Texte intégral
Le Nouvel Observateur : On vous croyait gaulliste. Avec ce plan pour
l'emploi des jeunes, on vous découvre libéral !
Dominique de Villepin : parlons plutôt de volontarisme et de
pragmatisme. Nous sommes à un moment de l'histoire de notre pays où il
faut éviter d'opposer des exigences qui, loin d'être contradictoires,
sont souvent complémentaires : la liberté et la solidarité, le
dynamisme économique et le progrès social, l'innovation et la fidélité
à la tradition française. J'ai été profondément marqué par le 21 avril
2002, qui a été un vrai choc pour notre pays et le signe d'un profond
scepticisme politique. Si nous voulons éviter que cela se reproduise en
2007, nous devons faire preuve de réalisme démocratique : être lucide,
ne jamais perdre de vue la vérité des choses. J'ai voulu m'attaquer au
problème du chômage des jeunes. Quelle est la réalité ? 23% d'entre eux
sont au chômage, 70% de leurs embauches se font en CDD, 50% de ces CDD
durent moins d'un mois. Ce que le gouvernement propose, c'est
exactement l'inverse de la précarité actuelle : un véritable contrat à
durée indéterminée, avec une période de consolidation de deux ans dans
laquelle les stages, les périodes de formation en alternance et les CDD
effectués dans l'entreprise sont décomptés. Au total, chaque jeune qui
a aujourd'hui une difficulté à rentrer sur le marché du travail pourra
mettre moins de deux ans avant d'accéder à un emploi stable, au lieu
des 8 à 11 ans actuels.
NO : Les jeunes doivent se résigner à la précarité ?
D de Villepin : absolument pas. Le contrat première embauche est au
contraire une arme anti-précarité. Il comporte de vraies garanties, qui
n'existent pas actuellement pour les jeunes : l'accès au crédit, le
droit à une formation dès la fin du premier mois, une indemnité de
rupture en cas de séparation du salarié et de l'entreprise, une
assurance chômage. Et n'oubliez pas les dispositifs que nous avons
prévus pour protéger les jeunes des risques d'abus dans l'entreprise :
je pense en particulier à l'indemnisation obligatoire des stages longs.
D'ailleurs les jeunes ne s'y trompent pas : 60% des moins de trente ans
pensent que les mesures que nous proposons vont améliorer l'emploi des
jeunes. Qu'il faille plus d'explication et plus de pédagogie, c'est
certain. Mais soyons sérieux dans les critiques : ne faisons pas
prendre aux Français des vessies pour des lanternes.
N.O : Quelle est la vraie nature de Dominique de Villepin ? Vous allez
répétant votre attachement au modèle social français mais,
concrètement, vous faites la « rupture » que Nicolas Sarkozy » appelle
de ses voeux.
D de Villepin : il n'y a pas nécessairement de contradiction. En tout
état de cause, il faut commencer par mettre fin à des situations
inacceptables : le chômage élevé des jeunes, les difficultés des femmes
en temps partiel subi, les plus de cinquante ans qu'on écarte de
l'activité. C'est la bataille que nous avons engagée. Je suis conscient
des mérites du modèle français, mais conscient aussi de la nécessité de
l'adapter aux réalités d'un monde qui a profondément changé. En
modernisant notre modèle sans remettre en cause ses principes, je veux
que les Français croient à nouveau en l'action politique. Il y a un
enjeu majeur pour 2007 : c'est d'apporter des réponses aux difficultés
des Français, de prendre des décisions, d'obtenir des résultats. Et
d'abord sur l'emploi. C'est un devoir démocratique.
N.O : Vous récusez l'étiquette libérale ?
