Discours de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de LO, sur soi-disant cadeaux fiscaux pour tous pour relancer l'emploi, sur les nouveaux projets en matière d'immigration et les premières manoeuvres à gauche en vue de l'élection présidentielle 2007, Angers le 12 janvier 2006.

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Texte intégral

Travailleuses, travailleurs, camarades et amis,
L'année 2006 a commencé comme s'est déroulée l'année 2005 : par des coups répétés contre les travailleurs de la part du gouvernement, un des plus réactionnaires que le pays ait connus depuis longtemps. Toute une série de mesures sont entrées en application le 1er janvier. Elles ont toutes en commun de diminuer le pouvoir d'achat des travailleurs et d'aggraver leurs conditions d'existence.
Les cotisations vieillesse augmentent. Les cotisations d'assurance maladie, aussi. Et, en même temps, la protection sociale diminue. Ainsi, le forfait hospitalier passe de 14 à 15 euros par jour, plus que ce qu'un érémiste touche par jour pour vivre. Les actes chirurgicaux ou de laboratoire de plus de 91 euros donneront lieu à un forfait de 18 euros à la charge de l'assuré. Ce qu'ils appellent le « parcours de santé coordonné », c'est-à-dire l'obligation de passer par un médecin traitant, entraînera des diminutions de remboursement pour ceux qui n'auront pas choisi de médecin traitant, et une consultation de plus avant d'aller voir un spécialiste. Hausse des mutuelles, hausses des primes d'assurance habitation.
Sans même parler des restrictions budgétaires, annoncées qui signifient que le gouvernement va faire des économies sur les salaires de la Fonction publique en supprimant des emplois, en ne remplaçant pas ceux qui partent en retraite. Ce qui va encore se traduire, inévitablement, par une dégradation des services publics.
Ce même 1er janvier, sont entrées en application d'autres mesures destinées, celles-là, à la bourgeoisie petite et grande. Elles ont toutes en commun d'apporter quelques faveurs supplémentaires aux possédants. Les entreprises ont droit à des cadeaux, comme la limitation de la taxe professionnelle ou le dégrèvement sur les investissements nouveaux. Bien sûr, comme toujours, sous le cynique prétexte de favoriser les emplois que les entreprises ne créent pas pour autant. Mais tout cela, c'est bon pour les profits des entreprises et, donc, pour les actionnaires qui se les partagent.
Le prétexte de l'emploi ne peut même pas être invoqué pour des mesures comme le fameux « bouclier fiscal », qui protège ces malheureux riches du risque d'être trop imposés. Désormais, tous leurs impôts cumulés sont plafonnés.
Et, à côté de ce petit cadeau destiné exclusivement aux plus riches, et qui peut représenter des milliers d'euros pour les heureux bénéficiaires, combien d'autres destinés aux possédants petits et grands, comme des abattements ou des conditions plus favorables sur les donations ou sur l'héritage ?
Oh, bien sûr, ces mesures sont présentées comme des cadeaux fiscaux à l'ensemble des Français, comme ils disent. Mais combien de familles ouvrières, combien de chômeurs sont en situation de faire des donations à leurs proches ou même de laisser un héritage, à part peut-être un petit appartement ou un pavillon de banlieue ?
Et, pendant que toutes ces mesures frappent un peu plus encore le monde du travail, déjà durement éprouvé par le niveau élevé du chômage, par la baisse du pouvoir d'achat, Chirac a le culot, dans un de ses récents discours, de déclarer -je le cite- qu'« il faut en finir avec le travers qui consiste à ne voir que le négatif, à passer notre temps dans une auto-flagellation permanente et à nous diviser ».
Comme si ceux qui, faute de travail, n'en peuvent plus de vivre avec les 433 euros du RMI, étaient désespérés par « auto-flagellation » ! Comme si la « division des Français » était uniquement dans les têtes, et pas dans la réalité sociale !
Cette réalité sociale qui fait que, si les choses vont de mieux en mieux pour une fraction de la population, en gros pour tous ceux qui vivent des revenus du capital, elles vont de plus en plus mal pour ceux qui ne vivent que de leur salaire, s'ils en ont un. Pourtant, ce sont ceux-là qui sont utiles à la collectivité, ceux qui travaillent, qui produisent, qui accroissent la richesse sociale, et pas cette minorité qui vit en parasite sur les richesses crées par d'autres !
