Texte intégral
Q- Une nuit de la Saint-Sylvestre marquée par des violences, des incendies de voitures, minimisées ou non, selon vous, par les pouvoirs publics ?
R- Il ne faut pas minimiser la situation. Elle reste tendue, préoccupante. Et surtout, je n?accepte pas cette banalisation des voitures brûlées...
Q- Cela finit par ressembler à un sport national ! Y a-t-il d?ailleurs encore des messages dans une violence qui semble systématique comme celle-là ?
R- Je ne sais pas s?il y a des messages. Il n?y en a pas toujours et, d?ailleurs, ceux qui ont brûlé les voitures, au mois de novembre et début décembre, n?avaient pas des mots d?ordre politique, n?étaient pas manipulés. C?est une violence souvent gratuite : on brûle la voiture de son voisin, on brûle l?école maternelle de sa petite s?ur... Il y avait des sanctions à prendre, il faut être clair : en matière de sécurité, du respect de la loi, il n?y a pas d?ambiguïté à avoir. En même temps, cela révèle un malaise plus profond : des quartiers en grande détresse, des taux de chômage élevé, des familles souvent déstructurées, des élus locaux ? on a vu les maires en première ligne - très souvent remarquables mais qui se sentent eux aussi abandonnés, et des associations qui ont vu leurs crédits diminués, des services publics souvent dégradés. C?est ça, la réalité, il ne faut pas l?oublier. En matière de sécurité, je dirais quand même que plus globalement, on entend beaucoup de discours de M. Sarkozy, cela fait quatre ans que cela dure, mais c?est plutôt une politique de sabre de bois, puisque 40.000 voitures brûlées en 2005, l?année qui vient de s?écouler, c?est un record. 40.000 voitures brûlées, c?est un symbole, ce n?est pas la seule réalité de l?insécurité, mais contrairement à ce que disent M. Sarkozy et le Gouvernement, en matière de sécurité, c?est un échec, c?est l?échec du Gouvernement en place. Et je crois qu?il faut le dire.
Q- Quand le directeur général de la police, M. Gaudin, dit, à propos de la nuit de la Saint-Sylvestre, que "la confiance est rétablie", ce n?est pas vraiment votre point de vue ?
R- Je crois qu?il y a eu une grande mobilisation, à la fois de la police, mais aussi des mairies - beaucoup de municipalités ont organisé des soirées, c?était le cas à Nantes, mais pas seulement le soir de la Saint-Sylvestre, aussi pendant les vacances de Noël, pour les jeunes, il y a eu des choses assez superbes qui se sont faites... Et les associations se sont aussi mobilisées. Mais en matière de sécurité, le Gouvernement ne peut pas se targuer d?un bilan positif, loin de là. Par ailleurs, il ne faut pas oublier la question sociale, la question des quartiers en difficulté et en grande détresse. Et là, c?est un travail de longue haleine qu?il faut faire. Il ne faut pas, en permanence, faire le zapping en changeant les politiques, quand elles sont bonnes, faites par les prédécesseurs. C?est dans la durée que l?on travaille et l?on voit bien que la question centrale, c?est la question de l?accès à l?emploi, une perspective qui doit être donnée à tous les jeunes.
Q- Sur quelles impressions le Président Chirac vous a-t-il laissé, à l?issue de ses v?ux aux Français ?
R- Chaque année que j?écoute le président de la République au moment de ses v?ux, je pourrais lui donner la carte du Parti socialiste ! Mais les 364 jours qui suivent, il applique le programme contraire, celui du RPR dans un premier temps, puis maintenant celui de l?UMP. Cela fait dix ans que cela dure, plus personne n?y croit ! Je pense qu?il faut tourner la page maintenant. Le chiraquisme est un régime en préretraite, qui est discrédité par ses mensonges. Cela dure depuis tellement longtemps ! Que restera-t-il de la présidence Chirac, sinon l?accumulation de promesses jamais tenues, des discours contradictoires, d?une sorte de politique virtuelle, de discours velléitaires ? Pour moi, ce n?est pas l?annonce qui compte, c?est ce qui existe à l?arrivée...
