Interview de M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche, à Europe 1 le 13 janvier 2006, sur la situation et les perspectives en matière de recherche et d'innovation en France.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- Dans les grandes institutions scientifiques en France, c'est aujourd'hui le désordre et la crise. ? France, où va ta recherche ? France où va ton innovation ? ?. F. Goulard, bonjour... A quoi joue-t-on ? Tout le monde, tous les candidats pour 2007 parlent de l'avenir en termes abstraits, etc. La clé c'est la recherche, qui peut sonner pour la France le réveil ou le sursaut, est-ce qu'il n'y a pas urgence ?
R- C'est fait, et c'est largement fait. C'est fait parce que nous avons placé la recherche comme une des premières priorités du Gouvernement, de l'action des pouvoirs publics, parce qu'en effet la recherche, le niveau de recherche dans un pays reflète le niveau de développement de la société. Et en même temps...
Q- On a du retard.
R- Et en même temps, c'est l'outil majeur de la compétitivité et de l'innovation. On y a mis des moyens. Nous sommes en train de faire adopter une loi qui change beaucoup les choses. On va mieux évaluer la recherche, regarder son efficacité, ses résultats, affecter les moyens et des moyens supplémentaires...
Q- Combien ?
R- ...Là, on a des résultats...
Q- Il y a eu un soulèvement...
R- 6 milliards...
Q- ... Des chercheurs...
R- 6 milliards en 3 ans, il y a 3.000 emplois qui sont crées, on n'a jamais crée autant d'emplois de chercheurs en France. Jamais.
Q- Vous voulez dire que les chercheurs acceptent la réforme Raffarin, Villepin, Goulard ?
R- Les chercheurs à mon avis demandent deux choses : une reconnaissance, c'est important, une reconnaissance du pays, et ça c'est le cas, et deuxièmement, des moyens de travailler, des simplifications administratives, des carrières pour les jeunes chercheurs...
Q- Ca sera le cas ?
R- C'est le cas. Le changement est en marche, le changement est engagé, et c'est vraiment une transformation radicale.
Q- Regardez, pour la recherche privée, la France est dans la moyenne européenne...
R- C'est vrai.
Q- Banal, et il y a un rapport de la Commission européenne qui dit que la France perd du terrain. Pour l'innovation, la Commission estime que les entreprises n'investissent pas assez en recherche développement. Il faudra plus de 50 ans pour que l'Union européenne rattrape les Etats-Unis, et la situation est pire vis-à-vis du Japon.
R- C'est vrai que l'Europe est en retard, à la fois par rapport aux Etats- Unis, le retard est considérable, par rapport au Japon. En Europe, la France fait mieux que la moyenne, elle a une recherche publique plus développée, nous sommes numéro 2 derrière l'Allemagne, à peu près au même niveau que les Anglais, et surtout, actuellement, nous affectons davantage de moyens que les autres. Cela veut dire une chose, c'est que vous savez que l'Europe s'est fixée comme objectif de consacrer 3 % de ses ressources globales à la recherche, à un horizon qui n'est pas très loin, c'est 2010. Eh bien, s'il y a un grand pays européen qui peut atteindre cet objectif, c'est la France parce qu'elle est en train de s'en donner les moyens.
Q- F. Goulard est en train de développer une perspective d'autosatisfaction...
R- Non, non, non parce que c'est un chantier énorme, parce que ce n'est jamais parfait, mais ça c'est une grande nouveauté. Et moi ce que je souhaite, c'est qu'on renoue avec les grandes ambitions qu'on avait dans les années 60, 70, où la recherche c'était une ambition nationale. Il y avait de grands programmes.
Q- L'Etat du général de Gaulle ?
R- Mais oui, mais oui, ça avait aussi des vertus.
Q- Donc ça veut dire que l'Etat a une politique de recherche, il donne les moyens, il inspire...
R- Il incite...
Q- Il nomme, il incite, il nomme, il contrôle et il demande des résultats...
R- Il contrôle partout...
Q- Il contrôle...
R- Il ne fait pas la science. Il a une politique de recherche.
Q- Je disais que les grandes institutions scientifiques étaient aujourd'hui en crise, dans le malaise. Le prestigieux CNRS, Centre national de la recherche scientifique, traverse une nouvelle crise, il est décapité en quelques jours. J'explique : le président du CNRS a démissionné ; vous, vous avez démis directement le directeur général, B. Larrouturou, et toute son équipe s'estime, d'après ce que je lis, "vidée, écartée". Quel reproche vous lui faites ?
