Texte intégral
Q- La gauche s?est-elle retrouvée trop tard ? C?est après que dix partis de gauche, sans la Ligue communiste révolutionnaire, sont convenus à La Mutualité, à Paris, d?une mobilisation unitaire contre la politique du Gouvernement, que le CPE, le contrat "première embauche", a été adopté cette nuit à l?Assemblée nationale, dont l?Hémicycle était presque vide, par 51 voix UMP contre 23 voix PS, Parti communiste, Verts et UDF. Je vous vois réagir vivement quand on évoque ce qui s?est passé cette nuit à l?Assemblée. Symboliquement, quand même, ça tombe mal ?
R- Oui, parce qu?on assiste à une véritable campagne absolument ahurissante ce matin sur les radios et les télés, sur le thème : un, le CPE a été adopté, ce qui est faux. Le CPE sera adopté lorsque...
Q- Mais monsieur Emmanuelli, qu?est-ce qui s?est passé cette nuit à l?Assemblée ?
R- S?il vous plaît, si vous me laissez expliquer quand même ! Je veux bien qu?on diffuse des fausses nouvelles, mais qu?on laisse au moins expliquer...
Q- Vous dites "fausses nouvelles", non, M. Emmanuelli ! Ce n?est pas
"une fausse nouvelle" !
R- ...Dire que le CPE est "adopté", est une fausse nouvelle !
Q- Ah bon ?!
R- Le CPE, sera adopté lorsque l?Assemblée nationale aura fini, en fin de semaine, d?examiner le projet de loi, lorsqu?il sera passé au Sénat, lorsqu?il y aura eu une commission mixte, et que le projet sera promulgué. Vous avez l?air de vous étonner, tous, ce matin, que l?article 3 ait été voté après l?article 2. Je vous signale qu?on s?est arrêtés à l?amendement 444 sur l?article 3, qu?ensuite, il va falloir voter l?article 4. Est-ce qu?on peut faire autrement ? Non. Sauf à faire un coup d?Etat dans la nuit, on ne peut pas faire autrement.
Q- Mais non, monsieur Emmanuelli... Dont acte. Mais juste, si vous permettez qu?on vous pose une question...
R- La majorité a la majorité, et sauf à bouleverser les institutions dans la nuit, on ne peut pas faire autrement. On a tenu huit jours, plus de huit jours, sur trois articles. Qu?est-ce qu?on peut faire de plus ? Tous ceux qui connaissent le fonctionnement de l?Assemblée nationale savent que c?est déjà énorme. Alors, il ne faut pas dire le matin que "la gauche arrive trop tard" ! La gauche est toujours là et vous allez vous en apercevoir dans les jours qui viennent.
Q- N?empêche qu?on peut quand même, si vous permettez qu?on sepose des questions, se demander si vous n?arrivez pas trop tard, car...
R- Mais que vous vous posiez des questions oui, mais que vous envoyez des affirmations, c?est différent.
Q- ...Car quelques heures auparavant, vous êtes à La Mutualité, dix partis de gauche, et vous dites tous ensemble que vous allez vous mobiliser de façon...
R- C?est ce qu?on va faire, certes.
Q- ...de façon unitaire contre la politique du Gouvernement. Et trois heures après, vous êtes combien dans l?Hémicycle, à l?Assemblée ?
R- Mais cela n?a aucun rapport M. Paoli !
Q- Ah bon ?!
R- Lorsque l?on vote à l?Assemblée nationale, on vote par groupe ! Lorsqu?il y a 20 députés d?un côté, cinquante de l?autre, s?il y en a plus, on demande un scrutin public, on perd cinq minutes, et on a le même résultat. Tous les parlementaires savent ça. Moi, j?ai assisté à plusieurs nuits : lorsqu?il y a trois députés par groupe qui mènent le débat, les autres écoutent et regardent. Alors c?est vrai qu?on peut les accumuler pour faire les spectateurs, mais cela ne change rien au débat. Il y a à peu près maintenant trente ans que cela dure, parce qu?il y a la Vème République, on pourrait au moins être au courant de la façon dont se déroulent les débats.
Q- D?accord. On peut, peut-être s?entendre aussi sur le mot "mobilisation" dans ce cas ?