Villepin, lui, vient d'assurer, dans le même discours où il a annoncé des suppressions d'emplois dans la Fonction publique, qu'il faut « permettre à tous ceux qui le veulent de travailler plus, plus longtemps ». Mais que fait-il réellement pour les plus de deux millions qui voudraient bien, tout simplement, travailler ? Merci pour ceux qu'on use toujours plus au travail, pendant que d'autres sont condamnés au chômage !
Rarement il a été aussi évident, aussi visible, que le gouvernement n'est qu'un conseil d'administration de la grande bourgeoisie. Ce gouvernement l'assume ouvertement, et il en est fier.
Le gouvernement a amputé les retraites en prétextant que c'était pour les sauver. Il démolit la législation du travail en prétendant l'alléger.
Et, depuis quelques semaines, il oeuvre à aggraver le sort des chômeurs sous prétexte de sauver l'Unedic. Dans le projet du nouvel accord Unedic, que trois confédérations syndicales n'ont pas eu honte de ratifier, c'est aux chômeurs qu'on se prépare à faire payer le prétendu déficit de l'Unedic. La cotisation chômage sera augmentée, en même temps que sera réduit le montant de l'allocation, et il faudra avoir travaillé plus longtemps pour pouvoir la toucher.
Le gouvernement a une autre méthode pour réduire les dépenses de l'Unedic : pour un oui ou pour un non, rayer des chômeurs des listes d'allocataires.
Depuis des mois, ils nous brandissent une prétendue diminution du chômage au moyen de statistiques qui sont faites non pas pour éclairer mais pour dissimuler la réalité. Car combien de chômeurs en moins dans leurs statistiques, simplement en raison de ces suppressions administratives ?
Quelle est la part, dans cette diminution statistique du chômage, du « contrat nouvelle embauche » ? Mais ce contrat, c'est une escroquerie ! Les gens qui sont employés avec une période d'essai de deux ans ne sont pas embauchés. Un employeur ne s'engage à rien en utilisant un tel contrat. Il se dit : « J'ai un coup de feu, donc j'embauche. Mais quand les commandes en cours se termineront, dans quinze jours, dans un ou deux mois, on verra comment vont les affaires, et je pourrai sans m'expliquer dire bonsoir à ceux que j'avais embauchés ».
Et le travailleur qui se croyait délivré du chômage se retrouvera de nouveau sur le sable.
Le gouvernement agit et parle comme les patrons qui, lorsqu'ils licencient, prétendent que c'est pour sauver l'entreprise et donc pour sauver des emplois. On dit aux travailleurs qu'il faut « sauver la Sécurité sociale » pour leur faire avaler la diminution des remboursements.
Aux patrons, en revanche, on ne demande pas de « sauver la Sécurité sociale ». Non seulement la cotisation patronale pour l'assurance maladie n'a pas augmenté depuis 23 ans, mais elle a baissé, tandis que celles des salariés ont augmenté considérablement. Si les cotisations sociales patronales avaient suivi celles des salariés, il n'y aurait pas de trou de l'assurance maladie. Et les caisses de la Sécurité sociale, dont les recettes sont plus importantes que celles du budget de l'Etat, deviennent une sorte de self-service où les patrons puisent, avec l'autorisation du gouvernement. Baisser les charges sociales des patrons est désormais, pour chaque gouvernement, un moyen, pour ainsi dire ordinaire, de donner un coup de pouce favorable à la trésorerie des entreprises. Les caisses de la Sécurité sociale, alimentées par les gros sous des travailleurs, sont devenues ainsi un moyen d'accroître le profit patronal.
Alors que la bourgeoisie, alors que les possédants grands et petits ne savent que faire de leur argent, tant les profits sont élev??s, tant les revenus du capital sont importants, l'Etat fonctionne de plus en plus ouvertement comme une immense pompe destinée à prélever sur toutes les couches populaires, avant tout sur les travailleurs, des sommes de plus en plus importantes drainées ensuite vers la classe riche.
Et ce sont les mêmes qui bénéficient pour l'essentiel de ces quelque 400 niches fiscales, dont le montant total dépasse les 50 milliards d'euros.
