Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à RTL le 24 février 2006, sur le meurtre d'un jeune homme juif et sur la montée de la violence et du racisme.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Jean-Michel Aphatie : Bonjour, François Bayrou.
François Bayrou : Bonjour.
Jean-Michel Aphatie : Vous serez, dimanche, à la manifestation consacrée à la mémoire d'Ilan, à Paris, François Bayrou. Quel sens voulez-vous donner à votre participation à cette manifestation ?
François Bayrou : Une partie de la communauté nationale est bouleversée par quelque chose qui est horrible, et qui s'est passé. Est inquiète. Et, chaque fois qu'une partie de la communauté nationale est ainsi atteinte, il est normal que l'on manifeste à la fois de la solidarité et puis, un sentiment que l'on comprend et partage ces sentiments.
Jean-Michel Aphatie : Certains disent que les responsables politiques vont trop vite, que le caractère antisémite du crime n'est pas encore établi et, qu'encore une fois, la machine s'emballe.
François Bayrou : Oh, oui ! Certains disent ! Souvent, très souvent, en face de l'antisémitisme, ou en face de gestes qui inquiètent des Français de religion juive, d'autres religions ont dit que cela n'est pas prouvé, que cela n'est pas établi, et l'enquête dira. Mais ce qui est bien prouvé et bien établi - il suffisait d'être à la synagogue, hier soir - c'est de voir l'émotion de ces Français, des citoyens Français, comme tous les autres citoyens Français, et qui se sentent, aujourd'hui, si profondément blessés et si profondément bouleversés dans leur identité et dans leur vie.
Bien sûr, l'enquête n'est pas allée au bout, mais les éléments déjà établis - en tout cas, c'est ce qu'a dit le ministre de l'Intérieur : je me borne à entendre les responsables de l'enquête - montrent que le fait que ce garçon était juif a introduit, dans l'idée de ses horribles et diaboliques ravisseurs, l'idée qu'il y avait là, sans doute, plus de facilité pour le rapt et pour la rançon.
Jean-Michel Aphatie : Certains disent, pour aller au bout et pour parler sans tabou, ce matin, François Bayrou, que si cela avait été un jeune musulman, un jeune catholique, peut-être une telle émotion n'aurait-elle pas vu le jour dans la société française ?
François Bayrou : Je sais qui vous êtes, Jean-Michel Aphatie, c'est pourquoi je ne reprendrai pas la question en lui donnant tout son sens. Mais vous voyez tout ce que cette question veut dire. Et pour moi, que ce soit un musulman, que ce soit un catholique, que ce soit un jeune juif, que ce soit quelqu'un appartenant à tout autre communauté nationale : un Français et une communauté intégrée du peuple Français méritent la même attention et la même émotion, le même bouleversement, et la même solidarité, exactement la même.
Cette idée selon laquelle, parce que cela touche à l'identité juive, alors, il faudrait faire plus attention, ou avoir plus de pincettes que dans d'autres identités : cette idée n'est pas la même. Quand une jeune femme musulmane a été, il y a quelques semaines, si horriblement agressée - vous savez bien - cela méritait la même émotion. Et cela mérite la même mobilisation : les Français sont des Français. Ce qui est absolument terrible, dans la société française, aujourd'hui, c'est que les fractures et les haines progressent tous les jours, à cause de la couleur de la peau : noir-blanc. A cause de la religion, à cause des classes sociales. Enfin, c'est un peuple qui se dissout, ou qui est menacé de dissolution. Et, chaque fois qu'il y a menace de dissolution, il faut rapprocher ceux qui s'éloignent.
Jean-Michel Aphatie : Y a-t-il un problème de sécurité, aujourd'hui, en France, François Bayrou ? Le meurtre d'Ilan, les émeutes en banlieues, les agressions aux personnes qui progressent. Y a-t-il un échec du gouvernement sur ce terrain ?
François Bayrou : Je ne dirai même pas échec du gouvernement. En tout cas, c'est vrai que les communiqués de victoire d'il y a quelques semaines ne sont plus de saison. Bien sûr, il y a une présence de l'insécurité et, bien sûr, il y a une montée de la violence dans toute la société française.
Jean-Michel Aphatie : Contre laquelle il n'y a rien à faire ?
