Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur les enjeux du Conseil européen concernant le financement de l'Union européenne élargie pour la période 2007-2013, la question de la TVA à taux réduit et la révision de la directive "temps de travail" ainsi que l'avenir de l'Union, Paris le 14 décembre 2005.

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Circonstance : Déclaration du gouvernement préalable au Conseil européen et débat sur cette déclaration au Sénat à Paris le 14 décembre 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,

Le Premier ministre m'a demandé d'introduire ce débat aujourd'hui à la veille du Conseil européen qui marquera la fin de la présidence britannique, et qui est, vous le savez, un rendez-vous décisif pour l'avenir immédiat de l'Union européenne. Avec Catherine Colonna, nous y accompagnerons le président de la République qui conduira les négociations au nom de la France.
Dès le lendemain du vote du 29 mai, le Premier ministre avait tenu à ce qu'un débat soit organisé avant chaque Conseil européen. Ce rendez-vous est devenu l'un des moments forts des relations entre le gouvernement et le Parlement, et je m'en réjouis : la représentation nationale, c'est aussi ma conviction personnelle, doit être mieux associée au processus de décision européen.
Le Premier ministre a pris un certain nombre de décisions qui vont dans ce sens. Il a demandé aux ministres de rendre compte devant les commissions parlementaires compétentes des enjeux et des résultats des Conseils des ministres de l'Union européenne. Catherine Colonna et moi-même veillons à nous exprimer aussi régulièrement que possible devant les commissions parlementaires et à y préciser le contenu des négociations communautaires discutées à Bruxelles.
Il y a à peine 6 mois, une majorité de Français a rejeté le projet de Constitution. Ma conviction est qu'ils n'ont pas dit non à l'idée européenne, mais à l'absence de visibilité sur l'évolution du projet européen. Les Français veulent savoir où va l'Europe et ce que nous voulons pour elle.
L'Europe continue certes à fonctionner. Mais nos concitoyens ne voient souvent plus quel est notre horizon collectif. Malgré des réussites indéniables, comme Galileo par exemple, les Européens, et les jeunes Européens notamment, ne se reconnaissent pas dans une ambition commune pour l'Europe.
Il faut donc redoubler d'efforts et travailler avec nos partenaires pour une Europe dynamique, qui renoue avec la croissance et l'emploi ; une Europe qui soit capable de défendre son modèle social fondé sur la solidarité, car c'est là l'esprit même du projet européen ; enfin, une Europe à la pointe de l'innovation, de la recherche et des nouvelles technologies.
Tout cela, nous le ferons en défendant une Europe des projets, qui avance sur la base de décisions et de résultats réalistes et concrets. C'est un impératif, si nous voulons montrer aux Français que l'Europe les protège et qu'elle garantit leur avenir.
Mais rien de tout cela ne sera possible si nous ne parvenons pas dans l'immédiat à régler la question du financement de l'Union après 2006, qui est l'enjeu central du Conseil européen qui s'ouvre demain à Bruxelles. Autant, le dire la négociation sera difficile. Nous avons pris connaissance il y a une heure des dernières propositions britanniques, qui malheureusement, ne donnent pas une base pour un accord acceptable par tous :
- nous sommes déterminés à parvenir vendredi soir à un accord entre les 25 Etats membres sur ce qui est le premier budget pluriannuel de l'Union depuis le dernier élargissement :
Un accord est en effet indispensable pour permettre la mise en ?uvre des politiques communes pour la période 2007-2013 :
- c'est important pour la France, pour nos régions, nos centres de recherche, nos agriculteurs, pour toutes celles et ceux qui bénéficient d'un appui financier de l'Union.
- c'est important pour les nouveaux Etats membres de l'Union. Leur priorité est le rattrapage économique et social grâce aux soutiens de la politique régionale. Ce rattrapage, je le rappelle, aura de nombreux effets positifs sur l'économie française, et réduira notamment au sein de l'Union les possibilités de "dumping social" qui inquiètent nos concitoyens. Les pays de l'Union, et en particulier les nouveaux Etats membres, ont besoin de connaître au plus vite le montant des fonds structurels qui leur seront alloués pour programmer les projets qui devront être mis en ?uvre dès 2007.
C'est donc dans un esprit de responsabilité que la France abordera, demain, le Conseil européen. Après l'échec du Conseil de juin dernier, il est d'autant plus important que nous trouvions un accord dès cette semaine. La France est prête, naturellement, à négocier, comme elle l'avait fait lors du Conseil européen du 17 juin.
Mais nous n'accepterons pas un accord à n'importe quel prix. Chaque pays doit faire face à ses responsabilités pour parvenir à un partage juste et équitable du financement de l'élargissement. La présidence britannique a, cela va sans dire, une responsabilité toute particulière, et nous attendons du Royaume-Uni qu'il fasse sa part du chemin, ce qu'il se refuse toujours à faire.
Comme nous l'avons rappelé à chaque Conseil Affaires générales avec Catherine Colonna, et comme le président de la république le redira avec force cette semaine à Bruxelles, le budget de l'Union doit impérativement respecter trois principes :

