Interview de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, à Europe 1, le Parisien et TV5 le 5 février 2006, notamment sur la violence suscitée par les caricatures de Mahomet, les mesures prises pour l'emploi des jeunes (notamment le CPE), l'OPA sur ARCELOR et sur son engagement pour la France.

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Média : Europe 1 - Le Parisien - TV5

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dominique de VILLEPIN, bonsoir et merci d'être parmi nous.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Bonsoir Jean-Pierre ELKABBACH.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La France n'est ni un paradis tranquille ni une île singulière et à
l'écart dans un monde de concurrence, de violence et de haine
déchaînées ; ? Le grand rendez-vous ? est donc l'occasion pour le
Premier ministre que vous êtes, de préciser la politique de la France à
l'intérieur d'elle-même, comment créer des entreprises et des emplois ?
Comment se développer, attirer, conquérir, comment réformer si elle en
a encore le ressort ? Et puis la France à l'extérieur ; l'Europe paraît
divisée et impuissante, on l'a vu tout au long de la semaine ; et puis
le Proche-Orient à feu et à sang. La dernière raison ou le dernier
prétexte au Proche-Orient, c'est les caricatures de Mahomet qui ont
choqué, profondément choqué les musulmans et les croyants. George BUSH
et Tony BLAIR leur ont donné raison sur le fond et vous-même ? Où la
liberté s'arrête-t-elle ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
C'est un sujet difficile et ce depuis des siècles. Nous essayons de
conjuguer cette exigence de liberté et de liberté d'expression en
l'occurrence, à laquelle nous sommes attachés et bien sûr il faut
défendre la liberté ; il faut en même temps - et c'est tout l'art de
vivre ensemble - il faut en même temps défendre le respect, le respect
de l'autre. L'humanité, elle commence avec la capacité de s'ouvrir à
l'autre, de reconnaître sa différence avec l'esprit de tolérance. Et le
président de la République a employé un mot qui me paraît très
important : liberté, respect, mais aussi responsabilité. Nous ne sommes
pas dans n'importe quel temps et on n'agit pas de la même façon dans
toutes les époques et dans toutes les situations...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Responsabilité de la part de qui ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
De tous...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous voulez dire ceux qui manifestent, ou nous qui avons fait les
dessins... ou eux... ceux qui ont fait les dessins ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Responsabilité de tous. Bien sûr, je condamne les manifestations et cet
engrenage de la violence, mais responsabilité dans ce que nous disons
et dans ce que nous faisons. Nous sommes dans un monde où quand on
s'exprime au Danemark, on est entendu partout au Moyen-Orient. Il y a
quelques dizaines d'années, cette transparence du monde n'était pas la
même. Il faut donc l'esprit de responsabilité, faire attention à ce qui
blesse, ce qui peut choquer. On n'a pas la même idée du sacré partout
dans le monde, eh bien cela il faut le prendre en compte. Et pourquoi ?
Parce que nous sommes confrontés à des défis extrêmement importants.
Nous le voyons au Moyen-Orient où il existe de nombreuses fractures -
regardons la situation de l'Iran, regardons la situation de l'Irak, la
situation du Proche-Orient, la situation de la Syrie et du Liban - nous
allons vivre une année 2006 difficile et nous allons devoir multiplier
les initiatives pour relancer la paix.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qui nous ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Nous tous... l'ensemble des responsables...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que les dirigeants européens et occidentaux ne vont pas être
paralysés par ce qu'ils voient et qui se déclenche dès le moindre mot ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Il ne s'agit pas d'être paralysé, il s'agit de savoir qu'il y a des
sensibilités, qu'il y a des façons différentes de vivre sa religion et
de le prendre en compte. Quand on regarde aujourd'hui à partir d'une
caricature ce qui se produit au Moyen-Orient, eh bien il faut en tirer
la leçon. Cela ne veut pas dire qu'il faut renoncer à nos propres
valeurs et à nos propres libertés, cela veut dire tout simplement qu'il
faut, connaissant mieux l'autre, mieux prendre en compte ce qu'il pense
et ce qu'il dit.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dominique de VILLEPIN, vous allez nous dire pour ? Le grand rendez-vous
? si vous vous estimez inquiet justement face au danger de
l'extrémisme, aux réactions qui naissent avec Philippe DESSAINT qui est
directeur de l'information de TV5 MONDE et Christian de VILLENEUVE,
directeur des rédactions du PARISIEN AUJOURD'HUI EN FRANCE. Christian ?
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
Monsieur le Premier ministre, précisément, la publication des
caricatures, ne pensez-vous pas que c'est un prétexte saisi par les
fanatiques pour dresser l'ensemble du monde arabe contre l'Occident et
en particulier contre l'Europe ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Qu'il puisse y avoir prétexte, qu'il puisse y avoir provocation et
utilisation de ces caricatures, ceci, Monsieur de VILLENEUVE, est
prévisible. Nous connaissons le monde dans lequel nous vivons, nous
savons que cela existe. Faut-il faire le jeu des extrémistes ? Faut-il
se faire plaisir ? Nous sommes dans un monde difficile et dans un monde
dangereux où toute notre énergie, il faut le faire bien sûr sans se
renier nous-mêmes mais il faut utiliser notre énergie, pour faire
avancer le règlement d'un certain nombre de questions difficiles parce
qu'il y va de l'avenir de la planète, il y va de la guerre ou de la
paix. Je crois qu'il faut tendre notre énergie pour faire en sorte que
des passerelles, des ponts, plus de compréhension... et faire en sorte
de ne pas tomber dans les pièges ou de ne pas les susciter nous-mêmes.
Une fois de plus, cela ne signifie pas qu'il faille rien renier de ce
que nous sommes mais il faut ouvrir les yeux, regarder dans quel monde
nous sommes et prendre en compte le fait qu'il y a devant nous un autre
qui est différent, qui parfois peut comprendre les choses différemment,
les ressentir différemment, peut se sentir blessé et l'humanisme dont
nous sommes porteurs, eh bien il défend tout cela et il défend une
certaine idée de l'homme, une certaine idée de la tolérance, une
certaine idée du respect. Nous sommes le pays des Lumières ; nous
sommes le pays qui au 18e siècle a inventé cette idée d'humanisme...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais comment les Lumières répondent-elles à l'obscurantisme ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Eh bien justement, les Lumières n'ont pas vocation à s'éteindre face à
l'obscurantisme, elles ont vocation à expliquer, à faire de la
pédagogie, à prendre en compte la sensibilité de l'autre sans tomber
dans les panneaux.
PHILIPPE DESSAINT
Dominique de VILLEPIN, un certain nombre de pays notamment européens
ont lancé un appel à leurs ressortissants, est-ce que le gouvernement
va faire de même en ce qui concerne les ressortissants français ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Nous avons, Monsieur DESSAINT, appelé à la prudence, nous avons appelé
à la prudence ; nous sommes dans une période où il y a des esprits
chauffés, des esprits blessés, il faut prendre en compte cette
situation ; nous en restons donc à des consignes de prudence.
PHILIPPE DESSAINT
Est-ce que vous craignez un effet de contagion dans nos banlieues ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Je l'ai dit, il y a une situation aujourd'hui dans le monde où
l'information circule avec une extrême vitesse. Et ce qui se passe au
Moyen-Orient peut avoir effectivement un impact sur les esprits ici
chez nous ou ailleurs en Europe ; donc cette sensibilité, nous devons
la prendre en compte dans la réaction qui est la nôtre, dans
l'explication qui est la nôtre, nous devons la prendre en compte. Je
crois que dans un monde où les identités sont blessées, vous me
permettrez de revenir à une situation qui n'a rien à voir avec le sujet
dont nous parlons mais qui peut permettre peut-être de faire toucher du
doigt ce qui est au coeur de l'esprit français. Quand nous avons pris
position contre la guerre en Irak, il y avait en arrière-plan de cette
position, une dimension importante qui était celle bien sûr d'être
mobilisés et d'aller jusqu'au bout d'une position et d'une exigence
diplomatique qui est d'empêcher un régime de céder à l'engrenage de la
prolifération. Mais il y avait aussi l'idée que face à des identités
blessées, la méthode appliquée, la façon de le faire, devaient prendre
en compte justement cette culture de l'autre. Je crois que dans un
monde divers, dans un monde différent, dans un monde blessé, la façon
de dire les choses, la façon de s'exprimer est extrêmement importante.
