Déclaration de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, sur les services à la personne et le chèque emploi services universel, Paris le 14 février 2006.

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En vous accueillant, aujourd'hui, ici, au ministère de l'emploi, sous ce chapiteau singulier, je tiens à vous faire partager mon émotion : celle de vivre un moment rare et fort dont notre pays a le secret, un évènement majeur pour la vie quotidienne de tous les français, dont la portée sera historique par la révolution qu'il va entraîner.
Il s'agit tout simplement de faciliter la vie quotidienne des français en leur permettant d'accéder de façon rapide et moins chère aux services à domicile dont ils ont besoin. Ils les trouveront sur un simple appel téléphonique auprès des distributeurs de services et paieront simplement avec un nouveau chèque universel distribué par leur banque ou leur employeur.
La France, sur ce sujet, connaît un véritable retard. Selon un récent sondage, 90 % des français souhaitent utiliser des services à la personne. Seuls 3 % des salariés français y ont accès aujourd'hui, contre 50 % au Canada, 30 % aux Etats-Unis ... L'évolution des modes de vie, le travail des femmes, l'allongement de la durée de vie, la complexité croissante de la domotique exigeait que soit mis en place un grand plan de développement dont l'objectif est clairement l'accès populaire, du plus grand nombre aux services à la personne.
Nous avons donc répondu concrètement aux trois principaux écueils : trop cher, trop compliqué, pas assez sécurisé, en :
- fédérant tous les acteurs et en créant une dynamique puissante
- développant une nouvelle économie, une nouvelle monnaie
- développant une nouvelle économie, un nouveau modèle de distribution
- créant un « turbo financier » pour diviser en fait par 3 le coût horaire et le rendre 50 % moins cher que le travail au noir.
Ce projet de développement dont les acteurs de terrain ont rêvé devient aujourd'hui réalité parce que tous ensemble, entreprises, associations, acteurs publics et privés, nous nous sommes mis en mouvement.
Une dynamique s'est créée. Aujourd'hui, aux côtés des grands réseaux associatifs, fort de 6 500 associations, dont la force des valeurs et l'originalité du modèle économique social et solidaire constituent un atout décisif pour le succès de notre projet, sont présents les trois premiers émetteurs mondiaux de titres de service. La première banque des collectivités locales, la troisième banque mondiale, la deuxième Poste européenne, les principaux groupes d'assurances européens et mondiaux, toutes les mutuelles qui assurent un français sur deux, les principaux groupes bancaires de taille internationale mais aussi des associations ou des centres d'action sociale présents dans 97 % des communes de plus de 5 000 habitants. C'est la plus grande puissance économique, sociale et financière qui s'est réunie autour de cet ambitieux projet !
Savez-vous, qu'en cet instant, à travers vous c'est plus de 250 millions de sociétaires, assurés, clients bref contacts de fidélité qui sont représentés, puisque les Français sont chacun plusieurs fois clients, adhérents, assurés ou sociétaires de vos entreprises. Vous avez su créer avec chaque Français un lien de confiance qui vous rend légitime pour leur offrir dès aujourd'hui des services à leur domicile, pour leur faciliter la vie.
Vous allez réussir parce que la fidélisation est votre métier ; parce que tous nos concitoyens pourront accéder à de l'information et du conseil auprès de chacun de vos 80 000 guichets, agences ou points de contacts.
Vous comprendrez pourquoi je n'hésite plus à parler de révolution.
Nous assistons, en quelque sorte aujourd'hui à la naissance d'une nouvelle économie. Ce projet, c'est mettre en relation la demande de service et l'offre d'emploi. Une mise en relation d'un genre nouveau. Un nouveau type d'échange, une nouvelle économie : une économie de la proximité et du quotidien. Un véritable moteur de croissance !
Un nouveau modèle économique
C'est une économie entre proches, au sein d'un même territoire, d'un même quartier. C'est une économie créatrice d'emplois locaux non délocalisables, des emplois du quotidien. Le CESU est l'outil de cette nouvelle économie. Le Chèque emploi service universel en est sa nouvelle monnaie.
Ce chèque ne supprime pas bien entendu le chèque emploi service que l'on peut continuer à utiliser.