Premièrement : la solidarité.
Elle est au c?ur de l'idée européenne et plus que jamais au c?ur du budget, puisque ce qui est en jeu, c'est l'intégration économique et sociale des nouveaux Etats membres. La présidence britannique a proposé la semaine dernière une réduction de 8 % des fonds structurels à destination de ces pays : nous ne l'avons pas accepté. Il propose aujourd'hui une augmentation légère de ces crédits, qui ne sont toujours pas à la hauteur de l'enjeu.

Deuxièmement : l'équité.
Vous savez que la France a accepté en juin d'augmenter de 11 milliards d'euros notre contribution au budget européen pour 2007-2013 ; nous avons aussi accepté une réduction substantielle de nos retours sur les fonds européens.
Cet effort est important, c'est un geste fort, mais l'effort doit être partagé par l'ensemble des pays riches de l'Union. Chacun doit prendre sa part du fardeau.
Or, qu'a proposé la présidence britannique jusqu'à présent ?
Elle a refusé obstinément de réviser le montant et le système du chèque britannique, alors même que le Royaume-Uni n'est plus dans la situation économique et sociale d'il y a vingt ans et que son chèque est devenu, de fait, une anomalie historique.
La question du "rabais britannique" est bien au c?ur de la discussion, pour tous les Etats membres, pas seulement pour la France - même si la France, ne l'oublions pas, paie près de 30 % du "rabais". Le maintien en l'état du "rabais britannique" signifierait, ni plus ni moins, une exemption du Royaume-Uni de sa contribution financière à l'élargissement, avec un transfert de charges principalement vers la France, l'Italie et l'Espagne. C'est évidemment inacceptable, et nous ne l'accepterons pas.
Ce message, nous l'avons fait passer clairement aux autorités britanniques en espérant qu'ils en tiendraient compte. Or, nous venons de prendre connaissance de la nouvelle proposition de la présidence britannique et cette nouvelle boîte de négociation démontre malheureusement que le Royaume-Uni n'est toujours pas prêt à assumer sa juste part du fardeau financier. Les nouvelles propositions sur le rabais britannique sont en effet identiques aux propositions précédentes alors même que nous avions souligné que celles-ci ne pouvaient constituer une base de négociation.
La nouvelle boîte de négociation est donc inacceptable pour la France dès lors qu'elle refuse de réviser de manière durable et pérenne le mode de calcul du "rabais britannique". Nous voulons espérer que les autorités britanniques n'ont pas dit leur dernier mot à ce sujet et comprendront la nécessité de s'engager enfin dans la voie d'un réexamen en profondeur du mécanisme du chèque britannique. Mais, en l'absence d'un tel changement de la part de Londres, il ne faut pas attendre de la France qu'elle change de position.
Sur ce sujet, le gouvernement compte donc sur le soutien du Parlement. Vous êtes appelés à voter chaque année dans le cadre de la loi de finances le montant de notre contribution au budget de l'Union européenne. Toute modification des modalités de financement de l'Union européenne nécessitera votre accord. Plus nous serons unis pour défendre nos positions, mieux nous pourrons convaincre nos partenaires.