Q- Est-ce une fin de règne en quelque sorte ?
R- Oui et il prend souvent les mots, et puis leur traduction, c?est le contraire : la sécurité sociale professionnelle, le financement de la protection sociale... Cela ne s?improvise pas sur un coin de table ! Et la plupart des mesures annoncées, en tout état de cause, ne verront pas le jour avant la présidentielle. Comment voulez-vous que les Français aient confiance ?
Q- Vous arrive-t-il de penser que le Président devrait se démettre et provoquer des présidentielles anticipées, pour éviter de perdre une année, selon votre logique ?
R- J?ai dit après le référendum, perdu par le président de la République, sur la Constitution européenne, que s?il avait été logique avec lui-même, il aurait dû en tirer les conséquences. Il ne l?a pas fait. Maintenant, mon sentiment est que J. Chirac sera là jusqu?en 2007 et que ce qui est important, c?est de préparer l?alternance, créer les conditions d?une nouvelle dynamique, d?un redressement national. C?est la tâche de l?opposition en particulier, pour qu?il y ait un vrai choix en 2007.
Q- Cela veut-il dire que l?année 2006 ne peut en aucun cas être "utile", pour reprendre le mot choisi par le Premier ministre ?
R- Ce sont toujours des formules. Pour moi, l?année "utile", c?est encore
une formule de M. de Villepin, qui effectivement parle bien, mais c'est le chant du cygne d?un régime finissant. C?est ce régime-là que l?on ne supporte plus, parce que les Français ne croient plus ce qu?on leur dit.
Q- Et quand le chômage est en baisse depuis huit mois, peut-être commencent-ils à...
R- En ce qui concerne les statistiques du chômage, à l?évidence, elles sont en baisse. Il y a sans doute des radiations, mais il y a aussi le départ massif à la retraite d?une partie des Français, qui va continuer à se développer. Mais en même temps, quand on regarde la réalité vécue par les Français, que vous disent-ils sur le terrain ? Je peux vous le dire comme maire de Nantes : c?est qu?ils ne voient pas les créations d?emploi. Il n?y a pas de créations d?emplois dans le secteur de l?économie marchande, dans le secteur du privé. Il y a des emplois aidés par l?Etat, mais il n?y a pas de créations d?emplois supplémentaires, il y a encore des licenciements. C?est donc cela, la réalité. Et en même temps, quand il y a des emplois qui sont proposés, ce sont souvent des contrats à durée précaire, qui créent aussi une insécurité sociale et une insécurité psychologique. Si l?on veut vraiment relever le défi du chômage, c?est celui de la croissance, c?est celui de la création de nouveaux emplois, c?est aussi le défi de la formation. Quand on voit les emplois qui vont être offerts à partir des départs massifs en retraite, qu?attend-on pour anticiper, pour faire en sorte que notamment les jeunes et les moins jeunes puissent remplacer ceux qui vont partir massivement à la retraite ? Il ne faut pas se contenter de la gestion des statistiques, car ce qui est important, c?est que l?on puisse redonner au pays un nouvel élan, un nouvel espoir, une nouvelle confiance qu?il a aujourd?hui perdus.
Q- Quand J. Chirac se dit décidé à initier une réforme du financement de la protection sociale, qu?il veut favoriser, sur le plan des charges, les entreprises qui emploient en France, partagez-vous cette vision des choses ?
R- Mais oui, pourquoi pas ? Il vaut mieux alléger la fiscalité et les charges sur le travail, pour faciliter effectivement le développement de l?emploi, et augmenter les salaires, parce que je crois qu?il y a une vraie question de pouvoir d?achat et de niveau des salaires en France, il y a beaucoup trop de petits et moyens salaires, et également mieux taxer ceux qui ont les plus hauts revenus. Mais je ne peux pas croire J. Chirac. La loi de finances qui vient d?être votée juste avant Noël dit exactement le contraire ! Elle continue de creuser les déficits d?une part, et d?autre part, elle a mis en place une réforme fiscale qui favorise les plus gros revenus français. Comment voulez-vous qu?on ait confiance, comment voulez-vous que les choses changent ? M. Chirac va animer la semaine, mais vous-mêmes dans vos commentaires, vous le dites, vous en doutez ! De toute façon, personne n?y croit, puisque c?est fait pour animer la vie politique et pour tenir bon jusqu?aux élections présidentielles en 2007, où je ne vois pas très bien comment J. Pourrait se représenter.
