Texte intégral
Intervention de Thomas Rose :
La situation des travailleurs de la région rémoise est bien représentative de la dégradation de la situation des travailleurs dans l'ensemble du pays. Cela apparaît dans le nombre de chômeurs, 10 % de la population salariée, c'est-à-dire en gros le pourcentage des chômeurs à l'échelle du pays. Mais, au-delà des statistiques de toute façon manipulées, il y a ce que les travailleurs vivent ou ce qu'ils constatent autour d'eux, dans leurs familles ou dans leur voisinage : les conséquences dramatiques qu'entraînent les fermetures d'entreprises et les licenciements.
L'usine Arthur Martin, qui a compté jusqu'à 1500 salariés, a définitivement fermé ses portes l'année dernière.
L'unité rémoise de Henkel cessera toute production d'ici la fin de l'année. Le groupe Henkel, spécialisé dans les détergents, les produits d'entretien et de cosmétique, ne connaît pourtant aucune difficulté. Il s'agit simplement d'une réorganisation parce que la direction trouve plus rationnel de transférer toute la production de Reims à Melun et en partie, peut-être aussi, ailleurs. Peut-être aussi parce que ce transfert lui-même rapportera de l'argent au groupe tant il est dans les habitudes de la part des municipalités de faire des cadeaux aux entreprises qui s'installent même si, quelque temps après, elles déménagent de nouveau. Mais ce qui, pour ce groupe, n'est qu'une restructuration, une décision pour ainsi dire purement administrative, est un drame pour la centaine de travailleurs qui se retrouvent brutalement sans emploi et sans salaire et avec bien peu d'espoir d'en retrouver rapidement.
Un plan de suppression de 228 emplois est également en cours aux Verreries Mécaniques Champenoises. Cette usine employait, il y a 25 ans, 2000 salariés. En un quart de siècle, à travers une succession de plans dits sociaux, il n'en reste plus que 380. Mais, pendant que les effectifs ont été ainsi divisés par cinq, la production s'est maintenue et a même légèrement augmenté. Là encore, l'entreprise n'est nullement en difficulté : sa direction se vante d'être le leader sur le marché national et deuxième au niveau européen. Elle fait partie, de surcroît, de la branche emballage du groupe Danone, premier groupe agro-alimentaire en France.. A certains travailleurs de VMC, des reclassements internes ont été proposés dans l'autre usine que le groupe possède à Reims. Mais cette proposition de reclassement ne concerne pas tous ceux qui sont menacés, et pas du tout les intérimaires.
Ce sont encore les intérimaires qui sont visés dans l'immédiat chez Valéo. Les mesures d'âge ont cependant fait disparaître une centaine d'emplois, en plus des emplois intérimaires. Même s'il ne s'agit pas de licenciements secs, des emplois en moins, cela signifie forcément des chômeurs en plus.
Pour ce qui est de la fermeture de Néocom, qui a entraîné une centaine de licenciements, il y a de quoi être indigné aussi bien des facilités accordées à cette entreprise à sa création que des conditions de sa fermeture. La création, fin 2000, de ce centre d'appels sous le nom d'ATOS, avait été annoncée à grands renforts de publicité. La perspective de 500 emplois annoncés arrivait à point nommé avant les municipales. Le maire, Jean-Louis Schneiter avait alors largement subventionné cette installation, avec la contribution d'autres collectivités, en accordant plus de cinq millions d'euros d'aides diverses. L'entreprise nouvelle n'a cependant même pas tenu le minimum de 360 emplois auxquels elle s'était engagée. Qu'importe pour les collectivités qui n'ont jamais exigé un quelconque remboursement des aides perçues.
On a aussi appris que Néocom n'avait pas versé, depuis plusieurs mois, aux Assedic ou à l'Urssaf les cotisations sociales alors qu'elle n'avait pas oublié de les décompter des feuilles de paie.
Après des années d'incertitude, l'entreprise a donc mis la clef sous la porte. Et, pour commenter cette fermeture, le maire s'est contenté d'affirmer qu'il serait plus prudent à l'avenir lorsqu'il s'agirait de centres d'appels. Mais, en attendant, les cinq millions d'euros ont été bel et bien empochés !
Au-delà des entreprises qui ont déjà fermé ou réduit leurs effectifs, des menaces pèsent pour ainsi dire sur tous les travailleurs des grandes entreprises de la région, des ex-fonderies Valfond à Mac Cormic à Saint-Dizier, de Reims-Aérospace aux sites du groupe Trêves à Reims et à Ay. Dans ce dernier groupe, la famille Trêves a annoncé hier sa volonté de diviser les effectifs par quatre d'ici 2007.
Le chômage, la menace de licenciement, sont certainement ce qui pèse le plus lourdement, non seulement sur les conditions matérielles des travailleurs, mais aussi sur leur moral et leur combativité.
Mais je voudrais aussi parler de la dégradation des services publics.
Il en est beaucoup question dans l'actualité, comme lors de la récente introduction en Bourse des actions EDF, partiellement privatisée. Il est toujours question des services publics lors de la grève de la SNCF. A la SNCF, les cheminots ont été en grève contre l'abandon progressif au privé de filiales ou de services et les suppressions d'emplois comme c'est le cas au dépôt de Mohon dans les Ardennes ou aux ateliers d'Epernay. L'abandon des services publics, on le retrouve avec l'explosion de violence aveugle dans les quartiers populaires qu'on a connue ces dernières semaines.
Oh, les services publics ont tous été mis en place pour satisfaire certains besoins indispensables au fonctionnement de l'économie capitaliste mais qui n'étaient pas assez profitables pour intéresser les capitalistes privés. Même les meilleurs des services publics servent principalement les intérêts de la classe possédante. EDF, par exemple, même à 100 % propriété d'Etat, était avant tout au service des grands consommateurs d'électricité, des grandes entreprises.
Il en est ainsi des transports collectifs sans lesquels les entreprises auraient plus difficilement à leur disposition une main-d'oeuvre qu'elles attirent bien souvent à longue distance, sans même parler du rôle de la SNCF dans le transport de marchandises.
La santé publique elle-même et la Sécurité sociale contribuent à éviter aux capitalistes individuels de payer des salaires suffisants pour que leurs travailleurs puissent s'assurer les services payants de médecins privés.
Et même le service public de l'Education nationale, avec la fameuse « scolarité obligatoire » imposée à l'époque par Jules Ferry, a été créé pour répondre, avec des moyens étatiques, aux besoins impératifs de fournir, aux entreprises capitalistes en plein développement, une main-d'oeuvre capable de lire et d'écrire.
Malgré tout cependant, ce sont encore les services publics qui représentent un tant soit peu les intérêts collectifs dans cette « économie de marché », impitoyable pour les démunis.
Dans le domaine de la santé, de l'enseignement, des transports collectifs, les services publics pallient au moins un peu l'insuffisance des revenus des classes laborieuses. Ils font partie de leurs conditions d'existence.
Or, depuis des années, l'Etat se désengage de plus en plus des services publics. Il ne s'agit même pas nécessairement de changement de statut juridique. Mais introduire la notion de rentabilité dans le service public, supprimer, au nom de cette rentabilité, un bureau de poste dans un village ou dans un quartier populaire, fermer des gares, cesser de faire rouler des trains Corail sous prétexte qu'ils coûtent plus cher qu'ils ne rapportent, cela va à l'encontre des intérêts des classes populaires et c'est une régression sociale.
Pour ne prendre que l'exemple de la Poste sur Reims, celle-ci a réorganisé la tournée des facteurs en accroissant leur charge de travail pour parvenir à supprimer des emplois. On se souvient qu'en juin 2004, à la Poste de Boulingrin, ce sont 40 postes qui ont été supprimés et 26 des 126 tournées.
En zone rurale, la même politique a des effets désastreux sur le lien social que les facteurs maintenaient en amenant des médicaments à des personnes âgées.
Et c'est une régression pire encore lorsqu'il s'agit d'hôpitaux, de maternités de proximité ou, encore, de maisons de retraite. Faire des économies sur les salaires en refusant d'embaucher un personnel en nombre suffisant n'est pas seulement aberrant dans une période de chômage. C'est socialement et humainement inacceptable, même lorsque l'insuffisance de personnel ne se traduit pas par des catastrophes comme l'été de canicule de 2003.
En tant qu'enseignant, je voudrais aussi parler de la défaillance de l'Etat en matière d'Education nationale qui vient de montrer ses conséquences dramatiques avec l'explosion de violence dans les quartiers populaires. Car la forme prise par la révolte des jeunes, la violence aveugle, l'absence de solidarité à l'égard des leurs, illustrent surtout la faillite complète de l'Etat dans le domaine de l'éducation, même si la situation dans les quartiers populaires s'enracine dans le chômage massif et dans la pauvreté générale, dans l'insuffisance de logements sociaux et dans la dégradation de ceux qui existent.