Les entreprises elles-mêmes spéculent et placent leurs capitaux là où ils sont susceptibles de rapporter les 15 ou 20 % de plus par an, qui sont la règle dans les milieux financiers. Elles se rachètent les unes les autres, ou rachètent leurs propres actions de façon à augmenter un peu plus encore la part de chacun des gros actionnaires. Elles annoncent des plans de licenciement rien que pour que les prix de leurs actions en Bourse augmentent, permettant à leurs détenteurs d'empocher une plus-value au passage.
Et c'est pour alimenter cette course au profit, nuisible pour la société, qu'on diminue les effectifs dans les entreprises, qu'on licencie au nom de la rentabilité, qu'on fait crever les uns au travail pendant que les autres, transformés en chômeurs, n'ont qu'à crever de misère.
Un tiers des sans-domicile, condamnés à errer d'asile en refuge, sont des gens qui ont pourtant un emploi, mais un salaire misérable. Comment payer un logement quand on est précaire, touchant en bout de mois la moitié ou le tiers du Smic ? Comment même en trouver un, quand on n'a pas de quoi payer la caution exigée ?
Et l'Etat, au lieu de chercher à diminuer le fossé, contribue à le creuser.
L'exploitation aggravée des travailleurs, que traduit la hausse spectaculaire des profits, arrose toute une classe de privilégiés, qui vivent bien. Ceux-là ont de solides raisons de considérer ce gouvernement comme le leur, à applaudir comme « courageuse » la politique qui diminue la part des travailleurs, car elle augment leur part, à eux.
C'est à ceux-là qu'un Sarkozy cherche à plaire. Jusqu'à son langage, son mépris des pauvres, et ce ramassis de slogans ou de gestes réactionnaires qu'il envoie tous azimuts en attendant que l'écho lui en revienne, sous la forme de quelques points gagnés dans les sondages.
La dernière en date des mesures dont il est à l'initiative est une nouvelle loi sur l'immigration. Une loi qui rendra la vie des travailleurs immigrés encore plus dure, en leur rendant plus difficile l'accès aux soins, en interdisant pratiquement le regroupement familial, entre autres. Sarkozy et ses semblables savent que les chaînes de production des grandes entreprises ne peuvent pas se passer des travailleurs immigrés. Alors, ils parlent « d'immigration choisie ». Les immigrés doivent être célibataires, en bonne santé, en bonne condition physique, être utiles au patronat, exploitables à merci, sans les frais d'une famille ou de la maladie. Et il faudrait, en plus, qu'ils considèrent le droit de se faire exploiter ici comme un privilège, qu'ils se fassent tout petits et qu'ils acceptent tout.
La loi qui se prépare est un coup contre tous les travailleurs. Car, si le gouvernement parvenait à rendre une fraction de la classe ouvrière plus malléable, c'est l'ensemble des travailleurs qui serait affaibli.
Mais je suis convaincue que ce calcul, pour être barbare, est en même temps stupide car, lorsque le monde du travail se mettra en branle pour se défendre, il n'y aura plus de différences en fonction des origines des uns et des autres. Il n'y aura que le combat d'une seule et même classe ouvrière.
Eh bien, je suis fière, et nous à LO nous sommes tous fiers, de ne pas avoir appelé à voter pour Chirac en 2002, contrairement aux grands partis réformistes, qui se sont littéralement couchés devant cet homme de droite. Oui, nous sommes fiers d'avoir été les seuls à rejeter fermement Le Pen, sans pour autant nous jeter dans les bras de Chirac. On voit bien aujourd'hui que voter pour Chirac, c'était voter pour les requins qui l'entourent. Entre autres, pour les idées de Le Pen à travers Sarkozy, qui ne vaut guère mieux que Le Pen et qui deviendra peut-être président en 2007.
Le Pen n'a pas fini de servir d'alibi à la gauche réformiste. En présentant systématiquement comme fasciste le démagogue d'extrême droite, elle attribue par la même occasion un label « démocrate » à des hommes qui ne sont guère différents, ni par leur langage, ni par leurs intentions.
