Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur RMC le 7 décembre 2005, sur sa position concernant le débat sur l'enseignement de la colonisation, la réforme des ZEP et la mise en place d'une évaluation des élèves en CE1.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

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J.-J. Bourdin - J'ai une première question directe à vous poser : va-t-on apprendre aux enfants que la colonisation a joué un rôle positif, notamment en Afrique du Nord ?
R - On va tout simplement apprendre aux enfants l'Histoire de France. Et je fais complètement confiance aux enseignants pour y apporter la neutralité, l'objectivité dues à l'Histoire, pour apprendre ce qui s'est passé, purement et simplement, donc plutôt le factuel que des interprétations.
Q - Mais c'est la loi qui dit cela !
R - Absolument, mais l'enseignant a une liberté pédagogique. Et cette liberté pédagogique, il l'emploie justement à objectiver les choses, à donner une dimension historique, et certainement pas en tout cas à se lancer dans des idéologies.
Q - Regrettez-vous cet article de loi ?
R - Je ne sais pas ce que j'aurais fait si j'avais été parlementaire à cette époque-là...
Q - Franchement ?!
R - Franchement, parce que l'on peut reconnaître beaucoup de choses individuellement, en saucissonnant l'Histoire et l'on ne peut pas nier qu'il y a eu des choses positives. Mais doit-on juger la colonisation globalement ou par tranches, c'est le débat.
Q - Avec les cours d'instruction civique, il s'agit en fait d'enseigner la citoyenneté et le respect. Mais les enseignants disent qu'ils le font au quotidien, sans cesse, dans les collèges, dans les lycées. Comment va-t-on accélérer ce mouvement ?
R - C'est vrai qu'ils le font. Mais vous savez que je suis en train de travailler sur ce que l'on appelle le "cahier des charges des IUFM", les écoles pour former les enseignants. Et la formation des enseignants devra comprendre évidemment cette formation à la citoyenneté et, deuxièmement, ce que l'on appelle le "socle commun", c'est-à-dire les connaissances indispensables que chaque enfant de la République doit connaître à seize ans, lorsqu'il sort de l'école obligatoire, comprendra évidemment de la citoyenneté. Concrètement, je vais vous donner un exemple : une grande chaîne de télévision de l'Assemblée nationale vient d'éditer un disque sur la loi de 1905, comment a été élaborée cette loi. Eh bien, je suis en train de voir si ce disque pourrait être mis à la disposition des écoles, des collèges, des lycées, pour s'en servir comme un moyen pédagogique, pour faire comprendre dans les établissements scolaires ce que c'est que la séparation de l'Eglise et de l'Etat, ce que c'est que la laïcité et pourquoi nous en sommes venus, par exemple, à la loi de 2004, dite sur le voile.
Q - Mais faudrait-il inscrire formellement des heures de cours ?
R - Oui, mais "formellement des heures de cours" ! Par exemple à travers un cours d'Histoire, à travers un cours de français, très formellement, il faut qu'il y ait un acquis de citoyenneté qui soit inscrit et validé à la fin des études. Quand je dis à la fin des études d'ailleurs, cela n'empêche pas qu'en cours des études, par exemple en cours de collègue ou au moment de la rentrée en sixième, on puisse déjà valider qu'il y a certaines connaissances de citoyenneté. Le respect, cela s'apprend dès le plus jeune âge.
Q - Allez-vous déposer le bilan des ZEP ?