R- La mobilisation, revenons-y. Hier, il y avait dix formations de gauche qui ont élaboré un texte, nous avons mobilisé une première fois dans la rue le 7, ce sont les étudiants qui l?ont fait, et c?est le début de cette mobilisation. Je vous rappelle que pour le CIP, la mobilisation s?est déroulée sur un mois, elle ne s?est pas faite en 24 heures, elle a pris près d?un mois ! Alors, nous sommes au début d?un processus de mobilisation...
Q- Mais vous êtes en train de nous dire que tout va bien à gauche, et qu?au fond, les troupes sont en ordre et que vous montez à la manoeuvre ?
R- Oui, je pense que ce qui s?est passé hier, prouve que la gauche a la capacité, face à l?adversité, d?entamer un processus de discussion.
Q- Il est franchement difficile de vous suivre ce matin H. Emmanuelli ! Symboliquement, franchement...
R- C?est peut-être difficile pour vous, M. Paoli, mais je peux vous dire qu?il y a des tas de gens qui suivent très bien. Les gens qui étaient là hier suivent ; ceux qui vont lire et distribuer les tracts vont suivre ; ceux qui vont faire signer des milliers et des centaines de milliers de pétitions dans le pays vont suivre, et j?espère bien. Cela dit, on est en démocratie, la gauche n?a jamais dit : "je vais réfuter les institutions, je vais renverser une majorité qui existe à l?Assemblée nationale". Et donc, sauf à sortir d?un raisonnement démocratique ou du fonctionnement démocratique, qu?est-ce qu?on peut faire ? On attend les prochaines élections, et c?est pour cela qu?on mobilise. Je pense d?ailleurs que, ce Gouvernement, lorsqu?il y a des élections - et on l?a vu à trois reprises dans l?année et demie qui vient de s?écouler -, n?a plus la majorité politique dans ce pays. Il a une majorité parlementaire mais il n?a plus de majorité politique.
Q- Les enjeux politiques et démocratiques sont certes importants mais les dossiers sont là. Donc, le CPE, dont vous dites qu?il n?est pas voté, sauf qu?une partie du travail a quand même été fait la nuit dernière...
R- On peut jouer avec les mots...
Q- Non, mais qu?est-ce que vous allez faire, que fait la gauche là-dessus ?
R- Moi, à ma manière, et vous à la vôtre. C?est vrai qu?après l?article 2 il y a l?article 3, et c?est vrai qu?avant l?article 4 il y a l?article 3. Alors on peut jouer comme ça.
Q- Non, mais ne jouons pas et répondons aux questions. Que fait la gauche ?
R- Dire comme j?entends ce matin que "le CPE a été adopté", je dis "non", c?est une fausse
nouvelle !
Q- Mais disons des choses plus importantes : quelle est la ligne de la gauche ?
R- J?aimerais plutôt parler du CPE si vous permettez. C?est quoi le CPE ? On a mis le Gouvernement en difficulté sur deux sujets : un, sur l?apprentissage, le fameux apprentissage junior, où nous avons obtenu, après avoir posé la question six à sept fois - et de ce point de vue-là le débat parlementaire est très intéressant -, nous avons mis M. de Robien en difficulté, en lui faisant dire que ce qu?il nous proposait n?était pas sérieux. Nous expliquer que l?apprentissage junior, ce n?était pas la rupture de l?obligation scolaire à 16 ans, parce que, nous dit-il, quand un jeune qui est en difficulté à l?école va aller en apprentissage, et s'il est en difficulté en apprentissage, il pourra revenir à l?école... Personne n?y croit, pas même lui ! De même, quand on lui a fait avouer qu?il rétablissait le travail de nuit pour les enfants de 15 ans. Et pour le CPE lui-même, ce que nous avons fait dire à M. Larcher - et il a fallu sept ou huit questions parlementaires, et laissez-moi vous dire que cela a été pénible -, c?est de lui faire avouer qu?une entreprise, si elle licencie un jeune au bout de 22 mois ou 23 mois de CPE, peut en reprendre un autre. C?est-à-dire, qu?on va créer un système infernal, une sous catégorie de salariés. C?est vrai que cela ne va pas être vrai pour toutes les entreprises, celles qui ont investi dans la formation d?un jeune embauché ne vont pas le faire. Mais pour tous les emplois non qualifiés, on va assister à une espèce de rotation continue : au bout de 22 mois, je te mets dehors, parce que j?ai droit aux exonérations de cotisations sociales, j?en reprends un autre qui a droit aux exonérations de cotisations sociales. Et en revanche, malheur à ceux qui ont plus de 27 ans. Et c?est ça la vraie faille.