Mais le fascisme n'est pas qu'une affaire d'individu ou d'intentions. C'est bien plus encore une affaire de circonstances sociales. Il serait vain de vouloir compter toutes les crapules qui, dans le passé, se sont rêvées en chefs fascistes? Mais si ce rêve a pu devenir le cauchemar des peuples que l'on sait, en Italie ou en Allemagne, c'est parce que le grand patronat de ces pays, confronté à une grave crise sociale, a fait le choix de financer les bandes fascistes recrutées parmi des boutiquiers ruinés ou des chômeurs prêts à tout, pour briser la classe ouvrière.
Pour le moment, le grand patronat n'est pas confronté à une telle situation. Il n'en est pas à financer des bandes fascistes pour briser des grèves, pour incendier des bourses du travail, pour faire matraquer des militants ouvriers. Oh, ce n'est pas que le grand patronat d'aujourd'hui soit moins anti-ouvrier que ne l'était le grand patronat en Italie au début des années 20, ou en Allemagne au début des années 30 ! C'est que, pour le moment en tout cas, le contexte, la nature de la crise n'ont pas fait surgir le besoin de meutes fascistes que le grand patronat pourrait financer et lâcher contre les travailleurs. Il n'en éprouve pas la nécessité et il n'est pas prêt à en subir les inconvénients pour lui-même.
Alors, la barrière infranchissable que la gauche réformiste fait passer entre un Le Pen, homme d'extrême droite et démagogue xénophobe, et un Sarkozy n'est qu'un artifice. Leurs démagogies respectives ciblent le même électorat d'extrême droite, sensible aux déclarations anti-immigrés et aux mouvements de menton sécuritaires.
La droite au gouvernement mène une politique si clairement antipopulaire que les dirigeants de la gauche croient qu'il leur suffira d'attendre, et que le mécontentement contre la politique de la droite leur donnera une chance de l'emporter aux élections de 2007.
Ce en quoi ils se trompent peut-être. Car le dégoût de ce petit jeu politique, entre une droite vraiment anti-ouvrière et une gauche qui l'est hypocritement, finit par dégoûter un nombre croissant d'électeurs des classes populaires. Les uns se détournent seulement des élections. Mais combien, parmi les moins conscients, penseront en 2007 qu'en votant Le Pen, ils donneront un bon coup de pied dans la fourmilière ? Ce serait un calcul irresponsable, mais la responsabilité en incombe aux partis de gauche qui ont ôté aux travailleurs jusqu'à l'idée qu'ils doivent se défendre eux-mêmes.
Mais quelle raison positive auraient donc les travailleurs de voter pour le Parti socialiste ? Qu'est-ce qui, dans ses promesses, pourrait leur donner l'espoir que leur vie pourrait changer, avec le changement électoral ?
Contrairement à ce qu'on nous reproche bien souvent, nous ne disons pas que les partis de droite et les partis de gauche sont identiques. Ce que nous disons, c'est que les partis de droite comme les partis de gauche sont des partis bourgeois, car ni les uns ni les autres ne veulent toucher à l'ordre social existant mais, au contraire, le gérer tel qu'il est, avec son économie de marché aveugle, sa classe capitaliste rapace, ses injustices sociales criantes.
Lorsqu'ils étaient au pouvoir, les partis de gauche ont cependant pris quelques mesures progressistes. Mitterrand a aboli la peine de mort, ce qui est certainement un pas en avant du point de vue tout simplement humain. C'est encore un gouvernement socialiste qui a décidé le PACS. Mais l'une comme l'autre de ces mesures avaient l'avantage pour le PS de ne pas toucher aux intérêts du patronat, et ne pouvaient en rien changer la situation des salariés.
Les rares fois où les socialistes ont pris des mesures un peu favorables aux travailleurs, comme la loi des 35 heures, ils ont craint la réaction du patronat. Alors, pour que celui-ci n'ait pas le sentiment que ses intérêts étaient lésés, ils ont assorti la réduction de l'horaire hebdomadaire de travail de tellement de concessions au patronat, comme la flexibilité des horaires, les exonérations de charges sur les bas salaires, le Smic à plusieurs niveaux, que, pour bien des travailleurs, ce qu'ils ont perdu était supérieur à ce qu'ils ont gagné.
Mais le patronat n'en a même pas été reconnaissant au Parti socialiste.
Il ne reste pas grand-chose à la gauche pour se différencier de la droite. Il ne lui reste que l'espoir que, devant les dégâts causés par le gouvernement de droite, les travailleurs se disent qu'avec la gauche, c'est tout de même « moins pire », en dispensant la gauche de prendre le moindre engagement.