Q- La fin 2005 a été marquée par une interrogation sur ce que la loi peut imposer comme vision de l?Histoire, sur la période coloniale notamment. A quelles conditions peut-on en finir avec cette polémique ?
R- Il est temps de sortir de cette affaire. Et cette réhabilitation qui a été tentée, au détour d?une loi de la colonisation, est un combat d'arrière garde qui ravive trop de souffrances inutiles. La France regarde en ce moment trop vers son passé, alors qu?elle devrait tourner toute son énergie vers la construction de son futur. J?aimerais que la France parle de fraternité, de réconciliation, de mémoire partagée, pour être plus forte...
Q- Auriez-vous aimé que le Président se prononce pour l?abrogation de l?article de loi qui fait débat ?
R- Oui, je crois que le Président a manqué de hauteur de vue. C?est son rôle. Certes, le président de la République est élu sur un projet, sur un programme, il représente la droite en France. Mais enfin, il ne faudrait quand même pas oublier qu?il a été élu à 82 % en 2002 et il avait la possibilité, par son rôle de chef de l?Etat, de dire qu?il fallait tourner la page. Cela passe par l?abrogation de cet article, qui fait de la peine à beaucoup et qui, surtout, est une erreur historique. Ce n?est pas à l?Assemblée nationale de dicter le contenu des programmes scolaires, de dire une vérité historique. Certes elle doit, à certains moments, faire acte d?autorité en matière de mémoire, pour permettre la réconciliation, mais je dis bien pour une mémoire partagée. Là, c?est autre chose qui s?est fait : on veut réhabiliter la colonisation. Comment voulez-vous que l?on se réconcilie avec nos anciennes colonies, comment voulez-vous que l?on se réconcilie avec l?Algérie par exemple ? Comment voulez-vous qu?on renforce le sentiment de vivre ensemble des Français entre eux ? Qui peut régler cela ? Par une parole publique forte, comme J. Chirac l?avait fait par exemple au moment du Vél? d?Hiv?, où il reconnaissait la responsabilité de la France dans la déportation des juifs. Là, sa parole avait pesé. Pourquoi n?a-t-elle pas pesé aujourd?hui ? Peut-être qu?il n?a plus l?autorité morale pour le faire, tout simplement ?
Q- Le Parti socialiste s?apprête à lancer une campagne d?adhésions. A droite, c?est N. Sarkozy qui fait les adhésions à l?UMP. Qui peut mobiliser les nouveaux adhérents socialistes ?
R- Je pense qu?il faut être audacieux. Pour l?instant, on ne l?est pas assez. On va désigner en novembre prochain notre candidat à l?élection présidentielle. Ce sera un homme ou une femme. Pour l?instant, personne ne se détache, parce que personne n?incarne vraiment un projet de renouveau...
Q- Etes-vous sûr qu?il n?y en aura qu?un seul ?
R- Oui, je crois, mais pour le désigner, je propose l?organisation de primaires, et des primaires au-delà des adhérents du Parti socialiste. Nous sommes 130.000, nous serons peut-être 200.000, 250.000 ou 300.000. Mais inspirons-nous de l?expérience de M. Prodi en Italie, pas forcément en organisant des primaires à l?échelle de toute la gauche, puisque les autres parties de gauche n?en veulent pas, mais pourquoi pas avec les électeurs du Parti socialiste, les sympathisants ? Si deux ou trois millions de personnes se mobilisent, cela crée une dynamique et, à ce moment-là, c?est autour de ce candidat ou de cette candidate que les choses peuvent bouger dans notre pays.
Q- S. Royal a-t-elle une stature de chef d?Etat ou est-ce un simple phénomène de sondage ?