Q- Mais où est votre marge de manoeuvre à gauche maintenant, face à cette réalité du CPE ?
R- La marge de manoeuvre de l?opposition dans une démocratie... La marge de l?opposition dans une démocratie, c?est d?abord d?expliquer les choses, c?est ensuite de faire en sorte qu?on n?embrouille pas les esprits, qu?on ne leur mente pas. Et donc, la marge de la démocratie, passe aussi par le système d?information - nous sommes là pour ça, je vous remercie de m?avoir invité. Et c?est un travail pédagogique. Et puis, c?est un travail politique de rassemblement des forces de gauche pour créer une alternative, que je crois tout à fait possible, à cette majorité conservatrice qui est en train de mettre par terre le code du travail, sous les yeux indifférents un peu, ou parfois incompréhensifs, non plus d?une majorité de l?opinion car l?opinion a basculé. On nous dit : "Que faites-vous ?" ; la semaine dernière, le CPE avait la faveur de la majorité et de l?opinion. J?ai le sentiment que cette semaine ce n?est plus le cas.
Q- Mais des propositions alternatives, peuvent-elle, à terme aboutir à un programme commun de gouvernement, ou est-ce qu?au fond, vous vous êtes retrouvés hier, les dix, sur un minimum possible ensemble ?
R- Nous nous sommes retrouvés hier... Hier, c?est un moteur qui démarre, c?est un début de processus. Ce qui était important hier, c?est que d?abord, tout le monde reste sagement jusqu?à la fin, ensuite signe un texte commun, et ensuite décide qu?on aille se revoir à deux titres : le premier, pour être vigilants sur tout ce qui va se passer, mais enfin ça... Mais ce qui compte, ce qui est important, c?est l?occasion des rencontres pour en parler. Et un deuxième processus pour organiser un débat public, c?est-à-dire débattre ensemble d?un certain nombre de choses. Ce n?est pas la fin du processus, c?est le début du processus. Et nous ne sommes pas pressés. En 1997, il a fallu s?accorder en quelques jours parce que c?était la surprise. Mais là, on a un an devant nous pour proposer aux Français - on appelle ça comme on voudra - "un contrat de législature", "un contrat de gouvernement"...
Q- Mais ce n?est pas indifférent, parce qu?on a connu...
R- Bien sûr que non.
Q- On a connu différents temps : on a connu "un programme commun", puis on a connu ensuite "une gauche plurielle"...
R- Mais parce qu?on n?avait pas eu le temps, souvenez-vous.
Q- Sûrement, oui. Mais aujourd?hui, ce vers quoi vous tendez, qu?est-ce que ce serait ?
R- C?est un contrat de législature, c?est de dire aux Français : voilà un certain nombre de grandes orientations... Restons sur le code du travail puisqu?on y était - c?est quand même un sujet qui intéresse la gauche - : il est évident que la gauche au pouvoir n?acceptera pas que la jeunesse de moins de 26 ans soit privée des protections du code du travail. La gauche ne partage pas l?analyse de madame Parisot, présidente du Medef, qui a expliqué que "la liberté s?arrêtait aux portes du code du travail", sûrement pas !
Q- Par exemple, la gauche considère-t-elle que la directive Bolkenstein est, semble-t-il, vidée de la notion du principe de pays d?origine ?
R- Ah non, absolument pas !
Q- Justement, voilà. Est-ce que vous y voyez la disparition du risque de dumping social ou pas ? Et est-ce que cela va être à nouveau un enjeu de débat important ?
