Interview de M. François Bayrou, présiden de l'UDF, dans "Le Progrès" du 28 janvier 2006, sur le congrès de l'UDF, le contrat première embauche et le bilan la présidence de J. Chirac.

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Circonstance : Congrès de l'UDF 0 Lyon (Rhône), les 28 et 29 janvier 2006

Média : La Tribune Le Progrès - Le Progrès

Texte intégral

Q- Un congrès de l'UDF, pour quoi faire ?
R - Le congrès de Lyon, c'est pour l'UDF celui de son indépendance. Les Français ont besoin de reprendre espoir. Le face à face éternel de l'UMP et du PS, que l'on connaît depuis vingt-cinq ans a épuisé tous ses charmes, à supposer qu'il en ait jamais eu. Donc, il faut que des forces nouvelles s'émancipent et prennent leur responsabilité, qu'elles n'hésitent pas à sortir des sentiers battus et à prendre des risques. Et qu'elles disent leur différence et leur projet.
Q - Le Contrat Première embauche (CPE), c'est un dérapage ?
R - On est en train de généraliser la précarité sur les plus fragiles : les jeunes, les plus de cinquante ans, les petites entreprises. C'est une tendance lourde de notre société, et on l'accentue. Si l'on avait dit : on va proposer un contrat durable avec six mois à l'essai, j'aurais été d'accord. Mais deux ans, et renouvelable !
Cela va devenir une facilité, et bientôt la règle pour toutes les entreprises. Pourquoi voulez-vous qu'un patron choisisse demain un contrat normal, quand il peut avoir le même emploi avec un contrat précaire ? C'est ce principe de précarité généralisée que je récuse.
Q - C'est de l'incompétence ou de la provocation ?
R - C'est surtout de la compétition. Il y a une course à l'intérieur du gouvernement qui entraîne à aller toujours plus loin.
Avec une idéologie qui consiste à penser que l'avenir de l'emploi se trouve dans la précarité, qu'il faudra nécessairement en passer par là.
Q - L'UDF va-t-elle descendre dans la rue ?
R - C'est à l'Assemblée qu'il faut combattre ces dérives et proposer une autre vision. C'est là, quand on est élu, qu'on s'adresse à l'opinion et qu'on défend ses électeurs. Le gouvernement croit qu'il peut court-circuiter le débat, mais c'est un chemin dangereux. Chaque fois que l'on veut éviter la confrontation, on provoque en fait des réactions beaucoup plus importantes. Si les jeunes vivent le CPE comme une injustice à leur endroit, il vaudrait mieux le corriger plutôt que de l'imposer en passant en force.
Q - Vous étiez ministre au moment du CIP, il y a un parallèle ?
R - Il y a surtout un sentiment d'injustice commun. Mais la société a changé. Elle est moins réactive qu'elle ne l'était à l'époque.
Q - Iriez vous jusqu'à censurer le gouvernement sur ce sujet ?
R - Je n'ai aucune envie de me prêter à un amalgame avec la gauche, dont les choix en matière de travail - je pense aux 35 heures par exemple - ont été si nocifs pour le pays.
Q - La rupture que vous préconisez, c'est un changement de méthode ?
R - C'est un changement de projet. Mais il y a un changement d'institutions. Nous ne pouvons pas continuer avec des secteurs entiers de la société française qui ne sont pas entendus, parce qu'ils ne sont pas représentés au parlement.
Et nous ne pouvons pas continuer avec des gouvernements, qui décident tout seuls, ne discutent pas avec leurs partenaires naturels, et passent en force.
Q - Que reste-t-il des dix ans de Jacques Chirac ?
R - Un bon jugement sur l'Irak, un bon diagnostic en 95 sur la fracture sociale.
Mais il a manqué la chance de 2002 de façon colossale. Il avait une occasion unique de faire l'union nationale, il a préféré faire le parti unique. C'était une situation historique, il l'a traitée en situation politique pour son parti. Cela nous a empêchés de traiter de grands problèmes dans une approche d'union nationale.
Q - Vos électeurs sont à droite. Qu'elles alliances envisagez-vous pour gouverner ?
R - Nos électeurs, c'est la France. Je ne vois pas la France et les Français coupés en deux comme par un autre mur de Berlin. Je ne pense pas, comme certains, que droite, gauche et centre ce soit la même chose. Mais je ne considère pas que leurs différences soient irréductibles et doivent empêcher toute action commune, un jour, sur de grands sujets. Regardez ce que viennent de faire les Allemands. Dans le grand débat national qui va s'ouvrir jusqu'à 2007, que chacun défende son projet. Que chacun dise ses priorités et ses différences.Et réfléchissons à la manière dont nous pourrons un jour rassembler les forces de la France.
Propos recueillis par Francis Brochet et Manuel da Fonseca source http://www.udf.org, le 31 janvier 2006