C'est vrai à Paris, c'est vrai au Moyen-Orient, c'est vrai aux
Etats-Unis, c'est vrai en Chine.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Nous subissons donc les conséquences lointaines de la guerre d'Irak ;
les manifestations que l'on voit, n'ont rien de spontané, vous l'avez
dit, elles sont aussi des actes politiques. Comment arrête-t-on cette
vague et qui doit l'arrêter parce que vous disiez tout à l'heure : nous
aurons des initiatives... Quel type d'initiatives et qui doit l'arrêter
? Les forces religieuses, les forces politiques, les Nations unies, qui
?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
D'abord je veux saluer la réaction qui est celle de la classe politique
dans notre pays, dans son immense majorité. L'ensemble appelle à
l'apaisement à la fois bien sûr à la liberté mais aussi au respect,
c'est une exigence qui s'impose à nous et vous l'avez dit, dans tout le
monde occidental, c'est la même réponse que l'on retrouve. Je crois que
le fait d'affirmer cet esprit de tolérance et de responsabilité dans
une période comme celle-ci, c'est la bonne réponse, c'est la réponse
adéquate. Pour le reste, il n'y a pas de mystère et c'est vrai partout
à travers la planète. Quand il y a des difficultés, il faut se
mobiliser pour trouver des réponses. Rien ne nous rapprochera davantage
de la paix que d'apporter une réponse à la crise iranienne, que
d'apporter une réponse à la crise Syro-libanaise, que d'apporter une
réponse à la situation du Proche-Orient, c'est l'action, c'est toujours
l'action dans des siècles meurtris, qui permet d'avancer.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est pour ça que vous dites que l'année 2006 sera une année
dangereuse...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Sera une année d'action, doit être une année d'action si nous voulons
qu'elle soit une année de la paix.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors on parlera tout à l'heure encore de problèmes internationaux avec
vous.
La France. Une forte partie s'engage dans 48 heures, c'est-à-dire
mardi, une forte partie pour le pays, pour l'économie, pour les
relations sociales, pour vous aussi avec des risques. Pourquoi tant
d'acharnement si vous permettez, de votre part, pour faire passer un
outil, un instrument pour l'emploi qui est le CPE, le contrat première
embauche, qui est tellement controversé. Pourquoi vous le faites avec
tous les risques que ça comporte ?
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
Pour compléter la question, est-ce que vous craignez une forte
mobilisation justement mardi prochain ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Nous verrons la mobilisation de mardi prochain. J'écoute, je regarde,
je rencontre le plus grand nombre possible de jeunes Français pour
expliquer et pour éviter justement qu'il y ait trop d'incompréhension
sur ce qui me paraît être une exigence très forte, c'est de mener la
bataille pour l'emploi. Cela fait maintenant huit mois que j'ai engagé
cette bataille... on dit ? la bataille qui s'engage la semaine
prochaine ?... non, la bataille, elle est engagée pour l'emploi et pour
les Françaises et les Français depuis huit mois...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc ça c'est un moment... un nouveau moment...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
C'est un moment où nous ressentons très profondément après avoir dans
un premier temps, première bataille, partant de la situation des très
petites entreprises, des moins de 20 salariés, nous avons voulu, pour
les encourager à l'embauche, offrir un contrat nouvelle embauche qui
permettrait d'associer les intérêts des salariés et les intérêts des
employeurs et nous avons passé le cap de 300 000 contrats signés.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pourquoi vous le faites alors que ça ne passe pas ? Pour le moment...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Jean-Pierre ELKABBACH, l'ensemble des sondages qui sont faits, montrent
bien que l'immense majorité des Français comprennent parfaitement à la
fois le sens... et soutiennent le contrat première embauche.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous ne renoncez pas à votre projet, vous le maintenez.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Monsieur ELKABBACH, je vous rappelle dans quelle action nous sommes
engagés : nous livrons une bataille pour l'emploi. Nous avons répondu à
la situation des très petites entreprises. Nous sommes maintenant
devant une situation et je voudrais - vous êtes les uns et les autres
de grands journalistes - je voudrais avec vous ouvrir les yeux un
instant sur la situation dans laquelle est plongé notre pays depuis
vingt ans.
23 % de chômage des jeunes. 40 % parmi les jeunes non qualifiés. Et une
durée pour acquérir un emploi stable dans notre pays, qui est entre
huit et onze ans. Alors qu'est-ce que je propose ? Parce que je
constate que les critiques qui sont adressées au contrat première
embauche, sont des critiques qui ne correspondent pas à ce qu'est le
contrat première embauche. Alors vous savez, dans ces cas-là, il faut
en revenir à des choses simples.
Qu'est-ce que c'est que le contrat première embauche ? C'est un contrat
à durée indéterminée : ce n'est pas un sous-contrat, ce n'est pas un
contrat avec une sous-rémunération. Nous ne sommes pas dans la
situation d'un SMIC jeune. C'est une pleine rémunération et nous
apportons aux jeunes des garanties qu'on ne leur a jamais offertes.
Nous leur apportons une réponse pour l'accès au crédit : l'ensemble des
banques s'engagent à leur permettre l'acquisition d'un crédit comme
pour n'importe quel contrat à durée indéterminée. Nous apportons des
réponses pour le logement : ils bénéficieront du système LOCA-PASS,
c'est-à-dire que quand il s'agira de verser une caution pour la
location d'un logement, eh bien il y aura une garantie et de la même
façon, en cas de loyers impayés, il y aura la possibilité d'accompagner
le jeune locataire. Et par ailleurs - parce que ça c'est un point
important et j'entendais encore il y a quelques instants un responsable
socialiste dire...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Laurent FABIUS...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Que nous allons céder à la précarité et que les droits sociaux seront
bafoués... Alors là je tiens à dire très clairement : tous les droits
sociaux fondamentaux dans notre pays seront respectés. Une jeune femme
qui serait enceinte ne peut pas être limogée du jour au lendemain, ce
n'est pas vrai. Un jeune qui, parce qu'il serait noir ou beur, serait
limogé, ce ne serait pas possible. Il n'y a pas de discrimination...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais pourquoi vous ne renforcez pas les indemnités de départ dans
certains cas et les garanties ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Merci Monsieur Jean-Pierre ELKABBACH, nous sommes partis de là parce
que c'était l'inquiétude des jeunes. Les jeunes voulaient des garanties
et des avantages qui n'étaient pas reconnus jusque-là. C'est pour cela
que nous leur accordons un droit à la formation dès la fin du premier
mois. C'est pour cela que nous leur accordons une indemnité de rupture
s'il y a rupture et nous leur accordons une allocation chômage alors
qu'ils ne bénéficient à l'heure d'aujourd'hui d'aucune de ces
garanties. En tout état de cause, il n'y a jamais eu une proposition
faite aux jeunes qui soit aussi avantageuse et protectrice, c'est le
projet le plus social pour les jeunes qui ait jamais été proposé en
France.
PHILIPPE DESSAINT
On vous écoute, Dominique de VILLEPIN, vous venez de dire que rien n'a
été fait de ce genre depuis vingt ans, on se souvient du SMIC jeune,
d'un certain nombre de réformes et on se souvient aussi...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce n'était même pas un SMIC jeune, on l'interprétait comme un SMIC
jeune en 94 pour être précis...