Chirac a osé parler « d'égalité des chances » et « d'intégration ». Mais, dans les cités populaires où les familles viennent de dizaine et de dizaines de pays différents, les parents n'ont pas les moyens ni matériels ni culturels de transmettre même un minimum d'éducation, savoir lire, écrire et parler correctement. Cela constitue pourtant une condition élémentaire de toute intégration. C'est l'école publique qui devrait prendre en mains les enfants des milieux populaires les plus pauvres, et ceci dès l'école maternelle, dès l'âge de trois, voire deux ans. C'est à cet âge-là qu'on initie à la langue et à des comportements collectifs. C'est à l'école primaire qu'il faudrait créer les conditions pour que chaque enfant apprenne à lire, à écrire, à compter correctement. Mais, même dans les classes composées d'enfants de milieux pauvres dont les familles parlent français, des classes trop nombreuses n'éduquent pas, et à plus forte raison si, dans des classes surchargées d'écoles primaires, les élèves parlent dix langues différentes.
Ce serait à l'Etat d'embaucher et de former des enseignants en nombre suffisant. Il faudrait des effectifs d'élèves peu nombreux, une douzaine par enseignant, pour qu'ils puissent faire correctement leur travail et que les enfants puissent trouver à l'école ce qu'ils ne peuvent pas trouver dans leur milieu familial. Faute de ce minimum, les enfants des pauvres n'ont aucune chance de surmonter le handicap qui est le leur dès leur petite enfance. Ils se retrouvent inévitablement en état d'échec scolaire et beaucoup d'entre eux finissent par ne plus avoir aucun intérêt pour l'école.
Ce n'est vraiment pas un problème insurmontable dans un pays développé comme la France où il y a des dizaines, des centaines de milliers de jeunes qui ont passé le bac, qui ont des diplômes universitaires et qui, de plus, cherchent un travail sans en trouver. Sans même parler de ces milliers d'enseignants déjà expérimentés, mais qui ne sont embauchés que par intermittence en tant qu'auxiliaires ou en tant que contractuels et dont plusieurs centaines se relayent pour manifester devant des rectorats en ce moment même, parce qu'on ne leur offre aucun poste ! Bien sûr, c'est une question de moyens, mais même pas de moyens extraordinaires pour embaucher le nombre d'enseignants qu'il faut et construire les salles de classe en nombre suffisant.
Ce n'est pas cette voie qui est choisie ici comme ailleurs. Au cours des trois dernières années, c'est près de 700 emplois d'enseignants qui ont été supprimés dans la région alors que, justement, il aurait fallu les conserver pour avoir une possibilité de répondre à tous ces besoins. Dans les Ardennes, le Conseil général, en accord avec le ministère de l'Education nationale, vient d'annoncer qu'il envisageait la fermeture de près de 10 collèges sur les 44 que compte le département, que ce soit en zone urbaine ou en zone rurale. A Reims, la fermeture d'un collège est aussi envisagée suite à la baisse annoncée des effectifs. Il s'agirait soit de Pablo Picasso, soit de François Legros. Ces deux établissements ont un recrutement basé sur des quartiers populaires. L'argument de la baisse démographique, avancé pour justifier toutes ces suppressions d'emplois ou ces fermetures, n'en est donc pas un car de plus petits effectifs devraient permettre une amélioration des conditions d'enseignement. Il faut aller chercher l'explication dans la volonté commune de l'Etat et des Conseils généraux de se désengager financièrement de l'éducation en y consacrant moins de moyens.
Mais l'Etat n'utilise pas ces moyens là où c'est utile pour toute la société. Il préfère consacrer de plus en plus d'argent à aider le grand patronat à réaliser les profits élevés qui sont les siens, quitte à gâcher la vie de milliers de jeunes, de leurs familles ; quitte à laisser des bombes à retardement dans les quartiers populaires qui leur sauteront de plus en plus à la figure.
En fait, le désengagement de l'Etat des services publics fait partie de l'offensive générale de la classe possédante contre le monde du travail. Mais, sur les raisons de cette offensive et surtout sur les moyens d'y faire face, je laisse la parole à ma camarade, Arlette Laguiller.
Intervention d'Arlette Laguiller :
Travailleuses, travailleurs, amis et camarades,
Oui, la dégradation des conditions d'existence du monde du travail est évidente, générale et intolérable. Elle touche tous les aspects de la vie des travailleurs. De tous les travailleurs, car le recul général n'épargne aucune région, aucune corporation, aucune catégorie d'âge.
La classe capitaliste n'a jamais été tendre avec la classe ouvrière et ne peut pas l'être parce que ses capitaux, sa richesse, sa position sociale, viennent de l'exploitation. Mais, depuis un quart de siècle au bas mot que leur économie, l'économie de marché, est poussive, le patronat mène une véritable guerre, une guerre sociale féroce, pour abaisser toujours plus la part des travailleurs dans le revenu global, afin d'augmenter celle des possesseurs de capitaux.
Il le fait en freinant ou en abaissant les salaires, en remplaçant les contrats définitifs par des contrats précaires mal payés, en licenciant une partie des effectifs pour produire autant et même plus avec moins de travailleurs, en augmentant le rythme et l'intensité du travail. Il le fait au travers d'innombrables mesures de réorganisation plus ou moins douloureuses, m ais toutes destinées à tirer des travailleurs le maximum, en les usant jusqu'aux limites du supportable. Et si, depuis deux ans, les profits des grandes entreprises s'envolent, ils ont pour contrepartie l'abaissement du niveau de vie et l'usure plus grande de ceux qui travaillent et une misère plus grande pour ceux qui ont été rejetés vers le chômage.
Mais ces profits ont, également, pour contrepartie tout ce qui est en recul dans une vie ouvrière en dehors même du lieu de travail : des soins de plus mauvaise qualité pour ceux qui en ont besoin et plus mal remboursés, l'âge de la retraite repoussé et des pensions insuffisantes, la détérioration de ce qui, dans les services publics, est utile surtout aux classes populaires, des hôpitaux à l'éducation des enfants des quartiers populaires, en passant par les transports collectifs.
Tout cela ne dépend pas directement du patronat mais de l'Etat et des gouvernements successifs. Mais, justement, toutes les économies faites au détriment de tout ce qui est utile aux classes populaires sont faites, non pas par nécessité, mais par choix, dans le but de permettre à l'Etat de consacrer une fraction croissante de ses moyens, qui sont énormes, à accroître les profits des entreprises et, directement ou indirectement, la richesse de la bourgeoisie.
Tout au long de ce quart de siècle d'offensives du patronat contre les travailleurs, le grand patronat a toujours pu compter sur le soutien indéfectible, permanent, multiforme, des gouvernements qui se sont succédé.
En tentant de récapituler les mesures qui ont contribué à rendre la vie des travailleurs de plus en plus difficile, on ne sait même plus quel était le gouvernement qui les a prises et quelle était son étiquette politique. La seule chose qui est sûre, c'est que toutes les mesures sont allées dans le même sens. Et presque jamais dans le sens de rendre la vie des travailleurs moins dure.
Comment se rappeler qui a porté quel coup contre les travailleurs alors que, depuis 1981 et l'élection à la présidence de François Mitterrand, la gauche a gouverné, en alternance avec la droite, à peu près aussi longtemps l'une que l'autre, quand elles n'ont pas gouverné ensemble : tantôt c'est le pseudo-« socialiste » Mitterrand, président pendant 14 ans, qui a gouverné avec un Premier ministre de droite comme Chirac ou Balladur ; tantôt, c'est le président de droite Chirac qui a gouverné avec un Premier ministre socialiste, Jospin.
Depuis trois ans, et le président de la République, et le gouvernement sont de droite. C'est certainement le gouvernement le plus réactionnaire, le plus ouvertement anti-ouvrier que le pays ait connu depuis bien longtemps. Jamais les mesures contre les travailleurs ne se sont succédé à un rythme aussi effréné : contre la protection sociale, contre les retraites, contre la législation du travail. Rarement, aussi, un gouvernement n'a affiché une hostilité aussi viscérale au monde du travail et aux pauvres pour flatter les préjugés de la vaste classe des possédants grands et petits que compte ce pays.
Mais comment oublier que Chirac, cet homme de droite, a bénéficié, à l'élection présidentielle de 2002, du soutien des partis de gauche qui ont osé appeler à voter pour lui sous le prétexte fallacieux d'empêcher un homme de droite encore pire, Le Pen, d'arriver à la présidence. Ils savaient tous que Chirac aurait été de toute façon élu avec les votes de son propre électorat. Mais la gauche, soucieuse surtout d'éviter que l'on discute du bilan, désastreux pour les classes populaires, des cinq ans du gouvernement Jospin, toute honte bue, a choisi de s'aligner derrière Chirac. Elle a présenté cet homme de droite en rempart de la société contre la menace de l'extrême droite. On voit pourtant aujourd'hui que voter pour Chirac, c'était aussi voter pour tous les siens, y compris pour Sarkozy, ce ministre de l'Intérieur dont la démagogie, les intentions politiques, jusqu'à ses mots et son mépris des pauvres, ressemblent tant à ceux de Le Pen.
Alors, bien sûr, la droite au pouvoir mène une politique tellement anti-ouvrière qu'elle fait oublier la politique de Jospin. On entend aujourd'hui les dignitaires socialistes présenter les cinq ans du gouvernement de Jospin comme une époque bénie ! Le Parti socialiste espère qu'il n'a pas à faire de promesses, et surtout pas à prendre le moindre engagement, pour que l'électorat populaire n'ait pas d'autre choix aux élections de 2007 que de voter pour lui, par dégoût des autres.
