Interview de M. Laurent Fabius, député PS, à "RTL" le 29 novembre 2005, sur l'état de santé du Président de la République, sur sa position au sein du PS et sur sa vision de la construction européenne.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Laurent Fabius.
Laurent Fabius : Bonjour.
Jean-Michel Aphatie : Jacques Chirac a 73 ans, aujourd'hui. Cela vaut un petit mot de sympathie ?
Laurent Fabius : Sur le plan personnel, je crois que, comme chacun, il faut lui souhaiter "bonne santé", "meilleure santé", même. Maintenant, je pense que, s'agissant du chef de l'Etat, le jugement que l'on a est surtout un jugement politique sur son action et sur son inaction.
Jean-Michel Aphatie : François Hollande a même dit récemment : "cela n'a plus aucune importance. Je ne vais pas commenter ses faits et gestes, a-t-il dit. Cela n'a plus aucune importance !". Vous le ressentez comme cela, Laurent Fabius ?
Laurent Fabius : Monsieur Duhamel le soulignait : le chef de l'Etat garde des prérogatives très importantes.
Jean-Michel Aphatie : Donc, cela a de l'importance ce qu'il fait ?
Laurent Fabius : Non seulement en politique extérieure, mais en politique européenne, et sur certains aspects de la politique intérieure. Je crois que maintenant, si vous voulez - puisque l'on arrive en fin de parcours - on va commencer à tracer des bilans, et c'est une présidence où l'on a perdu beaucoup de temps : c'est une présidence du temps perdu et, pour parler d'une manière encore plus nette, c'est une présidence ratée.
Jean-Michel Aphatie : En fin de parcours, parce que, pour vous aussi, il est évident qu'il ne se représentera pas ?
Laurent Fabius : Il n'y a jamais de jamais, en politique. Mais, c'est vrai que, tout de même, au bout de 10 ans, avec un bilan qui est mauvais, il y a peu de chance - j'allais dire : peu de risques - qu'il se représente. Mais enfin, on ne sait jamais. Il peut toujours y avoir "des circonstances où". L'essentiel, me semble-t-il, c'est qu'on a perdu beaucoup de temps parce que, sur les dossiers qui préparent l'avenir - c'est cela la tâche principale d'un chef de l'Etat : l'éducation, la cohésion sociale, la recherche, la préparation technologique du futur. Sur tous ces points, la France n'a pas avancé, parfois même, elle a reculé. Et c'est cela qui va rester, malheureusement.
Jean-Michel Aphatie : L'un des grands actes immédiats du chef de l'Etat, c'est la préparation du sommet européen de Bruxelles, 15 et 16 décembre. Comment ressentez-vous cette actualité ?
Laurent Fabius : Je la ressens mal parce que, quand je fais l'addition de tout ce qui se profile en matière européenne, c'est malheureusement extrêmement négatif. Nous allons avoir, jeudi - après-demain - une décision que je trouve stupide, prise vraisemblablement par la Banque Centrale Européenne qui consiste à remonter les taux d'intérêts, soit disant parce qu'il y aurait un risque d'inflation : absolument pas de risque d'inflation !
Jean-Michel Aphatie : C'est pour une bonne gestion de l'euro : c'est l'indépendance de la Banque Centrale Européenne à qui vous avez accordé vous-même - les socialistes étaient au pouvoir quand on a accordé son indépendance à la Banque Centrale Européenne.
Laurent Fabius : Sous bénéfice d'inventaire : et l'inventaire nous amène à dire que, maintenant, cette indépendance - qui est en fait est de l'irresponsabilité - tourne dans le mauvais sens. La croissance ne redémarre pas, la difficulté principale, c'est l'emploi et, paraît-il, on va augmenter les taux d'intérêts.
Mais vous avez d'autres choses qui reviennent : la directive Bolkestein, contrairement à ce qu'avait dit Monsieur Chirac, va revenir au mois de janvier. Et le principe du pays d'origine est malheureusement maintenu. Vous avez - nouvel élément qui va arriver et qui va être extrêmement menaçant pour la France - c'est la réforme des aides régionales où la moitié de notre territoire, en moins, va bénéficier - si je puis dire - de ces aides. Donc, cela va encore nous pénaliser. Et puis, vous avez la dernière proposition de Monsieur Blair, actuel président de l'Europe, visant à proposer un budget qui ne permet absolument pas d'agir.
Et sur tous ces points, la France, représentée par le président de la république, est extrêmement réservée - on ne l'entend pas - alors qu'il faudrait augmenter le budget européen pour permettre à la recherche et à la technologie de se développer, alors qu'il faudrait s'opposer clairement à Bolkestein et à la directive Bolkestein dite "sur les aides", et alors qu'il faudrait dire - enfin, j'attends qu'on entende, quand même, nos hommes politiques de droite, aussi. Il faudrait dire qu'il n'est pas question que l'on augmente le taux directeur de la B.C.E. C'est une absurdité du point de vue de la croissance et de l'emploi !
Jean-Michel Aphatie : Voilà 6 mois que les français ont voté "non" au référendum. Vous étiez l'un des porte-parole de ce "non", Laurent Fabius. Votre hostilité à l'Europe est en train de s'accroître, ce matin ?
