Conférence de presse de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, sur les relations franco-allemandes, la construction européenne, la position européenne face à la menace nucléaire iranienne et sur la situation en Côte d'Ivoire, Berlin le 18 janvier 2006.

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Circonstance : Voyage de M. de Villepin en Allemagne, le 18 janvier 2006

Texte intégral

M. Dominique de Villepin :
"Permettez-moi de vous dire tout d'abord la très grande joie que j'éprouve d'être ici à Berlin et de remercier la Chancelière Angela MERKEL pour la chaleur de son accueil. Pour moi, être ici à Berlin, c'est un symbole fort de cette Europe nouvelle que nous voulons bâtir, d'une Europe de la réconciliation entre les Etats, entre les peuples, et d'une Europe qui tourne ses regards vers l'avenir. Et bien sûr, l'Allemagne et la France jouent un rôle fondateur dans cette aventure européenne.
Depuis le général de Gaulle et le chancelier Adenauer, nous n'avons pas cessé de renforcer notre relation. Et il y a constamment, je l'ai redit tout à l'heure à l'université Humboldt, une sorte d'esprit de communauté qui existe entre nos deux pays, et cet esprit fonde l'ambition européenne, et c'est un esprit que nous voulons bien évidemment partager avec tous.
Angela MERKEL a rencontré, il y a encore quelques jours, le Président de la République française, et ils se retrouveront dans quelques jours encore, lundi prochain à Versailles, pour la rencontre de Blaesheim. C'est dire à quel point les relations entre nos deux pays sont non seulement des relations amicales, mais des relations fortes, des relations intenses.
Et nous avançons au service de cette Europe : nous l'avons vu au Conseil européen de la fin 2005 avec cet accord sur le budget européen, même si nous connaissons la décision aujourd'hui du parlement européen qui montre qu'il faudra reprendre les choses avec la Commission et avec le Parlement ; nous avons réussi, aussi, à maintenir une position commune lors de la réunion de Hong-Kong de l'Organisation mondiale du commerce ; ce sont autant de signes de cette volonté de l'Europe de regarder vers l'avenir.
La France et l'Allemagne ont une responsabilité particulière dans la construction européenne, et vous savez, la France, sous l'autorité du Président Jacques Chirac, veut y prendre toute sa part.
Cela veut dire pour nous clarifier les règles de l'élargissement : l'appartenance européenne mais aussi le respect des valeurs et de l'acquis communautaire, et la prise en compte de la capacité d'absorption de l'Union européenne.
Cela veut dire aussi continuer d'avancer en matière institutionnelle pour assurer le bon fonctionnement de notre Europe à 25. Nous devons le faire bien sûr dans le respect des aspirations des Etats et de nos peuples. Cela veut dire aussi défendre, partout où cela est nécessaire, défendre nos valeurs communes, et je pense en particulier au respect du droit international, et cela s'applique au premier chef, dans la situation actuelle, face à la situation iranienne.
Angela MERKEL a rappelé l'importance que la France a accordée et le travail que nous voulons faire sur une Europe des projets. C'est vrai dans beaucoup de domaines, en particulier dans celui de la sécurité, qui correspond aux attentes de nos peuples. Nous avons travaillé avec l'Allemagne, dans le cadre du G5, peut-être bientôt du G6, mais nous pouvons aller plus loin. Pourquoi ne pas travailler à une police européenne des frontières, et pourquoi pas dans un premier temps à une police franco-allemande des frontières, qui pourrait permettre de mieux répondre à des situations d'urgence, nous permettre aussi d'avancer dans le cadre d'une politique concertée face à l'immigration irrégulière.
Et puis, dans le domaine universitaire et de la recherche, si nous voulons acquérir véritablement la place que nous souhaitons au niveau mondial, renforcer nos coopérations et développer nos réseaux communs.
En matière de santé, face à la menace de la grippe aviaire, nous proposons de constituer à l'échelle européenne une véritable force d'intervention "grippe aviaire". Compte tenu des capacités de l'Allemagne et de la France, le fait de pouvoir disposer d'experts capables de travailler ensemble et d'apporter des réponses rapides nous paraît aussi de nature à faire avancer cette Europe des projets que nous souhaitons.
Je n'oublie pas, bien évidemment, le défi énergétique. Nous sommes confrontés à des situations qui évoluent rapidement, en particulier la situation en Iran et celle entre l'Ukraine et la Russie. Le Président de la République a demandé que la France prépare un mémorandum que nous allons remettre très prochainement. C'est aussi un sujet sur lequel nous souhaitons que l'Europe avance rapidement.
