Discours de Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, sur les attentes de la France, notamment en matière d'aide au développement, lors de la conférence de l'OMC, Hong Kong le 14 décembre 2005.

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Circonstance : 6ème Conférence de l'OMC à Hong Kong du 12 au 18 décembre 2005 - Session plénière d'ouverture

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ministres et chers collègues,
Monsieur le Directeur Général de l'OMC,
Marrakesh, Punte del este, Seattle, Doha, Genève, Cancun, Hong-Kong : et si finalement les négociations n'étaient qu'un prétexte pour passer régulièrement une dizaine de jours entre amis dans une ville au soleil ou à la montagne ?
Le doute est permis si l'on considère les fruits bien maigres de cette caravane itinérante durant la dizaine d'année qui a succédé à la création de l'OMC. Fort heureusement nous avons à Hong-Kong une occasion unique de détromper les sceptiques et les cyniques et de montrer que le multilatéralisme reste « le moins mauvais des systèmes » et qu'il porte encore des fruits.
Nos hôtes n'ont pas compté leurs efforts et je veux les en remercier. Le gouvernement de la région administrative spéciale de Hong-Kong, et l'ensemble de sa population ont organisé notre accueil avec une chaleur et un profesionnalisme uniques en leur genre. Ils nous offrent ainsi les meilleures conditions pour nous permettre de prendre ici les décisions nécessaires à la poursuite d'un chemin de croissance de l'économie mondiale qui profite aussi et surtout, comme nous nous y sommes engagés à Doha, aux hommes et femmes de tous les pays et en premier lieu aux plus pauvres.
Le chemin sera difficile, la tâche considérable, nous le savons. Pour trouver des solutions, nous pouvons d'abord compter sur la protection du Feng Shui (« Fong Choui »), le bon génie, de Hong-Kong dont l'efficacité en matière commerciale est attestée par le développement de cette cité sans équivalent en Asie et dans le monde.
Ensuite, nous devons surtout compter sur notre volonté commune de progresser. Comme l'a dit Pascal Lamy dans lors de son allocution d'ouverture, « pour obtenir la peau du tigre, il faut entrer dans sa tanière » et chaque pays doit faire les efforts nécessaires pour parvenir à un résultat équilibré dans lequel chacun pourra trouver son compte.
La France souhaite clairement que Hong-Kong soit un succès et y mettra toute son énergie, articulant ses actions autour de deux priorités: (i) priorité au développement et (ii) priorité à l'équilibre global du cycle.
Tout d'abord, nous devons remettre le développement au c?ur du cycle, c'est un impératif moral, politique et économique. Cette priorité au développement a été rappelée, il y a 10 jours à Bamako, par le Président Chirac lors du 23ème sommet des chefs d'Etat d'Afrique et de France. Il a insisté sur l'ardente nécessité de redonner espoir aux jeunes Africains, et à travers eux à la jeunesse de l'ensemble des pays en développement, jeunesse qui s'ouvre au monde et que nous ne pouvons décevoir.
Nous devons cette semaine faire des propositions concrètes pour que l'idéal d'un monde plus ouvert et plus équitable devienne enfin réalité. Dans l'immédiat, nous devons même identifier et résoudre les difficultés les plus urgentes que nous expriment les pays les plus pauvres :
- Nous croyons que le développement passe par un accès en franchise de droits et de quotas pour les produits des pays les moins avancés à l'image de ce que l'Union propose aux PMA dans son initiative « tous sauf les armes ». Il est temps que les promesses faites en juillet 2004 à Genève prennent la forme d'engagements fermes des pays développés et des pays émergents qui le peuvent.
- Nous croyons que le développement passe par des solutions sur le traitement spécial et différencié. Nous n'y arriverons pas si nous ne pouvons cibler nos efforts sur les pays qui en ont vraiment besoin. Les mesures spécifiques aux PMA constituent à cet égard une priorité pour cette conférence ministérielle.