Lors de la récente campagne référendaire pour ou contre le projet de Constitution européenne, aussi bien la direction du PCF qu'à son échelle, la LCR, et bien d'autres, nous ont présenté le vote « non » comme un geste important, décisif, pour les travailleurs.
Pour notre part, nous avons appelé à voter « non » tout simplement pour voter contre un projet de Constitution européenne anti-démocratique, que les travailleurs n'avaient aucune raison de cautionner. Mais nous nous sommes refusés à présenter le référendum comme une bataille décisive, car les batailles qui changent réellement la vie des travailleurs ne se livrent pas en cette occasion ! Et si nous nous sommes réjouis de la victoire du « non », nous n'avons jamais parlé de « dynamique unitaire » susceptible de changer le rapport des forces en faveur des travailleurs. Pas plus que nous n'avons participé aux comités divers et multiples mis en place par les militants du PCF, de la LCR, en compagnie de ceux de diverses associations, pour capter je ne sais quel mouvement venant prétendument des profondeurs !
On nous a traités de sectaires, parce que nous n'avons pas voulu des tribunes des meetings unitaires, aux côtés de personnalités du PCF, du PS et des Verts, parfois ministres il n'y a pas si longtemps, mais partisans du « non ». Eh oui, nous avons toujours refusé de mentir aux travailleurs, et de leur présente, comme des amis des travailleurs, des personnalités politiques simplement parce qu'elles ont pris fait et cause pour le vote « non ». Le Pen l'a bien fait !
Pendant la campagne référendaire, la direction du PS s'est coupée en deux. Et l'électorat socialiste a désavoué la majorité de cette direction qui a appelé à voter « oui ».
Oh oui, cela a fait plaisir que la direction socialiste prenne une claque de la part de sa propre base électorale, qui, après avoir avalé bien d'autres couleuvres, ne voulait pas, cette fois, voter pour un projet élaboré par Giscard et patronné par Chirac ! Mais le contentement s'arrête là. On a vu avec quelle facilité, au congrès du Mans du Parti socialiste, tout ce beau monde s'est réconcilié et le clivage entre les partisans du « oui » et les partisans du « non » s'est résorbé en une nuit !
Alors, ce n'était certainement pas à des révolutionnaires de présenter ce petit clivage politicien comme une rupture majeure dans la vie politique française.
Aujourd'hui, les suites de la campagne du « non » sont mortes et enterrées, même s'il en est encore, du côté du PC ou du côté de la LCR, qui s'agitent sur le thème de la « dynamique unitaire » et pour maintenir sous perfusion quelques « comités du non ».
Chacun sait que cette année 2006 va entièrement tourner autour de l'élection présidentielle à venir. D'autant plus que cette présidentielle conditionnera les législatives organisées dans la foulée, et dont dépend la place de quelque 500 députés. Et ceci, sans même parler des élections municipales qui suivront un peu plus tard. Tout cela représente bien des sinécures et bien des retombées pour les amis.
Du côté de la droite, on verra bien qui, de Sarkozy ou de Villepin, parviendra à démolir l'autre. Pour sanglant que soit leur affrontement, l'issue ne recèle nulle surprise pour les travailleurs, en tout cas pas une bonne surprise. Que ce soit l'un ou l'autre qui soit élu, il poursuivra la politique qui est menée par l'actuel gouvernement, probablement en l'aggravant, fort de la légitimité d'être fraîchement élu.
Du côté de la gauche, il y a bien pléthore de candidats à la candidature. Mais s'il y a un suspense pour savoir qui, au PS, s'imposera, il y en a bien moins sur le fait que c'est le candidat du PS qui représentera toute la gauche réformiste au deuxième tour. Si tant est, du moins, qu'il y ait un candidat de la gauche au deuxième tour, et pas une répétition du scénario de 2002, avec Le Pen comme challenger de Sarkozy, à moins que ce soit Villepin.
La droite a beau faire par toute sa politique la campagne électorale de la gauche, il n'est pas dit que la gauche s'impose. Car il ne faut pas oublier l'importance numérique dans ce pays de l'électorat de droite, de la bourgeoisie au sens très large, y compris les cohortes de la petite bourgeoisie, complétées par des cadres, des chefs petits et grands dans les entreprises, de bien des professions dites libérales.