Mais les dirigeants socialistes, dont pas un n'a admis que, si Jospin est arrivé derrière Le Pen au premier tour de l'élection présidentielle de 2002, c'est en raison de la politique qu'il a menée, prennent un risque. Le risque qu'une partie de l'électorat populaire, la moins consciente, qui est dégoûtée du gouvernement de droite mais qui l'est tout autant de la gauche et qui n'a aucune raison de voir une différence là où il y en a si peu, finisse par voter plus massivement encore qu'en 2002 pour le démagogue d'extrême droite en pensant que c'est une façon de désavouer tous les autres. Mais c'est parce que les partis de gauche lui auront ôté jusqu'à l'idée qu'elle peut se défendre elle-même.
A son congrès qui vient d'avoir lieu, le week-end dernier, au Mans, le Parti socialiste s'est retrouvé uni après des mois de conflits publics entre ses dirigeants qui avaient choisi d'appeler à voter « oui » au référendum sur la Constitution européenne proposée par Giscard et ceux qui avaient choisi d'appeler à voter « non ». Que la grande presse s'amuse donc à spéculer pour savoir si cette unité retrouvée est de façade ou non, ou sur le nom de celui qui, dans la demi-douzaine de candidats potentiels, finira par obtenir l'investiture officielle du PS ! Ce qui est sûr, c'est que chacun des candidats, y compris Fabius qui, pendant la campagne référendaire, a tenté de gauchir son image, sait qu'il ne peut pas se passer du soutien de l'appareil du PS. Et ce qui est sûr encore, c'est que la synthèse a été d'autant plus facile que pas grand-chose ne sépare les différents candidats potentiels sur le plan politique.
Les travailleurs n'ont certainement aucune raison de se souvenir en bien de ce qu'a fait Fabius lorsqu'il était Premier ministre de Mitterrand ou ministre de l'Economie de Jospin. Et bien malin celui qui pourrait dire en quoi sa politique a été différente de celle de Strauss-Kahn qui l'a précédé au même poste de ministre de l'Economie.
Quel que soit e candidat socialiste que l'appareil du parti désignera le moment venu, il ne s'engagera certainement pas plus que n'a voulu s'engager le congrès socialiste lui-même.
Au-delà des bagarres d'appareil et des rivalités de personnes, qu'est-ce qui est donc sorti de ce congrès du PS qui puisse incarner le moindre espoir de changement pour le monde du travail ?
Des mots, rien que des mots. Et les quelques promesses faites sont ou bien dérisoires, ou bien tellement vagues que, si d'aventure les socialistes revenaient au gouvernement, ils pourraient faire ce qu'ils veulent sans même avoir l'air de renier leurs promesses. Des promesses formulées de telle façon qu'elles ne puissent engager que ceux qui les croient, pas ceux qui les ont faites.
Le Smic à 1500 ? avant la fin de la prochaine législature, c'est-à-dire en 2012 ? Mais un Smic à 1500 ? d'ici à 2012, cela représente entre 2 et 3 % d'augmentation par an. C'est à peu près le montant de l'augmentation automatique du Smic si l'inflation se maintient à son niveau actuel.
L'abrogation du « contrat nouvelle embauche » ? C'est mieux que rien. Mais si c'est pour rétablir le « contrat emploi jeune », dont les dirigeants socialistes chantent les vertus mais que le gouvernement Jospin n'a pas osé transformer en embauche définitive, c'est encore presque remplacer une forme de précarité par une autre, moins sélective.
Le PS promet de pénaliser le recours "abusif" aux contrats précaires. Mais qui décidera ce qui est abusif alors qu'une part majeure des embauches nouvelles, quand il y en a, est constituée de contrats précaires ? Et quelle serait l'efficacité d'une pénalité symbolique ?
Pas plus grande que celle des pénalités contre les municipalités des villes bourgeoises lorsqu'elles refusent de construire des logements sociaux.
Le PS promet, aussi, d'abroger la loi Fillon sur les retraites en ajoutant qu'un « financement plus juste » sera recherché. Mais comme la synthèse socialiste ne souffle mot de la loi Balladur, celle qui a imposé l'allongement de la durée de cotisation, qui a repoussé pour le secteur privé l'âge de départ à la retraite, on ne peut qu'en déduire que c'est sur la base de la loi Balladur que les socialistes chercheront une autre rédaction de la loi Fillon. Il n'est en tout cas pas question de promettre de rétablir les retraites dans leur intégralité, aussi bien quant à la durée de cotisation qu'à l'âge de départ en retraite et la base de calcul des pensions.
Le PS promet de revenir sur le début de privatisation d'EDF mais garde le silence sur toutes les autres privatisations. Et pour cause : une grande partie en a été décidée par le gouvernement Jospin.
Il promet de "dissuader les entreprises qui licencient aux seules fin de répondre aux exigences financières". Comment ? En rétablissant la loi de modernisation sociale qui, sous Jospin, n'a pas empêché un seul licenciement.
Enfin, grosse concession des dirigeants socialistes qui ont appelé à voter "oui" au projet de Constitution Giscard à la minorité qui a appelé à voter "non", la synthèse promet que « le vote des Français le 29 mai sera respecté ». Vu que, de toute façon, le projet de Constitution Giscard est mort et enterré, cette promesse ne coûte vraiment pas cher.
Des mots, mais rien de concret. Pas question de revenir sur toutes les restrictions sur la Sécurité sociale. Pas question d'aligner la hausse des cotisations patronales sur la hausse des cotisations des salariés. Pas question d'annuler toutes les modifications apportées à la législation du travail, nuisibles aux travailleurs.
Et surtout, pas question d'imposer au patronat de transformer les multiples formes de contrats précaires sous-payés par des emplois stables, correctement payés. Pas question d'augmentation des salaires, pas même pour les travailleurs qui touchent moins que le Smic, et ils sont de plus en plus nombreux.
Depuis plusieurs semaines, le Parti communiste use d'un langage critique vis-à-vis du Parti socialiste. Le jour même du congrès du Mans, Marie-George Buffet, dans une interview donnée au Parisien, a affirmé -je la cite- « Le PS nourrit la désespérance » et se posait la question « Je m'interroge : ce parti va-t-il poursuivre sa dérive sociale-libérale ou va-t-il se ressaisir en redevenant un parti pleinement engagé à gauche ? ». Passons sur l'hypocrisie de la question. Car, enfin, ce n'est certainement pas dans l'opposition que le PS a pu faire preuve de sa dérive sociale-libérale, ou seulement en paroles ! C'est bien lorsqu'il était au gouvernement. Et à ce qu'on sache, Marie-George Buffet a été ministre dans le gouvernement de Jospin tout au long de ces cinq ans !
Mais, enfin, elle dit peut-être juste lorsqu'elle ajoute qu'il « ne faut pas que la gauche pense qu'elle va gagner en 2007 en se contentant de ramasser les fruits du mécontentement ».
Car, en effet, à lire les propositions sorties du congrès du PS, c'est à croire qu'il ne veut donner à l'électorat populaire aucune raison de voter pour lui. Dès le lendemain du congrès du PS pourtant, L'Humanité se réjouissait de « l'inflexion à gauche » de la synthèse socialiste. Et Marie-George Buffet d'ajouter que le PCF tiendra pour sa part son congrès en mars 2006 et qu'il fera des propositions afin que « on arrive ainsi à un contrat entre toutes les forces de gauche sur un programme de transformation sociale ».
Mais par quel miracle, le vide sidéral du programme du PS pourrait-il se transformer en « programme de transformation sociale » ? Par la vertu du verbe de Marie-George Buffet dans les prochaines négociations avec Hollande ou Fabius ? La prochaine mouture de l'Union de la gauche, comme les précédentes, tournera nécessairement autour de ce que propose le PS. Et, si le PC parvient à y glisser quelques expressions radicales, cela ne servira qu'à tromper un peu plus les travailleurs. Car il n'a pas et il n'aura pas le poids, même s'il était intégré de nouveau dans un prochain gouvernement socialiste, de faire mener au PS une autre politique que celle que ce dernier entend mener.
Les phrases critiques des dirigeants du PC à l'égard des dirigeants du PS ne peuvent pas faire oublier leur responsabilité écrasante.
Oh, certes, c'est le PS qui est responsable de ce que Marie-George Buffet appelle « la dérive sociale-libérale » et que moi j'appelle « servir au gouvernement les intérêts du grand patronat ». Dans le gouvernement Jospin comme dans les gouvernements socialistes précédents, dont des ministres communistes ont fait partie, ces ministres n'ont joué que le rôle de cinquième roue du carrosse, la politique étant toujours déterminée par les socialistes. Mais c'est tout de même le PC qui a eu, dans le passé, assez de crédit au sein de la classe ouvrière, pour faire passer la politique socialiste comme la seule possible, même lorsque la politique menée foulait brutalement aux pieds les intérêts des travailleurs.