- Nous croyons que le développement passe par des réponses concrètes aux attentes des pays africains producteurs de coton. Il faudra cette semaine obtenir à Hong-Kong des engagements clairs qui répondent de manière durable, rapide et ambitieuse à ce problème. N'oublions pas que ce sont les conditions de vie de plus de 20 millions d'africains qui sont en jeu.
- Nous soutenons un renforcement des actions d'aide au commerce nécessaires pour accompagner les inévitables efforts d'ajustement. La France fait déjà partie des donateurs les plus généreux en la matière avec près de 2 % de son aide bilatérale affectée aux questions commerciales et elle est prête à faire mieux encore. Pour autant, l'augmentation de l'aide au commerce ne saurait en aucun cas être un substitut à une négociation intégrant vraiment les préoccupations des pays les plus pauvres.
Ces décisions sont difficiles, mais non hors d'atteinte. Le signal donné par l'intégration dans l'accord ADPIC des dispositions nécessaire à l'accès aux médicaments des pays les moins avancés est très encourageant. Il doit être suivi par d'autres succès.
Ce paquet de mesures est nécessaire, mais il ne sera pas suffisant pour assurer le succès de la conférence vers un résultat équilibré du cycle. Les progrès de Hong-Kong doivent être suffisants sur l'ensemble des volets pour constituer le "camp de base" d'altitude qui permettra aux 150 membres de l'OMC d'effectuer l'ascension finale vers le sommet d'un accord conforme à la déclaration de Doha.
Pour leurs parts, la France et l'Union se sont préparées à cette ascension : ils ont mesuré la nature de l'engagement de Doha dès le début du cycle. Des décisions nécesaires mais lourdes de conséquence pour l'agriculture européenne ont été prises lors de la réforme de la PAC. La France, avec ses partenaires européens, ont démontré leur détermination à atteindre l'objectif d'un résultat équilibré dans le respect du mandat de négociation qu'ils avaient fixé à la Commission européenne.
Plus récemment, l'Union a affiché publiquement son ambition dans son offre conditionnelle, finale et globale du 28 octobre. Elle a présenté une proposition agricole sérieuse qui utilise toutes les marges de man?uvre disponibles en la matière, tout en affichant ses attentes sur les autres volets auxquelles l'offre agricole est conditionnée. Grâce à cette offre équilibrée, l'Union, tel l'alpiniste qui vient de franchir un surplomb, attend que les autres membres de la cordée le rejoignent. C'est donc maintenant aux pays émergents et aux autres pays développés de s'engager dans ces négociations en ouvrant réellement et significativement leurs marchés pour les produits industriels et les services. Concernant les services, dont les négociations ont pris un grand retard, seule une nouvelle méthode de négociation permettra d'obtenir des résultats conformes à nos ambitions. La France souhaite notamment inclure des objectifs chiffrés que chacun devrait reprendre dans ses offres et engager des discussions approfondies avec ceux des pays qui veulent aller plus loin. Il est temps également que les pays développés s'engagent aux cotés de l'Union pour diminuer leurs subventions agricoles qui perturbent le commerce.
Je souhaite conclure en rappelant que la France souhaite un succès à Hong-Kong, prélude à un accord final équilibré et ambitieux du cycle de Doha. Depuis Montesquieu on sait que "partout où il a des m?urs douces il y a du commerce, et partout où il y a du commerce, il y a des m?urs douces". Le monde dans lequel nous vivons a besoin de moeurs douces et je suis convaincue, qu'en ces temps difficiles, un succès des négociations de l'OMC ne sera pas qu'un succès commercial. Il donnera raison à ceux qui croient en un système multilatéral plus juste, à ceux qui pensent que 149 pays peuvent encore s'accorder pour répondre ensemble aux défis d'un monde globalisé et enfin à ceux qui s'insurgent contre la fatalité d'un monde qui serait marqué par le repli sur soi et qui exclurait la moitié de l'humanité des bénéfices de la globalisation.
Nous entendons les espoirs de nos populations, les ambitions de nos entreprises mais aussi leurs frustrations, indignations et leurs refus de la fatalité. Nous les avons entendus, il faut aujourd'hui leur répondre.

source http://www.minefi.gouv.fr, le 26 décembre 2005