Je n'oublie pas, bien sûr, les sujets qui sont particulièrement délicats pour nous Français. Vous les connaissez : je pense à la directive services où nous souhaitons une étroite concertation avec l'Allemagne ; à la TVA à taux réduit aussi, bien sûr, car nous souhaitons que ce taux soit pérennisé pour le bâtiment et les services à la personne et qu'il soit appliqué au domaine de la restauration. Je pense bien sûr à notre politique industrielle où nous avons de nombreux projets communs. Le calendrier des prochaines semaines sera très propice à la concertation entre les deux Etats avec, je l'ai rappelé, lundi prochain la rencontre de Blaesheim, la rencontre du Conseil des ministres au mois de mars, et les deux Conseils européens de mars et de juin. C'est dire que nous avons devant nous des échéances importantes, où cette relation franco-allemande aura l'occasion de rester une force d'impulsion et de propositions, ouverte bien sûr, et au service d'une ambition commune".
Question :
"A propos de l'Iran, Monsieur le Premier ministre, Madame la Chancelière, je voudrais vous interroger l'un et l'autre et avoir quelques précisions sur la position de la France et de l'Allemagne, également par rapport aux Britanniques. En effet, comment voyez-vous les éléments des prochaines semaines ? Y aura-t-il, par l'intermédiaire de l'AIEA, une saisine du Conseil de sécurité, et faut-il alors d'après vous aller vers des sanctions, ou bien pensez-vous plutôt que la saisine du Conseil de sécurité pourrait, au contraire, aboutir à une solution favorisant une poursuite des négociations ?"
M. Dominique de Villepin :
"Je partage pleinement la position que vient d'exprimer Angela MERKEL. C'est la position constante que nous avons défendue ensemble depuis l'origine, avec le Royaume-Uni, et nous sommes très attachés au maintien de cette position commune.
Nous sommes effectivement devant une rupture d'engagement de la part de l'Iran, et il est souhaitable que tout soit fait, compte tenu de l'enjeu, l'enjeu pour l'Europe, l'enjeu pour la communauté internationale, que tout soit fait pour que très rapidement, l'Iran puisse revenir sur sa décision.
L'échéance, dans quelques jours, du conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique, est une étape très importante. Nous souhaitons qu'il y ait le plus grand consensus possible pour marquer clairement les limites de ce que nous pouvons accepter. Vous savez qu'on évoque d'autres étapes et Angela MERKEL a évoqué la question du Conseil de sécurité. Nous ne pouvons pas aujourd'hui écarter cette option. C'est vrai que de nombreux signaux ont été adressés à l'Iran en vain, et donc nous devons faire en sorte que, véritablement, les exigences de la communauté internationale soient pleinement respectées.
Dans toutes les hypothèses, il s'agit bien pour la communauté internationale de maintenir son unité, d'adopter des réponses graduées, et de faire en sorte, s'il y a des ouvertures de la part de l'Iran, de pouvoir les accompagner diplomatiquement. Cela a été la position constante de nos trois pays tout au long des dernières années, je crois que cela reste la bonne attitude, mais nous ne pouvons plus accepter de voir l'Iran bafouer ainsi les règles de la communauté internationale".
Question :
"Bonsoir Monsieur le Premier ministre, Hélène Kohl pour Europe 1. A l'heure où nous parlons, les forces de l'Onuci sont acculées en Côte d'Ivoire, le centre d'Abidjan est complètement bloqué, j'aimerais connaître votre analyse de la situation, et notamment, pensez-vous, comme l'a formulé ce matin le général Bentégeat, qu'il faut maintenant des sanctions contre les gens qui bloquent le processus de paix en Côte d'Ivoire ?"
M. Dominique de Villepin :
"Nous suivons avec beaucoup d'attention, et en même temps beaucoup d'inquiétude, la situation qui se développe à Abidjan et en Côte d'Ivoire. Et c'est vrai que nous avons assisté à une montée des tensions que nous voulons aujourd'hui tout faire pour réduire. C'est tout le sens de l'action de la France en Côte d'Ivoire, c'est tout le sens de l'engagement des Etats de la région, c'est tout le sens, aussi, de l'engagement de la communauté internationale et des Nations unies.
Nous souhaitons donc qu'à travers tous les moyens de dialogue que nous avons, nous puissions, avec le président Gbabgo, avec le gouvernement de Charles Konan Banny, avec l'ensemble de ceux qui exercent une part de responsabilité aujourd'hui en Côte d'Ivoire, reprendre la voie du dialogue. Il y a des échéances qui ont été fixées, il y a une perspective qui a été fixée jusqu'au mois d'octobre, il y a un chemin qui est tracé pour la voie du désarmement, et je crois que chacun doit s'en tenir à ses obligations. Nous avons vu, de façon répétée, au cours des dernières années, malheureusement des montées en tension, des épisodes de crises, comme si on voulait à chaque fois se rapprocher un peu plus de situations dangereuses.
Je le redis : nous devons tous agir dans un esprit de responsabilité. Le tribut payé par la France, l'engagement de la communauté internationale au service de la paix en Côte d'Ivoire justifient que tous les Ivoiriens, que l'ensemble des responsables ivoiriens de quelque parti que ce soit se mobilisent pour que les choses reviennent, que le retour au calme s'impose à Abidjan, et en tout état de cause, il appartiendra à l'ensemble de nos pays, à la communauté internationale, de prendre toutes nos responsabilités à chaque étape de la crise. C'est bien ce qu'a voulu dire notre chef d'Etat-major".