D de Villepin : je crois en l'action et je me méfie des étiquettes. la
France est un pays de dualité. L'exercice du pouvoir consiste à trouver
le point d'équilibre, le point de réconciliation. Bien sûr, nous avons
besoin de mouvement pour moderniser notre modèle. Mais bien sûr aussi,
nous avons besoin de protection et de garanties pour avancer en
confiance. Les deux sont parfaitement compatibles et font notre
originalité. Pour le contrat « nouvelles embauches » par exemple,
destiné aux petites entreprises, j'ai pris en compte les contraintes de
l'employeur, qui demande davantage de souplesse, et j'ai pris en compte
les exigences des salariés, en augmentant leurs garanties à mesure du
temps qui passe. J'ai essayé de concilier ces aspirations
contradictoires. La seule chose qui nous est interdite, c'est
l'immobilisme. Nous avons une obligation de mouvement et de résultats.
N.O : Est-ce que vous n'exagérez pas le succès du Contrat Nouvel
Embauche pour les petites entreprises ? Les syndicats contestent vos
communiqués de victoire.
D de Villepin : je me garde bien de tout triomphalisme, mais les
chiffres sont là : plus de 280 000 CNE ont été conclus à ce jour. Selon
une étude récente, un tiers de ces contrats sont des créations
d'emplois net, 10% seulement des contrats ont été rompus dans les six
mois, et il n'y a pas d'effet d'éviction du CDI vers le CNE. Il y a
donc bien une vraie dynamique qui s'est créée. Quant à suivre
attentivement les résultats, à obtenir les chiffres les plus précis
possible, regarder ce qui peut être amélioré, c'est certain et j'y suis
tout à fait favorable.
NO : Vous tablez sur combien de contrats « première embauche » pour les
jeunes ?
D de Villepin : Je n'aime pas les effets d'annonce. Je préfère être
jugé sur mes résultats On est passé sous la barre des 10% de chômeurs
en 2005, 9,6% exactement : c'est mieux que ce qu'avaient prévu les
experts.
N.O : Vous avez pris ces décisions sans concertation véritable. Peut-on
traiter les problèmes sociaux en négligeant les partenaires sociaux ?
D de Villepin : je crois profondément aux vertus du dialogue et de
l'écoute. Quelle est la vérité ? Depuis mon arrivée à la tête du
gouvernement, la concertation a été intense : j'ai eu des rendez-vous
réguliers avec les responsables syndicaux, comme la plupart des
ministres de mon gouvernement, en particulier Jean-Louis BORLOO et
Gérard LARCHER. Nous avons fixé une feuille de route en décembre
dernier. Dès maintenant, nous lançons la concertation avec les
syndicats pour ce qui sera la troisième phase de la bataille sur
l'emploi. Nous mettons notamment sur la table la question du contrat de
travail : contrat unique, fusionnant CDD et CDI, ou contrats
différenciés, à l'exemple de ce que faisons pour les petites
entreprises et les jeunes, tout est ouvert. Nous étudierons également
la question des allègements de charges sur les bas salaires et la mise
en oeuvre de la proposition du Président de la République sur le
financement de la protection sociale. Que certains jugent cette
concertation encore insuffisante, c'est leur droit. Mais mon devoir,
c'est aussi de décider et d'avancer dans le sens de l'intérêt général.
Les syndicats ont un rôle essentiel à jouer pour défendre les droits
des salariés. Le gouvernement pour sa part a une responsabilité
particulière pour lutter contre le chômage et développer la croissance
de notre pays.
N.O : cette troisième étape interviendra au printemps ?
D de Villepin : il faut le temps de la concertation. Mais le chômage
touche 11% des jeunes en Allemagne, contre 23% chez nous. Vous croyez
sérieusement qu'on peut rester les bras croisés ?
N.O : Vous donnez l'impression de considérer le code du travail comme
un salami, dont vous coupez une tranche tous les trois mois.
