Interview de M. Julien Dray, porte-parole du PS, à RTL le 13 décembre 2005, sur la proposition gouvernementale de création d'un contrat de transition professionnelle et sur la grève dans les RER.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Julien Dray.
Julien Dray : Bonjour.
Q.- Dominique de Villepin a proposé, hier, aux syndicats, de mettre en place un "contrat de transition professionnelle" qui aiderait les chômeurs à retrouver plus rapidement du travail en leur permettant d'accéder à des formations. Cela ressemble beaucoup à ce que la gauche propose, c'est-à-dire, la "sécurisation des parcours professionnels". Difficile, pour un opposant aujourd'hui, de parler de la proposition de Dominique de Villepin ?
R.- Je vais répondre à votre question, Monsieur Aphatie, mais avant, je voudrais vous dire une chose, parce que c'est un coup de c?ur ou, plus exactement, un coup de colère. Je suis fier d'être Français. Je suis fier de vivre en France dans un pays où l'on n'exécute pas quelqu'un 21 ans après. Et, dans ce moment particulier où, souvent, on critique notre pays, je pense qu'aujourd'hui on peut être fier d'avoir aboli la peine de mort.
Q.- D'accord. Là, vous parliez de Monsieur Schwarzenegger qui n'a pas voulu gracier un condamné à mort.
R.- Il a beaucoup de muscles, mais visiblement peu de c?ur.
Q.- Alors, le "contrat de transition professionnelle".
R.- Maintenant, j'en reviens à votre question. D'abord, je vous ferais remarquer qu'on nous a dit, pendant des mois et des mois, que la gauche n'avait pas d'idée, que la gauche ne parlait pas, qu'elle n'était pas audible. Je constate, tout d'un coup, que les gens découvrent que, finalement, la gauche a travaillé. Qu'elle avait des propositions, qu'elle avait des choses à dire et qu'elle existait.
Q.- Et qu'on vous vole des idées ! Alors, comment s'opposer à l'idée de Dominique de Villepin ?
R.- Déjà, c'est une remarque positive par rapport à tout ce que l'on a entendu, à notre égard, tout au long de ces mois qui viennent de s'écouler, où l'on nous disait que nous n'avions pas de proposition. Maintenant, sur le contrat tel qu'il est proposé par Monsieur de Villepin, c'est, comme toujours, c'est celui qui n'a pas d'idée qui regarde sur le voisin de devant au moment de l'examen, qui voie ce qu'il peut piocher dans la copie. Il pioche quelques bribes, mais il ne pioche pas l'essentiel.
Nous avions comme idée de mettre en place ce que l'on appelle un "contrat de reclassement". C'est-à-dire, pas une expérience pilote pour 6 mois : un contrat qui permettrait - c'est l'engagement que nous avons pris - à celui qui est en rupture de situation professionnelle, d'être immédiatement pris en charge pendant un an, d'avoir une formation avec un salaire maintenu. Et donc, de pouvoir être tout de suite recyclé dans son parcours professionnel avec, justement, la formation nécessaire qui lui permet de se redéployer.
Ce n'est pas exactement ce que nous avons. Nous avons une formule très hybride qui va être testée pendant 6 mois. Plus exactement, qui va être testée sur 6 départements. Voilà. Donc, on a la volonté du gouvernement d'essayer de faire quelque chose. Mais sa caractéristique - si vous le permettez, ce qui s'est passé hier, c'est caractéristique d'une situation nouvelle.
Nous sommes à la veille des vacances de Noël et il faut faire des cadeaux. Alors, le gouvernement n'est pas capable de faire le vrai cadeau qu'attendent les salariés, qui n'est pas un cadeau, qui le dû : c'est-à-dire une augmentation du pouvoir d'achat, une augmentation des salaires, une vraie politique de l'emploi. Alors, il fait des effets d'annonces. Parce que, maintenant, Monsieur de Villepin, c'est une nouvelle enseigne commerciale. Gouvernement de Villepin & Co : "ici, tous les jours, il y a une annonce" ! Peu importe de savoir ce qui va se passer derrière.
Q.- Derrière la formule, on sent quand même l'embarras !
R.- C'est vous qui sentez l'embarras. Pourquoi moi ?
Q.- Oui, c'est moi, je vous le dis !
R.- On copie sur le voisin. Il y a des formules. Je pense que la proposition de Dominique de Villepin vous prend un peu de court !
Q.- Elle ne me prend pas de court !
R.- Elle ne me prend pas de court parce que je prends un engagement devant vous : on va revenir ici, dans 6 mois, et on fera le bilan de ces mesures annoncées. Et vous verrez que tout cela aura été du virtuel, pour l'essentiel. Voilà, je prends l'engagement. Si vous m'invitez à nouveau dans 6 mois, vous verrez. C'est toute la méthode de communication de ce gouvernement : beaucoup d'annonces pour noyer son incapacité à résoudre les problèmes actuels.
Q.- Bon. J'éviterai de prendre trop d'engagements, ce matin. Dominique de Villepin, sur le terrain social. Jacques Chirac, dans "Le Parisien", qui répond à 50 Français ou à 50 questions des Français, des lecteurs du "Parisien". Décidément, l'exécutif est en forme, ces jours-ci, Julien Dray !