R- Je pense qu?il faut que S. Royal, comme les autres candidats à la candidature, disent maintenant ce qu?ils proposent à la France, comment ils pensent que l?on peut sortir de cette crise globale, qui est comparable à celle de la fin de la IVe République. Et dire que la République a besoin d?être rénovée en profondeur, que l?on doit proposer un nouveau contrat social aux Français, avec des priorités, sans faire des promesses à toutes les catégories, en répondant à toutes les revendications ici ou là, mais en allant à l?essentiel, en disant des vérités. C?est ce que j?attends des candidats, de S. Royal comme des autres. Et c?est pour cela qu?à ce moment-là, si les candidats sont capables de parler aussi vrai, aussi fort et aussi loin, la primaire que je propose pour les adhérents et les sympathisants du Parti socialiste peut prendre tout son sens et créer une vraie dynamique dans le pays. Le pays a besoin de retrouver confiance en lui-même. Il a beaucoup de potentialités. Simplement, on ne lui dit pas assez et on a l?impression de vivre en déclin, de ne plus croire en notre pays. Moi, j?ai envie d?y croire encore.
Q- La semaine prochaine, on va célébrer le dixième anniversaire de la mort de F. Mitterrand. Il avait su faire l?unité des socialistes, celle de la gauche pour gagner en 1981. Est-ce qui vous manque, un nouveau Mitterrand ?
R- Oui, ce qu?a fait F. Mitterrand est extraordinaire, il a permis aussi la première alternance. Maintenant, c?est devenu quelque chose de normal dans la vie démocratique française. Cela avait été un choc mais aussi une grande espérance, et les Français d?ailleurs, avec le recul, reconnaissent le bilan très positif de F. Mitterrand, même s?il y a eu des insuffisances, même s?il y a des erreurs et des choses tout à fait discutables. Mais F. Mitterrand avait une énorme qualité, c?est sans doute peut-être ce qui fait qu?il a été aimé par un grand nombre de Français : c?est qu?il savait parler de la France, qu?il aimait la France et qu?il était capable de présenter l?essentiel des enjeux. C?est peut-être ça qui nous manque aujourd?hui. Et quand il le faisait, on le croyait.
(Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 janvier 2006)
R- Il ne faut pas minimiser la situation. Elle reste tendue, préoccupante. Et surtout, je n?accepte pas cette banalisation des voitures brûlées...
Q- Cela finit par ressembler à un sport national ! Y a-t-il d?ailleurs encore des messages dans une violence qui semble systématique comme celle-là ?
R- Je ne sais pas s?il y a des messages. Il n?y en a pas toujours et, d?ailleurs, ceux qui ont brûlé les voitures, au mois de novembre et début décembre, n?avaient pas des mots d?ordre politique, n?étaient pas manipulés. C?est une violence souvent gratuite : on brûle la voiture de son voisin, on brûle l?école maternelle de sa petite s?ur... Il y avait des sanctions à prendre, il faut être clair : en matière de sécurité, du respect de la loi, il n?y a pas d?ambiguïté à avoir. En même temps, cela révèle un malaise plus profond : des quartiers en grande détresse, des taux de chômage élevé, des familles souvent déstructurées, des élus locaux ? on a vu les maires en première ligne - très souvent remarquables mais qui se sentent eux aussi abandonnés, et des associations qui ont vu leurs crédits diminués, des services publics souvent dégradés. C?est ça, la réalité, il ne faut pas l?oublier. En matière de sécurité, je dirais quand même que plus globalement, on entend beaucoup de discours de M. Sarkozy, cela fait quatre ans que cela dure, mais c?est plutôt une politique de sabre de bois, puisque 40.000 voitures brûlées en 2005, l?année qui vient de s?écouler, c?est un record. 40.000 voitures brûlées, c?est un symbole, ce n?est pas la seule réalité de l?insécurité, mais contrairement à ce que disent M. Sarkozy et le Gouvernement, en matière de sécurité, c?est un échec, c?est l?échec du Gouvernement en place. Et je crois qu?il faut le dire.
Q- Quand le directeur général de la police, M. Gaudin, dit, à propos de la nuit de la Saint-Sylvestre, que "la confiance est rétablie", ce n?est pas vraiment votre point de vue ?