Cela fait bien longtemps que la direction du PC a abandonné le terrain de la lutte de classe en cessant d'encourager les travailleurs à la mener. C'est en laissant les mains libres au patronat et à ses représentants politiques pour mener, plus qu'une lutte, une guerre sans merci contre les classes populaires. C'est grâce au PC que la gauche a pu imposer l'idée que seules les élections peuvent changer le sort des travailleurs. C'est grâce, si l'on peut dire, au PC que la gauche a pu détourner les travailleurs de la lutte et les convaincre de l'inutilité du combat et de les démoraliser au point de ne plus croire en leur force collective.
En faisant cela, le PC a scié sa base populaire, la seule force sur laquelle il pouvait s'appuyer, et n'a pu que lier son sort à ses résultats électoraux. Mais sur le plan électoral, il ne fait pas le poids pour pouvoir jouer le rôle qu'il ambitionne au sein d'un gouvernement. Il lui faut forcément passer des alliances, et ces alliances, il ne peut les trouver que sur sa droite, c'est-à-dire du côté du Parti Socialiste. Mais il n'est jamais en situation d'influencer réellement le gouvernement. Il est contraint de laisser cette responsabilité à son allié socialiste, en jouant un rôle de comparse, c'est-à-dire de « ramasse-voix » aux élections pour le PS et, ensuite, de complice dans tout ce que les éventuels gouvernements socialistes peuvent faire contre les travailleurs. Ce qui, bien entendu, déconsidère le PC aux yeux des masses et diminue encore son poids électoral.
Alors, la situation critique où il se trouve, il l'a bien cherchée !
Mais, si peu qu'il pèse actuellement sur le plan électoral, le PCF est encore indispensable au PS pour avoir une chance de remporter une élection présidentielle.
Et, malheureusement, les syndicats se font les complices de cette politique, y compris la CGT qui se contente, au mieux, de journées d'action sans lendemain, ce qui conduit nombre de travailleurs à les croire inutiles.
Les organisations syndicales de la SNCF ont appelé à une grève reconductible à partir du 22 novembre. Malgré l'intense propagande répercutée par tous les médias, cette grève a été assez largement suivie. Les chiffres qu'a donnés la direction pour minimiser la grève tiennent compte de l'ensemble du personnel, y compris les cadres, les absents pour maladie et congé et ceux qui étaient de repos le jour de la grève. Mais la grève a été plutôt bien suivie dans le pays, en particulier par les agents de conduite, mais pas seulement. Un cheminot sur trois était en grève et, dans plusieurs régions, les grévistes étaient majoritaires.
Eh bien oui, les grévistes ont eu raison car, pour les travailleurs, même pour exprimer leur mécontentement la grève est le seul moyen. Bien sûr, devant une journée de grève même prolongée dans certaines régions, la direction n'a pas cédé grand-chose. Mais le peu qu'elle a cédé, elle l'a fait à cause de la grève.
Et c'est encore à cause de la grève qu'on a entendu Chirac expliquer qu'il n'est pas question de privatiser la SNCF. C'est un mensonge car s'il n'y a pas de privatisation d'ensemble, il y a bien privatisation par petits bouts, service par service de certains secteurs dont le privé peut tirer du profit en laissant aux secteurs nationalisés les investissements et les dettes.
C'est à cause de la grève aussi qu'on a vu des députés de droite s'agiter, déverser leur haine contre les travailleurs qui se défendent, et réclamer à cor et à cris qu'on limite le droit de grève.
Bien sûr, les travailleurs conscients ne peuvent que rejeter avec m??pris les discours des hommes politiques, de ces ministres, de ces dignitaires de la droite qui défilent à la télévision en osant se poser en défenseurs des voyageurs pour vitupérer contre les grévistes de la SNCF. Ce n'est pas seulement les jours de grève que les travailleurs encourent la fatigue, des pertes de temps, mais tous les jours, et pas à cause de la grève, mais parce que l'Etat consacre de moins en moins d'argent aux trains de banlieue et aux transports publics qui concernent les travailleurs. Et ce sont ceux des cheminots qui ont choisi de faire la grève et de la continuer qui ont raison, malgré les tergiversations des syndicats, y compris de ceux qui ont appelé à la grève et qui ont bien vite arrêté la grève sans laisser aux grévistes le moyen de juger de la profondeur du mouvement qu'ils avaient engagé.
Car, au-delà des syndicats de cheminots, la stratégie des centrales syndicales, une stratégie de dispersion, est préjudiciable à l'action. Pourquoi l'appel aux cheminots le mardi, l'appel aux agents de la RATP le mercredi, et aux enseignants le jeudi ? Pourquoi avoir laissé seuls et isolés les traminots de Marseille qui se battent depuis 45 jours ? Pourquoi cette dispersion voulue, cet échelonnement orchestré des appels à la grève ?
Pourquoi revenir, après le « tous ensemble » d'une journée du 4 octobre laissée sans lendemain, aux appels corporation par corporation ? Pas seulement par l'échelonnement des dates mais aussi par les revendications avancées. Pourquoi mettre en avant, à la RATP, « la défense des statuts », une revendication corporative qui ne peut que laisser indifférents les travailleurs des autres secteurs ? Pourquoi ce catalogue de revendications mises en avant à la SNCF, qui n'éclairent pas mais dissimulent le fait que les cheminots ont les mêmes problèmes et les mêmes objectifs que l'ensemble des travailleurs : pour l'augmentation des salaires, contre les suppressions d'emplois et contre la précarisation !
Comment imaginer que ces grèves, limitées à une corporation, puissent faire peur au patronat et au gouvernement, au point de les faire reculer ? Comment imaginer même seulement qu'elles puissent inspirer confiance aux travailleurs dans l'issue de la lutte ?
La journée nationale d'action du 4 octobre a été bien suivie. Comme l'avait été celle du 10 mars. Mais des journées comme cela, si elles restent sans suite pendant des mois, ne contribuent en rien à la mobilisation nécessaire. Chaque journée d'action devrait avoir une suite, annoncée par avance et à brève échéance. Personne ne peut avoir la naïveté de croire qu'un appel à la grève générale illimitée puisse marcher d'un seul coup. Mais il faut que les travailleurs sachent que c'est cela, l'objectif, c'est cela qui se prépare à travers chaque journée d'action. Il faudrait un plan de lutte, clairement annoncé, pour mobiliser, de journée en journée, de plus en plus de travailleurs. Il faut que les plus déterminés aient l'occasion et la possibilité d'entraîner ceux qui, aujourd'hui, hésitent encore.
Oui, il faut que tous les travailleurs sachent que les journées de grèves et de manifestations sont des étapes et que ceux qui les organisent, ceux qui militent pour qu'elles marchent, le font dans la perspective de la mobilisation générale de tous les travailleurs, la seule qui soit susceptible de faire reculer le patronat et le gouvernement.
Alors, travailleuses, travailleurs, camarades,
Nous n'avons pas à remettre notre sort aux élections de 2007. D'abord parce que les élections de 2007, c'est dans un an et demi. Et, au rythme où ce gouvernement prend des mesures anti-ouvrières, ils ont le temps de nous faire crever sous les coups d'ici là ! Et puis, de toute façon, les élections de 2007 ne changeront que le nom de celui qui dirigera les affaires de la bourgeoisie. Elles ne changeront rien au sort des travailleurs.
En 2007, que ce soit Hollande, Fabius ou Strauss-Kahn, celui qui accédera à la présidence de la République ne fera pas plus pour les travailleurs que n'a fait Mitterrand. Et, de surcroît, à force de refuser tout engagement envers les travailleurs, rien ne dit qu'une partie des salariés, même de ceux qui votent d'habitude pour la gauche, n'en soit pas dégoûtée et que, quel que soit le candidat socialiste, il n'obtienne pas plus de voix que Jospin en 2002. Et, dans ce cas, cette élection amènera au pouvoir un homme de droite comme Sarkozy qui mènera une guerre plus ouverte encore aux travailleurs que n'en ont menée Raffarin et Villepin.
Nous n'avons pas à nous bercer de faux espoirs. Et, en disant cela, je ne suis pas pessimiste, je suis simplement lucide. Car les travailleurs ont un autre choix que ces illusions électorales qui les désarment et qui les livrent pieds et poings liés aux coups du patronat.
Et l'autre voie est celle de la lutte, celle de la mobilisation gréviste. Seule la lutte paie parce que c'est le seul moyen qu'ont les travailleurs de se faire craindre et de faire respecter leur droit à une autre existence que celle qui consiste à se crever au travail ou à crever de misère, quand ce n'est pas les deux à la fois.
Et j'ai la conviction que les travailleurs s'engageront tôt ou tard dans cette voie, soit en obligeant les syndicats à organiser les luttes et à les fusionner, soit en les obligeant à suivre une explosion ouvrière qui se sera produite sans eux. C'est bien souvent comme cela que ce sont produites les grandes luttes du passé, celles justement qui ont réellement fait avancer la condition ouvrière. En tout cas, si difficile que puisse apparaître de s'engager sur cette voie, cela est infiniment moins utopique que d'attendre des élections de 2007, quel que soit leur résultat, un changement favorable aux travailleurs.