R- C?est un enjeu de débat important. Le Parti socialiste va lancer une campagne importante, dans la semaine, sur la directive Bolkenstein. Tout est prêt : les affiches, les tracts, les argumentaires, pour expliquer que contrairement à ce qu?on avait dit aux Français pendant la campagne référendaire, premièrement, la directive Bolkenstein n?était pas remisée dans les tiroirs et que, deuxièmement, contrairement aux affirmations du président de la République, elle n?a pas du tout été remise à plat. Elle revient avec tous ses dangers, et elle a été votée par le Parlement européen.
Q- Mais quand les euro députés hier parviennent à un compromis pour
justement se débarrasser de cette notion du principe de pays
d?origine,
R- Quel compromis ?
Q- Cela s?est passé hier au Parlement européen ! Et on nous dit que, maintenant, la directive ne comporte plus la notion de principe du pays d?origine...
R- Non.
Q- ...Ce sur quoi s?appuyait toute la notion de dumping social.
R- Non. La délégation française au Parlement européen vote contre parce que le "principe du pays d?origine" subsiste, parce qu?on n?a obtenu pratiquement rien, et qu?on va voir maintenant ce que le Gouvernement français fait en Conseil des ministres. Sur la directive Bolkenstein, on ment systématiquement aux gens depuis le début. Je me souviens qu?il a fallu faire une conférence de presse à l?Assemblée, d?abord pour qu?on en parle en France, parce que cela faisait deux ans qu?on en parlait en Belgique et que, chez nous il n?y avait pas un mot. En réalité, la directive Bolkenstein, elle part d?un bon sentiment, mais elle est très dangereuse pour les pays de l?Europe de l?Ouest qui ont un certain niveau de vie, parce qu?elle va permettre un dumping social forcené. A ma connaissance, le principe du pays d?origine n?a pas été écarté par la commission intérieure du marché.
Q- Sauf que je lis dans Les Echos, ce matin, que "l?accord trouvé entre la droite et la gauche au Parlement européen, prévoit de supprimer le concept même de pays d?origine", ce dont se félicite... ?
R- Pour l?appeler autrement ! Ce dont ce félicite qui ?
Q- Les euro députés eux-mêmes, droite-gauche.
R- Monsieur Paoli, moi j?ai vu monsieur B. Hamon hier, il n?a pas le même point de vue que Les Echos.
Q- Mais Les Echos retranscrivent, ce n?est pas Les Echos qui votent au Parlement !
Mais vous me parlez des Echos ; moi, je ne me serais pas permis de les citer autrement.
Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 février 2006
R- Oui, parce qu?on assiste à une véritable campagne absolument ahurissante ce matin sur les radios et les télés, sur le thème : un, le CPE a été adopté, ce qui est faux. Le CPE sera adopté lorsque...
Q- Mais monsieur Emmanuelli, qu?est-ce qui s?est passé cette nuit à l?Assemblée ?
R- S?il vous plaît, si vous me laissez expliquer quand même ! Je veux bien qu?on diffuse des fausses nouvelles, mais qu?on laisse au moins expliquer...
Q- Vous dites "fausses nouvelles", non, M. Emmanuelli ! Ce n?est pas
"une fausse nouvelle" !
R- ...Dire que le CPE est "adopté", est une fausse nouvelle !
Q- Ah bon ?!
R- Le CPE, sera adopté lorsque l?Assemblée nationale aura fini, en fin de semaine, d?examiner le projet de loi, lorsqu?il sera passé au Sénat, lorsqu?il y aura eu une commission mixte, et que le projet sera promulgué. Vous avez l?air de vous étonner, tous, ce matin, que l?article 3 ait été voté après l?article 2. Je vous signale qu?on s?est arrêtés à l?amendement 444 sur l?article 3, qu?ensuite, il va falloir voter l?article 4. Est-ce qu?on peut faire autrement ? Non. Sauf à faire un coup d?Etat dans la nuit, on ne peut pas faire autrement.
Q- Mais non, monsieur Emmanuelli... Dont acte. Mais juste, si vous permettez qu?on vous pose une question...