D de Villepin : le code du travail fait partie de nos références
essentielles. Mais pour qu'il puisse vivre efficacement, il faut
l'aménager et l'adapter. C'est parce que je crois profondément au
modèle social français que j'entreprends de le moderniser. Nous sommes
au XXIème siècle. A bien des égards, nos querelles sont celles du
XIXème siècle. Il y a un moment où il faut se poser les problèmes de
son temps. Le temps des Français, c'est tout de suite. Je ne peux pas
attendre demain pour leur apporter des réponses.
N.O : La troisième étape, ce sera la fin du CDI ?
D de Villepin : certainement pas. La clé de la troisième étape, c'est
d'avoir encore plus de résultat et de faire reculer davantage le
chômage. Sur le contrat de travail, il y a plusieurs hypothèses.
Faut-il un seul contrat ? Ou, compte tenu des situations différentes,
faut-il des contrats multiples ? Pour traiter le chômage des jeunes,
nous avons déjà eu ce débat. Nous aurions pu étendre simplement le CNE.
Nous avons pensé que les problèmes spécifiques auxquels faisaient face
les jeunes, l'indemnisation des stages, l'assurance chômage, l'accès au
crédit et au logement, le droit à la formation, justifiaient un contrat
spécifique. Ma démarche, c'est de partir des problèmes concrets, pas de
schémas idéologiques tout faits.
N.O : Vous vous méfiez du contrat unique, qui est demandé par la
fraction la plus libérale de votre majorité ?
D de Villepin : le contrat « nouvelles embauches » donne déjà des
résultats, le contrat « première embauche » répondra j'en suis
convaincu aux difficultés actuelles des jeunes, les partenaires sociaux
de leur côté proposent un CDD pour les seniors que je soutiens : tout
cela fait que nous sommes engagés dans une approche différenciée, au
plus près des problèmes de chacun.
N.O : Certains parlent même d'usine à gaz...
D de Villepin : il s'agit de trouver des solutions adaptées à chaque
situation. Quel est l'objectif ? C'est de permettre au plus grand
nombre de personnes de trouver rapidement un emploi et d'augmenter le
taux d'activité dans notre pays. Pendant longtemps on a cru qu'il n'y
avait pas assez de travail pour tout le monde, qu'il fallait le
partager. Moi, je crois au contraire à la dynamique de l'activité.
L'emploi crée l'emploi, l'activité crée l'activité, on le constate chez
nos voisins et partout dans le monde. La France a un des taux
d'activité les plus faibles des grands pays développés, c'est un
handicap pour chacun d'entre nous : pour tous ceux qui veulent trouver
un emploi alors qu'ils ont plus de 50 ans, pour les jeunes, pour les
femmes qui travaillent à temps partiel et qui voudraient un emploi à
temps plein. Les mesures que j'ai annoncées la semaine dernière, comme
le cumul emploi-retraite ou la possibilité d'avoir un deuxième emploi,
répondent à ce défi de l'activité.
N.O : Une nouvelle fois, vous donnez le sentiment d'avancer masqué :
derrière les mots, vous préparez la fin du CDI.
D de Villepin : je vous l'ai déjà dit, certainement pas. Et d'autant
moins que les deux nouveaux outils que j'ai créés sur le marché de
l'emploi, le contrat nouvelles embauches et le contrat première
embauche, sont tous les deux des CDI. Mon souci permanent est de
trouver le bon équilibre entre le mouvement et la thrombose. Je veux
avancer en évitant des blocages qui nous empêcheraient tous de
progresser. Je me méfie de l'idéologie et des réflexes partisans. Je
suis soucieux de l'équilibre entre la liberté et l'exigence de
protection. Je ne choisis pas entre les deux, je choisis les deux. Plus
de souplesse pour les entrepreneurs, mais aussi un accompagnement
personnalisé pour les chômeurs qui ont désormais un rendez-vous mensuel
à l'ANPE.
N.O : Vous voulez introduire en France la flexi-sécurité, chère aux
pays scandinaves ?