(Source http://www.lutte-ouvrièreOg, le 29 novembre 2005)
La situation des travailleurs de la région rémoise est bien représentative de la dégradation de la situation des travailleurs dans l'ensemble du pays. Cela apparaît dans le nombre de chômeurs, 10 % de la population salariée, c'est-à-dire en gros le pourcentage des chômeurs à l'échelle du pays. Mais, au-delà des statistiques de toute façon manipulées, il y a ce que les travailleurs vivent ou ce qu'ils constatent autour d'eux, dans leurs familles ou dans leur voisinage : les conséquences dramatiques qu'entraînent les fermetures d'entreprises et les licenciements.
L'usine Arthur Martin, qui a compté jusqu'à 1500 salariés, a définitivement fermé ses portes l'année dernière.
L'unité rémoise de Henkel cessera toute production d'ici la fin de l'année. Le groupe Henkel, spécialisé dans les détergents, les produits d'entretien et de cosmétique, ne connaît pourtant aucune difficulté. Il s'agit simplement d'une réorganisation parce que la direction trouve plus rationnel de transférer toute la production de Reims à Melun et en partie, peut-être aussi, ailleurs. Peut-être aussi parce que ce transfert lui-même rapportera de l'argent au groupe tant il est dans les habitudes de la part des municipalités de faire des cadeaux aux entreprises qui s'installent même si, quelque temps après, elles déménagent de nouveau. Mais ce qui, pour ce groupe, n'est qu'une restructuration, une décision pour ainsi dire purement administrative, est un drame pour la centaine de travailleurs qui se retrouvent brutalement sans emploi et sans salaire et avec bien peu d'espoir d'en retrouver rapidement.
Un plan de suppression de 228 emplois est également en cours aux Verreries Mécaniques Champenoises. Cette usine employait, il y a 25 ans, 2000 salariés. En un quart de siècle, à travers une succession de plans dits sociaux, il n'en reste plus que 380. Mais, pendant que les effectifs ont été ainsi divisés par cinq, la production s'est maintenue et a même légèrement augmenté. Là encore, l'entreprise n'est nullement en difficulté : sa direction se vante d'être le leader sur le marché national et deuxième au niveau européen. Elle fait partie, de surcroît, de la branche emballage du groupe Danone, premier groupe agro-alimentaire en France.. A certains travailleurs de VMC, des reclassements internes ont été proposés dans l'autre usine que le groupe possède à Reims. Mais cette proposition de reclassement ne concerne pas tous ceux qui sont menacés, et pas du tout les intérimaires.
Ce sont encore les intérimaires qui sont visés dans l'immédiat chez Valéo. Les mesures d'âge ont cependant fait disparaître une centaine d'emplois, en plus des emplois intérimaires. Même s'il ne s'agit pas de licenciements secs, des emplois en moins, cela signifie forcément des chômeurs en plus.
Pour ce qui est de la fermeture de Néocom, qui a entraîné une centaine de licenciements, il y a de quoi être indigné aussi bien des facilités accordées à cette entreprise à sa création que des conditions de sa fermeture. La création, fin 2000, de ce centre d'appels sous le nom d'ATOS, avait été annoncée à grands renforts de publicité. La perspective de 500 emplois annoncés arrivait à point nommé avant les municipales. Le maire, Jean-Louis Schneiter avait alors largement subventionné cette installation, avec la contribution d'autres collectivités, en accordant plus de cinq millions d'euros d'aides diverses. L'entreprise nouvelle n'a cependant même pas tenu le minimum de 360 emplois auxquels elle s'était engagée. Qu'importe pour les collectivités qui n'ont jamais exigé un quelconque remboursement des aides perçues.
On a aussi appris que Néocom n'avait pas versé, depuis plusieurs mois, aux Assedic ou à l'Urssaf les cotisations sociales alors qu'elle n'avait pas oublié de les décompter des feuilles de paie.
Après des années d'incertitude, l'entreprise a donc mis la clef sous la porte. Et, pour commenter cette fermeture, le maire s'est contenté d'affirmer qu'il serait plus prudent à l'avenir lorsqu'il s'agirait de centres d'appels. Mais, en attendant, les cinq millions d'euros ont été bel et bien empochés !
Au-delà des entreprises qui ont déjà fermé ou réduit leurs effectifs, des menaces pèsent pour ainsi dire sur tous les travailleurs des grandes entreprises de la région, des ex-fonderies Valfond à Mac Cormic à Saint-Dizier, de Reims-Aérospace aux sites du groupe Trêves à Reims et à Ay. Dans ce dernier groupe, la famille Trêves a annoncé hier sa volonté de diviser les effectifs par quatre d'ici 2007.
Le chômage, la menace de licenciement, sont certainement ce qui pèse le plus lourdement, non seulement sur les conditions matérielles des travailleurs, mais aussi sur leur moral et leur combativité.
Mais je voudrais aussi parler de la dégradation des services publics.
Il en est beaucoup question dans l'actualité, comme lors de la récente introduction en Bourse des actions EDF, partiellement privatisée. Il est toujours question des services publics lors de la grève de la SNCF. A la SNCF, les cheminots ont été en grève contre l'abandon progressif au privé de filiales ou de services et les suppressions d'emplois comme c'est le cas au dépôt de Mohon dans les Ardennes ou aux ateliers d'Epernay. L'abandon des services publics, on le retrouve avec l'explosion de violence aveugle dans les quartiers populaires qu'on a connue ces dernières semaines.
Oh, les services publics ont tous été mis en place pour satisfaire certains besoins indispensables au fonctionnement de l'économie capitaliste mais qui n'étaient pas assez profitables pour intéresser les capitalistes privés. Même les meilleurs des services publics servent principalement les intérêts de la classe possédante. EDF, par exemple, même à 100 % propriété d'Etat, était avant tout au service des grands consommateurs d'électricité, des grandes entreprises.
Il en est ainsi des transports collectifs sans lesquels les entreprises auraient plus difficilement à leur disposition une main-d'oeuvre qu'elles attirent bien souvent à longue distance, sans même parler du rôle de la SNCF dans le transport de marchandises.
La santé publique elle-même et la Sécurité sociale contribuent à éviter aux capitalistes individuels de payer des salaires suffisants pour que leurs travailleurs puissent s'assurer les services payants de médecins privés.
Et même le service public de l'Education nationale, avec la fameuse « scolarité obligatoire » imposée à l'époque par Jules Ferry, a été créé pour répondre, avec des moyens étatiques, aux besoins impératifs de fournir, aux entreprises capitalistes en plein développement, une main-d'oeuvre capable de lire et d'écrire.
Malgré tout cependant, ce sont encore les services publics qui représentent un tant soit peu les intérêts collectifs dans cette « économie de marché », impitoyable pour les démunis.
Dans le domaine de la santé, de l'enseignement, des transports collectifs, les services publics pallient au moins un peu l'insuffisance des revenus des classes laborieuses. Ils font partie de leurs conditions d'existence.
Or, depuis des années, l'Etat se désengage de plus en plus des services publics. Il ne s'agit même pas nécessairement de changement de statut juridique. Mais introduire la notion de rentabilité dans le service public, supprimer, au nom de cette rentabilité, un bureau de poste dans un village ou dans un quartier populaire, fermer des gares, cesser de faire rouler des trains Corail sous prétexte qu'ils coûtent plus cher qu'ils ne rapportent, cela va à l'encontre des intérêts des classes populaires et c'est une régression sociale.
Pour ne prendre que l'exemple de la Poste sur Reims, celle-ci a réorganisé la tournée des facteurs en accroissant leur charge de travail pour parvenir à supprimer des emplois. On se souvient qu'en juin 2004, à la Poste de Boulingrin, ce sont 40 postes qui ont été supprimés et 26 des 126 tournées.
En zone rurale, la même politique a des effets désastreux sur le lien social que les facteurs maintenaient en amenant des médicaments à des personnes âgées.
Et c'est une régression pire encore lorsqu'il s'agit d'hôpitaux, de maternités de proximité ou, encore, de maisons de retraite. Faire des économies sur les salaires en refusant d'embaucher un personnel en nombre suffisant n'est pas seulement aberrant dans une période de chômage. C'est socialement et humainement inacceptable, même lorsque l'insuffisance de personnel ne se traduit pas par des catastrophes comme l'été de canicule de 2003.
En tant qu'enseignant, je voudrais aussi parler de la défaillance de l'Etat en matière d'Education nationale qui vient de montrer ses conséquences dramatiques avec l'explosion de violence dans les quartiers populaires. Car la forme prise par la révolte des jeunes, la violence aveugle, l'absence de solidarité à l'égard des leurs, illustrent surtout la faillite complète de l'Etat dans le domaine de l'éducation, même si la situation dans les quartiers populaires s'enracine dans le chômage massif et dans la pauvreté générale, dans l'insuffisance de logements sociaux et dans la dégradation de ceux qui existent.