R - Il ne s'agit pas déposer le bilan des ZEP, parce que je suis sûr que le bilan des ZEP est largement positif. S'il n'y avait pas eu de ZEP, dans quel état seraient et la France et les "banlieues" comme on dit, les endroits où il y a évidemment beaucoup plus de personnes en difficulté ? Donc il y a des handicaps pour apprendre. Et les moyens supplémentaires qui ont été mis en faveur des ZEP - c'est environ 800 à 900 millions d'euros, vous voyez que ce sont quand même des sommes extraordinaires à la fin, très importantes - ont servi à quelque chose, j'en suis persuadé. Il y a des gisements d'excellence dans les ZEP qui ont pu être valorisés. Lundi dernier, j'étais dans un quartier d'une grande ville du nord de la France, entre Paris et Lille. J'ai rencontré des jeunes filles issues de l'immigration, deuxième génération, qui étaient bac+5, bac+4, l'une était ingénieur, l'autre était sur le point d'enseigner avec un Master. Eh bien, oui, c'est parce qu'il y a eu ZEP qu'il y a déjà ces résultats-là. Dire que c'est suffisant aujourd'hui - vous savez que je me suis engagé auprès du Premier ministre...
Q - ... Vous allez présenter des mesures concrètes. Avez-vous quelques idées de ces mesures, par exemple ?
R - Je vais présenter des mesures concrètes, j'ai des idées... Il y a vraiment des pistes, mais je ne vais pas vous livrer les idées aujourd'hui, c'est au Premier ministre que je dois les révéler d'abord. Ensuite, il les validera. C'est la semaine prochaine, le 15 décembre date limite. La priorité, comme objectif, c'est évidemment de réduire les inégalités scolaires. On sait que quand il y a des handicaps quelque part, naturellement la République doit apporter des moyens supplémentaires pour que ces handicaps soient réduits à zéro. Et à ce moment-là, on peut parler d'égalité des chances.
Q -Comment réduire ?
R - Si je commence à vous le dire, le Premier ministre pourra être frustré et m'en voudra peut-être d'être venu chez vous, alors qu'il s'en réjouit jusqu'à cet instant-là ! Je ne veux pas non plus tout dévoiler. La deuxième piste - et quand je vous disais que j'avais effectivement rencontré des jeunes, des bac+ qui étaient bien partis dans la vie, alors que pourtant ils avaient des handicaps au départ -, c'est leur donner le goût et leur faire savoir qu'il y a la possibilité de débouchés d'excellence partout en France, sur tout le territoire. Il ne doit pas y avoir un endroit, dans tel arrondissement huppé de Paris, où l'on a une forte proportion de jeunes qui vont aux études supérieures, et puis des banlieues ou des quartiers difficiles où il y en a très peu, où ce sont des exceptions que l'on cite.
Q - Mais il y a tellement de dérogations à la carte scolaire !
R - Il ne s'agit pas seulement de carte scolaire. Il s'agit de faire savoir dans tous les quartiers de France, qu'il y a des débouchés d'excellence pour tout le monde. Aujourd'hui, il y a des expériences de type Sciences-Po, de type Essec, avec du tutorat, qui permettent à des étudiants, qui eux ont réussi, d'aller dans ces établissements pour donner non pas de la formation, mais de la méthodologie, pour faire savoir que leur école existe, pour faire savoir que pour accéder à cette école, il faut plutôt faire ceci que faire cela. Là, il y a vraiment une émulation à créer. Beaucoup de jeunes, dans des quartiers un peu reculés, non seulement ne savent pas, et quand ils savent, se disent que ce n'est pas pour eux. Et pourtant, c'est pour eux ! L'université, c'est pour eux !
Q - Allez-vous mieux payer les professeurs qui vont enseigner dans ces ZEP ?
R - Ils sont déjà tributaires...
Q - Ils ont déjà une prime, entre 60 et 100 euros par mois...