Nous ne savons pas si la menace qu'il n'y ait pas de candidat de gauche au deuxième tour de l'élection amènera certaines formations liées à feu l'Union de la gauche à ne pas présenter cette fois-ci de candidats. En particulier, nous ne savons pas quelle sera l'attitude du PC. Apparemment, ses dirigeants sont partagés sur cette question, entre ceux qui pensent, à juste raison, que ne pas présenter de candidat aggraverait le déclin du PC, et ceux qui préféreraient s'effacer pour éviter le risque que se reproduise ce qui s'est passé en 2002. Le choix ne sera pas fait en fonction des seules inclinations politiques de ceux qui prendront la décision ! Dans les tractations entre le PC et le PS, il y a, dans la balance, des postes de députés, des postes de conseillers municipaux, et tout ce qui s'ensuit.
Mais, quelle que soit la décision finale de la direction du PC, son intérêt est évidemment de maintenir une certaine pression sur le PS, pour obtenir de celui-ci un maximum de concessions pour les législatives. Car, dans les tractations, publiques ou secrètes, les législatives conditionnent la présidentielle. Vu la loi électorale, seul le PS peut laisser au PC quelques circonscriptions où celui-ci peut avoir des élus. Mais même si le PC obtient le nombre de places de députés qu'il souhaite, l'alliance avec le PS signifiera sa subordination, de nouveau, au PS.
Car tel est le résultat inéluctable de dizaines d'années de politique d'abandon du terrain de la lutte de classe par le PCF. Ce parti, qui avait la présence que l'on sait dans la classe ouvrière, a usé tout son crédit auprès des travailleurs pour les détourner de la lutte de classe et pour les convaincre depuis trente ans que la seule perspective pour les travailleurs, le seul débouché politique possible, était un gouvernement socialiste avec la participation de ministres communistes. Mais, malgré la présence de ses ministres au gouvernement pendant trois ans sous Mitterrand, pendant cinq ans avec Jospin, le PCF, jamais en situation de peser sur la politique menée, n'a fait que la cautionner devant les travailleurs, y compris dans ses aspects les plus anti-ouvriers.
C'est à cause de cette politique que le PCF a perdu une grande partie de ses militants et une grande partie de son influence dans la classe ouvrière. Et, aujourd'hui, sa direction en est réduite à n'avoir aucune autre perspective à proposer que de se rallier, à nouveau, tôt ou tard, au PS.
Nous ne savons pas non plus à quoi aboutiront les grandes manoeuvres autour de José Bové. Ce dernier n'a apparemment pas envie d'être choisi pour candidat par les seuls Verts, mais, en revanche, semble prêt à se présenter comme le « candidat unique à gauche du PS ». Si on comprend bien, cela signifie dans l'esprit des initiateurs de sa candidature, outre les Verts, des altermondialistes à la recherche d'une représentation politique, des gauchistes orphelins d'organisations, mais aussi la LCR et, surtout, le PC. Mais on ne voit guère l'intérêt que l'une ou l'autre de ces deux organisations pourrait trouver à s'effacer derrière Bové.
Eh bien, pour notre part, plutôt que de se cacher derrière une candidature qui serait d'autant plus unitaire qu'elle serait insipide, nous mènerons notre campagne, la campagne de Lutte ouvrière, au travers de ma candidature.
Nous serons présents dans ces campagnes électorales pour nous adresser au monde du travail et pour y défendre les intérêts vitaux de tous ceux qui n'ont que leur salaire pour vivre, ouvriers, employés, cheminots, enseignants, postiers, personnel des hôpitaux et des services publics, ou qui, aujourd'hui à la retraite après une vie de travail, n'ont qu'une pension encore plus dérisoire.
Et, puisque les campagnes électorales, et plus particulièrement l'élection présidentielle, sont les seules occasions qui nous sont données de nous faire entendre de l'ensemble des classes populaires de ce pays, nous saisirons bien sûr cette occasion pour le faire. En sachant cependant que, pour pouvoir le faire, nous avons des conditions légales à remplir et beaucoup d'obstacles à franchir.
Mais d'ici les élections, il se passera du temps. Et j'espère, je souhaite que, d'ici là, les travailleurs réagissent aux coups qui leur sont portés.