Chirac a osé parler « d'égalité des chances » et « d'intégration ». Mais, dans les cités populaires où les familles viennent de dizaine et de dizaines de pays différents, les parents n'ont pas les moyens ni matériels ni culturels de transmettre même un minimum d'éducation, savoir lire, écrire et parler correctement. Cela constitue pourtant une condition élémentaire de toute intégration. C'est l'école publique qui devrait prendre en mains les enfants des milieux populaires les plus pauvres, et ceci dès l'école maternelle, dès l'âge de trois, voire deux ans. C'est à cet âge-là qu'on initie à la langue et à des comportements collectifs. C'est à l'école primaire qu'il faudrait créer les conditions pour que chaque enfant apprenne à lire, à écrire, à compter correctement. Mais, même dans les classes composées d'enfants de milieux pauvres dont les familles parlent français, des classes trop nombreuses n'éduquent pas, et à plus forte raison si, dans des classes surchargées d'écoles primaires, les élèves parlent dix langues différentes.
Ce serait à l'Etat d'embaucher et de former des enseignants en nombre suffisant. Il faudrait des effectifs d'élèves peu nombreux, une douzaine par enseignant, pour qu'ils puissent faire correctement leur travail et que les enfants puissent trouver à l'école ce qu'ils ne peuvent pas trouver dans leur milieu familial. Faute de ce minimum, les enfants des pauvres n'ont aucune chance de surmonter le handicap qui est le leur dès leur petite enfance. Ils se retrouvent inévitablement en état d'échec scolaire et beaucoup d'entre eux finissent par ne plus avoir aucun intérêt pour l'école.
Ce n'est vraiment pas un problème insurmontable dans un pays développé comme la France où il y a des dizaines, des centaines de milliers de jeunes qui ont passé le bac, qui ont des diplômes universitaires et qui, de plus, cherchent un travail sans en trouver. Sans même parler de ces milliers d'enseignants déjà expérimentés, mais qui ne sont embauchés que par intermittence en tant qu'auxiliaires ou en tant que contractuels et dont plusieurs centaines se relayent pour manifester devant des rectorats en ce moment même, parce qu'on ne leur offre aucun poste ! Bien sûr, c'est une question de moyens, mais même pas de moyens extraordinaires pour embaucher le nombre d'enseignants qu'il faut et construire les salles de classe en nombre suffisant.
Ce n'est pas cette voie qui est choisie ici comme ailleurs. Au cours des trois dernières années, c'est près de 700 emplois d'enseignants qui ont été supprimés dans la région alors que, justement, il aurait fallu les conserver pour avoir une possibilité de répondre à tous ces besoins. Dans les Ardennes, le Conseil général, en accord avec le ministère de l'Education nationale, vient d'annoncer qu'il envisageait la fermeture de près de 10 collèges sur les 44 que compte le département, que ce soit en zone urbaine ou en zone rurale. A Reims, la fermeture d'un collège est aussi envisagée suite à la baisse annoncée des effectifs. Il s'agirait soit de Pablo Picasso, soit de François Legros. Ces deux établissements ont un recrutement basé sur des quartiers populaires. L'argument de la baisse démographique, avancé pour justifier toutes ces suppressions d'emplois ou ces fermetures, n'en est donc pas un car de plus petits effectifs devraient permettre une amélioration des conditions d'enseignement. Il faut aller chercher l'explication dans la volonté commune de l'Etat et des Conseils généraux de se désengager financièrement de l'éducation en y consacrant moins de moyens.
Mais l'Etat n'utilise pas ces moyens là où c'est utile pour toute la société. Il préfère consacrer de plus en plus d'argent à aider le grand patronat à réaliser les profits élevés qui sont les siens, quitte à gâcher la vie de milliers de jeunes, de leurs familles ; quitte à laisser des bombes à retardement dans les quartiers populaires qui leur sauteront de plus en plus à la figure.
En fait, le désengagement de l'Etat des services publics fait partie de l'offensive générale de la classe possédante contre le monde du travail. Mais, sur les raisons de cette offensive et surtout sur les moyens d'y faire face, je laisse la parole à ma camarade, Arlette Laguiller.
Intervention d'Arlette Laguiller :
Travailleuses, travailleurs, amis et camarades,
Oui, la dégradation des conditions d'existence du monde du travail est évidente, générale et intolérable. Elle touche tous les aspects de la vie des travailleurs. De tous les travailleurs, car le recul général n'épargne aucune région, aucune corporation, aucune catégorie d'âge.
La classe capitaliste n'a jamais été tendre avec la classe ouvrière et ne peut pas l'être parce que ses capitaux, sa richesse, sa position sociale, viennent de l'exploitation. Mais, depuis un quart de siècle au bas mot que leur économie, l'économie de marché, est poussive, le patronat mène une véritable guerre, une guerre sociale féroce, pour abaisser toujours plus la part des travailleurs dans le revenu global, afin d'augmenter celle des possesseurs de capitaux.
Il le fait en freinant ou en abaissant les salaires, en remplaçant les contrats définitifs par des contrats précaires mal payés, en licenciant une partie des effectifs pour produire autant et même plus avec moins de travailleurs, en augmentant le rythme et l'intensité du travail. Il le fait au travers d'innombrables mesures de réorganisation plus ou moins douloureuses, m ais toutes destinées à tirer des travailleurs le maximum, en les usant jusqu'aux limites du supportable. Et si, depuis deux ans, les profits des grandes entreprises s'envolent, ils ont pour contrepartie l'abaissement du niveau de vie et l'usure plus grande de ceux qui travaillent et une misère plus grande pour ceux qui ont été rejetés vers le chômage.
Mais ces profits ont, également, pour contrepartie tout ce qui est en recul dans une vie ouvrière en dehors même du lieu de travail : des soins de plus mauvaise qualité pour ceux qui en ont besoin et plus mal remboursés, l'âge de la retraite repoussé et des pensions insuffisantes, la détérioration de ce qui, dans les services publics, est utile surtout aux classes populaires, des hôpitaux à l'éducation des enfants des quartiers populaires, en passant par les transports collectifs.
Tout cela ne dépend pas directement du patronat mais de l'Etat et des gouvernements successifs. Mais, justement, toutes les économies faites au détriment de tout ce qui est utile aux classes populaires sont faites, non pas par nécessité, mais par choix, dans le but de permettre à l'Etat de consacrer une fraction croissante de ses moyens, qui sont énormes, à accroître les profits des entreprises et, directement ou indirectement, la richesse de la bourgeoisie.
Tout au long de ce quart de siècle d'offensives du patronat contre les travailleurs, le grand patronat a toujours pu compter sur le soutien indéfectible, permanent, multiforme, des gouvernements qui se sont succédé.
En tentant de récapituler les mesures qui ont contribué à rendre la vie des travailleurs de plus en plus difficile, on ne sait même plus quel était le gouvernement qui les a prises et quelle était son étiquette politique. La seule chose qui est sûre, c'est que toutes les mesures sont allées dans le même sens. Et presque jamais dans le sens de rendre la vie des travailleurs moins dure.
Comment se rappeler qui a porté quel coup contre les travailleurs alors que, depuis 1981 et l'élection à la présidence de François Mitterrand, la gauche a gouverné, en alternance avec la droite, à peu près aussi longtemps l'une que l'autre, quand elles n'ont pas gouverné ensemble : tantôt c'est le pseudo-« socialiste » Mitterrand, président pendant 14 ans, qui a gouverné avec un Premier ministre de droite comme Chirac ou Balladur ; tantôt, c'est le président de droite Chirac qui a gouverné avec un Premier ministre socialiste, Jospin.
Depuis trois ans, et le président de la République, et le gouvernement sont de droite. C'est certainement le gouvernement le plus réactionnaire, le plus ouvertement anti-ouvrier que le pays ait connu depuis bien longtemps. Jamais les mesures contre les travailleurs ne se sont succédé à un rythme aussi effréné : contre la protection sociale, contre les retraites, contre la législation du travail. Rarement, aussi, un gouvernement n'a affiché une hostilité aussi viscérale au monde du travail et aux pauvres pour flatter les préjugés de la vaste classe des possédants grands et petits que compte ce pays.
Mais comment oublier que Chirac, cet homme de droite, a bénéficié, à l'élection présidentielle de 2002, du soutien des partis de gauche qui ont osé appeler à voter pour lui sous le prétexte fallacieux d'empêcher un homme de droite encore pire, Le Pen, d'arriver à la présidence. Ils savaient tous que Chirac aurait été de toute façon élu avec les votes de son propre électorat. Mais la gauche, soucieuse surtout d'éviter que l'on discute du bilan, désastreux pour les classes populaires, des cinq ans du gouvernement Jospin, toute honte bue, a choisi de s'aligner derrière Chirac. Elle a présenté cet homme de droite en rempart de la société contre la menace de l'extrême droite. On voit pourtant aujourd'hui que voter pour Chirac, c'était aussi voter pour tous les siens, y compris pour Sarkozy, ce ministre de l'Intérieur dont la démagogie, les intentions politiques, jusqu'à ses mots et son mépris des pauvres, ressemblent tant à ceux de Le Pen.
Alors, bien sûr, la droite au pouvoir mène une politique tellement anti-ouvrière qu'elle fait oublier la politique de Jospin. On entend aujourd'hui les dignitaires socialistes présenter les cinq ans du gouvernement de Jospin comme une époque bénie ! Le Parti socialiste espère qu'il n'a pas à faire de promesses, et surtout pas à prendre le moindre engagement, pour que l'électorat populaire n'ait pas d'autre choix aux élections de 2007 que de voter pour lui, par dégoût des autres.