Le troisième principe que nous défendrons à Bruxelles, c'est la fidélité à la parole donnée. Cela concerne plus particulièrement la Politique agricole commune, à laquelle nous sommes tous attachés.
Aujourd'hui, nos partenaires britanniques mettent en question son avenir, alors que son financement a fait l'objet d'un accord qui vaut jusqu'en 2013. L'accord conclu à l'unanimité en 2002 est donc doublement menacé :

  • d'abord par les propositions britanniques, qui prévoient une nouvelle baisse - de 2 milliards d'euros dans les propositions de la semaine dernière - pour les dépenses de marché de la PAC, par rapport à la proposition luxembourgeois de juin dernier. Cette baisse est maintenue dans les dernières propositions dont nous avons eu connaissance il y a une heure.
  • par ailleurs, certains, nous le voyons bien, sont tentés de faire de l'agriculture la variable d'ajustement des négociations de l'OMC. Nous avons dit clairement au commissaire Mandelson et au président Barroso que la France s'opposerait à tout accord partiel sur l'agriculture. Nous voulons un accord global et équilibré, qui prenne en compte les intérêts de l'Europe dans l'industrie et les services et qui soit bénéfique, aussi, aux pays en voie de développement, notamment aux plus pauvres.

S'agissant du budget européen, le gouvernement est disposé à discuter dès avant 2013 d'une large réforme du budget, qui devra porter sur toutes les dépenses et sur toutes les ressources. Il s'agit d'amplifier pour l'après 2013 la modernisation du budget de l'Union, notamment pour les politiques de recherche qui augmenteront de près de 30 % dès 2007 si l'on s'en tient aux propositions luxembourgeoises de juin 2005.
Mais la réforme du budget de 2014 devra être préparée avec minutie. Elle ne saurait remettre en cause la stabilité dont ont besoin les régions, les ménages, les entreprises, les chercheurs, les agriculteurs européens. Elle ne devra donc produire ses effets qu'après 2013.
Le gouvernement n'acceptera donc aucune remise en cause de la PAC avant cette échéance. La PAC connaît d'ores et déjà une profonde réforme, dont la dernière en date, celle de 2003, ne produira totalement ses effets qu'en 2008.
Par conséquent, le budget de l'Union pour la période 2007-2013 devra préserver la PAC en garantissant le maintien du montant des aides directes versées à nos agriculteurs jusqu'en 2013.
Même si la question du budget doit occuper l'essentiel du Conseil européen, les chefs d'Etat et de gouvernement doivent aussi prendre des décisions sur trois autres sujets importants.
D'abord, le statut de l'Ancienne République yougoslave de Macédoine.
La Commission européenne a recommandé le 9 novembre dernier que ce pays reçoive le statut de candidat à l'Union. La France abordera cette question avec une double exigence.
La première, c'est la stabilité des Balkans, qui repose aujourd'hui en grande partie sur la perspective européenne, avec trois étapes distinctes.
- d'abord la signature d'accords de stabilisation et d'association : tous les pays de la région en ont signé ou ont entamé les négociations pour y parvenir ;
- ensuite, l'octroi du statut de candidat que demande aujourd'hui l'Ancienne République yougoslave de Macédoine ;
- enfin, l'ouverture de négociations d'adhésion, comme cela a été décidé le 3 octobre dernier pour la Croatie.
Tout cela devrait nous permettre d'ancrer la paix dans cette région de l'Europe trop souvent instable et d'y garantir, dans le même temps, le respect des Droits de l'Homme et des minorités.
Notre deuxième exigence, c'est de préserver l'adhésion des citoyens européens à l'Union. Or, nous le savons, les derniers élargissements n'ont pas toujours été compris : les Français ont le sentiment d'être entraînés dans une fuite en avant, un processus irréversible où l'élargissement n'aurait pas de fin. Et cela même alors que l'approfondissement politique de l'Europe marque le pas.
Pour la Macédoine, comme pour l'ensemble des pays candidats à l'entrée dans l'Union, nous disposons d'un certain nombre de garanties :
La Commission l'a rappelé : l'octroi du statut de candidat à la Macédoine ne signifie pas ouverture des négociations.
Par ailleurs, les critères d'adhésion ont été complétés : la capacité d'absorption par l'Union sera désormais un critère essentiel pour l'ouverture et la conduite des négociations d'adhésion.
Enfin, vous le savez, nos concitoyens auront le dernier mot : cette exigence est désormais inscrite dans la Constitution.
Le Conseil européen doit aussi se prononcer sur la question de la TVA à taux réduit.
La France est déterminée à obtenir, dans ce domaine, un résultat concret :
Nous voulons pérenniser la TVA à taux réduit qui s'applique aujourd'hui aux services d'aide à la personne et aux travaux à domicile dans le secteur du bâtiment. Dans ces secteurs, la TVA à 5,5 % a créé plus de 40.000 emplois et fait reculer le travail illégal. Il est important d'assurer aux professionnels de ces secteurs la visibilité dont ils auront besoin au-delà du 1er janvier 2006, pour établir leurs devis et assurer leurs commandes.
Par ailleurs, nous allons tout faire pour étendre la TVA à taux réduit à la restauration, le Premier ministre l'a redit hier : c'est une mesure nécessaire si nous voulons créer des emplois dans ce secteur important pour notre économie.
Enfin, le Conseil européen devrait évoquer également la révision de la directive "temps de travail."
Le Conseil des ministres de l'Union européenne en charge de l'emploi du 8 décembre dernier n'est pas parvenu à trouver un accord sur la révision de cette directive de 1993.
La France souhaite la disparition progressive de la clause d'exemption de cette directive, parce qu'elle permet trop souvent aux Etats membres de s'exonérer de la durée du travail hebdomadaire maximale autorisée dans l'Union.
Bien entendu cette norme européenne ne pourra pas être appliquée uniformément dans tous les secteurs ou dans tous les Etats : nous avons besoin, avant tout, d'une approche flexible et progressive.
Je rappelle que la directive n'empêche bien sûr pas les Etats qui le souhaitent d'appliquer une législation plus protectrice pour les salariés : la législation française n'est donc ni menacée, ni modifiée par le contenu de la directive.
Enfin, nous souhaitons sécuriser notre système de décompte forfaitaire du temps de garde, notamment dans les hôpitaux et le secteur médico-social. Sur une question qui préoccupe tant nos compatriotes, il est essentiel que nous puissions parvenir à un accord.
Pour finir, je veux évoquer plus brièvement deux autres sujets inscrits à l'ordre du jour de ce Conseil européen :
Tout d'abord, la lutte contre l'immigration clandestine, qui concerne l'ensemble des pays membres de l'Union. Chacun a en mémoire les événements dramatiques survenus à Ceuta il y a quelques mois.