R- D'abord le CNRS, c'est le premier organisme de recherche scientifique en France. Depuis plusieurs mois, à la tête du CNRS, le président et le directeur général n'arrivaient pas à s'entendre, et ça, ça ne pouvait pas continuer parce qu'on ne peut pas se permettre d'avoir à la tête un conflit dans un organisme aussi important pour la recherche scientifique française. Le président démissionne, nous nommons une présidente qui est reconnue...
Q- C. Bréchignac...
R- Qui est reconnue comme une scientifique de premier plan, et qui a l'expérience de l'administration de la recherche...
Q- C. Allègre l'avait déjà nommée...
R- Puisqu'elle avait été nommée directrice générale du CNRS.
Q- Et elle avait démissionné sous C. Allègre.
R- Mais oui parce que c'est une femme de caractère, et moi j'aime les hommes et les femmes de caractère.
Q- Une tête et une poigne, une physicienne de réputation...
R- Et c'est une physicienne de premier plan.
Q- Mais pourquoi vous avez...
R- Le directeur général, naturellement s'en va. Pourquoi ? Parce qu'il faut de l'unité à la tête du CNRS. Et nous allons changer le statut du CNRS pour éviter ces conflits. On ne peut pas admettre un conflit à la tête d'un organisme comme celui-là.
Q- C'est-à-dire que c'est vous, l'Etat qui allez changer le statut ?
R- Oui, bien sûr, c'est la responsabilité de l'Etat.
Q- Mais il y avait une réforme dans l'air, est-ce qu'elle disparaît ?
R- La réforme interne ce n'est pas le sujet.
Q- Il pourra y avoir une réforme ?
R- Mais bien sûr, elle est en cours, et une réforme interne c'est de la responsabilité du dirigeant du CNRS.
Q- Tous les proches du directeur qui s'en va, Larrouturou, une quinzaine de personnes ont écrit au président de la République pour dénoncer un putsch, un limogeage.
R- Oui, mais le terme est évidemment excessif. L'Etat nomme les dirigeants des organismes publics, c'est quand même sa responsabilité.
Q- Le CNRS a la réputation d'avoir à l'intérieur des clans, des castes, des idéologues, vous le confirmez ?
R- Le CNRS...
Q- Vous le confirmez ?
R- C'est compliqué, c'est normal mais le CNRS c'est la recherche, la recherche ce n'est jamais simple, c'est toutes les disciplines le CNRS.
Q- Non mais vous ne me répondez pas.
R- Comment vous dire ? Il y a des clans, non, mais il y a bien sûr toujours des divergences...
Q- Des réseaux...
R- C'est assez normal, c'est assez humain. Ce qu'il faut, c'est que les équipes de recherche soient au travail, que les moyens soient affectés, et que l'ensemble fonctionne harmonieusement. C'est ce que nous sommes en train de faire.
Q- Qu'est-ce que vous attendez des chercheurs, du CNRS comme d'ailleurs, qu'est-ce que vous voulez qu'ils produisent ?
R- Qu'ils soient bons, qu'ils soient au meilleur niveau mondial.
Q- Qu'ils soient meilleurs.
R- Mais bien sûr. Nous avons dans la recherche française - il ne faut pas noircir le tableau - des domaines d'excellence - en mathématiques, en physique, en chimie... parmi les meilleurs chercheurs du monde. Il faut faire en sorte que ces équipes qui sont remarquables aient davantage de moyens, aient davantage de résultats.
Q- Les nominations ne sont pas politisées ?
R- Madame Brétignac, comme vous l'avez dit, avait été nommée par C. Allègre, et monsieur Larrouturou, l'actuel directeur général, avait été nommé par le Gouvernement Raffarin. La politique est totalement étrangère à tout cela. Ce qu'il faut, c'est que la recherche fonctionne.
Q- Autre exemple, mardi vous allez... je crois que c'est la première fois qu'un ministre va le faire - depuis le général de Gaulle, il y a peu de présidents de la République, peu de Premiers ministres qui ont rendu visite à l'Ecole Normale Supérieure. L'Express révèle que l'Inspection Générale des Finances est en train d'enquêter dans tous les coins de l'école, ce qui ne s'était jamais vu, est-ce que c'est vrai d'abord ?