Mais les dirigeants socialistes, dont pas un n'a admis que, si Jospin est arrivé derrière Le Pen au premier tour de l'élection présidentielle de 2002, c'est en raison de la politique qu'il a menée, prennent un risque. Le risque qu'une partie de l'électorat populaire, la moins consciente, qui est dégoûtée du gouvernement de droite mais qui l'est tout autant de la gauche et qui n'a aucune raison de voir une différence là où il y en a si peu, finisse par voter plus massivement encore qu'en 2002 pour le démagogue d'extrême droite en pensant que c'est une façon de désavouer tous les autres. Mais c'est parce que les partis de gauche lui auront ôté jusqu'à l'idée qu'elle peut se défendre elle-même.
A son congrès qui vient d'avoir lieu, le week-end dernier, au Mans, le Parti socialiste s'est retrouvé uni après des mois de conflits publics entre ses dirigeants qui avaient choisi d'appeler à voter « oui » au référendum sur la Constitution européenne proposée par Giscard et ceux qui avaient choisi d'appeler à voter « non ». Que la grande presse s'amuse donc à spéculer pour savoir si cette unité retrouvée est de façade ou non, ou sur le nom de celui qui, dans la demi-douzaine de candidats potentiels, finira par obtenir l'investiture officielle du PS ! Ce qui est sûr, c'est que chacun des candidats, y compris Fabius qui, pendant la campagne référendaire, a tenté de gauchir son image, sait qu'il ne peut pas se passer du soutien de l'appareil du PS. Et ce qui est sûr encore, c'est que la synthèse a été d'autant plus facile que pas grand-chose ne sépare les différents candidats potentiels sur le plan politique.
Les travailleurs n'ont certainement aucune raison de se souvenir en bien de ce qu'a fait Fabius lorsqu'il était Premier ministre de Mitterrand ou ministre de l'Economie de Jospin. Et bien malin celui qui pourrait dire en quoi sa politique a été différente de celle de Strauss-Kahn qui l'a précédé au même poste de ministre de l'Economie.
Quel que soit e candidat socialiste que l'appareil du parti désignera le moment venu, il ne s'engagera certainement pas plus que n'a voulu s'engager le congrès socialiste lui-même.
Au-delà des bagarres d'appareil et des rivalités de personnes, qu'est-ce qui est donc sorti de ce congrès du PS qui puisse incarner le moindre espoir de changement pour le monde du travail ?
Des mots, rien que des mots. Et les quelques promesses faites sont ou bien dérisoires, ou bien tellement vagues que, si d'aventure les socialistes revenaient au gouvernement, ils pourraient faire ce qu'ils veulent sans même avoir l'air de renier leurs promesses. Des promesses formulées de telle façon qu'elles ne puissent engager que ceux qui les croient, pas ceux qui les ont faites.
Le Smic à 1500 ? avant la fin de la prochaine législature, c'est-à-dire en 2012 ? Mais un Smic à 1500 ? d'ici à 2012, cela représente entre 2 et 3 % d'augmentation par an. C'est à peu près le montant de l'augmentation automatique du Smic si l'inflation se maintient à son niveau actuel.
L'abrogation du « contrat nouvelle embauche » ? C'est mieux que rien. Mais si c'est pour rétablir le « contrat emploi jeune », dont les dirigeants socialistes chantent les vertus mais que le gouvernement Jospin n'a pas osé transformer en embauche définitive, c'est encore presque remplacer une forme de précarité par une autre, moins sélective.
Le PS promet de pénaliser le recours "abusif" aux contrats précaires. Mais qui décidera ce qui est abusif alors qu'une part majeure des embauches nouvelles, quand il y en a, est constituée de contrats précaires ? Et quelle serait l'efficacité d'une pénalité symbolique ?
Pas plus grande que celle des pénalités contre les municipalités des villes bourgeoises lorsqu'elles refusent de construire des logements sociaux.
Le PS promet, aussi, d'abroger la loi Fillon sur les retraites en ajoutant qu'un « financement plus juste » sera recherché. Mais comme la synthèse socialiste ne souffle mot de la loi Balladur, celle qui a imposé l'allongement de la durée de cotisation, qui a repoussé pour le secteur privé l'âge de départ à la retraite, on ne peut qu'en déduire que c'est sur la base de la loi Balladur que les socialistes chercheront une autre rédaction de la loi Fillon. Il n'est en tout cas pas question de promettre de rétablir les retraites dans leur intégralité, aussi bien quant à la durée de cotisation qu'à l'âge de départ en retraite et la base de calcul des pensions.
Le PS promet de revenir sur le début de privatisation d'EDF mais garde le silence sur toutes les autres privatisations. Et pour cause : une grande partie en a été décidée par le gouvernement Jospin.
Il promet de "dissuader les entreprises qui licencient aux seules fin de répondre aux exigences financières". Comment ? En rétablissant la loi de modernisation sociale qui, sous Jospin, n'a pas empêché un seul licenciement.
Enfin, grosse concession des dirigeants socialistes qui ont appelé à voter "oui" au projet de Constitution Giscard à la minorité qui a appelé à voter "non", la synthèse promet que « le vote des Français le 29 mai sera respecté ». Vu que, de toute façon, le projet de Constitution Giscard est mort et enterré, cette promesse ne coûte vraiment pas cher.
Des mots, mais rien de concret. Pas question de revenir sur toutes les restrictions sur la Sécurité sociale. Pas question d'aligner la hausse des cotisations patronales sur la hausse des cotisations des salariés. Pas question d'annuler toutes les modifications apportées à la législation du travail, nuisibles aux travailleurs.
Et surtout, pas question d'imposer au patronat de transformer les multiples formes de contrats précaires sous-payés par des emplois stables, correctement payés. Pas question d'augmentation des salaires, pas même pour les travailleurs qui touchent moins que le Smic, et ils sont de plus en plus nombreux.
Depuis plusieurs semaines, le Parti communiste use d'un langage critique vis-à-vis du Parti socialiste. Le jour même du congrès du Mans, Marie-George Buffet, dans une interview donnée au Parisien, a affirmé -je la cite- « Le PS nourrit la désespérance » et se posait la question « Je m'interroge : ce parti va-t-il poursuivre sa dérive sociale-libérale ou va-t-il se ressaisir en redevenant un parti pleinement engagé à gauche ? ». Passons sur l'hypocrisie de la question. Car, enfin, ce n'est certainement pas dans l'opposition que le PS a pu faire preuve de sa dérive sociale-libérale, ou seulement en paroles ! C'est bien lorsqu'il était au gouvernement. Et à ce qu'on sache, Marie-George Buffet a été ministre dans le gouvernement de Jospin tout au long de ces cinq ans !
Mais, enfin, elle dit peut-être juste lorsqu'elle ajoute qu'il « ne faut pas que la gauche pense qu'elle va gagner en 2007 en se contentant de ramasser les fruits du mécontentement ».
Car, en effet, à lire les propositions sorties du congrès du PS, c'est à croire qu'il ne veut donner à l'électorat populaire aucune raison de voter pour lui. Dès le lendemain du congrès du PS pourtant, L'Humanité se réjouissait de « l'inflexion à gauche » de la synthèse socialiste. Et Marie-George Buffet d'ajouter que le PCF tiendra pour sa part son congrès en mars 2006 et qu'il fera des propositions afin que « on arrive ainsi à un contrat entre toutes les forces de gauche sur un programme de transformation sociale ».
Mais par quel miracle, le vide sidéral du programme du PS pourrait-il se transformer en « programme de transformation sociale » ? Par la vertu du verbe de Marie-George Buffet dans les prochaines négociations avec Hollande ou Fabius ? La prochaine mouture de l'Union de la gauche, comme les précédentes, tournera nécessairement autour de ce que propose le PS. Et, si le PC parvient à y glisser quelques expressions radicales, cela ne servira qu'à tromper un peu plus les travailleurs. Car il n'a pas et il n'aura pas le poids, même s'il était intégré de nouveau dans un prochain gouvernement socialiste, de faire mener au PS une autre politique que celle que ce dernier entend mener.
Les phrases critiques des dirigeants du PC à l'égard des dirigeants du PS ne peuvent pas faire oublier leur responsabilité écrasante.
Oh, certes, c'est le PS qui est responsable de ce que Marie-George Buffet appelle « la dérive sociale-libérale » et que moi j'appelle « servir au gouvernement les intérêts du grand patronat ». Dans le gouvernement Jospin comme dans les gouvernements socialistes précédents, dont des ministres communistes ont fait partie, ces ministres n'ont joué que le rôle de cinquième roue du carrosse, la politique étant toujours déterminée par les socialistes. Mais c'est tout de même le PC qui a eu, dans le passé, assez de crédit au sein de la classe ouvrière, pour faire passer la politique socialiste comme la seule possible, même lorsque la politique menée foulait brutalement aux pieds les intérêts des travailleurs.
