Déclaration de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sur la recherche agricole dans l'espace européen de la recherche, notamment les applications de la génomique, les OGM et la sécurité alimentaire, Versailles le 6 décembre 2000.

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Circonstance : Conférence sur la recherche agricole dans l'espace européen de la recherche à Versailles le 6 décembre 2000

Texte intégral

Voici donc la séance de clôture de cette Conférence sur la Recherche Agricole dans l'Espace Européen de la Recherche. Cette conférence est très utile pour contribuer à faire progresser la construction de l'Espace Européen de Recherche, sur les bases du projet présenté par le Commissaire Philippe Busquin en début d'année - auquel je pense que la Présidence française a apporté soutien, élan, et nombre de propositions concrètes.
La conférence a été préparée par trois séminaires, dont vous avez ici analysé les conclusions :
A Montpellier sur science et gouvernance vis à vis de la recherche agricole : "Science and Governance :CAP and multifonctionality of agriculture in the European Research Area".
A Bordeaux sur la génomique et la post-génomique : "Genomic and post-genomic research in the European Research Area".
A Rennes sur agriculture et environnement : "European Research Area, Agriculture and Environment".
Ces concertations entre experts sont importantes. Elles permettent d'évaluer les grandes lignes concernant la stratégie de ce que doit être notre action commune. Je souhaite également, et très vivement, que nos concitoyens soient informés, débattent et participent à la décision sur des sujets aussi sensibles, qui concernent l'ensemble de la société, comme les applications de la génomique, les OGM ou la sécurité alimentaire d'une façon générale.
Se nourrir en toute sécurité, mieux s'alimenter et respecter l'environnement: ce sont les enjeux et les défis auxquels est confrontée la recherche, et particulièrement la recherche agronomique.
Chacun de nos Etats membres mène une politique dans ce secteur. Pour tenter de les faire converger vers un véritable espace agronomique européen, inclus à part entière dans l'espace européen de la recherche, nous devons intégrer nos actions nationales dans une perspective d'ensemble. A partir de quelques exemples, je voudrais faire le point sur les positions françaises, et sur les efforts que fait le ministère de la recherche pour atteindre un consensus.
La recherche agronomique française dans l'espace européen de la recherche
Le secteur agro-alimentaire se place au premier rang des industries françaises par son CA de 800 milliards de francs. La recherche est développée au sein de plusieurs organismes aux premiers rangs desquels je citerai l'INRA, mais je n'oublierai pas l'aide au développement apportée par le CIRAD et le développement technologique qui est l'objet principal du CEMAGREF. Une part importante des quelques 13 milliards et demi de francs que consacrera la France aux recherches en biologie et santé en 2001 touche de près ou de loin la recherche agricole.
Qualité et sécurité des aliments sont aujourd'hui au cur des préoccupations de la société et des scientifiques.
L'ESB
La place des scientifiques dans l'approche de l'ESB a longtemps été restreinte à l'expertise. La nature même de l'agent infectieux a posé des problèmes qui commencent à peine à être résolus. Les Etats-Unis ont eu un rôle majeur dans ces recherches, notamment avec les prix Nobel C. Gajdusek et S Prusiner. Mais, dans la période récente, c'est l'Europe, et en particulier la Grande-Bretagne, la France et la Suisse, qui ont le plus contribué à l'avancement des connaissances. Grâce à l'accord du premier ministre, qui l'a annoncé le 14 novembre dernier, le ministère de la Recherche a obtenu le triplement, dès l'année prochaine, des moyens consacrés à la recherche sur les ESST et les prions.
Ces moyens passeront de 70 MF en 2000 à 210 MF en 2001, grâce à une mesure nouvelle de 140 MF. Nous recruterons 120 chercheurs, ingénieurs et techniciens supplémentaires. Les recherches concerneront surtout quatre axes :
le développement de nouveaux tests de détection,
la recherche sur la nature de l'agent infectieux et la physiopathologie des maladies à prions,
la recherche épidémiologique et thérapeutique,
la recherche de modes d'élimination des farines animales offrant une alternative à l'incinération.