PHILIPPE DESSAINT
Et à chaque fois, des jeunes dans la rue. Est-ce que la droite n'a pas
un problème particulier avec les jeunes au plan politique en France,
comme si la confiance n'était jamais possible ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ou alors qu'elle ne savait pas s'organiser avec eux et les tenir... un
peu les manipuler comme d'autres...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
J'ai rencontré beaucoup de jeunes au cours des dernières semaines, vous
l'imaginez... il y en a dans ce studio. En parlant, en expliquant,
chacun comprend très bien que le contrat première embauche n'est pas ce
que certains veulent dire et je vous le redis : l'immense majorité des
jeunes l'ont parfaitement compris. Je ne préjuge pas de ce que
donneront ou ne donneront pas les manifestations de mardi et je
comprends très bien que certains, sur la base d'informations erronées,
puissent avoir le sentiment que se sera davantage de précarité mais une
fois de plus, ce contrat, il est fait pour lutter contre la précarité
des jeunes ; c'est un contrat anti-précarité. Mon combat à moi, c'est
un combat pour l'emploi et ma détermination se fonde sur la situation
du marché de l'emploi. Et quand nous obtenons des résultats et que nous
voyons que le chômage régresse dans notre pays, quand nous marquons des
points, eh bien cela renforce ma conviction qu'il faut aller plus loin
pour justement mieux répondre en l'occurrence au problème des jeunes.
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
Monsieur le Premier ministre, ne croyez-vous pas que l'inquiétude de la
gauche ou de François BAYROU repose dans le fait qu'ils ont le
sentiment que vous êtes en train de créer une usine à gaz ? Ca a été le
CNE, c'est le CPE, c'est les CDD pour les seniors. Finalement vous êtes
en train de changer les règles du travail en France.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Je ne crois pas du tout qu'on puisse dire ça. Nous apportons une
réponse différenciée selon les situations. Vous savez, il y a deux
façons de faire de la politique et d'apporter des réponses, il y a
construire des usines à gaz, des choses très complexes et puis il y a
apporter des réponses très simples, c'est exactement ce que nous
faisons. Le contrat nouvelles embauches, vous pouvez demander à
n'importe quel jeune, n'importe quel employé en France, c'est ouvert
quel que soit l'âge et pour les entreprises de moins de 20 salariés,
tout le monde vous le dira, c'est d'une simplicité extrême, on ne fait
pas plus simple. Le contrat nouvelles embauches, c'est d'une extrême
simplicité et cela renforce les garanties et les avantages donnés aux
jeunes Françaises et aux jeunes Français. Donc je crois qu'on peut dire
tout et son contraire en politique, mais là il y a une réalité et
croyez-moi, cette réalité, elle s'impose parce que dès lors que vous
introduisez à la fois plus de souplesse et en même temps plus de
sécurité, vous apportez la réponse qui est attendue. Et le contrat
première embauche, on n'a voulu retenir que cela de ce plan... de ce
deuxième plan que nous avons proposé, mais il se situe dans le cadre
d'un véritable parcours pour la sécurisation de l'emploi...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous ne vous arrêterez pas là...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
J'essaie de vous expliquer dans quel cadre se situe ce que nous
proposons. En 2006, l'emploi n'est pas le même qu'il y a dix ans ou
cinquante ans. Il y a cinquante ans, on rentrait dans une entreprise et
on faisait toute sa carrière, toute sa vie dans la même entreprise et
on exerçait le même métier. Aujourd'hui, il faut exercer plusieurs
métiers et souvent changer d'entreprise. Comment est-ce qu'on fait pour
concilier cette exigence de souplesse qui est liée à l'ouverture des
économies, à la mondialisation ? De ce point de vue là, on ne reviendra
pas en arrière. La France ne va pas ériger des barrières autour d'elle.
Comment est-ce qu'on concilie cette exigence et en même temps
l'aspiration que je défends et que je soutiens à plus de sécurité ?
C'est pour cela que j'ai proposé aux Françaises et aux Français un
parcours professionnel sécurisé. Et cela veut dire qu'à chaque étape du
parcours professionnel, nous apportons des garanties qui permettent
justement de donner confiance aux salariés. Je donne quelques exemples
parce que je voudrais vraiment être compris.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Attendez... Est-ce que vous donnez donc de nouveaux développements...
ou vous prévoyez de nouveaux développements à votre plan emploi ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Quand je parle de parcours sécurisé, je prends trois exemples. Les
jeunes aujourd'hui, quand ils font un stage, le plus souvent il n'est
pas rémunéré. Désormais, dans le plan que je propose, qui est sur la
table, au bout du troisième mois, le stage sera rémunéré et il sera
reconnu parce que souvent le jeune enchaîne des stages, il n'y a pas de
reconnaissance. Cela sera reconnu dans son cursus scolaire et
universitaire et cela sera reconnu dans son cursus professionnel. Et
nous allons créer une charte des stages. Deuxièmement, l'orientation.
Beaucoup de jeunes aujourd'hui s'orientent en fonction de l'air du
temps parce qu'il y a un camarade qui va dans telle direction, parce
qu'ils ont lu un article sur ceci ou sur cela ; il faut que
l'orientation se fasse davantage en fonction des qualités des uns et
des autres mais aussi des débouchés. Et nous allons créer donc un
service public de l'orientation qui au niveau du collège, au niveau du
lycée, au niveau de l'université, permettra à chacun de savoir en
connaissance de cause, quel est le débouché. Et dernière chose : je
veux introduire partout l'alternance parce que l'alternance, cela
permet de mieux comprendre la réalité du marché du travail. Cela veut
dire aussi avoir moins peur de la vie professionnelle, pour que les
jeunes accèdent plus tôt à un emploi... eh bien le fait d'avoir fait
une partie de leurs études en passant par l'entreprise, leur donne des
outils, tous ceux qui passent par l'alternance, 80% d'entre eux,
trouvent un emploi tout de suite. Donc vous voyez bien que c'est une
vision du marché de l'emploi et c'est un parcours sécurisé.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qu'est-ce qu'on peut faire pour vous arrêter quand vous parlez du CPE
parce que vous en parlez avec une telle passion ! Ou alors est-ce parce
que c'est tellement controversé et freiné...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
C'est tout simplement pour faire ressortir le fait qu'aujourd'hui
l'intérêt des Françaises et des Français, ce n'est pas de rester l'arme
au pied à attendre que les grands vents nous placent en situation
d'infériorité par rapport à tous nos voisins et par rapport à la
compétition mondiale, mais bien de leur donner dans la main les atouts
pour gagner. Notre pays est un grand pays, il doit gagner. Nous avons
des capacités...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On va le voir, on va le voir, mais vous voulez dire que les changements
nécessaires pour la France, Dominique de VILLEPIN, n'ont pas à attendre
2008, 2009, 2007 mais qu'ils s'engagent tout de suite, c'est ça ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Exactement, Jean-Pierre ELKABBACH. Pourquoi voulez-vous en permanence
attendre alors que nos voisins avancent ! Pourquoi faut-il que nous
soyons en train de tourner le dos à l'histoire ? Je prends un exemple
qui est dans tous les sondages : les Français se disent en général
heureux pour eux-mêmes et confiants pour eux-mêmes mais ils sont
inquiets pour leurs voisins, pour leur famille, pour l'avenir. Comment
est-ce qu'on réconcilie cela ? Tout simplement en agissant. Dotons-nous
des moyens pour être plus fort dans le monde d'aujourd'hui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a de l'impatience ici, alors Philippe DESSAINT puis Christian de
VILLENEUVE.
PHILIPPE DESSAINT
Ensuite vous allez vers quoi ? Vous nous avez présenté le CNE, le CPE,
quelles sont les prochaines étapes puisque les syndicats disent : on
les découvre au fur et à mesure au dernier moment, donc quelles sont
les prochaines échéances et pour quel objectif ? Faire baisser le
chômage sous les 9 % ? Quel est votre objectif ? Et quand ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il veut dire 9 % en 2006... mais est-ce qu'il est faux Dominique de
VILLEPIN, de penser que le chômage ou de croire que le chômage pourrait
descendre d'ici deux ans à moins 8%, est-ce que c'est faux ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Monsieur ELKABBACH, nous faisons tout pour que le chômage qui baisse,
continue de baisser. Je ne prendrai pas d'engagement chiffré parce que
je préfère que les Français aient de bonnes surprises si cela doit être
le cas et ce n'est pas mon rôle que de jouer les prophètes....