R- Je crois qu?il y a eu une grande mobilisation, à la fois de la police, mais aussi des mairies - beaucoup de municipalités ont organisé des soirées, c?était le cas à Nantes, mais pas seulement le soir de la Saint-Sylvestre, aussi pendant les vacances de Noël, pour les jeunes, il y a eu des choses assez superbes qui se sont faites... Et les associations se sont aussi mobilisées. Mais en matière de sécurité, le Gouvernement ne peut pas se targuer d?un bilan positif, loin de là. Par ailleurs, il ne faut pas oublier la question sociale, la question des quartiers en difficulté et en grande détresse. Et là, c?est un travail de longue haleine qu?il faut faire. Il ne faut pas, en permanence, faire le zapping en changeant les politiques, quand elles sont bonnes, faites par les prédécesseurs. C?est dans la durée que l?on travaille et l?on voit bien que la question centrale, c?est la question de l?accès à l?emploi, une perspective qui doit être donnée à tous les jeunes.
Q- Sur quelles impressions le Président Chirac vous a-t-il laissé, à l?issue de ses v?ux aux Français ?
R- Chaque année que j?écoute le président de la République au moment de ses v?ux, je pourrais lui donner la carte du Parti socialiste ! Mais les 364 jours qui suivent, il applique le programme contraire, celui du RPR dans un premier temps, puis maintenant celui de l?UMP. Cela fait dix ans que cela dure, plus personne n?y croit ! Je pense qu?il faut tourner la page maintenant. Le chiraquisme est un régime en préretraite, qui est discrédité par ses mensonges. Cela dure depuis tellement longtemps ! Que restera-t-il de la présidence Chirac, sinon l?accumulation de promesses jamais tenues, des discours contradictoires, d?une sorte de politique virtuelle, de discours velléitaires ? Pour moi, ce n?est pas l?annonce qui compte, c?est ce qui existe à l?arrivée...
Q- Est-ce une fin de règne en quelque sorte ?
R- Oui et il prend souvent les mots, et puis leur traduction, c?est le contraire : la sécurité sociale professionnelle, le financement de la protection sociale... Cela ne s?improvise pas sur un coin de table ! Et la plupart des mesures annoncées, en tout état de cause, ne verront pas le jour avant la présidentielle. Comment voulez-vous que les Français aient confiance ?
Q- Vous arrive-t-il de penser que le Président devrait se démettre et provoquer des présidentielles anticipées, pour éviter de perdre une année, selon votre logique ?
R- J?ai dit après le référendum, perdu par le président de la République, sur la Constitution européenne, que s?il avait été logique avec lui-même, il aurait dû en tirer les conséquences. Il ne l?a pas fait. Maintenant, mon sentiment est que J. Chirac sera là jusqu?en 2007 et que ce qui est important, c?est de préparer l?alternance, créer les conditions d?une nouvelle dynamique, d?un redressement national. C?est la tâche de l?opposition en particulier, pour qu?il y ait un vrai choix en 2007.
Q- Cela veut-il dire que l?année 2006 ne peut en aucun cas être "utile", pour reprendre le mot choisi par le Premier ministre ?
R- Ce sont toujours des formules. Pour moi, l?année "utile", c?est encore
une formule de M. de Villepin, qui effectivement parle bien, mais c'est le chant du cygne d?un régime finissant. C?est ce régime-là que l?on ne supporte plus, parce que les Français ne croient plus ce qu?on leur dit.
Q- Et quand le chômage est en baisse depuis huit mois, peut-être commencent-ils à...