R.- D'abord, une remarque. Jacques Chirac, c'est un peu le général Grouchy de Waterloo, c'est-à-dire, qu'il arrive toujours après la bataille puisqu'on aurait aimé que ces propos-là soient tenus par le président de la république au moment de la crise. Alors, c'est vrai que c'était difficile parce qu'il y a Jacques Chirac qui parle, et puis, il y a Nicolas Sarkozy qui, lui, agit. Et qui agit mal. Qui agit mal par rapport à ce qui s'est passé dans des quartiers. Qui agit mal par rapport à une partie de la population qu'il a stigmatisée, qui a ouvert des blessures profondes parce que je prends, là aussi, date. Les propos de Nicolas Sarkozy ont fait très mal à la société française, et à ce qui s'est passé dans les cités. Et cela a marqué profondément et durablement. Il a cru qu'il a fait un bon coup de communication, comme d'habitude, parce qu'il a voulu parler "peuple" ou "populaire".
Q.- Mais les sondages disent qu'il n'a pas perdu contact avec le public, au contraire !
R.- Je ne crois pas du tout à ces histoires-là. Je crois surtout qu'il y a des gens qui sont maintenant blessés au plus profond de leur être, par les mots qui ont été employés. Parce qu'il y a des gens qui vivent dans ces cités-là. Et les gens qui vivent dans ces cités-là ont eu l'impression qu'on les mettait dans le même sac que les casseurs et les voyous.
Q.- Je vous parle de Villepin ou Chirac, vous répondez Sarkozy. Il y a une obsession "Sarkozy" chez Julien Dray ?
R.- Non, il n'y a pas une obsession. Je pense qu'il y a un gouvernement qui est, je dirais, vertébré par un ministre de l'Intérieur qui, aujourd'hui, porte des coups dramatiques au corps social. Voilà. Et puis, de l'autre côté, il y a des gens qui parlent, comme le président de la république. Mais celui qui agit, pour l'instant, c'est le ministre de l'Intérieur.
Q.- 9ème journée de grève sur les lignes du R.E.R, dans la région parisienne. 9 jours que les usagers piétinent sur les quais en attendant des trains. Vous avez dit, hier, "comprendre les revendications des conducteurs" en disant que "la direction de la S.N.C.F veut augmenter le trafic sans augmenter les effectifs". Vous comprenez les revendications, mais est-ce que vous comprenez l'attitude des conducteurs et l'arme de la grève utilisée pour le 9ème jour consécutif ?
R.- Je suis un élu de l'Essonne et en Essonne, nous avons ce qu'on appelle la ligne C du R.E.R, c'est-à-dire la catastrophe. "C" comme catastrophe. C'est-à-dire une ligne qui est toujours en retard, des trains qui sont annulés à la dernière minute, des informations qui ne sont pas données. Donc, toutes les lignes de R.E.R de la S.N.C.F ont été mal traitées, ces dernières années, puisque la S.N.C.F avait concentré ses efforts sur le T.G.V.
Elle essaie de corriger, aujourd'hui, en mettant en place le Transilien. Mais, pour ce faire, il faudrait plus de personnel. Et moi, ce que je ne comprends pas, c'est une direction qui consacre plus d'énergie à dénoncer ses salariés qu'à essayer de trouver une solution. Ce que je ne comprends pas, c'est une direction qui dit : "Regardez les conditions de travail. Finalement, ils ne travaillent que 6 heures !". Mais il faut voir dans quelles conditions de travail ceux qui conduisent ces trains : les horaires auxquels ils doivent se lever le matin, les contraintes, les pressions qui existent.
Donc, j'aurais préféré que la direction de la S.N.C.F consacre plus d'énergie à trouver des solutions de dialogues. En tous les cas, que le directeur départemental des lignes de R.E.R consacre cette énergie à dialoguer et à trouver des solutions.
Q.- Les revendications, oui. Mais la grève : est-ce que vous comprenez 9 jours de grève, Julien Dray ?
R.- Oui. Mais quand on met les salariés dans une situation où, au lieu de les écouter?
Q.- Vous, vous comprenez la grève ?
R.- Je comprends, effectivement, que les salariés soient, aujourd'hui, exaspérés. Mais je comprends aussi ceux qui, ce matin, comme déjà depuis plusieurs matins y sont confrontés.
Q.- Qui, eux, ne comprennent pas la grève !
R.- C'est toute la difficulté ! Honnêtement, vous voyez bien la situation impossible dans laquelle on est en train de mettre les salariés qui sont en grève comme, aujourd'hui, les élus. C'est-à-dire qu'on leur dit : "il ne faut pas faire de grève parce que ça gêne". Mais, s'il y a une grève, c'est bien que la direction, au point de départ, n'a pas pris la mesure des problèmes qui étaient posés. Donc, ce que j'attends de la S.N.C.F, c'est qu'aujourd'hui elle apporte des réponses nouvelles, en terme de création d'emplois.
Q.- J'ai lu dans un journal que la direction du Parti Socialiste est enfin au complet. Vous être 101.
R.- Ça veut dire qu'il y a beaucoup de monde !
Q.- Il n'y a pas de chômage, au Parti Socialiste !
R.- Oui, mais ce n'est pas comme les dalmatiens !
Q.- Julien Dray, qui n'est pas un dalmatien, était l'invité de RTL, ce matin. Bonne journée !


Source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 décembre 2005