PHILIPPE DESSAINT
Mais moi je vous ai donc demandé vers quoi on va, y a-t-il de nouveaux
plans...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Un contrat unique de travail par exemple ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Ayant engagé la bataille pour l'emploi et ayant doté nos compatriotes
des outils nécessaires pour mieux avancer sur le marché de l'emploi, à
partir de là nous rentrons dans une nouvelle période où il faut bien
évidemment évaluer, passer cette phase de création de nouveaux outils
évaluée en liaison avec l'ensemble des partenaires sociaux. Donc c'est
une phase de concertation. Je l'ai dit, la troisième phase sera une
phase intense de dialogue et de concertation avec les partenaires
sociaux...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dans quel but, pour arriver à quoi ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Dans le but d'arriver ensemble à des propositions qui permettront
d'améliorer encore le marché de l'emploi. Une fois qu'on sera libéré
d'un certain nombre de peurs, eh bien nous avancerons plus facilement,
c'est le pari que je fais.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce qu'on peut avancer comme vous dites vers plus de souplesse ou de
flexibilité contre plus de garanties, donnant-donnant, oui ou non ? On
peut, on peut ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Dès lors que chacun de nos compatriotes aura pu constater sur le marché
de l'emploi que les choses s'améliorent, que cela donne des résultats,
eh bien qu'est-ce qu'on aura fait tout simplement ? On aura fait tomber
les murailles de l'idéologie. Notre pays aura compris que quand on
avance avec pragmatisme, quand il y a un problème, il y a une réponse.
On ne refait pas l'éternité du monde, on n'est pas là dans la grande
querelle entre MARX et d'autres économistes, on est là pour apporter
des réponses à nos compatriotes. Moi c'est mon seul souci. Il y a un
problème ? Quelle est la bonne solution ? Eh bien rentrons dans cette
troisième étape, dans une exigence de dialogue et de concertation pour
voir comment nous pouvons répondre aux autres problèmes auxquels sont
confrontés les uns et les autres.
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
Concrètement, je voudrais revenir un peu sur le contrat première
embauche...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ah non !
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
Si. Est-ce que vous pouvez donner une date de la mise en place et de
l'application de ce contrat première embauche et est-ce que vous avez
un objectif fixé pour cette année, dès fin 2006 ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Je réponds ce que je viens de répondre, c'est-à-dire que je ne fixe pas
d'objectifs chiffrés. Je crois que c'est un outil qui répond à un
besoin profond et quand on voit la situation des jeunes aujourd'hui,
j'ai la conviction que cela permettra à de nombreux jeunes de trouver
une réponse. En ce qui concerne la date d'application, cela dépend bien
sûr des débats au Parlement. Il y a 28 articles dans ce qui est un
projet égalité des chances. Il y a là-dedans la réforme de
l'apprentissage, toute une série d'éléments qui justement ont pour but
de créer plus d'égalité dans notre pays. On a examiné en une semaine
deux articles parce qu'il y a une tactique d'obstruction de
l'opposition...
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
On vous prête l'intention justement de lancer le 49-3 pour passer en
force... vous démentez devant nous ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Je n'ai pas ni à démentir. Nous avons passé deux articles en une
semaine. Je souhaite que le débat démocratique puisse avoir lieu de
façon constructive...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Sinon ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Mais nous ne sommes pas dans le ? sinon ?...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous voulez votre plan, on vous retarde, vous avez les moyens de faire
avancer...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Monsieur ELKABBACH, j'affirme le souhait qui est le mien de voir un
vrai débat à l'Assemblée nationale. S'il y a obstruction, nous verrons
bien.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'ailleurs - et c'est la dernière remarque avant la pub - comme vous
avez le sens de l'humour, je pense que vous pouvez comprendre très
bien, Dominique de VILLEPIN, l'ambition des jeunes, parce que vous êtes
comme eux, vous voulez transformer vous aussi votre CPE de deux ans à
Matignon, en CDI, non ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Ca je peux vous dire que le problème ne se pose pas en ce qui me
concerne, en ces termes ; mon problème, il est même totalement
différent, voyez-vous...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ou alors on vous a garanti que vous aurez votre CDI...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Non, non, ça n'a rien à voir avec ça, d'abord parce qu'il y a des
élections démocratiques et deuxièmement surtout parce que moi j'ai une
mission et cette mission qui m'a été confiée, c'est celle dans le délai
qui m'a été imparti et qui est bien connu, qui est un délai court,
d'adapter, de répondre aux préoccupations de nos compatriotes et de
moderniser notre pays. Moi ce que je veux, une fois de plus, il faut
toujours partir de là, c'est que les capacités des Français, les atouts
des Français - nous le voyons en regardant les succès de nos
entreprises, nous le voyons en regardant le succès de nos sportifs,
nous le voyons en regardant dans le domaine culturel, la façon dont
notre pays peut rayonner - si l'on veut véritablement jouer notre rôle,
il faut que notre pays sorte de cette situation qui est à la fois une
situation d'inquiétude - notre pays est inquiet, il y a une
hypersensibilité toute une série de questions et de problèmes, il a
peur de l'avenir - et en même temps d'impatience. C'est là où il y a un
paradoxe français. Il y a de l'inquiétude mais en même temps il y a de
l'impatience parce que tout le monde souhaite que cela bouge, tout le
monde souhaite que cela change. Eh bien il faut trouver cette voie de
passage. Le contrat nouvelles embauches comme le contrat première
embauche, ça ne ressemble à rien de connu. Pourquoi ? Parce que
idéologiquement ce n'est ni de droite ni de gauche, c'est une réponse
moderne et qui prend en compte l'inquiétude...
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
Une réponse libérale ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, non tout à l'heure, on revient sur la question...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
J'ai dit moderne, c'est-à-dire que c'est une réponse qui vise à
s'inscrire dans une exigence de sécurisation de l'emploi. Ca, c'est
profondément social.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quand on voit tant d'énergie, tant de volonté, tant de conviction, tant
de pragmatisme comme vous le définissez... on se dit ? ce n'est pas
possible ?...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Merci Monsieur ELKABBACH, merci... Vous voyez, cette demi-heure au
moins aura servi à expliquer les choses.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
... On se dit ? il plaisante face à nous en nous faisant croire que ça
s'arrêtera en 2007 ?... parce que toute cette énergie, ça s'arrête en
2007 et vous passez à autre chose.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Mais Monsieur ELKABBACH...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ne citez pas mon nom, répondez-moi...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Est-ce que vous pensez que les préoccupations des Français seront
entièrement satisfaites...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous menez une action, vous dites ? on se défonce tous ensemble pour y
arriver ? mais en 2007, ? ciao les gars, je m'en vais ? !
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Ah vous parlez de 2007 ! Moi je suis resté en 2006 tout simplement
parce que j'ai pris un engagement personnel et toute ma famille avec
moi, c'est de faire de cette année 2006 une année utile et une année
d'action. Et le président de la République nous a fixé une feuille de
route extrêmement claire. Donc vous voyez, 2007, c'est extrêmement loin
pour moi ; il s'agit de répondre aux préoccupations des Français.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Une pause si vous le voulez bien.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Très volontiers.
JOURNAL
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Question, Philippe DESSAINT.
PHILIPPE DESSAINT
Oui, question relative à l'immigration. Nicolas SARKOZY va présenter
cette semaine un plan pour modifier un peu la donne de l'immigration en
France, pour changer entre l'immigration subie et l'immigration
choisie, nous dit-il. Alors ça y est, c'est arbitré au niveau
gouvernemental, c'est votre feuille de route à vous aussi ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Alors, c'est la feuille de route que nous a donnée le président de la
République. Le président de la République a organisé un conseil sur les
questions d'immigration, en nous demandant de fixer des règles claires.
