Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, lors de la conférence de presse conjointe avec Mme Carolina Varco, ministre colombienne des affaires étrangères, sur la mobilisation de la France pour la recherche d'un accord humanitaire entre le gouvernement colombien et les FARC pour la libération des otages et sur les relations bilatérales franco-colombiennes, Bogota le 26 janvier 2006.

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Circonstance : Voyage de Philippe Douste-Blazy en Colombie le 26 janvier 2006 : conférence de presse à l'issue de son entretien avec le président colombien Alvaro Uribe Velez, à Bogota le 26

Texte intégral

Merci chère Carolina, d'abord je voudrais vous dire le plaisir que j'ai à être à vos côtés aujourd'hui. Je viens de passer une heure avec le président Uribe. 95 % du temps a été consacré au problème des otages, au problème humanitaire, et je voudrais le remercier d'avoir su prendre le temps d'évoquer ce sujet très douloureux pour la Colombie, pour la France, pour l'Europe et pour le monde, avec le ministre des Affaires étrangères français. Je qualifierais l'entretien de direct. Je pense que, sur des sujets comme ceux-là, il faut savoir dire la vérité, souhaiter la transparence, même si, il faut aussi la confidentialité. En réalité, l'opinion publique française, européenne, le gouvernement français, la plupart des gouvernements européens, pour ne pas dire tous les gouvernements européens sont très mobilisés, très sensibilisés à l'affaire des otages en Colombie. L'opinion française a découvert ce drame colombien envers l'intermédiaire d'Ingrid Betancourt. Nous avons une obligation particulière envers Ingrid Betancourt et nous avons aussi une responsabilité éthique envers tous les otages.

En reprenant ce dossier, au Quai d'Orsay, je souhaite que la méthode utilisée soit celle de la vérité et de la transparence tout en étant au rendez-vous de la dignité des personnes.
J'ai rencontré M. Restrepo, à Paris les 17 et 18 novembre dernier. A la suite de cet entretien, on a constaté la volonté de mettre en place sur le terrain, une équipe de deux pays, la France et la Suisse, avec l'accord de l'Espagne, pour rechercher la possibilité d'un accord humanitaire. Cela est porté par ces trois pays et pour le ministre des Affaires étrangères français, il est important d'entendre que le président Uribe est d'accord pour un échange humanitaire, à certaines conditions, ce que je comprends tout à fait d'ailleurs.
Il est donc important maintenant de pouvoir, nous Français, avec l'accord des autorités colombiennes, mener ce processus et que l'accord humanitaire puisse avoir lieu. C'est certainement une responsabilité importante. De temps en temps, lorsqu'il y a deux camps, il faut aussi qu'il y ait des pays amis qui puissent aider à une solution humanitaire et politique.
Et je ne pense pas que la période électorale soit obligatoirement une mauvaise période pour ce type de démarche.
Voilà ce que je voulais dire et évidemment, pendant les quelques minutes qui restaient, nous avons abordé des sujets économiques et nous allons les aborder en profondeur avec Carolina tout à l'heure. Notre pays, la France, est le troisième investisseur en Colombie, nous achetons beaucoup de choses en Colombie : de la houille, des fruits, des produits sidérurgiques, du textile. Nous avons 550 millions de dollars d'investissements, de relations économiques entre nous. Ceci 100 000 emplois dans le domaine de l'automobile, des pneumatiques, du verre, du pétrole, de la grande distribution. Et je souhaite que l'on développe encore ces relations.
L'Espagne a de grandes relations historiques avec la Colombie mais la France a aussi des relations historiques avec vous. La France doit être plus présente qu'elle ne l'est en Amérique latine en général. Nous sommes des latins, on a beaucoup de choses à se dire et à partager. Il y a une coopération agroalimentaire qui sera développée très prochainement. Je crois beaucoup à cela. C'est vrai avec le Brésil, avec la Colombie, c'est vrai avec d'autres pays.
Et puis il y a le contrat entre Airbus et Avianca. La Sagem qui a finalisé un contrat important, plus de 130 millions de dollars avec les cartes d'identité. Il y a aussi pour nous des dossiers importants dans le domaine des télécommunications. Nous allons parler de tout cela, ensemble, en bilatéral.
Comment la Colombie cette grande démocratie, ce grand peuple, issu et porteur d'une grande civilisation, peut à l'intérieur même de son pays coexister avec ce mouvement armé ? C'est la raison pour laquelle j'ai voulu parler à M. Uribe. Et donc, oui, bien sûr, la sécurité mais aussi le dialogue. C'était cela mon message, ayant présent à l'esprit, bien sûr, la situation de notre compatriote Ingrid Bétancourt à laquelle je pense aujourd'hui.

