque, une économie harmonieuse, dont le développement se fait au profit des uns et des autres, dans une convergence d'intérêts qui est celle du partenariat euro-méditerranéen.
Mais comment contribuer à cette "économie de paix" ? Comment faire en sorte que le volet économique contribue à la stabilité régionale et sous-régionale ?
Il y a, bien sûr, le transfert de ressources et de connaissances des pays les plus riches vers les plus pauvres. C'est là une dimension non négligeable, mais c'est loin d'être la seule dans la mesure où notre objectif est de soutenir, sur la rive Sud, un développement durable et créateur d'emplois.
Je pense, en particulier, à l'intégration économique et commerciale Sud-Sud, qui mérite d'être renforcée ; je pense aussi aux déséquilibres entre le Nord et le Sud qui restent insupportables et qui exigent des pays riches davantage d'efforts et de solidarité.
Plusieurs chantiers se trouvent aujourd'hui devant nous :
- Nous devons accélérer la mise en place de la zone de libre-échange à l'horizon 2010, mobiliser et transformer l'épargne, drainer les investissements et renforcer l'efficacité des instruments financiers considérables mis à la disposition des pays méditerranéens.
- Nous devons également innover : le président de la République, à juste titre, a évoqué à Barcelone la création à terme d'une banque de développement pour cette région du monde. J'ai eu moi-même l'occasion de souligner l'importance d'une telle institution à l'Assemblée nationale.
- Nous devons enfin améliorer les programmes d'assistance sectorielle, notamment industrielle, faire progresser la bonne gouvernance économique et favoriser une redistribution équitable des fruits de la croissance.
Mais tout cela ne sera possible que si nous parvenons à éradiquer le climat d'insécurité qui continue de régner, encore trop souvent, dans cette région du monde. L'économie la plus volontariste et la plus généreuse ne peut s'installer durablement sur un terrain miné.
Or aujourd'hui, à la suite du désengagement de Gaza, il existe un véritable espoir de paix au Proche-Orient. Je me suis rendu en Israël et dans les Territoires palestiniens en septembre dernier, au moment précis où l'armée israélienne et les colons s'apprêtaient à quitter Gaza. De ce déplacement, et des entretiens que j'ai eus par la suite avec mes homologues, je retire une conviction : c'est qu'il existe aujourd'hui, de part et d'autre, au sein de la population comme de la très grande majorité de la classe politique, un profond désir de mettre fin à ce conflit qui dure depuis trop longtemps. Le moment est venu de reconstruire la confiance, et d'abord en partant de la réalité du terrain. J'en suis pour ma part convaincu : c'est par le développement du commerce et des échanges entre les hommes que nous pourrons donner à cette relation des bases d'avenir nouvelles, à la fois solides et concrètes.
C'est dans cette direction que la France s'est mobilisée, pour que les populations collaborent et que Gaza ne soit pas une prison à ciel ouvert, bref, pour soutenir précisément le développement d'une "économie de paix". C'est pour nous une très grande satisfaction que d'avoir vu les Israéliens et les Palestiniens s'entendre sur la réouverture du terminal, dans le sud de la Bande de Gaza. L'Union européenne s'est montrée aussi très active en déployant, sur le terrain, une équipe de douaniers et de policiers dans ce même terminal de Rafah. La France s'est d'ailleurs associée de manière significative à cette mission.
Aujourd'hui, Gaza est en mesure de créer une dynamique positive dont toute la région pourrait bénéficier. Nous espérons tous voir cet espoir prochainement réalisé. Nous pourrons alors, avec nos partenaires européens et les pays du Sud, examiner et financer des projets de coopération concrets qui traduiraient, dans la réalité, ce rêve devenu possible.
La France continuera de soutenir de toutes ses forces les acteurs de la paix. Elle se tiendra toujours aux côtés des peuples de la région auxquels l'attachent une histoire, un héritage et un destin partagé. Nous devons tous rester mobilisés et ne pas laisser les peurs submerger les acquis de la paix. Israéliens et Palestiniens doivent construire ensemble la confiance nécessaire à la paix. J'ai foi en la capacité des femmes et des hommes d'Israël, des femmes et des hommes de Palestine et du monde arabe à rendre cette histoire irréversible. Les ennemis d'hier peuvent devenir les vrais partenaires de demain et partager une même communauté de destin. C'est sur ce message d'espoir, d'amitié, de confiance et de paix, qui a toujours été celui de la France, que je voudrais conclure mon discours, en vous remerciant, chacune et chacun, de votre attention.
Source : http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 décembre 2005