R- C'est tout à fait exact. Il y avait une situation financière dégradée, des erreurs budgétaires qui avaient été commises. On remet les choses à plat. Il y a une nouvelle directrice, Madame Canto-Sperber, qui a pris les choses en main et qui nous a demandé qu'on fasse le point pour radoter l'Ecole, notamment il y a des travaux à faire. Voilà, c'est tout, c'est une affaire assez...
Q- Donc, il y a des déficits, des erreurs de gestion ?
R- Oui, il manque de l'argent, et nous allons en mettre naturellement...
Q- Mais au Conseil d'administration siégeaient avant de célèbres intellectuels, et même des représentants de l'Etat. Ils n'avaient rien vu eux ?
R- Vous savez, dans tous les organismes publics, il peut y avoir des erreurs de gestion...
Q- D'accord, ils n'avaient rien vu !
R- Mais attendez, l'Ecole Normale Supérieure, c'est l'intelligence, ce sont des chercheurs de très haut niveau, ce sont des intellectuels de premier plan. On peut comprendre que l'intendance quelques fois ne suive pas.
Q- Oui mais à ce point ! Et quelles conséquences pour ceux qui ont si bien géré ?
R- Ça on verra, l'inspection est en cours, mais ce qui compte c'est que l'Ecole Normale Supérieure ait les moyens de son rayonnement, parce que c'est vraiment une des institutions de recherche et d'enseignement qui rayonne dans le monde.
Q- A quelle hauteur vous allez les aider, l'Etat les aidera ?
R- Mais oui, bien sûr.
Q- Comment pouvez-vous ou peut-on obtenir les cerveaux en France, F. Goulard, comment ? D'abord les cerveaux français...
R- La fuite des cerveaux, ce ne sont pas des milliers de personnes, ce sont en effet des centaines de jeunes qui partent, et ce ne sont pas les moins bons qui partent. Nous sommes en train de donner des perspectives aux jeunes chercheurs. Les perspectives c'est quoi ? C'est bien sûr une carrière, ce sont des traitements, mais c'est peut-être et avant tout des moyens de recherche. Parce qu'un chercheur, ce qui compte avant tout pour lui, ce sont les moyens de sa recherche, et ça c'est en cours et ça commence à porter ses fruits. Nous avons des retours de scientifiques qui étaient partis aux Etats Unis, et qui reviennent en France.
Q- Est-ce que je peux profiter de votre passage à Europe 1 pour vous dire que tout Europe 1 a décidé de faire de 2006, l'année d'une grande cause et d'une immense aventure : le cerveau. Cela veut dire que les journalistes, les animateurs, tous - M. Cymes, P.-L. Basse, J. Pradel, M. Carrère d'Encausse, F. Taddei, D. Souchier, M. Field - nous allons tous nous y mettre en 2006 sur le fonctionnement du cerveau, la mémoire, l'image, la prévention, etc. Certaines grandes maladies, et avec un comité scientifique que va présider J.-P. Changeux, P. Achet (phon.), M. Imbert, D. le Bihan, G. Sailland, P. Vernier, B. Résambert, les meilleurs. Et, à partir de là, nous allons en parler toute l'année, d'une manière mesurée mais nous allons en parler. Est-ce que c'est une idée bonne ou mauvaise ?
R- Vous avez tout à fait raison. Ce qu'on appelle les neurosciences, ce qui concerne le cerveau, c'est un point fort de la recherche en France. Et ce qui est souhaitable, c'est que nous rassemblions les forces de recherche, et ce qui est souhaitable également, c'est qu'elles soient soutenues, cela va être fait. Les maladies du cerveau, cela concerne des millions de personnes, ces maladies dégénératives affectent des millions de personnes, et le vieillissement va faire que le nombre de patients va augmenter.
Q- Monsieur Goulard, regardez, les Etats-Unis et le Japon ont lancé la décennie du cerveau. La décennie !
R- J.-P. Elkabbach, comme nous nous sommes mobilisés contre le cancer, nous allons nous mobiliser contre les maladies du cerveau pour faire
des progrès...
Q- Tiens, c'est une belle nouvelle...
R- Parce qu'il y a beaucoup de choses qu'on ne sait pas. Il faut développer des technologies comme l'imagerie médicale, et nous sommes plutôt en avance dans ce domaine-là. Donc nous allons, de la même manière que nous avons lutté - et je crois, efficacement - contre le cancer, nous
allons nous mobiliser, mobiliser notre système de soins, notre système de recherche pour cette grande cause et pour ces grandes recherches, je le répète, où nous sommes plutôt en avance par rapport au reste du monde.