Mais il innove par deux aspects : avec ce nouveau chèque nous pouvons payer directement soit une personne soit une association soit une entreprise. L'autre grande nouveauté, c'est que ce nouveau chèque pourra être remis par l'employeur public ou privé, les collectivités locales, mutuelles ou assureurs, qui en financeront une partie selon le même principe que les titres restaurant. Ce nouveau chèque émis depuis le 1er janvier et utilisable à compter d'aujourd'hui, sera de surcroît directement encaissable à partir du mois de juin dans 43 500 guichets bancaires et postaux et sera bientôt émis sous des formes dématérialisées.
Ce chèque est un moyen de paiement d'un genre nouveau qui grâce au travail considérable accompli aux côtés de l'Agence Nationale des Services à la Personne par la Banque de France, les émetteurs, l'Acoss, la Fédération Bancaire Française et la Caisse des dépôts va permettre de façon accélérée de transformer des ressources passives en ressources actives. Si l'on ne peut pas à proprement parler de création monétaire, il s'agit bien de la création d'une quasi monnaie dont l'effet sur l'emploi est total : 100? émis sont 100? emploi, soit 4 fois plus que dans les autres secteurs économiques. Le mérite essentiel de ce chèque c'est bien sa capacité à transformer de façon plus rapide et massive de la monnaie en emplois.
L'employeur a tout intérêt à distribuer ces chèques universels à ses salariés : il améliore la vie de ses salariés, et donc la productivité de son entreprise ; il optimise ses gains fiscaux. Le salarié lui-même fait lui aussi une bonne affaire puisque avec le CESU il bénéficie d'un gain de pouvoir d'achat et il se facilite la vie. Et tous ensemble ils créent des emplois de qualité.
Vous le voyez, notre projet est vertueux puisqu'il permet à tous d'être gagnants.
A nouvelle économie, nouveau modèle de distribution. Les douze enseignes nationales, qui regroupent des entreprises ou associations distributeurs de services, toutes présentes aujourd'hui, proposent un accès facilité et sécurisé à une gamme de services très étendue avec des projets très innovants. Ce sont d'ores et déjà 20 métiers qui sont proposés. Ces enseignes sont composées de partenaires prestigieux dont l'ambition est immense. Leur effet structurant sur l'offre de services sera rapide et massif. Le déploiement de ce nouveau dispositif sur tout le territoire et pour tous les Français va monter en puissance progressivement tout au long de l'année.
Nombreux sont les Elus locaux qui ont anticipé cette dynamique en se portant candidats sur le territoire de leur ville ou de leur département pour conduire des expériences originales de mise en relation de leurs concitoyens avec des services de qualité.
Je voudrais vous faire partager une conviction : les services à la personne constituent un vecteur essentiel d'accroissement de la productivité de notre pays. La France connaît l'un des taux de productivité par personne employée le plus élevé dans le monde. Mais notre taux d'emploi n'est que de 60 %. La question centrale à laquelle nous sommes confrontés est moins la progression de la productivité par personne employée que l'augmentation du taux d'emploi : faire passer notre taux d'emploi de 60 % à 70 %, pour être dans le peloton de tête des pays modernes et redresser l'ensemble des comptes publics.
Le développement des services à la personne est donc aussi un sujet macro-économique. C'est un moteur de croissance. Je rappelle que si tous les ménages consommaient 2 heures de service par semaine c'est un million d'emplois qui serait créé.
Le développement des emplois de service par leur impact rapide et massif rend cet objectif crédible. Les acteurs du secteur nous ont dit, levez les freins et nous créerons 500 000 emplois en 3 ans ! 500 000 emplois c'est une baisse de 2 % de notre taux de chômage, qui est maintenant revenu à 9,5 % !
Mais ma conviction est aussi que cette révolution va impacter nos relations sociales. Ce secteur présente des spécificités qui vont appeler des réponses innovantes. L'essentiel de ces activités se déroule au domicile, ce qui développe un nouveau modèle de relations du travail. Développement et renforcement de la formation et de la professionnalisation, réflexion sur l'élaboration d'une nouvelle convention collective,... c'est ce à quoi nous allons prochainement travailler avec les partenaires sociaux. C'est aussi dans cet esprit que je vais réunir le 4 avril tous les DRH de France.
1 - Un enjeu de société
Vous l'avez compris, ce projet répond à de formidables enjeux de société. Cela de plusieurs façons :
* Ce plan répond avec lucidité à l'évolution démographique prévisible à laquelle notre pays est confronté. C'est une banalité que de rappeler le défi majeur que la société française doit surmonter à l'horizon 2010.
