Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec le quotidien russe "Izvestia" le 19 janvier 2006 à Moscou, sur le partenariat privilégié franco-russe, le contentieux sur le gaz entre l'Ukraine et la Russie, la présidence russe du prochain G8, la crise du dossier nucléaire iranien, la délivrance des visas de voyage entre l'Union européenne et la Russie.

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Circonstance : Voyage de Philippe Douste-Blazy en Russie les 18 et 19 janvier 2006

Média : Izvestia

Texte intégral

Q - Quel est le but de votre première visite à Moscou en tant que ministre des Affaires étrangères? Qui allez-vous rencontrer ?
R - Permettez-moi tout d'abord de vous dire combien je suis heureux de me rendre à Moscou. Cette visite me permettra de m'entretenir de manière approfondie avec mon homologue, Sergueï Lavrov. Nous nous sommes déjà rencontrés à plusieurs reprises, notamment le 11 octobre dernier, à Paris, dans le cadre du Conseil de coopération pour les questions de sécurité ou encore à Bruxelles à l'OTAN. Notre relation s'inscrit dans la continuité des relations franco-russes avec toujours le même niveau de confiance et d'entente remarquables. Nos entretiens nous permettront d'approfondir encore davantage nos échanges, non seulement sur le plan des questions bilatérales, mais plus largement sur tous les sujets de politique internationale, notamment les relations entre l'Union européenne et la Russie dans leur dimension énergétique, la présidence russe du G8, la question iranienne, la situation au Proche-Orient, le Kosovo ou encore la lutte contre le terrorisme.
Q - Est-ce que la Russie reste toujours "le partenaire privilégié" de la France ? Quelle est la spécificité de leurs rapports actuels et quels sont les domaines prioritaires ?
R - Ce terme de "partenariat privilégié" me paraît parfaitement correspondre à la qualité de notre dialogue, empreint de franchise et de confiance mutuelle, comme l'illustrent les relations approfondies qu'entretiennent le président de la République et le président Poutine.
C'est en renforçant encore notre coopération économique, notamment en matière de hautes technologies, que nos échanges seront encore plus étroits. Je pense par exemple à l'aéronautique, la télédiffusion numérique, l'énergie ou encore les transports. La prochaine session du Séminaire gouvernemental co-présidé par les deux Premiers ministres constituera sans aucun doute une opportunité supplémentaire d'illustrer le dynamisme de notre étroit partenariat.
Q - Comment appréciez-vous "la guerre du gaz" entre la Russie et l'Ukraine ? Moscou est accusé par certains en Occident de "chantage", de "pression politique inadmissible".
R - Nous avons dès le début souligné que cette crise relevait d'un contentieux bilatéral qui devait conserver son caractère strictement commercial et être réglé sereinement sur la base de critères objectifs et non discriminatoires. Au-delà des péripéties propres à cette crise, je retiens surtout la nécessité de renforcer notre dialogue dans le domaine de l'énergie, notamment dans le cadre des discussions entre l'Union européenne et la Russie.
C'est pourquoi le choix fait par la Russie de placer les questions énergétiques au centre de l'agenda international dans le cadre du G8 me semble particulièrement opportun. La sécurité de nos approvisionnements est évidemment un sujet majeur pour nous.
Q - Est-ce que les Français sont inquiets de leur dépendance vis-à-vis du gaz russe ?
R - Pour ce qui concerne la France, qui importe 20 % environ de son gaz de Russie, les conséquences de la crise du début de l'année ont pu être gérées de manière satisfaisante, grâce à un dispositif alliant système de stockage, contrats d'alimentation alternatifs, clauses de garanties d'approvisionnement, etc. Il reste que la dispute russo-ukrainienne sur le gaz doit nous amener à nous interroger, avec nos partenaires de l'Union européenne, sur les moyens d'assurer plus efficacement notre sécurité énergétique.
Q - Qu'est-ce que la France attend de la présidence russe du G8 ?
R - Tout d'abord, permettez-moi de rappeler que nous souhaitons contribuer le plus activement possible au succès de la première présidence russe du G8, qui constitue une étape importante pour le rôle de la Russie au sein des institutions multilatérales. La Russie prépare remarquablement cette présidence, tant sur l'organisation que sur le fond.