Et cela est vrai pour l'immigration comme dans beaucoup d'autres
domaines. Nous sommes une société qui a besoin de réaffirmer des
règles. Alors dans l'immigration, il faut le faire à la fois dans la
lutte contre l'immigration irrégulière, renforçant la lutte contre les
clandestins, reconduisant aux frontières ; nous nous sommes fixé des
objectifs ambitieux dans ce domaine, nous avons une vraie
responsabilité vis-à-vis...
PHILIPPE DESSAINT
Et on choisit les immigrés, maintenant ? On va les choisir en France ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
...deuxième axe... là encore c'est un sujet, si vous me permettez, je
ne crois pas qu'il soit bon de caricaturer. Pourquoi ?...Non mais,
parce que c'est un sujet difficile...
PHILIPPE DESSAINT
Evidemment !
DOMINIQUE DE VILLEPIN
...et c'est un sujet difficile qui touche à des hommes et des femmes.
Donc il faut là aussi essayer de faire preuve de sensibilité. Il y a
des êtres humains qui sont derrière. Alors revenons à l'immigration
régulière. Là encore, il faut renforcer les règles. C'est vrai pour le
regroupement familial - le regroupement familial constitue aujourd'hui
l'élément le plus important de cette immigration -, c'est vrai en ce
qui concerne les étudiants étrangers, où il faut mieux choisir, en
fonction de leurs projets, à partir de leur pays d'origine, les
étudiants étrangers qui viendront en France, et leur faciliter la
possibilité de rester pour une période donnée...
PHILIPPE DESSAINT
Le risque de prendre les élites de ces pays ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Alors, ce risque existe, et il faut le limiter, c'est pour cela qu'il
faut le faire pour une période elle-même limitée. Et puis il y a la
question des mariages mixtes à l'étranger : il faut un meilleur
contrôle, la transcription ne peut pas être automatique. Et nous nous
sommes entendus, lors des nombreuses rencontres que nous avons eues à
Matignon avec Nicolas SARKOZY et l'ensemble des ministres concernés,
Pascal CLEMENT, Jean-Louis BORLOO, nous avons créé un Comité
interministériel de contrôle de l'immigration, nous nous sommes
entendus sur une règle : tout immigré en situation irrégulière depuis
plus de dix ans, qui aujourd'hui a droit à une régularisation
automatique, ne l'aura plus. Il y aura examen qui pourra se faire au
cas par cas. Nous avons besoin de fixer cette règle claire. Donc vous
voyez, on a beaucoup travaillé au cours des derniers mois, dans un
esprit collégial, chacun a apporté le regard qui était le sien. Et nous
avons besoin sur ces questions, bien sûr, du regard du ministre d'État
ministre de l'Intérieur, et nous avons besoin aussi du regard de la
Chancellerie, de celui de Pascal CLEMENT, du regard du ministre en
charge...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
... vous l'avez dit, c'est un travail collégial, c'est ça ? C'est ce
qu'on a compris.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
...nous avons, sous l'autorité du président de la République, défini un
corps de règles qui, je crois, permet à notre société de trouver le bon
équilibre...
PHILIPPE DESSAINT
Il n'y a pas de débat, là, dans le gouvernement ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Il y a un débat à l'intérieur du gouvernement, mais simplement, comme
dans tout débat, il y a un moment donné il faut trancher. Eh bien, nous
avons tranché, et jeudi, lors du Comité interministériel, nous rendront
publiques l'ensemble des mesures qui seront prises.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Christian de VILLENEUVE.
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
Monsieur le Premier ministre, vous avez vu que la majorité des Français
craint de se retrouver face à un juge. Qu'allez-vous faire
concrètement, quelles mesures rapidement vous allez prendre pour leur
redonner confiance, et la confiance dans la justice de leur pays ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Vous le savez, il y a plusieurs commissions qui ont été créées, en
particulier une commission parlementaire, pour aller jusqu'au bout du
diagnostic sur la justice. Qu'est-ce qui ne marche pas ? D'où viennent
les dysfonctionnements ? La perte de confiance, ou la crise de
confiance qui peut exister entre le citoyen et la justice, elle se
nourrit d'un certain nombre de dysfonctionnements. Nous avons choisi,
et c'est important, la transparence, de dire les choses. Vous vous
rappelez le Garde des Sceaux présentant ses excuses aux innocents
d'Outreau - je dis bien : les innocents d'Outreau -, présentant ses
excuses ; et je les ai reçus moi-même à Matignon. Ce choix de la
transparence, il nous oblige aujourd'hui à remettre en question un
certain nombre de procédures, un certain nombre de mécanismes, à
rechercher certaines garanties, à préciser certaines responsabilités ;
c'est un travail qu'il faut faire dans la plus grande sérénité. Donc
nous attendons les conclusions de ces différents rapports, et nous en
tirerons rapidement les conclusions. Vous pouvez compter sur le
président de la République, et vous pouvez compter sur le gouvernement,
pour, très rapidement, à partir des recommandations qui seront faites,
nous prendrons nos responsabilités et nous ferons la réforme de la
justice dont notre pays a besoin.
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
Et au coeur de la réflexion, c'est le pouvoir du juge ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Vous me permettrez de ne pas anticiper. Vous savez, il y a un temps
pour tout. Il y a un temps pour tout, n'anticipons pas.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous suivez les auditions, à la fois des acquittés, des
avocats, et celui du juge, et ce qui suivra ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Je les ai suivies, et je crois que c'est important d'entendre ces
paroles, d'entendre ces mots, à la fois de ceux qui sont passés par
cette épreuve, et en même temps, des professionnels de la justice qui
peuvent raconter la façon dont les choses se passent et la façon dont
ils les ont vécues. Ce sont des témoignages qui sont précieux, et qui
doivent évidemment nous aider à mieux réformer cette justice, dont nous
avons besoin.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous disiez tout à l'heure, Monsieur le Premier ministre, qu'il y avait
des mouvements, y compris dans l'économie, que parfois on percevait mal
ou pas assez. Est-ce qu'on peut prendre deux exemples ? Peut-être
vont-ils dans un sens complémentaire ou dans un sens contraire. La BNP
PARIBAS rachète, nous dit-on, amicalement, la sixième banque italienne,
la BNL, pour neuf milliards d'euros. Les deux tiers de l'activité
bancaire de BNP PARIBAS sont réalisés en Europe, en Amérique,
c'est-à-dire à l'étranger. Là, vous dites bravo, vous les félicitez ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Je dis : bravo. Chaque fois qu'une entreprise française marque un
point, je dis : bravo ! Bien sûr !
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
Et quand une entreprise étrangère marque des points en France ?
PHILIPPE DESSAINT
Comme MITTAL, par exemple, avec ARCELOR. Vous dites bravo aussi ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ils vont vite, hein !
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Quand j'ai avancé l'idée du patriotisme économique, on n'a pas très
bien compris. Enfin, certains n'ont pas très bien compris. Quelle est
la réalité ? Ce n'est pas...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, on dit que vous le sortez, le drapeau du patriotisme économique,
quand ça va mal, en défense, et on dit : c'est désuet et archaïque, le
patriotisme.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Ça, c'est ne pas bien comprendre ce que signifie aujourd'hui le
patriotisme économique...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pour vous.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Personne aujourd'hui ne remet en cause le fait que l'Amérique vit à
l'heure du patriotisme économique, que le Japon vit à l'heure du
patriotisme économique. Alors quand on parle de patriotisme économique
en France, certains entendent : protectionnisme économique. Nous sommes
dans un monde ouvert, nous sommes dans la mondialisation ; il n'est pas
question que cela change. C'est à nous, donc, de nous adapter, de nous
moderniser et de trouver des solutions. Quand il y a une OPA contre une
entreprise française, ou contre des intérêts français - vous évoquez le
cas de MITTAL, il y a 30.000 salariés...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'ARCELOR, d'ARCELOR, plutôt.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
...le cas de MITTAL et ARCELOR...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est une société européenne.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
... il y a 30 000 salariés français qui sont concernés. Qu'est-ce que
c'est qu'une offre publique d'achat - pour revenir aux fondamentaux ?