R- La majorité a la majorité, et sauf à bouleverser les institutions dans la nuit, on ne peut pas faire autrement. On a tenu huit jours, plus de huit jours, sur trois articles. Qu?est-ce qu?on peut faire de plus ? Tous ceux qui connaissent le fonctionnement de l?Assemblée nationale savent que c?est déjà énorme. Alors, il ne faut pas dire le matin que "la gauche arrive trop tard" ! La gauche est toujours là et vous allez vous en apercevoir dans les jours qui viennent.
Q- N?empêche qu?on peut quand même, si vous permettez qu?on sepose des questions, se demander si vous n?arrivez pas trop tard, car...
R- Mais que vous vous posiez des questions oui, mais que vous envoyez des affirmations, c?est différent.
Q- ...Car quelques heures auparavant, vous êtes à La Mutualité, dix partis de gauche, et vous dites tous ensemble que vous allez vous mobiliser de façon...
R- C?est ce qu?on va faire, certes.
Q- ...de façon unitaire contre la politique du Gouvernement. Et trois heures après, vous êtes combien dans l?Hémicycle, à l?Assemblée ?
R- Mais cela n?a aucun rapport M. Paoli !
Q- Ah bon ?!
R- Lorsque l?on vote à l?Assemblée nationale, on vote par groupe ! Lorsqu?il y a 20 députés d?un côté, cinquante de l?autre, s?il y en a plus, on demande un scrutin public, on perd cinq minutes, et on a le même résultat. Tous les parlementaires savent ça. Moi, j?ai assisté à plusieurs nuits : lorsqu?il y a trois députés par groupe qui mènent le débat, les autres écoutent et regardent. Alors c?est vrai qu?on peut les accumuler pour faire les spectateurs, mais cela ne change rien au débat. Il y a à peu près maintenant trente ans que cela dure, parce qu?il y a la Vème République, on pourrait au moins être au courant de la façon dont se déroulent les débats.
Q- D?accord. On peut, peut-être s?entendre aussi sur le mot "mobilisation" dans ce cas ?
R- La mobilisation, revenons-y. Hier, il y avait dix formations de gauche qui ont élaboré un texte, nous avons mobilisé une première fois dans la rue le 7, ce sont les étudiants qui l?ont fait, et c?est le début de cette mobilisation. Je vous rappelle que pour le CIP, la mobilisation s?est déroulée sur un mois, elle ne s?est pas faite en 24 heures, elle a pris près d?un mois ! Alors, nous sommes au début d?un processus de mobilisation...
Q- Mais vous êtes en train de nous dire que tout va bien à gauche, et qu?au fond, les troupes sont en ordre et que vous montez à la manoeuvre ?
R- Oui, je pense que ce qui s?est passé hier, prouve que la gauche a la capacité, face à l?adversité, d?entamer un processus de discussion.
Q- Il est franchement difficile de vous suivre ce matin H. Emmanuelli ! Symboliquement, franchement...
R- C?est peut-être difficile pour vous, M. Paoli, mais je peux vous dire qu?il y a des tas de gens qui suivent très bien. Les gens qui étaient là hier suivent ; ceux qui vont lire et distribuer les tracts vont suivre ; ceux qui vont faire signer des milliers et des centaines de milliers de pétitions dans le pays vont suivre, et j?espère bien. Cela dit, on est en démocratie, la gauche n?a jamais dit : "je vais réfuter les institutions, je vais renverser une majorité qui existe à l?Assemblée nationale". Et donc, sauf à sortir d?un raisonnement démocratique ou du fonctionnement démocratique, qu?est-ce qu?on peut faire ? On attend les prochaines élections, et c?est pour cela qu?on mobilise. Je pense d?ailleurs que, ce Gouvernement, lorsqu?il y a des élections - et on l?a vu à trois reprises dans l?année et demie qui vient de s?écouler -, n?a plus la majorité politique dans ce pays. Il a une majorité parlementaire mais il n?a plus de majorité politique.
Q- Les enjeux politiques et démocratiques sont certes importants mais les dossiers sont là. Donc, le CPE, dont vous dites qu?il n?est pas voté, sauf qu?une partie du travail a quand même été fait la nuit dernière...
R- On peut jouer avec les mots...
Q- Non, mais qu?est-ce que vous allez faire, que fait la gauche là-dessus ?