A cette date, la France métropolitaine comptera 3 millions de personnes supplémentaires au regard du recensement de 1999. Les « seniors actifs » représenteront les trois quarts de cet accroissement démographique. Or cette classe d'âge exprime des besoins de services à la personne, dont l'ampleur et la nature varieront fortement avec l'âge. Il y a là un formidable enjeu de cohésion sociale, d'humanisme pour nous tous, pour les collectivités locales, le monde associatif et les entreprises de services qui en seront les principaux acteurs.
Mais si ce plan d'actions anticipe les évolutions profondes de la société française, il répond aujourd'hui et maintenant à des besoins de services immédiats, à des demandes observées et exprimées par les ménages et influencées par l'accroissement du niveau de vie moyen et l'accroissement de leurs exigences en matière de qualité de service, l'accroissement du taux d'activité des femmes, l'augmentation du nombre de personnes devant faire face seules aux nécessités de la vie quotidienne, l'aspiration des salariés à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie familiale.
C'est donc tout à la fois un projet visionnaire pour le long terme et d'urgence pour le court terme. Comme le dit si clairement l'un d'entre vous « le succès de ces nouveaux services, sera comparable à celui du téléphone portable, devenu incontournable dans le budget des ménages ».
* Ce sont aussi et surtout des emplois qui rendent service, des emplois de bien être. Dans notre vie quotidienne nous avons tous besoin de services qui améliorent la vie de chacun. Le coût social du stress a été longtemps ignoré dans notre pays. Le stress est à l'origine de 60 % des journées de travail perdues. C'est un des principaux facteurs de risque au travail. Ce stress contribue à la tension nerveuse de notre société qui est dure. Ces emplois se proposent de l'adoucir. Permettre à tout un chacun d'accéder facilement à une heure de services de temps en temps c'est peu de chose et c'est essentiel. Orienter notre consommation vers des services de bien être c'est contribuer à l'amélioration du moral de notre pays.
* Ce sont des emplois qui créent du lien social, entre générations ou avec les plus démunis. Les grands réseaux associatifs, présents, ici, ont démontré depuis de nombreuses années leur capacité à renforcer et développer la solidarité avec les plus fragiles.
* Ce sont des emplois de proximité, c'est-à-dire des emplois d'aménagement du territoire, des emplois non délocalisables. C'est une forme d'économie solidaire. C'est de la consommation qui crée directement de l'emploi... et de la croissance !
* Il y a dans le développement de ces emplois des pistes à explorer pour répondre aux besoins de services des zones rurales ou de certains quartiers par exemple.
* Vous aurez également noté que l'ensemble du dispositif financier et fiscal va rendre le coût du service moins cher que le travail au noir, qui constitue un double fléau : pour les salariés, qui ne sont pas couverts et pour les bénéficiaires du service, qui ne disposent pas d'une garantie professionnelle. L'éradication du travail illégal est une obligation républicaine absolue.
* Ces emplois vont permettre de renforcer la productivité de nos entreprises. Des salariés moins stressés, plus disponibles, ce sont des entreprises plus performantes. Le développement des services ne s'oppose donc pas au développement de l'industrie, mais y contribue.
* Ce sont enfin de vrais emplois, qui demandent surtout des qualités humaines, relationnelles qui ne sont pas toujours celles sanctionnées par un diplôme scolaire. Ces métiers de l'humain sont les métiers de demain. Aujourd'hui peu valorisés, ils vont trouver toute leur attractivité grâce à des niveaux de rémunération revalorisés, des formations à dynamiser, des conventions collectives à élaborer. Voilà le grand chantier auquel l'Agence va se consacrer dans les prochaines semaines avec les partenaires sociaux. Je ne doute pas que les jeunes seront nombreux à se lancer dans ces nouveaux emplois susceptibles de répondre à leurs aspirations en termes de convivialité et de solidarité. Ces emplois qui exigent un haut niveau de savoir être sont, par ailleurs, générateurs d'un encadrement important. En effet, la qualité du service, condition essentielle de la réussite de ce projet passe par un taux d'encadrement bien supérieur à celui d'autres secteurs. Il n'est en effet pas rare de dénombrer un cadre pour dix intervenants à domicile ! Les jeunes diplômés trouveront là un débouché important.
Cette révolution culturelle est majeure parce qu'elle s'adresse d'abord et prioritairement aux femmes : les femmes qui représentent aujourd'hui 90 % des emplois du secteur, et les femmes qui sont et resteront les principales prescriptrices de ces services.