C'est à la fois une offre financière, c'est en même temps un projet
industriel, et c'est enfin un projet social. Dans tout cela, comme
partie prenante, et même si l'entreprise évidemment est en première
ligne - à la fois sa direction, son conseil d'administration, ses
actionnaires, ses salariés -, l'État a une responsabilité. Et
j'entends...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
A condition qu'il soit actionnaire, ou qu'il ait une partie à jouer. Ce
n'est que les Luxembourgeois, pour ARCELOR...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
L'État a une responsabilité...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Laquelle ? Laquelle ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Un, la vigilance. Premier élément, la vigilance : vérifier la
régularité de l'opération. Deuxièmement, apprécier la réalité de
l'offre : de quoi s'agit-il ? Nous sommes dans un monde où il convient
parfois de soulever le rideau et de regarder exactement ce dont il
s'agit...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, et maintenant que vous avez soulevé le rideau, vous savez ce qu'il
y a derrière ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Regardons, regardons...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors, quelle est la recommandation ? Quelle est la recommandation du
Premier ministre ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
... il appartient aussi aux analystes financiers de le faire.
Troisièmement, troisième exigence : la conformité aux règles de la
concurrence - c'est à la Commission européenne de l'apprécier. Nous
serons exigeants. Et ce que je souhaite, moi, c'est renforcer la
capacité de nos entreprises à faire face à de telles situations. Je ne
parle pas précisément dans le cas d'ARCELOR, je parle dans tous les
cas, pour toutes nos entreprises.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Simplement, pour ARCELOR, est-ce que vous êtes hostile à cette OPA
hostile ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Mais, Monsieur ELKABBACH, je dis : soyons exigeants, soyons mobilisés,
et soyons vigilants. Je veux en savoir plus. Je veux apprécier la
réalité du projet industriel, je veux connaître la nature du projet
social. Moi j'apprécie...
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
Selon Thierry BRETON, il n'y a pas de plan industriel, justement.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Eh bien, regardons, voyons si la société en question est capable d'en
définir, voyons si c'est l'intérêt d'ARCELOR. Nous comparons là deux
entreprises qui sont extrêmement différentes, l'une à forte
technologie, centrée sur certains marchés. Donc, apprécions la réalité
des choses. Nous sommes dans un monde où domine une forme de
capitalisme financier ; c'est très intéressant, le capitalisme
financier, mais derrière les finances, il faut regarder les réalités
économiques, et les réalités technologiques, et les réalités humaines.
Moi, je suis de nature curieuse ; je ne suis pas le seul, heureusement,
dans notre pays. Donc ce que je souhaite, c'est doter nos entreprises
des atouts indispensables pour les aider à faire face à ce qui est une
donnée du monde d'aujourd'hui, l'intelligence économique, pour les
aider à protéger certains secteurs stratégiques - c'est le sens du
décret que nous avons pris à la fin de l'année dernière...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais on a oublié dans ce décret, sur les 11 secteurs, il n'y a pas la
sidérurgie. Elle n'est pas dans les 11.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Mais, on n'a rien oublié du tout. On a choisi de protéger les secteurs
stratégiques. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne peut rien faire pour les
autres secteurs. Pour les autres secteurs, il faut...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça sera le 12e, alors ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
...il faut aider à la constitution d'un actionnariat stable. Là, on
peut aider effectivement la sidérurgie.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Comment ? Comment ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
D'abord, en encourageant la détention d'actions longues - c'est ce que
nous avons fait avec la réforme fiscale, notamment sur les plus-values.
Par ailleurs, il faut aider à la constitution de véritables champions
européens. Il y a un débat en Europe : faut-il privilégier le droit à
la concurrence, faut-il au contraire défendre l'idée d'une grande
politique industrielle avec des champions européens ? Quand j'entends
Neelie KRoeS, la commissaire à la concurrence, dire : ? Je suis pour
des champions européens ?, eh bien je dis : bravo ! Je suis ravi quand
je vois que des entreprises européennes s'unissent pour avancer...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pardon, elle dit, elle veut des champions mondiaux basés en Europe.
Mais elle ne dit pas : ? des champions européens ?, elle ne dit pas : ?
des champions nationaux ?. Elle est en train de...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Que des entreprises qui sont basées en Europe et qui font travailler
des salariés européens s'organisent pour défendre un intérêt commun,
cela me paraît une bonne chose. Il est important que nos entreprises
puissent se battre à armes égales avec les entreprises étrangères. Et
c'est pour cela que lors de la transposition de la directive TVA
européenne, nous allons faire en sorte que, par cette directive, nous
ayons des moyens plus forts, plus importants, pour faire face à cette
concurrence internationale. Et ce, en toute légalité. Les Etats-Unis le
font, le Japon le fait, d'autres pays le font. C'est la responsabilité
qui est la mienne. Donc, qu'on ne vienne pas me dire : vous êtes
impuissants, vous ne pouvez rien faire ; ce n'est pas vrai. Nous sommes
exigeants, nous sommes mobilisés, et nous pouvons renforcer les moyens
de nos entreprises pour faire face à une concurrence internationale. Et
je le dis avec d'autant moins de complexes qu'au cours des derniers
mois et des dernières années nos entreprises ont marqué beaucoup de
points à l'étranger. Il y a un problème néanmoins, et je veux que
toutes les entreprises françaises se préoccupent de cela : comment
renforcer l'actionnariat de ces entreprises, comme le stabiliser ? Ça
c'est la responsabilité des entreprises, en liaison avec toutes les
parties responsables.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pour les 50 groupes ou entreprises dont on nous dit qu'elles peuvent
être menacées par des assaillants étrangers, vous dites : on renforce
le capital, mais on ne laissera pas jouer le marché et l'actionnaire,
comme pour ARCELOR ? Ou c'est eux, en fin de compte, après tout ce
qu'on aura fait, tout ce qu'on aura avancé comme patriotisme
économique, c'est l'actionnaire et le marché qui trancheront ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Mais en tout état de cause, il ne s'agit pas de bousculer les règles du
marché. Je le redis : nous sommes dans une économie ouverte. Mais
enfin, dans certains cas, on a le sentiment que le match de tennis se
fait avec d'un côté un joueur avec une magnifique raquette, et de
l'autre côté, l'autre joue avec un panier percé ; eh bien, dans ces
cas-là, il faut faire face, et il faut doter chacun des joueurs des
armes équivalentes, pour marquer des points. Je le redis : le
patriotisme économique, c'est le rassemblement de nos forces. Cela ne
veut pas dire : protectionnisme économique ; ça veut dire qu'on fait en
sorte que tous ceux qui peuvent concourir à la bataille économique
soient aussi armés que les autres, voire mieux armés - non pas plus
protégés, au sens de protectionnisme, mais ayant les capacités
véritablement de faire face à la concurrence.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc, Dominique de VILLEPIN, ce n'est pas seulement Colbert, mais ce
n'est pas tout libéral ? Est-ce qu'il y a un masque libéral, ou vous
êtes l'un et l'autre selon les cas, avec les moyens de répondre ? Ou
les deux ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
C'est le pragmatisme français de celui qui veut gagner, pour son pays,
et c'est le 21e siècle ! Donc ce n'est pas tout à fait l'époque de
Colbert et de Richelieu.
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
Alors dans le secteur public, là vous êtes en train de préparer le
budget, et que faites-vous précisément pour réduire le train de vie de
l'État, et en particulier, pensez-vous diminuer le nombre de
fonctionnaires...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Ah, vous n'y allez pas par quatre chemins !...