D de Villepin : Nous ne copions aucun modèle. Nous nous inspirons de ce
qui marche ailleurs pour l'adapter aux réalités de notre pays. Mon
objectif, c'est de parvenir à une sécurisation des parcours
professionnels : que l'emploi ne soit plus une source d'inquiétude en
France et que chacun puisse aborder les mutations économiques avec le
plus d'atouts possibles. Regardez ce que nous avons proposé pour les
jeunes : la création d'un service public de l'orientation,
l'encadrement des stages, le développement des formations en
alternance, la création du contrat premier embauche, tout cela balise
l'entrée des jeunes dans la vie professionnelle. Le contrat de
transition professionnelle pour les salariés des bassins d'emploi en
pleine restructuration, voilà une autre réponse. La création d'un droit
universel à la formation, encore une autre réponse. Derrière toutes ces
mesures, il y a une philosophie : l'accompagnement personnalisé de
chacun. Et une exigence constante : l'imagination. Car tout est loin
d'avoir été fait pour lutter contre le chômage.
N.O : Vous réformez le code du travail pour les salariés du privé. Mais
là où existent des syndicats forts, dans le public, vous êtes beaucoup
plus prudent.
D de Villepin : C'est faux : la modernisation de l'état est pour moi
une préoccupation majeure. Mais pour cela, il y a deux préalables.
D'abord il faut établir un diagnostic juste : nous avons donc décidé de
pratiquer des audits dans les ministères, sous la direction de
Jean-François COPE. Ensuite il faut convaincre les fonctionnaires du
bien-fondé de notre approche : car ce sont eux qui feront réussir toute
réforme. A partir de là, il y a des choix qui doivent être faits, et
qui seront faits. Le budget 2007 sera respectueux de nos objectifs. Sur
la dette comme sur la réforme de l'état, je ne me déroberai pas. Chaque
ministre devra me dire ses propositions en matière de missions, de
structures, et d'effectifs. Sur cette base, je prendrai les décisions
qui s'imposent, conformes à l'intérêt général.
N.O : Est-ce que votre but véritable n'est pas d'assécher le programme
de Nicolas Sarkozy, de vous construire une stature de présidentiable ?
D de Villepin : ne réduisons pas tout à des ambitions politiciennes.
Qui peut soutenir qu'agir contre le chômage des jeunes ne s'impose pas
? Mon impératif est un impératif démocratique : je ne veux pas que 2007
soit un temps de surenchère ou d'alternance mécanique. Il faut mettre
un terme à l'impuissance publique. La vie politique française, depuis
des décennies, se nourrit trop souvent de petites phrases.
N.O : Le président de la République a lancé plusieurs pistes, taxation
de la valeur ajoutée, TVA sociale, pour financer la protection sociale.
Vous ne semblez pas très enthousiaste...
D de Villepin : ce sont les voies dans lesquelles se sont déjà engagés
beaucoup de nos partenaires européens. Je vais organiser dans les
prochains jours un comité interministériel sur ce dossier, pour évaluer
les conséquences des différentes options. L'objectif, c'est bien
d'arriver à une réforme du financement de la protection sociale
encourageant l'activité dans notre pays. C'est un gros travail.
N.O : Vous avez reçu les acquittés d'Outreau. Avez-vous regardé leur
audition devant la commission d'enquête parlementaire ?
D de Villepin : Oui, bien sûr. Ces auditions ont constitué un moment
fort de la démocratie. Nous avons tous été touchés par les terribles
épreuves que les acquittés d'Outreau ont traversées. Il faut tirer les
leçons de ce drame, rapidement et sereinement. Car on ne réforme pas la
justice au pas de charge. Compte tenu des enjeux, je crois nécessaire
de dépasser les clivages partisans pour faire un travail en profondeur.
Je refuse qu'à quinze mois de l'élection présidentielle, tout s'arrête.
Il y a de ma part une volonté et une détermination très claires : faire
avancer le pays, en redonnant du sens à la démocratie. C'est l'ambition
fixée par le Président de la République.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 30 janvier 2006
l'emploi des jeunes, on vous découvre libéral !