François Bayrou : Contre laquelle il y a tout à faire ! Mais pour cela, il faudra, je crois, un jour changer les structures, les bases : changer les orientations du gouvernement.
Jean-Michel Aphatie : Raphaël Klein était gendarme. Il était affecté sur l'île de Saint-Martin, dans les Antilles. Il avait 31 ans. Le 12 février dernier, à la suite d'un accident, il a agonisé au bord de la route devant une quarantaine de personnes qui criaient- je cite ce que les témoins ont entendu : "Crève, sale blanc !". Et ces personnes-là se sont félicitées quand elles ont appris sa mort. C'est un comportement raciste et, en France, on n'en parle pratiquement pas. Pourquoi, François Bayrou ?
François Bayrou : C'est une horreur absolue ce que vous racontez, que je n'ai jamais entendu raconter sur une antenne.
Jean-Michel Aphatie : Il y a eu des dépêches et on a entendu - avant-hier, je crois - l'épouse de ce gendarme témoigner.
François Bayrou : Et bien, c'est une horreur absolue et qui mérite exactement la même sollicitude et la même attention.
Jean-Michel Aphatie : On est obligé de constater, François Bayrou, que cette compassion vis-à-vis de ce gendarme n'existe pas.
François Bayrou : Et bien, c'est faux. Pour vous, peut-être, mais pour moi, ce n'est pas le cas. Ce que vous racontez là mérite la même émotion, sauf que, d'après ce que vous dites, c'est un accident qui a duré un moment.
Jean-Michel Aphatie : Il a agonisé au bord de la route.
François Bayrou : C'est impossible. Vous me le dites ! Vous êtes au micro. Vous êtes journaliste, vous avez vérifié votre information, je pense. Moi, je n'arrive pas à croire que, où que ce soit sur le territoire français - même si c'est loin, à Saint-Martin.
Jean-Michel Aphatie : Dans les Antilles.
François Bayrou : Je n'arrive pas à croire, et je ne veux pas croire, que des gens aient vu agoniser quelqu'un - quelle que soit la couleur de sa peau - en souhaitant sa mort. Ce que vous dites là mérite que vous le disiez à l'antenne, que vous y alliez. Cela fait des jours que cette information, sans doute, vous l'avez.
Jean-Michel Aphatie : On n'a pas entendu un responsable politique du côté de l'autorité de l'État.
François Bayrou : Et bien, vous m'entendez !
Jean-Michel Aphatie : D'accord.
François Bayrou : Que le racisme soit contre la peau noire, ou qu'il soit contre la peau blanche, ou qu'il soit contre la religion : c'est le même mal avec lequel on vit. Et ce mal, Monsieur Aphatie, est un symptôme. C'est le symptôme de ce que cela ne va pas dans la société française. C'est que, petit à petit, tous les groupes s'éloignent les uns des autres, et s'en veulent les uns des autres, et parfois se haïssent les uns, les autres. Et ceci devrait donner à tous les responsables, quels qu'il soient, le sentiment de la gravité de la situation, et de leurs responsabilités.
Jean-Michel Aphatie : D'un mot, François Bayrou, vous souhaitiez parler de la grippe aviaire, à la suite de la découverte du virus dans un élevage de dindes.
François Bayrou : Oui. On passe de nouvelles graves en nouvelles graves.
Jean-Michel Aphatie : Ce n'est pas gai, ce matin !
François Bayrou : C'est la radio ! Si l'information se confirme selon laquelle, en effet, un élevage a été atteint, et dans des conditions extrêmement brutales, il me semble - et, en tout cas, les scientifiques disent - que cela peut laisser supposer que le virus est en train de muter d'oiseau à oiseau. Pas d'oiseau à homme. Cela veut dire qu'il faut que le gouvernement dise aux Français ce qu'il faut faire, en cas d'épidémie.
Jean-Michel Aphatie : Il est temps qu'il parle.
François Bayrou : Il faut que la communication du gouvernement avertisse le pays, des gestes à accomplir et des décisions à prendre, en cas d'épidémie : il faut que maintenant il se fasse entendre. Il me semble que l'opinion publique en a besoin.
source http://www.udf.org, le 24 février 2006