A l'initiative de la France et de l'Espagne, l'Union européenne se mobilise, et la Commission proposera bientôt les premières lignes d'un partenariat européen en 3 volets :

  • Premier volet : un meilleur contrôle des frontières de l'Europe : c'est la vocation de l'Agence européenne qui se met en place à Varsovie, avec pour objectif de parvenir à une police européenne des frontières ;
  • Deuxième volet : l'amélioration de la mise en oeuvre des accords de réadmission avec les pays tiers ;
  • Troisième volet : la mise en oeuvre une politique de co-développement plus ambitieuse, qui est indispensable si nous voulons répondre aux raisons de fond qui sont à l'origine de l'immigration.

La France rappellera demain l'importance d'une relance du processus euro-méditerranéen pour répondre notamment à ces défis.
Enfin, le Conseil européen doit adopter une "Stratégie de l'Union européenne à l'égard de l'Afrique".
Cette stratégie préfigure le sommet Europe-Afrique qui devrait avoir lieu en 2006. C'est une nouvelle étape dans les relations avec l'Afrique, après les engagements pris par le Conseil européen de juin dernier : l'aide publique au développement devrait être augmentée collectivement à hauteur de 0,7 % du revenu national brut, d'ici 2015. La moitié de cette augmentation sera réservée à l'Afrique, soit l'équivalent de 23 milliards d'euros supplémentaires par an d'ici 2015.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Tous les enjeux que je viens de rappeler exigent une Europe forte, ambitieuse et solidaire.
Avec le Premier ministre, je formule le v?u que le Conseil européen de cette semaine nous donne les moyens de cette ambition.
Les négociations risquent d'être extraordinairement difficiles au regard des dernières propositions britanniques et du refus persistant de Londres d'accepter de payer sa simple part du financement de l'élargissement. Le président de la République, qui conduira les négociations pour la France, est néanmoins déterminé à tout faire pour que ce Conseil européen soit un succès.
Au-delà du Conseil européen de demain, un travail de longue haleine sera indispensable pour restaurer la confiance. La France prendra toute sa part dans cet effort. Nous le ferons avec Catherine Colonna en proposant des avancées concrètes, des projets pragmatiques et réalistes qui répondent aux aspirations des citoyens de l'Union.
C'est indispensable. L'Europe doit à nouveau démontrer aujourd'hui qu'elle est efficace, qu'elle agit au quotidien et que le projet européen est plus que jamais une grande ambition pour le XXIe siècle.
Je vous remercie.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 décembre 2005