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
...non ! Comment vous allez procéder ? Ce qui effectivement n'est pas
forcément facile dans ces années électorales.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Vous savez, d'abord, dans la vie il faut faire ce que l'on doit, dans
l'intérêt de chacun. Nous avons besoin d'un État fort, et nous avons
besoin d'un État qui se modernise, qui s'adapte. Et tous les
fonctionnaires le souhaitent, ils veulent un État qui marche mieux. Les
premiers partenaires de la modernisation de l'État, ce sont les
fonctionnaires eux-mêmes. Et il s'agit donc d'avancer tous ensemble.
Simplement, on ne mobilise pas l'État, les administrations, en leur
disant : voilà, vous mettez la tête là, et puis tout à coup on lâche le
couperet et ça tombe. Ce n'est pas comme ça. Et je l'ai dit en arrivant
: la politique du rabot, ce n'est pas la bonne politique. Ça implique
donc un immense travail. Et cet immense travail, c'est celui que nous
avons engagé, qui est de définir le périmètre de l'État, de redéfinir
les missions de l'État, d'apprécier le ratio, la part qu'il faut
d'effectifs, de moyens technologiques nouveaux, pour permettre à cet
État de s'adapter à ses missions d'aujourd'hui. Ce travail...
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
...il y a un chiffre ? La dette ?...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
La dette, nous nous y sommes attaqués...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça vous donne des cauchemars, la dette, de temps en temps, quand vous
voyez... ou alors vous réveillez le matin... cette question lancinante
: s'il y a un héritage, qu'est-ce que je laisse, ou qu'est-ce qu'on va
laisser... qu'est-ce qu'on peut faire, comment la réduire...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Si nous n'avions rien fait, cela me donnerait des cauchemars. Mais nous
avons demandé à monsieur PEBEREAU d'organiser une mission pour nous
dire exactement quelle était la situation de notre pays.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Maintenant, on sait.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
On le sait. Et qu'est-ce qu'on a fait ? Le jour même, le jour même, on
a réuni l'ensemble de ceux qui ont une responsabilité sur la dépense
publique : les collectivités locales, l'État, les responsables de la
Sécurité sociale, on y a associé les partenaires sociaux...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc elle va baisser ? Elle va baisser ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
...et on s'est mis autour de la table pour définir une stratégie à cinq
ans. Et je m'y suis engagé, non pas pour les calendes grecques, mais
dès cette année, dans le budget dont j'ai la responsabilité...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Au mois de juin ? Vous avez donné un rendez-vous au mois de juin ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
...et je fixerai au mois de juin le chiffre qui permettra effectivement
d'avancer dans cette réduction de la dette.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et il faut que ça baisse ? Je voulais savoir : il faut que ça baisse ?
Il faut qu'elle baisse ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
La dette ? Bien sûr qu'il faut qu'elle baisse ! D'abord, il faut
stabiliser les dépenses, c'est ce que nous avons fait. Nous avons
choisi le zéro volume tout au long des quatre dernières années, et il
faut maintenant passer au zéro valeur - c'est un peu technique, mais ça
veut dire qu'il faut effectivement réduire la dépense publique. Mais
encore faut-il le faire avec une vision, et le respect de ceux qui
travaillent pour l'État et qui le font dans le souci du service public.
Nos compatriotes en sont particulièrement conscients, quand ils disent
: mais nous avons besoin de plus d'infirmières, nous avons besoin de
plus d'instituteurs. Eh bien, faisons en sorte de mettre les
fonctionnaires là où nous avons le plus besoin d'eux ; et là où nous en
avons le moins besoin, nous pouvons effectivement réduire les
effectifs.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Question avant la pause, Philippe DESSAINT, rapidement.
PHILIPPE DESSAINT
Oui. On n'oublie pas, naturellement, le regard ou la politique
internationale ; comment évaluez-vous le fait que l'Iran change en
quelque sorte de position et refuse tout contrôle de son programme,
affirme vouloir même reprendre l'ensemble de son activité ? Il faut
aller devant le Conseil de sécurité de l'ONU, il faut condamner, il
faut parler ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Cela n'est pas acceptable. Il y a des obligations...
PHILIPPE DESSAINT
Donc, l'ONU ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
...il y a des obligations auxquelles l'Iran s'est engagé, ces
obligations doivent être satisfaites. L'Agence internationale de
l'énergie atomique, lors de son conseil des gouverneurs, a réussi à
rassembler, à faire l'unité de la communauté internationale, pour
appeler l'Iran à la responsabilité. Et le choix a été fait, d'ici un
délai d'un mois, le temps qu'un rapport précisant exactement la
situation de l'Iran soit effectué, décision a été prise donc de saisir
le Conseil de sécurité. Je m'en réjouis, c'est ce que nous souhaitions.
A partir de là, il y a deux exigences. La première, c'est de ne pas
mélanger les genres : il ne s'agit pas de rentrer dans une politique de
changement de régime en Iran ; il s'agit de régler un problème de
prolifération. Le message est donc très clair vis-à-vis de l'Iran. Et
le message, aussi, c'est que nous ne pouvons pas accepter que les
règles internationales ne soient pas respectées. Alors je connais bien
l'Iran, je fais partie de l'équipe des premiers négociateurs européens
qui se sont engagés en Iran, avec le Royaume-Uni et avec l'Allemagne ;
c'est un grand pays, c'est un grand peuple. Mais la règle doit être
respectée. Et donc, nous devons clairement marquer le chemin, et à
partir de là nous étudierons l'ensemble des possibilités pour ramener
l'Iran à la raison.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais, vous qui connaissez si bien les Etats-Unis et la situation
internationale, vous avez vu qu'il y a des Américains néo-conservateurs
qui disent : même une réponse ou une riposte militaire, à l'égard de
l'Iran. Vous dites : c'est de la folie, c'est... ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Vous savez, je pense que nous avons tous vécu cruellement l'épreuve
irakienne. Nous en avons tous tiré des leçons. Il y a une double
exigence. La première : que les règles soient respectées. Et nous
avions bâti, avec les inspecteurs de l'époque, une mécanique qui
permettait d'avancer dans le contrôle de la prolifération, du risque de
prolifération. Soyons donc exigeants, soyons vigilants, soyons
intraitables quant à la solution. Mais parallèlement, soyons
responsables ; il y a toute une série d'étapes, nous devons avancer pas
à pas, avec le souci qu'à chaque étape l'Iran puisse apporter sa
réponse. L'Iran doit donc être placé devant ses responsabilités. Et en
saisissant le Conseil de sécurité, nous envoyons un message très clair.
Le Conseil de sécurité et l'Agence de l'énergie atomique vont
travailler au cours des prochaines semaines, main dans la main, parce
que la compétence technique, c'est l'Agence internationale de l'énergie
atomique qui l'a ; nous allons avancer main dans la main, mais avec une
exigence de résultats.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Monsieur le Premier ministre, une nouvelle pause.
(...) Publicité
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vendredi, à Troyes, Dominique de VILLEPIN, chez François BAROIN, vous
avez exalté deux vertus, vous vous en souvenez ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Tout à fait.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'ambition - ça, on l'a compris...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
L'ambition pour la France !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
...pour la France...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Il ne faut pas tout mélanger ! Je vous vois venir !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
...la fidélité. La fidélité à qui, à quoi ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
La fidélité, d'abord à un idéal. Dans la vie, on n'a pas 36 boussoles,
et ce n'est pas toujours facile de se repérer devant les difficultés du
chemin. Je le dis sur le plan individuel, sur le plan professionnel,
sur le plan politique : il faut des repères. Et il faut des exemples.