Aussi, nous accueillons avec un très grand intérêt les thèmes retenus par la présidence que sont la lutte contre les pandémies, la sécurité énergétique et l'éducation. Le choix de la sécurité énergétique, notamment, nous paraît très opportun dans le contexte économique actuel : la Russie dispose en ce domaine d'une réelle légitimité compte tenu du rôle majeur qu'elle joue dans le système énergétique mondial. Elle est aussi en ce domaine un partenaire naturel de l'Europe. Nous saluons également l'approche russe du sujet : si les discussions sur les relations entre exportateurs et importateurs nets d'énergie sont utiles, le G8, enceinte de discussion et d'impulsion sur la mondialisation, doit selon nous aussi aborder de manière globale la question de la sécurité énergétique, ce qui inclut les questions de développement et d'accès à l'énergie, l'impact des pays émergents sur la demande mondiale, les considérations environnementales et, surtout, l'efficacité énergétique.
Enfin, je souhaiterais dire un mot des relations avec la société civile, les media et les ONG, qui seront bien sûr essentielles, comme pour toutes les présidences du G8. Nous devons envoyer, collectivement et individuellement, au niveau interne comme externe, les "bons signaux" à ce sujet. La mobilisation des ONG peut en effet être un atout précieux pour la présidence en exercice, comme l'a montré le Sommet de Gleeneagles, mais aussi notre expérience d'Evian en 2003.
Q - Comment voyez-vous l'issue de la crise iranienne actuelle? Peut-on envisager le recours à la force pour résoudre ce problème?
R - Après deux ans et demi d'efforts continus des Européens marqués par la politique de la "main tendue", l'Iran a tourné le dos au processus que nous avions ouvert en 2003 en reprenant, par une décision unilatérale, contraire aux huit résolutions du Conseil des gouverneurs, des activités nucléaires d'enrichissement de l'uranium. Faisant ce constat - et compte tenu des enjeux en cause : la stabilité régionale, la crédibilité de l'AIEA et l'efficacité du régime de non-prolifération - nous avons décidé, avec mes homologues allemand et britannique, qu'une réunion extraordinaire du Conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'Energie atomique (AIEA) devrait avoir lieu dans les prochaines semaines. Nous allons consulter nos principaux partenaires, et au premier rang d'entre eux la Russie. Celle-ci a joué un rôle très utile en particulier en présentant des propositions à l'Iran, malheureusement rejetées par les autorités de Téhéran. Nous pensons donc que le temps est venu pour le Conseil de sécurité à New York de jouer son rôle afin de renforcer la position de l'AIEA dans la négociation. Nous restons déterminés à poursuivre notre action diplomatique pour trouver une solution satisfaisante à la crise de prolifération nucléaire créée par l'Iran. Car, comme l'a rappelé le président de la République, le processus diplomatique vaut mieux que toutes les autres options.
Q - Quand est-ce que l'Union européenne et la Russie vont finalement supprimer les visas de voyage ? On en parle depuis belle lurette !
R - Nous délivrons chaque année un nombre toujours croissant de visas : 270.000 environ l'an dernier, soit plus du double du chiffre de l'an 2000. Je me réjouis de voir les touristes russes toujours plus nombreux en France. Nous refusons peu de demandes mais nous devons néanmoins procéder aux contrôles nécessaires pour éviter que des personnes, moins bien intentionnées, ne se glissent dans ce flot. Les services consulaires français font le maximum en termes d'accueil et de diligence, et leurs moyens ont été considérablement augmentés pour faire face à la demande. D'autre part, nous avons conclu en juin 2004 un accord bilatéral pour faciliter le traitement des demandes de visas, tandis qu'un accord similaire entre l'Union européenne et la Russie doit prochainement entrer en vigueur. Enfin, je voudrais vous dire que beaucoup de Français sont désireux de se rendre ou de s'installer en Russie, compte tenu du dynamisme et de la formidable évolution de votre pays ces dernières années. Il est important qu'ils bénéficient eux aussi des conditions les plus favorables pour se déplacer et travailler en Russie. C'est notre intérêt à tous.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 janvier 2006