Laurent Fabius : Je vous reprends, Monsieur Aphatie. Je n'ai pas du tout d'hostilité à l'Europe. Ne tombez pas dans ce travers qui a été utilisé pendant des mois et des mois. Je suis un pro-européen fervent, mais pour une Europe qui ne soit pas une Europe ultra-libérale. Pour une Europe démocratique, pour une Europe qui ait une puissance économique et, sur tous les points que je vous ai cités, cela n'a absolument rien à voir avec la constitution européenne.
Qu'est-ce qui empêche, aujourd'hui, les chefs d'Etat et de gouvernement de se mettre d'accord sur le prochain budget européen ? Rien du tout ! Qu'est-ce qui les empêche de dire : "la Banque Centrale Européenne, c'est quand même nous qui l'avons créée. Qu'elle ne prenne pas des décisions absurdes !".
Jean-Michel Aphatie : Mais comment peut-on se dire pro-européen fervent - ce que vous êtes sans doute - et hostile à tout ce qui se fait aujourd'hui en Europe, à toutes les décisions des chefs d'Etat et de gouvernement ?
Laurent Fabius : Très souvent, ce sont des décisions proposées par la Commission, et avalisées par un certain nombre de chefs d'Etat et de gouvernement : vous avez raison. Mais, moi, je milite pour une Europe différente : pour une Europe qui soit forte, sur le plan intérieur et sur le plan extérieur. Qui ait les moyens d'avancer, qui soit plus démocratique, plus écologique, plus sociale. Et ce n'est pas du tout le chemin que l'on prend.
Mais, ce n'est pas parce qu'un certain nombre de chefs d'Etat et de gouvernement, ou la Commission, prennent des orientations que je condamne que, pour autant, on doit être contre l'Europe. Je suis fondamentalement et je reste pro-européen.
Jean-Michel Aphatie : Il y a donc 6 mois, une majorité d'électeurs socialistes votaient pour le "non". Il y a quelques jours, 21 % seulement de militants socialistes ont voté le texte que vous leur avez présenté, Laurent Fabius. Il y a comme un décalage entre ce que pense l'électorat de gauche et le rapport que les militants socialistes ont avec vous. Comment expliquez-vous ce décalage, Laurent Fabius ?
Laurent Fabius : Je ne pense pas. La motion, puisque c'est le terme consacré au sein du Parti Socialiste que je présentais, s'appelait "Rassembler à gauche". On nous avait dit y compris les commentateurs les plus avisés, dont certains sont présents dans ce studio.
Jean-Michel Aphatie : Patrick Cohen, peut-être, ou Alain Duhamel. On choisit ?
Laurent Fabius : Qu'avec 15 % tout habillé, ce serait magnifique. Bon. Il se trouve que mes amis et moi-même avons obtenu plus de 20 % : très bien. Mais surtout, surtout : la thèse que je défendais s'appelait "Rassembler à gauche". Aujourd'hui, le Parti Socialiste est rassemblé et il a pris une ligne qui - je crois que tout le monde le reconnaît - est une ligne clairement de gauche. Donc, je suis extrêmement satisfait de cette orientation. Il y avait une demande d'unité, une demande d'une opposition ferme, une demande de projet de propositions. C'est dans ces directions que l'on va, et je pense que c'est très positif.
Jean-Michel Aphatie : Vous êtes rassemblés, mais vous, Laurent Fabius, n'avez recueilli que 21 % des suffrages de militants. Ce n'est pas beaucoup !
Laurent Fabius : Ce n'est pas moi, Laurent Fabius, ce sont les thèses que je défendais. Maintenant, je ne vais pas me lancer, à cette heure matinale, dans une comptabilité. Certains, qui ont le sens de l'humour - et aussi un certain sens de l'observation - ont dit que la majorité, avec la multiplicité des personnalités qu'elle comportait, avait recueilli un peu plus de 50 %. Si vous divisez par le nombre de personnalités, vous trouvez ce que cela donne. Mais laissons cela de côté ! Cela c'est pour amuser, un instant, les auditeurs.
L'essentiel, aujourd'hui, c'est que nous sommes rassemblés sur une position de gauche, et qu'il faut absolument redonner une espérance et une volonté aux français : c'est cela qui manque. On parlait tout à l'heure de Monsieur Chirac : il n'a représenté aucune espérance. C'est cela qui est désolant. Et donc, il faut faire repartir l'espérance.
Jean-Michel Aphatie : D'un mot, si c'est possible. Votre objectif, maintenant, c'est votre candidature à l'élection présidentielle ?
Laurent Fabius : Mon objectif est de préparer les grands rendez-vous du pays. Je vais, évidemment, rester au contact très proche avec les français pour écouter, et puis contribuer, avec d'autres, à préparer les grands rendez-vous. Il y a du travail.
Jean-Michel Aphatie : Les grands rendez-vous, c'est 2007 ?
Laurent Fabius : C'est, en particulier, 2007. Oui.
Jean-Michel Aphatie : Laurent Fabius, qui se prépare pour 2007, était l'invité de RTL, ce matin. Bonne journée !(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 2 décembre 2005)