Dominique de Villepin : parlons plutôt de volontarisme et de
pragmatisme. Nous sommes à un moment de l'histoire de notre pays où il
faut éviter d'opposer des exigences qui, loin d'être contradictoires,
sont souvent complémentaires : la liberté et la solidarité, le
dynamisme économique et le progrès social, l'innovation et la fidélité
à la tradition française. J'ai été profondément marqué par le 21 avril
2002, qui a été un vrai choc pour notre pays et le signe d'un profond
scepticisme politique. Si nous voulons éviter que cela se reproduise en
2007, nous devons faire preuve de réalisme démocratique : être lucide,
ne jamais perdre de vue la vérité des choses. J'ai voulu m'attaquer au
problème du chômage des jeunes. Quelle est la réalité ? 23% d'entre eux
sont au chômage, 70% de leurs embauches se font en CDD, 50% de ces CDD
durent moins d'un mois. Ce que le gouvernement propose, c'est
exactement l'inverse de la précarité actuelle : un véritable contrat à
durée indéterminée, avec une période de consolidation de deux ans dans
laquelle les stages, les périodes de formation en alternance et les CDD
effectués dans l'entreprise sont décomptés. Au total, chaque jeune qui
a aujourd'hui une difficulté à rentrer sur le marché du travail pourra
mettre moins de deux ans avant d'accéder à un emploi stable, au lieu
des 8 à 11 ans actuels.
NO : Les jeunes doivent se résigner à la précarité ?
D de Villepin : absolument pas. Le contrat première embauche est au
contraire une arme anti-précarité. Il comporte de vraies garanties, qui
n'existent pas actuellement pour les jeunes : l'accès au crédit, le
droit à une formation dès la fin du premier mois, une indemnité de
rupture en cas de séparation du salarié et de l'entreprise, une
assurance chômage. Et n'oubliez pas les dispositifs que nous avons
prévus pour protéger les jeunes des risques d'abus dans l'entreprise :
je pense en particulier à l'indemnisation obligatoire des stages longs.
D'ailleurs les jeunes ne s'y trompent pas : 60% des moins de trente ans
pensent que les mesures que nous proposons vont améliorer l'emploi des
jeunes. Qu'il faille plus d'explication et plus de pédagogie, c'est
certain. Mais soyons sérieux dans les critiques : ne faisons pas
prendre aux Français des vessies pour des lanternes.
N.O : Quelle est la vraie nature de Dominique de Villepin ? Vous allez
répétant votre attachement au modèle social français mais,
concrètement, vous faites la « rupture » que Nicolas Sarkozy » appelle
de ses voeux.
D de Villepin : il n'y a pas nécessairement de contradiction. En tout
état de cause, il faut commencer par mettre fin à des situations
inacceptables : le chômage élevé des jeunes, les difficultés des femmes
en temps partiel subi, les plus de cinquante ans qu'on écarte de
l'activité. C'est la bataille que nous avons engagée. Je suis conscient
des mérites du modèle français, mais conscient aussi de la nécessité de
l'adapter aux réalités d'un monde qui a profondément changé. En
modernisant notre modèle sans remettre en cause ses principes, je veux
que les Français croient à nouveau en l'action politique. Il y a un
enjeu majeur pour 2007 : c'est d'apporter des réponses aux difficultés
des Français, de prendre des décisions, d'obtenir des résultats. Et
d'abord sur l'emploi. C'est un devoir démocratique.
N.O : Vous récusez l'étiquette libérale ?