R- Moi, à ma manière, et vous à la vôtre. C?est vrai qu?après l?article 2 il y a l?article 3, et c?est vrai qu?avant l?article 4 il y a l?article 3. Alors on peut jouer comme ça.
Q- Non, mais ne jouons pas et répondons aux questions. Que fait la gauche ?
R- Dire comme j?entends ce matin que "le CPE a été adopté", je dis "non", c?est une fausse
nouvelle !
Q- Mais disons des choses plus importantes : quelle est la ligne de la gauche ?
R- J?aimerais plutôt parler du CPE si vous permettez. C?est quoi le CPE ? On a mis le Gouvernement en difficulté sur deux sujets : un, sur l?apprentissage, le fameux apprentissage junior, où nous avons obtenu, après avoir posé la question six à sept fois - et de ce point de vue-là le débat parlementaire est très intéressant -, nous avons mis M. de Robien en difficulté, en lui faisant dire que ce qu?il nous proposait n?était pas sérieux. Nous expliquer que l?apprentissage junior, ce n?était pas la rupture de l?obligation scolaire à 16 ans, parce que, nous dit-il, quand un jeune qui est en difficulté à l?école va aller en apprentissage, et s'il est en difficulté en apprentissage, il pourra revenir à l?école... Personne n?y croit, pas même lui ! De même, quand on lui a fait avouer qu?il rétablissait le travail de nuit pour les enfants de 15 ans. Et pour le CPE lui-même, ce que nous avons fait dire à M. Larcher - et il a fallu sept ou huit questions parlementaires, et laissez-moi vous dire que cela a été pénible -, c?est de lui faire avouer qu?une entreprise, si elle licencie un jeune au bout de 22 mois ou 23 mois de CPE, peut en reprendre un autre. C?est-à-dire, qu?on va créer un système infernal, une sous catégorie de salariés. C?est vrai que cela ne va pas être vrai pour toutes les entreprises, celles qui ont investi dans la formation d?un jeune embauché ne vont pas le faire. Mais pour tous les emplois non qualifiés, on va assister à une espèce de rotation continue : au bout de 22 mois, je te mets dehors, parce que j?ai droit aux exonérations de cotisations sociales, j?en reprends un autre qui a droit aux exonérations de cotisations sociales. Et en revanche, malheur à ceux qui ont plus de 27 ans. Et c?est ça la vraie faille.
Q- Mais où est votre marge de manoeuvre à gauche maintenant, face à cette réalité du CPE ?
R- La marge de manoeuvre de l?opposition dans une démocratie... La marge de l?opposition dans une démocratie, c?est d?abord d?expliquer les choses, c?est ensuite de faire en sorte qu?on n?embrouille pas les esprits, qu?on ne leur mente pas. Et donc, la marge de la démocratie, passe aussi par le système d?information - nous sommes là pour ça, je vous remercie de m?avoir invité. Et c?est un travail pédagogique. Et puis, c?est un travail politique de rassemblement des forces de gauche pour créer une alternative, que je crois tout à fait possible, à cette majorité conservatrice qui est en train de mettre par terre le code du travail, sous les yeux indifférents un peu, ou parfois incompréhensifs, non plus d?une majorité de l?opinion car l?opinion a basculé. On nous dit : "Que faites-vous ?" ; la semaine dernière, le CPE avait la faveur de la majorité et de l?opinion. J?ai le sentiment que cette semaine ce n?est plus le cas.
Q- Mais des propositions alternatives, peuvent-elle, à terme aboutir à un programme commun de gouvernement, ou est-ce qu?au fond, vous vous êtes retrouvés hier, les dix, sur un minimum possible ensemble ?
R- Nous nous sommes retrouvés hier... Hier, c?est un moteur qui démarre, c?est un début de processus. Ce qui était important hier, c?est que d?abord, tout le monde reste sagement jusqu?à la fin, ensuite signe un texte commun, et ensuite décide qu?on aille se revoir à deux titres : le premier, pour être vigilants sur tout ce qui va se passer, mais enfin ça... Mais ce qui compte, ce qui est important, c?est l?occasion des rencontres pour en parler. Et un deuxième processus pour organiser un débat public, c?est-à-dire débattre ensemble d?un certain nombre de choses. Ce n?est pas la fin du processus, c?est le début du processus. Et nous ne sommes pas pressés. En 1997, il a fallu s?accorder en quelques jours parce que c?était la surprise. Mais là, on a un an devant nous pour proposer aux Français - on appelle ça comme on voudra - "un contrat de législature", "un contrat de gouvernement"...