Q- C'est bien. Europe 1 donnera le ton. Vous êtes assez proche de D. de Villepin, parce que vous êtes aussi un homme politique. Après ce que vous avez entendu sur les propositions concernant le pouvoir présidentiel, l'image du président et les responsabilités du président de la République de la part de N. Sarkozy, est-ce encore la Vème République rajeunie ou déjà une VIème République ? Et qu'est-ce que vous en pensez ?
R- Vous avez raison, c'est un débat qui est aussi ancien que la Vème République. On a toujours dit que nous avions un régime qui était à mi chemin entre un régime présidentiel et un régime parlementaire. Personnellement, moi je suis un tenant du régime parlementaire, et je remarque qu'en Europe, tous nos voisins, tous les pays européens ont des régimes parlementaires. Cela veut dire quoi ? ça veut dire que la légitimité vient du vote du Parlement, et ça il faut le préserver en France.
Q- Oui mais le suffrage universel est né...
R- 62, bien sûr.
Q- Qu'est-ce que vous avez pensé quand vous avez entendu N. Sarkozy ?
R- Personnellement, moi je ne crois pas que ce soit la bonne direction, je ne crois pas qu'il faille aujourd'hui nous diriger vers un régime présidentiel.
Q- Pourquoi ?
R- Le régime présidentiel, c'est l'apanage du continent américain, il y a des risques de conflit, il y a des risques de concentration du pouvoir. Moi je crois au Parlement, je crois au rôle du Parlement.
Q- Oui mais si vous croyez au Parlement, ce n'est pas ce qui fonctionne aujourd'hui...
R- Ça marche bien le Parlement.
Q- Le Parlement se plaint souvent d'être une chambre d'enregistrement...
R- Ce n'est pas vrai.
Q- Vous savez bien que le vrai pouvoir vient d'ailleurs. Alors est-ce que vous craignez un renforcement des pouvoirs du président de la République, une présidentialisation, G. Carcassonne, le grand constitutionnaliste, en parlait tout à l'heure à 8 heurs moins le quart... Est-ce que ça vous inquiète ou est-ce qu'au contraire, ça vous rassure pour l'avenir ?
R- Je ne crois pas qu'il soit nécessaire aujourd'hui d'augmenter les pouvoirs du président de la République. Je crois au contraire que l'on doit préserver le caractère parlementaire dans nos institutions. Elles ont été voulues ainsi, y compris par le général de Gaulle. Elles ont fait la preuve de leur fonctionnement. En France, on a eu trop l'habitude dans notre histoire de changer de Constitution tous les 10 ou 20 ans. Je pense que nous avons un régime qui a montré ses vertus, il faut continuer, il ne faut pas rompre l'équilibre des pouvoirs en France.
Q- Pourquoi avez-vous parlé des Etats-Unis ? Vous voulez dire que Sarkozy, c'est l'Américain ?
R- Le régime présidentiel, l'exemple c'est le régime américain, mais c'est un pays très différent, un pays fédéral où on n'a pas la même culture du conflit qu'en France.
Q- On voit bien ce qui va tomber sur la tête de N. Sarkozy. Il a demandé - et c'est ma dernière question - qu'en janvier 2007, tout membre du Gouvernement devenant candidat démissionne. Lui, il promet de le faire. Si D. de Villepin est candidat à l'Elysée, devra-til quitter Matignon ou est-ce qu'il quittera Matignon et ses fonctions de Premier ministre ?
R- C'est une règle qui n'est pas posée, qui n'est écrite nulle part, et à mon avis chacun devra se décider en conscience le moment venu.
Q- Mais ce n'est pas une règle éthique...
R- Bien sûr non, bien sûr non. Il y a de nombreux exemples contraires.
Q- Donc si D. de Villepin est candidat en janvier, il restera Premier ministre ?
R- Attendons ce moment-là.
Q- Oui, et puis on lui posera la question. Mais pourquoi, il doute ou il n'a pas envie d'y aller ?
R- Vous savez très bien que ce genre de question, il vaut mieux la poser à l'intéressé. Alors si vous me demandez mon avis...
Q- Oui.(Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 janvier 2006)