D de Villepin : je crois en l'action et je me méfie des étiquettes. la
France est un pays de dualité. L'exercice du pouvoir consiste à trouver
le point d'équilibre, le point de réconciliation. Bien sûr, nous avons
besoin de mouvement pour moderniser notre modèle. Mais bien sûr aussi,
nous avons besoin de protection et de garanties pour avancer en
confiance. Les deux sont parfaitement compatibles et font notre
originalité. Pour le contrat « nouvelles embauches » par exemple,
destiné aux petites entreprises, j'ai pris en compte les contraintes de
l'employeur, qui demande davantage de souplesse, et j'ai pris en compte
les exigences des salariés, en augmentant leurs garanties à mesure du
temps qui passe. J'ai essayé de concilier ces aspirations
contradictoires. La seule chose qui nous est interdite, c'est
l'immobilisme. Nous avons une obligation de mouvement et de résultats.
N.O : Est-ce que vous n'exagérez pas le succès du Contrat Nouvel
Embauche pour les petites entreprises ? Les syndicats contestent vos
communiqués de victoire.
D de Villepin : je me garde bien de tout triomphalisme, mais les
chiffres sont là : plus de 280 000 CNE ont été conclus à ce jour. Selon
une étude récente, un tiers de ces contrats sont des créations
d'emplois net, 10% seulement des contrats ont été rompus dans les six
mois, et il n'y a pas d'effet d'éviction du CDI vers le CNE. Il y a
donc bien une vraie dynamique qui s'est créée. Quant à suivre
attentivement les résultats, à obtenir les chiffres les plus précis
possible, regarder ce qui peut être amélioré, c'est certain et j'y suis
tout à fait favorable.
NO : Vous tablez sur combien de contrats « première embauche » pour les
jeunes ?
D de Villepin : Je n'aime pas les effets d'annonce. Je préfère être
jugé sur mes résultats On est passé sous la barre des 10% de chômeurs
en 2005, 9,6% exactement : c'est mieux que ce qu'avaient prévu les
experts.
N.O : Vous avez pris ces décisions sans concertation véritable. Peut-on
traiter les problèmes sociaux en négligeant les partenaires sociaux ?
D de Villepin : je crois profondément aux vertus du dialogue et de
l'écoute. Quelle est la vérité ? Depuis mon arrivée à la tête du
gouvernement, la concertation a été intense : j'ai eu des rendez-vous
réguliers avec les responsables syndicaux, comme la plupart des
ministres de mon gouvernement, en particulier Jean-Louis BORLOO et
Gérard LARCHER. Nous avons fixé une feuille de route en décembre
dernier. Dès maintenant, nous lançons la concertation avec les
syndicats pour ce qui sera la troisième phase de la bataille sur
l'emploi. Nous mettons notamment sur la table la question du contrat de
travail : contrat unique, fusionnant CDD et CDI, ou contrats
différenciés, à l'exemple de ce que faisons pour les petites
entreprises et les jeunes, tout est ouvert. Nous étudierons également
la question des allègements de charges sur les bas salaires et la mise
en oeuvre de la proposition du Président de la République sur le
financement de la protection sociale. Que certains jugent cette
concertation encore insuffisante, c'est leur droit. Mais mon devoir,
c'est aussi de décider et d'avancer dans le sens de l'intérêt général.
Les syndicats ont un rôle essentiel à jouer pour défendre les droits
des salariés. Le gouvernement pour sa part a une responsabilité
particulière pour lutter contre le chômage et développer la croissance
de notre pays.
N.O : cette troisième étape interviendra au printemps ?
D de Villepin : il faut le temps de la concertation. Mais le chômage
touche 11% des jeunes en Allemagne, contre 23% chez nous. Vous croyez
sérieusement qu'on peut rester les bras croisés ?
N.O : Vous donnez l'impression de considérer le code du travail comme
un salami, dont vous coupez une tranche tous les trois mois.
D de Villepin : le code du travail fait partie de nos références
essentielles. Mais pour qu'il puisse vivre efficacement, il faut
l'aménager et l'adapter. C'est parce que je crois profondément au
modèle social français que j'entreprends de le moderniser. Nous sommes
au XXIème siècle. A bien des égards, nos querelles sont celles du
XIXème siècle. Il y a un moment où il faut se poser les problèmes de
son temps. Le temps des Français, c'est tout de suite. Je ne peux pas
attendre demain pour leur apporter des réponses.