Pour toutes les femmes ce projet est une chance. Et je sais combien Catherine Vautrin, Ministre déléguée à la Cohésion Sociale et à la Parité, présente à mes côtés, est déjà attentive et sensible à ce point. Pour celles qui travaillent ou qui cherchent un emploi, pour celles qui sont isolées, pour toutes celles qui portent la responsabilité de faire tourner le ménage, celles qui vivent la double journée de travail, c'est enfin la possibilité de passer plus de temps avec leurs enfants, leurs amis, leurs parents,..., la possibilité de pouvoir accéder simplement, facilement et en toute sécurité à des services de qualité qui vont changer leur vie !
2 - La méthode :
Ce projet c'est d'abord beaucoup de bon sens, une attention particulière à la parole des acteurs, une écoute sans démagogie ni faiblesse, respectueuse de l'expérience et des valeurs de chacun.
Ce projet c'est aussi une bonne leçon de gestion publique. Ensemble, nous avons pu démontrer que l'Etat était capable d'entendre des points de vue contradictoires, d'engager la concertation, d'avancer puis décider. Ce projet démontre que le dialogue est possible et qu'il peut être fructueux.
C'est donc un projet qui redonne confiance à l'efficacité de l'action publique. Quatorze mois nous séparent du jour où pour la première fois nous nous sommes retrouvés ici, dans ce ministère, pour affirmer que ce gisement d'emplois ne pouvait plus rester indéfiniment inexploité, qu'il fallait agir en levant simultanément et massivement tous les freins pesant sur le développement de ce secteur. En quatorze mois et plus de cent cinquante réunions nous avons élaboré un plan, rédigé une loi, qui fut votée puis promulguée, dix décrets et deux circulaires ont été publiés, permettant de disposer dès le 1er janvier de cette année d'un cadre législatif et réglementaire rénové.
Nous avons ainsi prouvé à tous les incrédules que nous étions capables de tenir le calendrier annoncé. Mais ce que nous n'avions pas imaginé c'est que tous les acteurs économiques se mettraient en mouvement, anticipant le respect de la parole donnée. Car ce qui est aujourd'hui remarquable n'est pas tant que l'Etat respecte ses échéances, mais que tous ensemble nous soyons présents au rendez-vous.
Pour conclure, permettez-moi d'insister sur l'effort sans précédent de l'Etat pour développer ce secteur économique. La puissance du « turbo » mis en ?uvre est massive :
- aide au développement de l'offre avec la simplification et la modernisation des procédures d'agrément ;
- soutien considérable au développement de la demande avec la création du chèque emploi service universel ;
- élargissement du taux réduit de TVA à 5,5 % à l'ensemble du secteur économique ;
- exonération des charges patronales pour les prestataires ;
- exonération totale de charges sociales sur la partie abondée par l'entreprise ;
- subvention de l'entreprise entièrement déductible de l'impôt société ;
- crédit d'impôt sur les sociétés de 25 % de la partie subventionnée par l'entreprise
- maintien de la réduction d'impôt de 50% pour les utilisateurs.
Si j'ai obtenu tous ces arbitrages positifs, c'est parce que les enjeux sont fondamentaux :
- améliorer considérablement la vie quotidienne des Français ;
- créer massivement de l'emploi qualifié et non délocalisable.
C'est donc bien un projet qui rassemble. C'est chaque fois pour moi un émerveillement de pouvoir réunir ici des personnalités aussi fortes, aussi différentes, quelquefois même concurrentes et dont la présence conforte la crédibilité de notre projet. Ensemble nous avons réussi à sortir des polémiques qui stérilisaient le secteur entre particuliers employeurs et prestataires, prestataires et mandataires, économie sociale et économie privée ... Nous avons tous compris que le développement attendu serait profitable à tous et qu'au-delà des différences fortes de valeurs qui nous distinguaient, nous étions capables de nous engager ensemble sur des objectifs communs concrets et partagés. Certains quelquefois font mine de se désespérer de la France. Votre engagement sur ce projet témoigne de notre capacité collective à trouver des réponses adaptées aux besoins de chacun.
J'en appelle à la mobilisation de toutes les entreprises et administrations de France, dans le cadre du dialogue social, à la mise en place la plus large de ce nouveau chèque. J'en appelle aussi à tous ceux qui veulent orienter leur activité dans le service des autres à se tourner vers ce secteur prometteur.
Avec ce projet, les besoins des uns sont les emplois des autres. Notre économie y gagnera en emplois et croissance, notre Pays y gagnera en cohésion sociale, et notre République en solidarité.Source http://www.cohesionsociale.gouv.fr, le 16 février 2006