R - Surtout, ce qu'il faut, c'est renforcer les équipes pédagogiques, parce que ces équipes pédagogiques sont souvent formées de jeunes professeurs qui sortent des IUFM, et qui arrivent, avec plein de générosité - et qui la gardent d'ailleurs cette générosité, cette passion pour enseigner. Mais en même temps, au bout de deux, trois ou quatre ans, ce n'est pas qu'ils se découragent, mais ils se disent quand même qu'ils pourraient être mieux épaulés, mieux soutenus. Il y a deux types de soutien qui leur manquent aujourd'hui : il y a le soutien du ministère, qu'ils se sachent accompagnés, soutenus ; et il y a en même temps les professeurs expérimentés qui, au bout de quelques années, auraient pu partir d'une ZEP, s'en vont et ont des classes quelquefois beaucoup plus nombreuses, mais n'empêche qu'ils ont à la fois l'acquisition de l'expérience de ZEP et l'expérience de classes plus faciles. Alors, il faudrait qu'ils reviennent, pour certains, et qu'ils épaulent ceux qui sont plus jeunes, moins expérimentés, mais tout aussi pleins de courage. Je pense que c'est cette mixité d'expérience et de jeunesse, qui peut renforcer les équipes pédagogiques.
Q - Allez-vous les inciter à revenir ?
R - Vous êtes en train de me faire dérouler certaines des solutions que je vais préconiser, mais je n'irai guère plus loin...
Q - Mais c'est mon rôle aussi, vous l'avez compris !
R - Et vous le faites très bien !
Q - Si j'ai bien compris donc, vous allez aider tous les professeurs un peu expérimentés à revenir en ZEP...
R - D'ailleurs, le terme de "ZEP", je ne l'aime pas franchement... Parce que [le terme de] "zone", ce n'est jamais qualifiant. "Ah, t'habites la zone, t'es en ZEP ?!". D'une part, ils se sentent opprimés. Et deuxièmement, si "il vient de la zone, ho ! la, la, est-ce que l'on peut l'embaucher, est-ce que c'est un type sérieux, est-ce qu'il n'est pas violent"... Donc il y a vraiment de la discrimination qui se fait et ce n'est pas bien, à l'embauche, au stage ou à l'apprentissage.
Q - Nous allons parler de l'évaluation des élèves. D. de Villepin annonce que vous étudiez la mise en place d'une évaluation rigoureuse de tous les élèves de CE1 ?
R - Oui, enfin, "rigoureuse"...
Q - C'est le Premier ministre qui parle de "rigoureuse", ce n'est pas moi !
R - On l'a annoncé ensemble et je crois que D. de Villepin a bien raison. Parce que l'on s'aperçoit que les élèves décrochent ou disons que leur formation est vraiment à un tournant en CE1, quand on a cinq ou six ans. Ou bien on sait lire, et à ce moment-là, tout est possible ; ou bien on ne sait pas lire, et à ce moment-là, on prend un tel retard que l'on décroche et que pour rattraper ce retard, il faut redoubler. Quand on est dans le cycle des redoublements, on est déjà montré du doigt et stigmatisé. Donc en CE1, une évaluation pour savoir si l'on sait lire et écrire, c'est le passeport pour faire des études, qu'elles soient secondaires ou qu'elles soient supérieures d'ailleurs. Mais savoir lire en CE1, c'est vraiment le test qu'il faut faire.
Q - Ce test va-t-il être systématique ?
R - Systématique pour tous les élèves de CE1, avec un petit rappel en Sixième après, pour voir, quand on arrive dans le secondaire, on a vraiment des connaissances bien affirmées...
Q - Comment va-t-on utiliser cette évaluation après ?
R - A partir du moment où en CE1, on s'aperçoit que tel ou tel élève ne sait pas lire et écrire, à ce moment-là, on fait ce que l'on appelle des "programmes personnalisés de réussite éducative". C'est-à-dire qu'il y a vraiment un groupe de quatre, cinq ou six élèves - le Premier ministre a d'ailleurs pu en constater, lors de sa visite dans la Somme vendredi -, qui ont un professeur déterminé, qui leur donne non pas des cours particuliers, mais des cours semi collectifs, en petit groupe, où il y a tellement d'interactivité que les élèves rattrapent le retard, s'intéressent de nouveau aux études et, s'intéressant aux études, sont repartis pour faire un cycle normal et valorisant pour eux, pour s'épanouir à travers l'école.
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