N.O : La troisième étape, ce sera la fin du CDI ?
D de Villepin : certainement pas. La clé de la troisième étape, c'est
d'avoir encore plus de résultat et de faire reculer davantage le
chômage. Sur le contrat de travail, il y a plusieurs hypothèses.
Faut-il un seul contrat ? Ou, compte tenu des situations différentes,
faut-il des contrats multiples ? Pour traiter le chômage des jeunes,
nous avons déjà eu ce débat. Nous aurions pu étendre simplement le CNE.
Nous avons pensé que les problèmes spécifiques auxquels faisaient face
les jeunes, l'indemnisation des stages, l'assurance chômage, l'accès au
crédit et au logement, le droit à la formation, justifiaient un contrat
spécifique. Ma démarche, c'est de partir des problèmes concrets, pas de
schémas idéologiques tout faits.
N.O : Vous vous méfiez du contrat unique, qui est demandé par la
fraction la plus libérale de votre majorité ?
D de Villepin : le contrat « nouvelles embauches » donne déjà des
résultats, le contrat « première embauche » répondra j'en suis
convaincu aux difficultés actuelles des jeunes, les partenaires sociaux
de leur côté proposent un CDD pour les seniors que je soutiens : tout
cela fait que nous sommes engagés dans une approche différenciée, au
plus près des problèmes de chacun.
N.O : Certains parlent même d'usine à gaz...
D de Villepin : il s'agit de trouver des solutions adaptées à chaque
situation. Quel est l'objectif ? C'est de permettre au plus grand
nombre de personnes de trouver rapidement un emploi et d'augmenter le
taux d'activité dans notre pays. Pendant longtemps on a cru qu'il n'y
avait pas assez de travail pour tout le monde, qu'il fallait le
partager. Moi, je crois au contraire à la dynamique de l'activité.
L'emploi crée l'emploi, l'activité crée l'activité, on le constate chez
nos voisins et partout dans le monde. La France a un des taux
d'activité les plus faibles des grands pays développés, c'est un
handicap pour chacun d'entre nous : pour tous ceux qui veulent trouver
un emploi alors qu'ils ont plus de 50 ans, pour les jeunes, pour les
femmes qui travaillent à temps partiel et qui voudraient un emploi à
temps plein. Les mesures que j'ai annoncées la semaine dernière, comme
le cumul emploi-retraite ou la possibilité d'avoir un deuxième emploi,
répondent à ce défi de l'activité.
N.O : Une nouvelle fois, vous donnez le sentiment d'avancer masqué :
derrière les mots, vous préparez la fin du CDI.
D de Villepin : je vous l'ai déjà dit, certainement pas. Et d'autant
moins que les deux nouveaux outils que j'ai créés sur le marché de
l'emploi, le contrat nouvelles embauches et le contrat première
embauche, sont tous les deux des CDI. Mon souci permanent est de
trouver le bon équilibre entre le mouvement et la thrombose. Je veux
avancer en évitant des blocages qui nous empêcheraient tous de
progresser. Je me méfie de l'idéologie et des réflexes partisans. Je
suis soucieux de l'équilibre entre la liberté et l'exigence de
protection. Je ne choisis pas entre les deux, je choisis les deux. Plus
de souplesse pour les entrepreneurs, mais aussi un accompagnement
personnalisé pour les chômeurs qui ont désormais un rendez-vous mensuel
à l'ANPE.
N.O : Vous voulez introduire en France la flexi-sécurité, chère aux
pays scandinaves ?