R- En ce qui concerne les statistiques du chômage, à l?évidence, elles sont en baisse. Il y a sans doute des radiations, mais il y a aussi le départ massif à la retraite d?une partie des Français, qui va continuer à se développer. Mais en même temps, quand on regarde la réalité vécue par les Français, que vous disent-ils sur le terrain ? Je peux vous le dire comme maire de Nantes : c?est qu?ils ne voient pas les créations d?emploi. Il n?y a pas de créations d?emplois dans le secteur de l?économie marchande, dans le secteur du privé. Il y a des emplois aidés par l?Etat, mais il n?y a pas de créations d?emplois supplémentaires, il y a encore des licenciements. C?est donc cela, la réalité. Et en même temps, quand il y a des emplois qui sont proposés, ce sont souvent des contrats à durée précaire, qui créent aussi une insécurité sociale et une insécurité psychologique. Si l?on veut vraiment relever le défi du chômage, c?est celui de la croissance, c?est celui de la création de nouveaux emplois, c?est aussi le défi de la formation. Quand on voit les emplois qui vont être offerts à partir des départs massifs en retraite, qu?attend-on pour anticiper, pour faire en sorte que notamment les jeunes et les moins jeunes puissent remplacer ceux qui vont partir massivement à la retraite ? Il ne faut pas se contenter de la gestion des statistiques, car ce qui est important, c?est que l?on puisse redonner au pays un nouvel élan, un nouvel espoir, une nouvelle confiance qu?il a aujourd?hui perdus.
Q- Quand J. Chirac se dit décidé à initier une réforme du financement de la protection sociale, qu?il veut favoriser, sur le plan des charges, les entreprises qui emploient en France, partagez-vous cette vision des choses ?
R- Mais oui, pourquoi pas ? Il vaut mieux alléger la fiscalité et les charges sur le travail, pour faciliter effectivement le développement de l?emploi, et augmenter les salaires, parce que je crois qu?il y a une vraie question de pouvoir d?achat et de niveau des salaires en France, il y a beaucoup trop de petits et moyens salaires, et également mieux taxer ceux qui ont les plus hauts revenus. Mais je ne peux pas croire J. Chirac. La loi de finances qui vient d?être votée juste avant Noël dit exactement le contraire ! Elle continue de creuser les déficits d?une part, et d?autre part, elle a mis en place une réforme fiscale qui favorise les plus gros revenus français. Comment voulez-vous qu?on ait confiance, comment voulez-vous que les choses changent ? M. Chirac va animer la semaine, mais vous-mêmes dans vos commentaires, vous le dites, vous en doutez ! De toute façon, personne n?y croit, puisque c?est fait pour animer la vie politique et pour tenir bon jusqu?aux élections présidentielles en 2007, où je ne vois pas très bien comment J. Pourrait se représenter.
Q- La fin 2005 a été marquée par une interrogation sur ce que la loi peut imposer comme vision de l?Histoire, sur la période coloniale notamment. A quelles conditions peut-on en finir avec cette polémique ?
R- Il est temps de sortir de cette affaire. Et cette réhabilitation qui a été tentée, au détour d?une loi de la colonisation, est un combat d'arrière garde qui ravive trop de souffrances inutiles. La France regarde en ce moment trop vers son passé, alors qu?elle devrait tourner toute son énergie vers la construction de son futur. J?aimerais que la France parle de fraternité, de réconciliation, de mémoire partagée, pour être plus forte...
Q- Auriez-vous aimé que le Président se prononce pour l?abrogation de l?article de loi qui fait débat ?
R- Oui, je crois que le Président a manqué de hauteur de vue. C?est son rôle. Certes, le président de la République est élu sur un projet, sur un programme, il représente la droite en France. Mais enfin, il ne faudrait quand même pas oublier qu?il a été élu à 82 % en 2002 et il avait la possibilité, par son rôle de chef de l?Etat, de dire qu?il fallait tourner la page. Cela passe par l?abrogation de cet article, qui fait de la peine à beaucoup et qui, surtout, est une erreur historique. Ce n?est pas à l?Assemblée nationale de dicter le contenu des programmes scolaires, de dire une vérité historique. Certes elle doit, à certains moments, faire acte d?autorité en matière de mémoire, pour permettre la réconciliation, mais je dis bien pour une mémoire partagée. Là, c?est autre chose qui s?est fait : on veut réhabiliter la colonisation. Comment voulez-vous que l?on se réconcilie avec nos anciennes colonies, comment voulez-vous que l?on se réconcilie avec l?Algérie par exemple ? Comment voulez-vous qu?on renforce le sentiment de vivre ensemble des Français entre eux ? Qui peut régler cela ? Par une parole publique forte, comme J. Chirac l?avait fait par exemple au moment du Vél? d?Hiv?, où il reconnaissait la responsabilité de la France dans la déportation des juifs. Là, sa parole avait pesé. Pourquoi n?a-t-elle pas pesé aujourd?hui ? Peut-être qu?il n?a plus l?autorité morale pour le faire, tout simplement ?