Il y a eu, tout au long de l'année dernière, un grand nombre de conflits, bien souvent contre des projets de licenciements, des suppressions d'emplois ou des délocalisations, parfois sur les salaires. Ces mouvements étaient plus ou moins déterminés, plus ou moins longs. Les plus importants et les plus combatifs d'entre eux, qui ont marqué l'opinion publique ouvrière à l'échelle du pays, ont été les deux longues grèves qui ont eu lieu à Marseille : celle de la SNCM et celle des transports publics de la ville, la RTM. Mais il est d'autres entreprises, moins connues, dont les travailleurs font preuve d'une même détermination, comme ceux de Burgess-Norton, ex-Marti, dans le Doubs, en grève depuis un mois et demi avec occupation, contre la fermeture de leur entreprise, sous-traitante de Peugeot.
Il n'est pas difficile de prévoir qu'il y aura de tels mouvements l'année qui vient. Tout simplement parce que l'attitude du patronat ne sera pas moins dure cette année qu'elle ne l'a été l'année dernière et que, devant la fermeture de leurs entreprises ou d'importantes suppressions d'emplois, un certain nombre des travailleurs qui en seront victimes estimeront, à juste raison, que, même le dos au mur, il vaut mieux se battre que de se résigner.
Les grèves sur les salaires elles-mêmes sont, bien souvent, des grèves le dos au mur, menées par des travailleurs qui ne peuvent plus accepter la dégradation incessante de leur salaire comme, par exemple, ceux du parc Disney qui ont réagi à la suppression de la prime de fin d'année. Oui, certaines de ces luttes font preuve de détermination, mais toutes constituent la démonstration qu'on ne peut pas continuer à encaisser des coups sans réagir.
Mais il est évident aussi que, dans le contexte d'aujourd'hui, marqué par l'importance du chômage, le rapport des forces est favorable aux patrons. Certains d'entre eux en profitent pour afficher une attitude particulièrement provocante, comme Hewlett-Packard ou Bosch, pour ne citer que les dernières entreprises qui se sont illustrées en utilisant cyniquement le chantage : « Ou bien je licencie, ou je délocalise, ou bien vous acceptez une augmentation des horaires de travail sans augmentation de salaire ».
Aucun travailleur ne peut espérer dans ces conditions remporter de victoires décisives dans le cadre d'une seule entreprise ou d'une seule corporation. C'est seulement un mouvement social de grande ampleur, déterminé, touchant le gros des bataillons de la classe ouvrière, qui peut faire peur au grand patronat et au gouvernement et bouleverser le rapport des forces au point d'imposer les exigences vitales du monde du travail. Mais tout le problème est de savoir comment parvenir à cette réaction d'ensemble, qui ne se décrète pas mais qui pourrait se préparer. Et c'est là où les grandes directions syndicales ne sont pas à la hauteur des exigences de la situation, et ne veulent pas l'être !
Les confédérations syndicales elles-mêmes n'ont pas la capacité de susciter une action d'ensemble de tous les travailleurs, mais la préparation nécessaire est à la portée des plus importantes, si elles voulaient réellement s'affronter au patronat. Mais elles ne le veulent pas, car elles sont trop liées à la société actuelle.
A ce qu'il paraît, la CGT proposerait une nouvelle journée d'action interprofessionnelle pour le 31 janvier. Ou, pour être plus exacte, -je cite l'expression utilisée par la CGT : « une journée d'expression revendicative ». Que cache cette formulation vague ? Y aura-t-il un appel à la grève ou pas ?. Et une nouvelle journée d'action, si elle a lieu, arrivera à un moment où les travailleurs ont déjà oublié la journée du 4 octobre 2005, qui elle-même faisait suite? à la journée du 10 mars ! Et, dans l'intervalle de deux journées d'action, tellement éloignées dans le temps qu'elles ne peuvent pas constituer des étapes de la mobilisation nécessaire, les syndicats s'évertuent à faire des appels corporatistes et limités, en formulant eux-mêmes les revendications de telle façon qu'en dehors de la corporation visée, aucun travailleur ne se sente concerné. On a vu cela durant les mois précédents à la SNCF, à la RATP et chez les professeurs des collèges, pour ne mentionner que ceux-là.