Le 16 novembre, à Bruxelles, présidant le Conseil des ministres de la Recherche de l'Union européenne, j'ai fait adopter par celui-ci la décision suivante :
"Le Conseil invite la Commission à créer, en concertation avec les Etats membres et en liaison avec les mécanismes existants, avant la fin de l'année 2000 un groupe d'experts chargé de dresser le bilan des recherches effectuées sur l'ESB et la maladie de Creutzfeldt-Jakob dans les Etats membres, de favoriser les échanges d'informations scientifiques entre les épuipes de chercheurs et d'indiquer les actions de recherche actuelles à renforcer et les actions nouvelles à engager.
En ce qui concerne la forme humaine de la maladie, ces actions porteraient en particulier sur la prévention, la détection et la recherche épidémiologique et thérapeutique."
La Commission a indiqué qu'elle rendra compte des résultats des travaux de ce groupe d'experts à la prochaine réunion des ministres européens de la recherche".
Cette prochaine réunion des ministres européens de la Recherche aura lieu en février ou mars 2001. Je viens d'apprendre que la première réunion du groupe d'experts européens se tiendra le 15 décembre à Bruxelles et je tiens à remercier le commissaire Busquin et ses services pour leur efficacité.
Au plan national comme au plan européen, il importe, plus que jamais, d'agir ensemble, de conjuguer les efforts, de développer les synergies.
Les OGM
Un bon exemple de coopération européenne ressort de nos travaux sur les OGM. En la matière, l'Europe et la France appliquent, très légitimement, le principe de précaution. Et seuls huit agréments ont été acceptés au titre de la directive 90-220 actuellement en réexamen.
Cette question met en relief les deux excès contraires dont il faut se garder : d'une part, le laisser-faire, d'autre part l'obscurantisme.
La recherche agronomique doit pouvoir procéder, dans des espaces identifiés, aux expérimentation nécessaires. Nous ne pouvons pas, comme le souhaiteraient certains, refuser le droit de savoir.
Pour que nous puissions, ensuite, décider en pleine connaissance de cause, la recherche scientifique doit pouvoir s'accomplir, afin de nous éclairer avec exactitude sur les avantages et sur les risques exacts des OGM.
Les résultats de ces recherches devront ensuite être mis à la disposition de tous les citoyens, pour qu'un véritable débat public s'engage sur les OGM.
La génomique
Ceci me conduit naturellement à parler de génomique.
Le Ministère de la Recherche a engagé depuis 1998 le programme "Génomique", destiné à favoriser le développement et la coordination des recherches sur les génomes, avec toutes leurs applications dans les domaines de la physiologie, de la pharmacologie, de la médecine et de l'agroalimentaire.
Il s'agit d'un programme ambitieux auquel le gouvernement consacre des moyens importants : sur les seuls crédits du Fonds national de la science, ce sont 349 MF en 1999, 357 MF en 2000, 450 MF en 2001 ; d'autres financements proviennent des organismes de recherche (INSERM, INRA, CNRS, universités), des collectivités locales, des associations caritatives, des industriels privés et des partenariats Etat-industrie.
Le Centre national de séquençage (CNS), encore appelé "Génoscope", a été créé en 1998 avec pour mission de prendre en charge les besoins de séquençage à grande échelle de la communauté scientifique. Si 40% de ses activités sont consacrées au séquençage du génome humain (plus particulièrement du chromosome 14), il assure également, dans le cadre du Consortium international "Riz", le séquençage du chromosome 12 de cette céréale ancestrale, ressource de base pour plus d'un tiers de l'humanité.
J'aurai d'ailleurs le plaisir, la semaine prochaine, de pouvoir féliciter les chercheurs du Consortium international, auquel participe le CNS, qui annoncent la fin du programme sur l'Arabidopsis Thaliana, la moutarde sauvage : il s'agira du premier génome de plante entièrement séquencé.