Q- Le Parti socialiste s?apprête à lancer une campagne d?adhésions. A droite, c?est N. Sarkozy qui fait les adhésions à l?UMP. Qui peut mobiliser les nouveaux adhérents socialistes ?
R- Je pense qu?il faut être audacieux. Pour l?instant, on ne l?est pas assez. On va désigner en novembre prochain notre candidat à l?élection présidentielle. Ce sera un homme ou une femme. Pour l?instant, personne ne se détache, parce que personne n?incarne vraiment un projet de renouveau...
Q- Etes-vous sûr qu?il n?y en aura qu?un seul ?
R- Oui, je crois, mais pour le désigner, je propose l?organisation de primaires, et des primaires au-delà des adhérents du Parti socialiste. Nous sommes 130.000, nous serons peut-être 200.000, 250.000 ou 300.000. Mais inspirons-nous de l?expérience de M. Prodi en Italie, pas forcément en organisant des primaires à l?échelle de toute la gauche, puisque les autres parties de gauche n?en veulent pas, mais pourquoi pas avec les électeurs du Parti socialiste, les sympathisants ? Si deux ou trois millions de personnes se mobilisent, cela crée une dynamique et, à ce moment-là, c?est autour de ce candidat ou de cette candidate que les choses peuvent bouger dans notre pays.
Q- S. Royal a-t-elle une stature de chef d?Etat ou est-ce un simple phénomène de sondage ?
R- Je pense qu?il faut que S. Royal, comme les autres candidats à la candidature, disent maintenant ce qu?ils proposent à la France, comment ils pensent que l?on peut sortir de cette crise globale, qui est comparable à celle de la fin de la IVe République. Et dire que la République a besoin d?être rénovée en profondeur, que l?on doit proposer un nouveau contrat social aux Français, avec des priorités, sans faire des promesses à toutes les catégories, en répondant à toutes les revendications ici ou là, mais en allant à l?essentiel, en disant des vérités. C?est ce que j?attends des candidats, de S. Royal comme des autres. Et c?est pour cela qu?à ce moment-là, si les candidats sont capables de parler aussi vrai, aussi fort et aussi loin, la primaire que je propose pour les adhérents et les sympathisants du Parti socialiste peut prendre tout son sens et créer une vraie dynamique dans le pays. Le pays a besoin de retrouver confiance en lui-même. Il a beaucoup de potentialités. Simplement, on ne lui dit pas assez et on a l?impression de vivre en déclin, de ne plus croire en notre pays. Moi, j?ai envie d?y croire encore.
Q- La semaine prochaine, on va célébrer le dixième anniversaire de la mort de F. Mitterrand. Il avait su faire l?unité des socialistes, celle de la gauche pour gagner en 1981. Est-ce qui vous manque, un nouveau Mitterrand ?
R- Oui, ce qu?a fait F. Mitterrand est extraordinaire, il a permis aussi la première alternance. Maintenant, c?est devenu quelque chose de normal dans la vie démocratique française. Cela avait été un choc mais aussi une grande espérance, et les Français d?ailleurs, avec le recul, reconnaissent le bilan très positif de F. Mitterrand, même s?il y a eu des insuffisances, même s?il y a des erreurs et des choses tout à fait discutables. Mais F. Mitterrand avait une énorme qualité, c?est sans doute peut-être ce qui fait qu?il a été aimé par un grand nombre de Français : c?est qu?il savait parler de la France, qu?il aimait la France et qu?il était capable de présenter l?essentiel des enjeux. C?est peut-être ça qui nous manque aujourd?hui. Et quand il le faisait, on le croyait.
(Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 janvier 2006)