J'étais à Troyes, comme vous le dites, chez François BAROIN, et il se
trouve que Michel BAROIN, le père de François BAROIN, qui est mort dans
un accident tragique, en Afrique, avait été mon professeur, et j'en
avais gardé un souvenir ému ; ému, parce que le jeune François BAROIN
attendait dans la voiture que son père donne son cours à l'Institut
d'études politiques où j'étais. Et cet homme continuait à me parler et
à m'expliquer ce qu'était sa passion, le service public, sur le
trottoir de la rue Saint-Guillaume, pendant que son fils tapait à la
fenêtre en disant : ? Papa, on s'en va ! ? Eh bien, ces hommes
d'engagement, ces exemples-là, je pourrais dire la même chose pour
Jacques CHIRAC, qui a été pour moi une immense rencontre, cette
fidélité-là, pour moi, c'est quelque chose qui est au coeur de mon
engagement. Au coeur de mon engagement personnel, au coeur de mon
engagement politique.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais vous avez dit : on s'inscrit toujours dans une fidélité, mais
un jour on est seul devant. Pour vous aussi, chaque matin, approche
probablement le jour de solitude où vous serez seul devant ; c'est ce
qu'on comprend.
PHILIPPE DESSAINT
Qu'est-ce qui vous sépare du président de la République ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Alors revenons... Monsieur ELKABBACH, vous posez un problème important
de la vie. C'est vrai que le soir, quand je suis dans mon bureau de
Matignon, avec quelques collaborateurs, auxquels je rends hommage, à
des heures très avancées de la nuit...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y en a beaucoup ici, autour de vous.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
...je suis seul dans mon bureau, et je dois prendre des décisions, qui
sont des décisions difficiles. J'ai écouté, j'ai dialogué, j'ai
rencontré, toute la journée, et puis à un moment donné vous êtes là, et
il faut décider. Eh bien, cette solitude-là, c'est à la fois le lot de
celui qui a une responsabilité, et c'est ce moment où vous touchez du
doigt la difficulté de la décision.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous aimez ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Il faut le faire, parce qu'il faut bien que quelqu'un le fasse. Et il
faut le faire en s'oubliant soi-même, à partir de ce qu'est l'intérêt
des Françaises et l'intérêt des Français. Ce n'est pas facile, vous
savez que vous serez critiqué, vous savez que vous ne serez peut-être
pas compris ; mais à un moment donné, il faut décider. Et j'ai le
sentiment que notre pays, au cours des dernières décennies, a perdu
trop de temps. Nous devons aux Français de leur donner les moyens
d'être ce qu'ils sont. Les Français, c'est un peuple exceptionnel, le
président de la République l'a dit de façon très émouvante, il y a
quelques jours, quand il a rappelé : la France a une histoire faite de
grandeur, mais aussi de moments d'ombres ; mais nous devons assumer
ensemble cette fierté d'être français, qui que nous soyons, de quelque
origine que ce soit, de quelque sensibilité...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais quand vous dites : ? depuis trente ans on a pris du retard ?,
c'est votre boussole, que vous admirez tellement, qui a mal fonctionné,
alors ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Parce que c'est difficile, parce que nous avons dû en même temps faire
face à des problèmes très différents : une situation internationale qui
ne cessait de bouger, une évolution sociale extrêmement complexe. Et je
l'ai dit : toujours ce paradoxe français, à la fois de l'inquiétude,
beaucoup d'inquiétude, mais en même temps de l'impatience. Comment vous
faites pour conjuguer cette inquiétude et cette impatience ? Eh bien,
il n'y a pas de mystère : vous proposez des solutions, vous avez des
résultats, et vous avancez. C'est ça, la méthode que...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
...la France et les Français sont en train de basculer vers la
modernité, ou ils continuent à... ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Mais ils y aspirent tous les jours ! Partout où je vais, en province,
partout à Paris, il y a cette attente d'un pays qui veut relever les
défis ! Enfin, quand Amélie MAURESMO relève le défi en Australie, quand
des personnalités aussi étonnantes et merveilleuses que Jean-Christophe
LAFAILLE vont relever les défis en Asie, eh bien, ça, c'est l'esprit
français. Cet esprit-là, il ne s'agit pas de l'abandonner. Il ne s'agit
pas de penser, à un moment donné, que tout est impossible dans notre
pays. Nous sommes un pays qui a derrière lui et qui a en lui un
formidable appétit.
PHILIPPE DESSAINT
Dominique de VILLEPIN, vous venez de citer Jacques CHIRAC. Un
événement, un moment politique cette semaine à Paris : Jacques CHIRAC,
précisément, a reçu les parlementaires de l'UMP ; il vous a beaucoup
cité, à cinq reprises il a cité votre nom, nous dit-on - nous n'y
étions pas. Alors est-ce que ça vous fait apparaître, d'une certaine
façon, comme l'héritier ? C'est plutôt une chance, ou plutôt un
handicap ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Les choses ne se posent pas en ces termes. Jacques CHIRAC...
PHILIPPE DESSAINT
Ecoutez, vous lisez la presse également, Dominique de VILLEPIN ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Oui, mais je ne me fonde pas sur la presse - vous m'excuserez...
PHILIPPE DESSAINT
Vous entendez des commentaires politiques, Monsieur le Premier ministre
? Parce qu'ils en parlent aussi.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Mais moi je ne commente pas les commentaires, Monsieur DESSAINT. Ce qui
m'intéresse, c'est la réalité. Et la réalité n'a rien à voir avec les
commentaires. Quand vous menez une bataille, pour l'emploi, le
président de la République, qui a fixé le cap de cette bataille, quand
il marque son soutien au gouvernement et au chef du gouvernement, ça
vous choque ?
PHILIPPE DESSAINT
Hommage appuyé.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Mais ça vous choque ?
PHILIPPE DESSAINT
Non, ça ne me choque pas du tout.
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Ah, écoutez, s'il ne l'avait pas fait, vous imaginez les commentaires ?
Vous savez, il y a des moments, nous ne sommes pas dans des périodes...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et s'il avait cité cinq fois le ministre de l'Intérieur et une seule
fois le Premier ministre, qu'est-ce que vous auriez dit ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Moi je cite le ministre de l'Intérieur, Nicolas SARKOZY, qui apporte
ses capacités, sa détermination, dans les batailles que nous menons
pour la sécurité, pour l'immigration. Mais chacun est dans son rôle.
Nous ne sommes pas là dans un cours de CP, où il s'agit de citer le nom
de chacun des enfants, sans quoi ils se vexent ! Nous sommes des grands
garçons, et la politique, ce n'est pas fait pour les enfants ! C'est
fait pour des gens qui s'engagent - pas pour eux, mais pour servir !
Donc, en citant le chef du gouvernement, on cite celui qui a en charge
de mener la bataille.
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
Et quand, Monsieur le Premier ministre, connaîtra-t-on votre intention
? Parce que pendant longtemps...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Mais quelle intention ? Mes intentions, vous les connaissez !
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
Ecoutez, pendant longtemps vous nous avez dit...
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Mais là vous pratiquez une langue de bois qui est totalement
incompréhensible et absconse !
CHRISTIAN DE VILLENEUVE
Non, non, non ! Pendant longtemps vous nous avez dit que vous ne seriez
jamais ministre des Affaires étrangères. Pendant longtemps vous nous
avez dit que vous ne seriez jamais Premier ministre. Est-ce que ce soir
vous nous dites que vous ne serez jamais président de la République ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Mais Monsieur de VILLENEUVE....
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et jamais candidat ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
...d'abord, vous caricaturez un peu la présentation des choses. Mais
surtout, j'ai toujours dit que je répondais à une mission. Dans un
moment difficile, le président de la République m'a demandé de devenir
ministre des Affaires étrangères, puis, parce que c'était un moment
politique délicat, de prendre la succession de Nicolas SARKOZY au
ministère de l'Intérieur, alors que lui-même allait au ministère de
l'Économie et des Finances - vous auriez voulu que je me dérobasse ?
Non, ce n'est pas dans mon esprit. Ce n'est pas mon esprit.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Jean-Pierre RAFFARIN croit, et espère qu'en 2007 votre majorité UMP
présentera un seul candidat. Vous partagez cet avis ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN
Ah mais, je le souhaite vivement ! Mais je le souhaiteSource http://www. Premier-ministre.gouv.fr, le 8 février 2006