Le développement technologique
Toutes ces avancées ne se produiraient pas si, parallèlement, ne se développaient les technologies adaptées à ce type de recherche.
A ce stade, la maîtrise des biotechnologies est essentielle dans la conception, la fabrication et la sécurité des aliments de demain. Ces secteurs traditionnels, où la France excelle, peuvent aussi être source de création et d'innovation à l'échelle européenne. Plusieurs actions ont été entreprises cette année pour stimuler le secteur et seront renforcées grâce au budget 2001 :
le fonds d'amorçage "Bioam" dédié aux sciences du vivant. La mise en place de ce fonds reflète la volonté du gouvernement de jouer un rôle moteur dans la création d'entreprises permettant de valoriser l'innovation en matière de bio-ingénierie. Il s'agit de résultats généralement issus des laboratoires publics de recherche, et de nombreux projets concernent l'agriculture.
La création d'incubateurs : 29 incubateurs ont été créés par le gouvernement parmi lesquels huit Bio-incubateurs. Chaque région continentale française dispose d'au moins un incubateur, et la plupart d'entre eux sont susceptibles de recevoir des entreprises biotechnologiques. 152 millions de francs ont été consacrés à cette action qui devrait permettre la création d'environ 300 à 400 entreprises sur trois ans. J'ai favorisé la naissance d'un réseau de bio-incubateurs qui favorisera les échanges d'informations. De plus une réunion s'est récemment tenue à Paris avec des représentant allemands et britanniques en vue de créer un réseau européen de bio-incubateurs sur la base du projet NeuBioInc déjà présenté à la Commission.
Enfin pour favoriser la recherche et la création d'entreprises dans le secteur de la post-génomique, j'ai engagé plusieurs actions qui se renforcent mutuellement :
Le fonctionnement du réseau Genoplante qui associe les laboratoires de recherche publique et les industries, pour valoriser les connaissances issues de la génomique végétale. L'Etat investit ici chaque année 200 MF pour un programme de cinq ans représentant au total plus d'un milliard et demi de francs. De plus, il existe maintenant une forte interaction entre ce programme et son homologue allemand, GABI, permettant de renforcer dans l'avenir la position européenne dans ce secteur stratégique.
l'intégration de toutes les composantes de la recherche, du fondamental à la finalisation, avec le réseau des génopoles, qui comprend notamment pour l'agroalimentaire les génopoles de Montpellier et de Strasbourg-Nancy. Ce réseau est financé sur le FNS et son fonctionnement sera doté de 190 MF en 2001.
J'installerai par ailleurs prochainement un nouveau réseau de recherche technologique dédié à la traçabilité des aliments, le réseau RARE pour "Réseau Alimentation Référence Europe". Il sera doté de 15 MF dès 2001, et financera des recherches sur la microbiologie alimentaire prévisionnelle (prévention et détection des contaminations), sur la santé associée à la nutrition, sur la valorisation, par exemple, des oléagineux.
Pour un espace européen de la recherche
Le projet d'Espace Européen de la Recherche ouvre en effet de nouvelles et fécondes perspectives pour la politique de recherche en Europe. Il convient de souligner certaines recommandations, issues de vos travaux, qui caractérisent davantage la recherche agronomique.
Dans la majorité des cas des centres d'excellence existent déjà dans les différents Etats membres. L'objectif que nous devons nous fixer est de leur permettre de travailler ensemble. Des programmes ont été lancés au niveau national sur les principaux thèmes porteurs : il faut les mettre en connexion, trouver des modalités de gestion qui favorisent ces rapprochements plutôt que de créer de nouvelles structures coûteuses et exclusives.

Nous privilégions donc la notion de réseaux d'excellence plutôt que de centres d'excellence. Des réseaux, identifiés, labellisés, reliés grâce aux techniques les plus modernes de communication, représentent les formules les plus pertinentes.