Ce qui est plus grave, c'est qu'au lieu d'inspirer confiance aux travailleurs, ce type d'appel les décourage. Bien sûr, les travailleurs d'un secteur peuvent être prêts à se mettre en grève alors que les autres ne le sont pas ou pas encore. Mais une stratégie corporatiste qui transforme dès le départ les autres travailleurs en spectateurs passifs, risque de creuser le fossé entre travailleurs. Au lieu d'être un exemple à suivre pour les autres, ceux qui luttent risquent de reprendre avec le sentiment d'avoir été abandonnés.
Le seul avenir, c'est une lutte d'ensemble autour des revendications vitales, l'augmentation générale des salaires, contre les suppressions d'emplois et contre la précarisation.
C'est cette idée en tout cas que nous avons à défendre autour de nous, parmi les travailleurs et dans nos organisations syndicales. Mais nous savons aussi que la plupart des grandes luttes du passé, celles en tout cas qui ont fait réellement trembler le grand patronat et le gouvernement, celles qui les ont obligés à reculer, sont parties de la classe ouvrière elle-même, et que ce sont les travailleurs eux-mêmes qui ont obligé les syndicats à les suivre.
Cela fait bien des années que nous avons commencé à développer, sous le nom de « plan d'urgence », un ensemble de revendications qui correspondent à ces objectifs. Ces revendications n'ont rien perdu de leur actualité. Bien au contraire.
Il faut interdire les licenciements dans les entreprises qui font des profits, et imposer le maintien de tous les emplois en prenant sur ces profits.
Il faut que les salariés, les consommateurs et la population aient accès à toute la comptabilité des grandes entreprises. Il faut éclairer les circuits de l'argent, voir d'où il vient, par où il passe, où il va et à qui il va. Il faut connaître et rendre publics, à l'avance, les projets des grandes sociétés. La gestion capitaliste des entreprises, menée dans le secret des conseils d'administration, en fonction de la seule rentabilité financière, montre jour après jour à quel point elle est nuisible pour la collectivité.
Il faut une augmentation générale d'au moins 300 euros du Smic et de tous les bas salaires.
Il faut mettre fin aux contrats précaires -y compris celui baptisé frauduleusement « nouvelle embauche »- et à temps partiel imposé. Il faut des salaires en aucun cas inférieurs au Smic ainsi augmenté, quel qu'en soit le prétexte invoqué : âge, stagiaire ?
Il faut imposer la construction par l'Etat, et non par les municipalités, d'habitats sociaux dans toutes les villes, en réquisitionnant les terrains nécessaires.
Il faut embaucher des enseignants en nombre suffisant pour que, dans les quartiers populaires, surtout dans les plus défavorisés, tous les enfants, et en particulier ceux issus de l'immigration et qui maîtrisent mal le français, trouvent des classes maternelles en nombre suffisant, pour que leurs effectifs permettent aux enseignants de transmettre à ces enfants les connaissances élémentaires que leurs familles sont dans l'incapacité de leur transmettre.
Il faut en conséquence contraindre l'Etat à prendre sur la classe riche, sur ses revenus et, au besoin, sur sa fortune, de quoi faire face à ces obligations. En commençant d'abord par arrêter toute subvention ouverte ou déguisée aux entreprises, et tout cadeau aux riches particuliers.
Pour imposer tout cela, il faut une lutte déterminée et radicale du monde du travail. Si dur que cela paraisse aujourd'hui, c'est moins utopique qu'espérer que les élections de 2007, quels qu'en soient les résultats, changent en quoi que ce soit le sort des travailleurs.
Voilà, amis et camarades, les revendications que nous aurons à populariser pendant la période qui vient, car elles correspondent aux intérêts vitaux du monde du travail. Nous le ferons autour de nous, dans nos entreprises comme en dehors, avec nos moyens qui sont certes limités, mais nous le ferons avec détermination. Nous le ferons pendant la campagne électorale, avec les moyens plus larges dont nous disposerons peut-être.
Et j'espère, je souhaite, que tous ceux qui sympathisent avec nos idées ou qui, simplement, se retrouvent dans les objectifs que je viens d'énumérer, nous rejoignent pour mener ce combat, avant comme pendant la campagne électorale !
Alors, camarades, bonsoir, bon courage et à bientôt !
Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 13 janvier 2006