Cela fait bien longtemps que la direction du PC a abandonné le terrain de la lutte de classe en cessant d'encourager les travailleurs à la mener. C'est en laissant les mains libres au patronat et à ses représentants politiques pour mener, plus qu'une lutte, une guerre sans merci contre les classes populaires. C'est grâce au PC que la gauche a pu imposer l'idée que seules les élections peuvent changer le sort des travailleurs. C'est grâce, si l'on peut dire, au PC que la gauche a pu détourner les travailleurs de la lutte et les convaincre de l'inutilité du combat et de les démoraliser au point de ne plus croire en leur force collective.
En faisant cela, le PC a scié sa base populaire, la seule force sur laquelle il pouvait s'appuyer, et n'a pu que lier son sort à ses résultats électoraux. Mais sur le plan électoral, il ne fait pas le poids pour pouvoir jouer le rôle qu'il ambitionne au sein d'un gouvernement. Il lui faut forcément passer des alliances, et ces alliances, il ne peut les trouver que sur sa droite, c'est-à-dire du côté du Parti Socialiste. Mais il n'est jamais en situation d'influencer réellement le gouvernement. Il est contraint de laisser cette responsabilité à son allié socialiste, en jouant un rôle de comparse, c'est-à-dire de « ramasse-voix » aux élections pour le PS et, ensuite, de complice dans tout ce que les éventuels gouvernements socialistes peuvent faire contre les travailleurs. Ce qui, bien entendu, déconsidère le PC aux yeux des masses et diminue encore son poids électoral.
Alors, la situation critique où il se trouve, il l'a bien cherchée !
Mais, si peu qu'il pèse actuellement sur le plan électoral, le PCF est encore indispensable au PS pour avoir une chance de remporter une élection présidentielle.
Et, malheureusement, les syndicats se font les complices de cette politique, y compris la CGT qui se contente, au mieux, de journées d'action sans lendemain, ce qui conduit nombre de travailleurs à les croire inutiles.
Les organisations syndicales de la SNCF ont appelé à une grève reconductible à partir du 22 novembre. Malgré l'intense propagande répercutée par tous les médias, cette grève a été assez largement suivie. Les chiffres qu'a donnés la direction pour minimiser la grève tiennent compte de l'ensemble du personnel, y compris les cadres, les absents pour maladie et congé et ceux qui étaient de repos le jour de la grève. Mais la grève a été plutôt bien suivie dans le pays, en particulier par les agents de conduite, mais pas seulement. Un cheminot sur trois était en grève et, dans plusieurs régions, les grévistes étaient majoritaires.
Eh bien oui, les grévistes ont eu raison car, pour les travailleurs, même pour exprimer leur mécontentement la grève est le seul moyen. Bien sûr, devant une journée de grève même prolongée dans certaines régions, la direction n'a pas cédé grand-chose. Mais le peu qu'elle a cédé, elle l'a fait à cause de la grève.
Et c'est encore à cause de la grève qu'on a entendu Chirac expliquer qu'il n'est pas question de privatiser la SNCF. C'est un mensonge car s'il n'y a pas de privatisation d'ensemble, il y a bien privatisation par petits bouts, service par service de certains secteurs dont le privé peut tirer du profit en laissant aux secteurs nationalisés les investissements et les dettes.
C'est à cause de la grève aussi qu'on a vu des députés de droite s'agiter, déverser leur haine contre les travailleurs qui se défendent, et réclamer à cor et à cris qu'on limite le droit de grève.
Bien sûr, les travailleurs conscients ne peuvent que rejeter avec m??pris les discours des hommes politiques, de ces ministres, de ces dignitaires de la droite qui défilent à la télévision en osant se poser en défenseurs des voyageurs pour vitupérer contre les grévistes de la SNCF. Ce n'est pas seulement les jours de grève que les travailleurs encourent la fatigue, des pertes de temps, mais tous les jours, et pas à cause de la grève, mais parce que l'Etat consacre de moins en moins d'argent aux trains de banlieue et aux transports publics qui concernent les travailleurs. Et ce sont ceux des cheminots qui ont choisi de faire la grève et de la continuer qui ont raison, malgré les tergiversations des syndicats, y compris de ceux qui ont appelé à la grève et qui ont bien vite arrêté la grève sans laisser aux grévistes le moyen de juger de la profondeur du mouvement qu'ils avaient engagé.
Car, au-delà des syndicats de cheminots, la stratégie des centrales syndicales, une stratégie de dispersion, est préjudiciable à l'action. Pourquoi l'appel aux cheminots le mardi, l'appel aux agents de la RATP le mercredi, et aux enseignants le jeudi ? Pourquoi avoir laissé seuls et isolés les traminots de Marseille qui se battent depuis 45 jours ? Pourquoi cette dispersion voulue, cet échelonnement orchestré des appels à la grève ?
Pourquoi revenir, après le « tous ensemble » d'une journée du 4 octobre laissée sans lendemain, aux appels corporation par corporation ? Pas seulement par l'échelonnement des dates mais aussi par les revendications avancées. Pourquoi mettre en avant, à la RATP, « la défense des statuts », une revendication corporative qui ne peut que laisser indifférents les travailleurs des autres secteurs ? Pourquoi ce catalogue de revendications mises en avant à la SNCF, qui n'éclairent pas mais dissimulent le fait que les cheminots ont les mêmes problèmes et les mêmes objectifs que l'ensemble des travailleurs : pour l'augmentation des salaires, contre les suppressions d'emplois et contre la précarisation !
Comment imaginer que ces grèves, limitées à une corporation, puissent faire peur au patronat et au gouvernement, au point de les faire reculer ? Comment imaginer même seulement qu'elles puissent inspirer confiance aux travailleurs dans l'issue de la lutte ?
La journée nationale d'action du 4 octobre a été bien suivie. Comme l'avait été celle du 10 mars. Mais des journées comme cela, si elles restent sans suite pendant des mois, ne contribuent en rien à la mobilisation nécessaire. Chaque journée d'action devrait avoir une suite, annoncée par avance et à brève échéance. Personne ne peut avoir la naïveté de croire qu'un appel à la grève générale illimitée puisse marcher d'un seul coup. Mais il faut que les travailleurs sachent que c'est cela, l'objectif, c'est cela qui se prépare à travers chaque journée d'action. Il faudrait un plan de lutte, clairement annoncé, pour mobiliser, de journée en journée, de plus en plus de travailleurs. Il faut que les plus déterminés aient l'occasion et la possibilité d'entraîner ceux qui, aujourd'hui, hésitent encore.
Oui, il faut que tous les travailleurs sachent que les journées de grèves et de manifestations sont des étapes et que ceux qui les organisent, ceux qui militent pour qu'elles marchent, le font dans la perspective de la mobilisation générale de tous les travailleurs, la seule qui soit susceptible de faire reculer le patronat et le gouvernement.
Alors, travailleuses, travailleurs, camarades,
Nous n'avons pas à remettre notre sort aux élections de 2007. D'abord parce que les élections de 2007, c'est dans un an et demi. Et, au rythme où ce gouvernement prend des mesures anti-ouvrières, ils ont le temps de nous faire crever sous les coups d'ici là ! Et puis, de toute façon, les élections de 2007 ne changeront que le nom de celui qui dirigera les affaires de la bourgeoisie. Elles ne changeront rien au sort des travailleurs.
En 2007, que ce soit Hollande, Fabius ou Strauss-Kahn, celui qui accédera à la présidence de la République ne fera pas plus pour les travailleurs que n'a fait Mitterrand. Et, de surcroît, à force de refuser tout engagement envers les travailleurs, rien ne dit qu'une partie des salariés, même de ceux qui votent d'habitude pour la gauche, n'en soit pas dégoûtée et que, quel que soit le candidat socialiste, il n'obtienne pas plus de voix que Jospin en 2002. Et, dans ce cas, cette élection amènera au pouvoir un homme de droite comme Sarkozy qui mènera une guerre plus ouverte encore aux travailleurs que n'en ont menée Raffarin et Villepin.
Nous n'avons pas à nous bercer de faux espoirs. Et, en disant cela, je ne suis pas pessimiste, je suis simplement lucide. Car les travailleurs ont un autre choix que ces illusions électorales qui les désarment et qui les livrent pieds et poings liés aux coups du patronat.
Et l'autre voie est celle de la lutte, celle de la mobilisation gréviste. Seule la lutte paie parce que c'est le seul moyen qu'ont les travailleurs de se faire craindre et de faire respecter leur droit à une autre existence que celle qui consiste à se crever au travail ou à crever de misère, quand ce n'est pas les deux à la fois.
Et j'ai la conviction que les travailleurs s'engageront tôt ou tard dans cette voie, soit en obligeant les syndicats à organiser les luttes et à les fusionner, soit en les obligeant à suivre une explosion ouvrière qui se sera produite sans eux. C'est bien souvent comme cela que ce sont produites les grandes luttes du passé, celles justement qui ont réellement fait avancer la condition ouvrière. En tout cas, si difficile que puisse apparaître de s'engager sur cette voie, cela est infiniment moins utopique que d'attendre des élections de 2007, quel que soit leur résultat, un changement favorable aux travailleurs.
(Source http://www.lutte-ouvrièreOg, le 29 novembre 2005)