En termes d'infrastructures, l'objectif premier est de favoriser la gestion et l'usage commun de dispositifs déjà créés. Les banques de données, les ressources génétiques, les résultats des observatoires peuvent être mis en commun. Une réflexion sur les modalités d'usage doit être entreprise.
Une véritable politique européenne de la recherche, c'est-à-dire une politique d'objectifs et non plus uniquement de moyens, doit être envisagée. Quelques sujets mériteraient une approche de ce type. Par exemple en ce qui concerne le génome, une action commune sur l'informatique et la bio-informatique est absolument stratégique. Le domaine de l'eau, en termes de gestion de la ressource et de la qualité est aussi un thème essentiel. A cela s'ajouterait également une réflexion sur les pollutions diverses (air, eau, sol ) et sur la gestion des déchets.
La question de la mobilité des chercheurs à travers l'Europe, et tout particulièrement celle des jeunes chercheurs, est un enjeu majeur. C'est un point essentiel pour la construction des réseaux, des pôles scientifiques et technologiques et pour le renforcement de l'excellence. Il y a encore trop de barrières (culturelles, administratives, financières) qui freinent cette circulation des hommes et des idées, sans laquelle ne peut se concevoir une recherche d'excellence.

Il est donc souhaitable d'augmenter les financements communautaires consacrés à la mobilité des chercheurs, avec l'objectif d'aller à 8000 postes équivalents chercheurs par an, financés par l'Union européenne.
Un autre point, tout à fait caractéristique de l'Europe, et qui ne peut être traité que collectivement, est la multi-fonctionnalité.

La multi-fonctionnalité introduit une manière tout à fait nouvelle de traiter l'agriculture dans ses relations avec la société. Elle est le fondement d'une agriculture équilibrée intégrant la gestion des espaces et la protection de l'environnement. Mettre en uvre ces fonctions, c'est en quelque sorte bâtir un "nouveau contrat social" - pour reprendre l'expression de Bertrand Hervieu, Président de l'INRA ; c'est assumer une activité qui tienne compte de la géographie spécifique de nos espaces agricoles, de l'histoire de nos modes de production et d'élevage, de la richesse du tissu rural, en vue d'aboutir à des entreprises insérées socialement, économiquement viables, qui ne sacrifient pas l'avenir au présent.
Un projet d'une telle complexité interroge évidemment toutes les nations européennes.
La recherche constitue la nouvelle frontière de l'Europe
Le XXIème siècle sera plus que jamais celui de la recherche, à qui il appartient de préfacer et de préparer l'avenir.
Cette recherche doit acquérir une forte dimension de coopération européenne. Car c'est la dimension souhaitable pour que la recherche européenne puisse pleinement s'épanouir, à parité de succès avec les Etats-Unis. Aujourd'hui, la recherche est la "nouvelle frontière" de l'Europe.
Le problème des pays en voie d'adhésion est d'une grande importance pour la communauté. Etant donné les différences assez considérables parfois entre l'état et la force des communautés scientifiques correspondantes, entre le degré de soutien de leurs pays respectifs, entre la nature des questions qui leur sont posées, l'Europe doit mettre en place des instruments très souples de soutien ou d'aide à la mobilité.
L'Europe est notre avenir commun et notre chance de progresser et de réussir ensemble. Il faut saisir cette chance, pour dessiner ensemble un nouvel horizon, qui associe science et société, progrès et Europe.
La réalisation de ce projet, ambitieux et nécessaire, représentera un effort de grande ampleur. Il s'agit maintenant de trouver les formes concrètes pour prolonger l'impulsion initiale donnée au Sommet qui s'est tenu à Lisbonne au mois de mars 2000 sous la présidence portugaise. Je tiens à dire que j'ai consacré tous mes efforts, pendant la Présidence française, à la poursuite de cette impulsion initiale, et je suis convaincu que mon successeur, ma collègue suédoise, la secrétaire d'Etat madame Bladh, aura elle aussi à cur de continuer dans ce sens.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 8 décembre 2000)