Q - Monsieur le Ministre, les FARC, tout comme le Hamas, sont considérés par l'Union européenne comme des mouvements terroristes. Quel problème particulier cela pose à la France d'organiser aujourd'hui une négociation entre un mouvement considéré comme terroriste et le gouvernement colombien ? Et par rapport à l'accession au pouvoir du Hamas, quelle est votre position sur l'évolution de la nôtre vis-à-vis de ce mouvement ?
R - D'abord, parce que je vous connais, et que je sais que vous êtes un grand spécialiste de la politique internationale, nous ne pouvons pas comparer les territoires palestiniens d'un coté et la Colombie de l'autre. D'un coté, il y a une démocratie, on va dire naissante, et de l'autre, une grande démocratie qui a fait ses preuves.
Mais la question, évidemment très importante, que vous posez en filigrane est la suivante : faut-il, de temps en temps, préférer le dialogue, y compris avec des gens qui ont choisi délibérément la violence, ou est-ce qu'il faut les ostraciser ?
Je suis absolument persuadé qu'il n'est pas acceptable de penser que l'on puisse prendre des otages, et je condamne totalement cela. Je pense qu'il est important qu'il puisse y avoir un lieu de rencontre, un lieu de dialogue, un lieu où l'on commence à parler d'accord humanitaire, et ensuite, pourquoi pas, de politique. Il est essentiel de préférer toujours le dialogue à la violence, de préférer la paix au terrorisme, cela me paraît tellement évident ; et ce n'est pas une quelconque faiblesse parce que, chaque fois que l'on a pu faire rentrer le processus politique dans des lieux où il n'y avait plus de dialogue, eh bien c'était chaque fois qu'il y avait des gouvernements forts. Cela veut dire respecté, pas autoritaire.
Pour terminer, et en répétant que les Territoires palestiniens et la Colombie évidemment n'ont rien à voir, sur le Hamas et sur les Territoires palestiniens, je voudrais juste dire un mot. Dans quelques jours, le nouveau gouvernement palestinien issu des élections devra décider de rompre la violence ; il devra accepter de reconnaître les Accords entre Israël et l'OLP, il devra accepter de reconnaître l'existence d'Israël, ou alors c'est tout le processus politique au Proche-Orient qui sera remis en cause.

Q - En plus du communiqué qui a été émis par les FARC récemment, quel est l'engagement des FARC eu égard au rapprochement vis-à-vis d'un accord humanitaire ? Dans quelles conditions se ferait-il ? Y aurait-il besoin d'un retrait ?
R - Je pense que lorsque l'on lit le dernier communiqué des FARC, on ne peut pas dire que les FARC ferment la porte à une possibilité de rencontre, de dialogue sur un accord humanitaire. Il est trop tôt pour vous répondre sur ce sujet mais nous aurons l'occasion d'y travailler entre le groupe des trois : la France, l'Espagne et la Suisse, les autorités colombiennes et les FARC.

Q - Nous avons découvert ici que l'on parle d'un référendum de consultation populaire sur l'échange humanitaire. Que pouvez-vous nous dire sur cette question ?
R - Nous avons organisé ce matin avec Monsieur l'Ambassadeur, et je voudrais le remercier encore, un petit déjeuner avec un certain nombre de personnes qui comptent dans la société civile colombienne : un prêtre de l'Eglise catholique, un ancien président de la République, un ancien ministre de la Défense, un ancien ministre des Affaires étrangères et un journaliste. De cette discussion, j'ai compris que personne ne peut penser un seul instant qu'on soit contre un accord humanitaire quand on voit le drame au quotidien des gens qui ont peur d'être victimes d'une prise d'otage. Pour moi c'est l'occasion, d'ailleurs, de saluer la diminution du nombre de prise d'otages. Eh bien, s'il y a une consultation populaire, j'espère qu'il y aura 98 % de la population pour s'opposer aux prises d'otages et je suis sûr que tous les sondeurs en Colombie relèveront la même chose que moi. Tout le monde est contre les prises d'otage, du moins je l'espère.

Q - Madame le Ministre, Monsieur le Ministre, je voudrais connaître votre avis sur la question suivante : on vient de voir apparaître sur la scène internationale le Venezuela qui pourrait être le siège, ou plutôt la terre d'asile pour trois députés del Valle et qui pourrait se présenter comme facilitateur d'accord entre le gouvernement colombien et les FARC. Pensez-vous que cela peut aider au processus en général ou plutôt que cela entraverait le labeur de la France et des pays amis ?
R - Vous comprendrez que je n'ai pas à m'immiscer, ni dans la politique étrangère du Venezuela, ni dans celle de la Colombie, mais bien évidemment, il faut surtout qu'il y ait une communauté internationale assez unie, me semble-t-il, et qu'il n'y ait surtout pas compétition entre une ou deux méthodes. Il ne peut y avoir que de la synergie et un travail en commun. Tous les pays qui veulent aider à cet accord humanitaire sont bien évidemment les bienvenus parce qu'il y aura un certain nombre de choses encore à réaliser, ensemble, après l'accord humanitaire.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 janvier 2006