D de Villepin : Nous ne copions aucun modèle. Nous nous inspirons de ce
qui marche ailleurs pour l'adapter aux réalités de notre pays. Mon
objectif, c'est de parvenir à une sécurisation des parcours
professionnels : que l'emploi ne soit plus une source d'inquiétude en
France et que chacun puisse aborder les mutations économiques avec le
plus d'atouts possibles. Regardez ce que nous avons proposé pour les
jeunes : la création d'un service public de l'orientation,
l'encadrement des stages, le développement des formations en
alternance, la création du contrat premier embauche, tout cela balise
l'entrée des jeunes dans la vie professionnelle. Le contrat de
transition professionnelle pour les salariés des bassins d'emploi en
pleine restructuration, voilà une autre réponse. La création d'un droit
universel à la formation, encore une autre réponse. Derrière toutes ces
mesures, il y a une philosophie : l'accompagnement personnalisé de
chacun. Et une exigence constante : l'imagination. Car tout est loin
d'avoir été fait pour lutter contre le chômage.
N.O : Vous réformez le code du travail pour les salariés du privé. Mais
là où existent des syndicats forts, dans le public, vous êtes beaucoup
plus prudent.
D de Villepin : C'est faux : la modernisation de l'état est pour moi
une préoccupation majeure. Mais pour cela, il y a deux préalables.
D'abord il faut établir un diagnostic juste : nous avons donc décidé de
pratiquer des audits dans les ministères, sous la direction de
Jean-François COPE. Ensuite il faut convaincre les fonctionnaires du
bien-fondé de notre approche : car ce sont eux qui feront réussir toute
réforme. A partir de là, il y a des choix qui doivent être faits, et
qui seront faits. Le budget 2007 sera respectueux de nos objectifs. Sur
la dette comme sur la réforme de l'état, je ne me déroberai pas. Chaque
ministre devra me dire ses propositions en matière de missions, de
structures, et d'effectifs. Sur cette base, je prendrai les décisions
qui s'imposent, conformes à l'intérêt général.
N.O : Est-ce que votre but véritable n'est pas d'assécher le programme
de Nicolas Sarkozy, de vous construire une stature de présidentiable ?
D de Villepin : ne réduisons pas tout à des ambitions politiciennes.
Qui peut soutenir qu'agir contre le chômage des jeunes ne s'impose pas
? Mon impératif est un impératif démocratique : je ne veux pas que 2007
soit un temps de surenchère ou d'alternance mécanique. Il faut mettre
un terme à l'impuissance publique. La vie politique française, depuis
des décennies, se nourrit trop souvent de petites phrases.
N.O : Le président de la République a lancé plusieurs pistes, taxation
de la valeur ajoutée, TVA sociale, pour financer la protection sociale.
Vous ne semblez pas très enthousiaste...
D de Villepin : ce sont les voies dans lesquelles se sont déjà engagés
beaucoup de nos partenaires européens. Je vais organiser dans les
prochains jours un comité interministériel sur ce dossier, pour évaluer
les conséquences des différentes options. L'objectif, c'est bien
d'arriver à une réforme du financement de la protection sociale
encourageant l'activité dans notre pays. C'est un gros travail.
N.O : Vous avez reçu les acquittés d'Outreau. Avez-vous regardé leur
audition devant la commission d'enquête parlementaire ?
D de Villepin : Oui, bien sûr. Ces auditions ont constitué un moment
fort de la démocratie. Nous avons tous été touchés par les terribles
épreuves que les acquittés d'Outreau ont traversées. Il faut tirer les
leçons de ce drame, rapidement et sereinement. Car on ne réforme pas la
justice au pas de charge. Compte tenu des enjeux, je crois nécessaire
de dépasser les clivages partisans pour faire un travail en profondeur.
Je refuse qu'à quinze mois de l'élection présidentielle, tout s'arrête.
Il y a de ma part une volonté et une détermination très claires : faire
avancer le pays, en redonnant du sens à la démocratie. C'est l'ambition
fixée par le Président de la République.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 30 janvier 2006