Q- Mais ce n?est pas indifférent, parce qu?on a connu...
R- Bien sûr que non.
Q- On a connu différents temps : on a connu "un programme commun", puis on a connu ensuite "une gauche plurielle"...
R- Mais parce qu?on n?avait pas eu le temps, souvenez-vous.
Q- Sûrement, oui. Mais aujourd?hui, ce vers quoi vous tendez, qu?est-ce que ce serait ?
R- C?est un contrat de législature, c?est de dire aux Français : voilà un certain nombre de grandes orientations... Restons sur le code du travail puisqu?on y était - c?est quand même un sujet qui intéresse la gauche - : il est évident que la gauche au pouvoir n?acceptera pas que la jeunesse de moins de 26 ans soit privée des protections du code du travail. La gauche ne partage pas l?analyse de madame Parisot, présidente du Medef, qui a expliqué que "la liberté s?arrêtait aux portes du code du travail", sûrement pas !
Q- Par exemple, la gauche considère-t-elle que la directive Bolkenstein est, semble-t-il, vidée de la notion du principe de pays d?origine ?
R- Ah non, absolument pas !
Q- Justement, voilà. Est-ce que vous y voyez la disparition du risque de dumping social ou pas ? Et est-ce que cela va être à nouveau un enjeu de débat important ?
R- C?est un enjeu de débat important. Le Parti socialiste va lancer une campagne importante, dans la semaine, sur la directive Bolkenstein. Tout est prêt : les affiches, les tracts, les argumentaires, pour expliquer que contrairement à ce qu?on avait dit aux Français pendant la campagne référendaire, premièrement, la directive Bolkenstein n?était pas remisée dans les tiroirs et que, deuxièmement, contrairement aux affirmations du président de la République, elle n?a pas du tout été remise à plat. Elle revient avec tous ses dangers, et elle a été votée par le Parlement européen.
Q- Mais quand les euro députés hier parviennent à un compromis pour
justement se débarrasser de cette notion du principe de pays
d?origine,
R- Quel compromis ?
Q- Cela s?est passé hier au Parlement européen ! Et on nous dit que, maintenant, la directive ne comporte plus la notion de principe du pays d?origine...
R- Non.
Q- ...Ce sur quoi s?appuyait toute la notion de dumping social.
R- Non. La délégation française au Parlement européen vote contre parce que le "principe du pays d?origine" subsiste, parce qu?on n?a obtenu pratiquement rien, et qu?on va voir maintenant ce que le Gouvernement français fait en Conseil des ministres. Sur la directive Bolkenstein, on ment systématiquement aux gens depuis le début. Je me souviens qu?il a fallu faire une conférence de presse à l?Assemblée, d?abord pour qu?on en parle en France, parce que cela faisait deux ans qu?on en parlait en Belgique et que, chez nous il n?y avait pas un mot. En réalité, la directive Bolkenstein, elle part d?un bon sentiment, mais elle est très dangereuse pour les pays de l?Europe de l?Ouest qui ont un certain niveau de vie, parce qu?elle va permettre un dumping social forcené. A ma connaissance, le principe du pays d?origine n?a pas été écarté par la commission intérieure du marché.
Q- Sauf que je lis dans Les Echos, ce matin, que "l?accord trouvé entre la droite et la gauche au Parlement européen, prévoit de supprimer le concept même de pays d?origine", ce dont se félicite... ?
R- Pour l?appeler autrement ! Ce dont ce félicite qui ?
Q- Les euro députés eux-mêmes, droite-gauche.
R- Monsieur Paoli, moi j?ai vu monsieur B. Hamon hier, il n?a pas le même point de vue que Les Echos.
Q- Mais Les Echos retranscrivent, ce n?est pas Les Echos qui votent au Parlement !
Mais vous me parlez des Echos ; moi, je ne me serais pas permis de les citer autrement.
Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 février 2006