Texte intégral
Q- Face à la logique de la droite, la gauche aujourd'hui peut-elle revenir à la hauteur, en dehors d'une nouvelle union, un rassemblement le plus large possible, sur un contrat de gouvernement ? La question, en même temps que la proposition d'ailleurs, est exprimée par M.-G. Buffet, la secrétaire nationale du Parti communiste. Plutôt qu'une liste de candidats et candidates, quelle alternative de gauche et jusqu'où ? Vous rencontrez M.-G. Buffet aujourd'hui. Elle considère que la gauche n'est pas à la hauteur de ce que fait la droite aujourd'hui et qu'au fond, le rassemblement à gauche n'est pas suffisamment large pour proposer une alternative solide. Qu'en dites-vous ?
R- Je pense d'abord qu'il y a un besoin de changement par rapport à la situation d'aujourd'hui et que la gauche est attendue non pas simplement pour bénéficier d'un rejet, s'il vient, en 2007, mais pour porter un projet. Et il faut construire ce projet. Nous y travaillons, socialistes, depuis plusieurs mois et nous avons fait des propositions lors de notre dernier congrès. On va les populariser tout au long de l'année 2006. Est-ce qu'autour d'un projet, on peut rassembler la gauche ? Je vais le proposer à M.-G. Buffet, comme je l'ai fait avec les Verts, les Radicaux et tous ceux qui voudront gouverner.
Q- Un "contrat de gouvernement", est-ce une formule qui vous paraît recevable ou pas ?
R- Oui, parce qu'il faut dire avant les élections ce que l'on veut faire et je veux le mot "contrat de gouvernement". "Contrat", parce que c'est un contrat entre des partenaires, qui se lient avec des droits et des devoirs ; et "de gouvernement", parce qu'il faut bien gouverner. On nous dit qu'il faut "rassembler la gauche". Mais "rassembler la gauche" : avec celles et ceux qui veulent gouverner, qui veulent transformer, qui veulent prendre leur part de responsabilité. C'est ce que je vais proposer et il n'y a pas de temps à perdre.
Q- Pour qu'on comprenne, est-ce qu'on n'est pas en train, à droite comme à gauche d'ailleurs, de redécouvrir la lune ? N. Sarkozy disait, hier, qu'au fond, le prochain président de la République, il faudra le juger sur les actes. A quoi peut-on juger quelqu'un d'autre que sur ses actes ? Et vous dites maintenant qu'il faut que la gauche aussi ait un contrat et qu'on la juge là-dessus. Mais c'est ça, la politique, non ?
R- N. Sarkozy, on peut le juger déjà sur ses actes, comme D. de Villepin, comme J. Chirac depuis bien longtemps. Ils sont au gouvernement, en tout cas pour N. Sarkozy et D. de Villepin, depuis 2002. Quand ils parlent de "rupture", c'est de rupture par rapport à qui, par rapport à quoi, puisqu'ils sont déjà engagés par ce qu'ils font depuis 2002 ? Ils ne sont pas dans le brouillard, ils ne sont pas perdus, ils sont devant les Français en train d'agir. Après on peut juger : si l'on pense qu'ils ont bien travaillé, eh bien, en 2007 les Français les reconduiront. Si l'on pense qu'ils ont mal travaillé, alors c'est là que la gauche doit proposer.
Q- Mais pourquoi perdre autant de temps à le faire, franchement ?
R- Mais je l'ai fait avec le Parti socialiste ! Nous avons fait un congrès, il y a eu une synthèse, tous les socialistes sont rassemblés, nous avons des propositions, nous allons maintenant les diffuser largement. Je ne me plains pas que des électeurs, des jeunes notamment, veulent maintenant s'inscrire sur les listes électorales, parce que chacun a bien compris que 2007 va être la confrontation principale...
Q- Mais vous avez vu aussi - c'est un cas intéressant ! - que ce sont les stars qui proposent aux jeunes d'aller voter. Est-ce que ce n'était pas votre rôle à vous, au fond, aux partis politiques de s'engager là-dessus ?
R- Heureusement que les partis politiques, depuis longtemps, demandent aux citoyens non seulement de s'inscrire mais même de voter ! Mais je ne me plains pas du tout, au contraire, je dis bravo à tous ceux qui ont lancé cette idée ! Et qu'à Clichy-sous-Bois, après ce qui s'est passé, qu'il y ait des "stars", comme vous dites, mais aussi des citoyens, le maire notamment, qui appellent à s'inscrire sur les listes électorales, c'est de dire à ces jeunes qui ont eu une réaction, comme l'on sait, d'incompréhension à l'égard de ce qui s'est passé et qui ont subi les violences, parce que ce sont aussi ceux-là qui les ont subies, eh bien qu'ils viennent prendre leur part de la responsabilité en votant. Alors, vous me parlez de la gauche ? Eh bien, la gauche n'a pas de temps à perdre. Et je vais m'adresser à Marie-Georges, aux communistes, comme aux Verts, comme aux autres, en leur disant que maintenant, il ne faut pas se rassembler pour se rassembler, mais qu'il faut se rassembler pour offrir des perspectives, pour offrir des propositions. Que fait-on sur l'éducation ? Quand une enseignante se fait agresser, on va envoyer des policiers ?! Mais on va envoyer des policiers dans combien d'établissements ? J'entendais le ministre de l'éducation dire que l'on va mettre des portiques à l'entrée ?! Ce sont des solutions qu'on ne peut pas accepter de pérenniser ou d'imaginer. Que s'est-il passé dans les établissements scolaires ? On a supprimé les emplois jeunes, on a réduit le nombre des infirmières, des psychologues et des médecins scolaires. On a fait en sorte que ce soient souvent les enseignants les plus jeunes, qui soient confrontés aux classes les plus difficiles. Alors qu'est-ce qu'il faut faire, qu'est-ce que la gauche doit proposer ? Elle doit proposer de remettre de l'accompagnement, de l'encadrement, de faire que les zones d'éducation prioritaire que le ministre de l'intérieur - dont on se demande pourquoi il s'en préoccupe ! - veut supprimer. Nous, nous voulons que ces zones d'éducation prioritaire permettent d'avoir quinze élèves par classe, pour qu'on suive les élèves les plus en difficulté...Ces questions-là ne sont évidemment pas mineures, elles sont même extrêmement importantes...
Q- Elles sont majeures !
R- Bien entendu. Mais il y a aussi une autre grande question, au fond, sur laquelle la gauche tarde à répondre : face à une réalité incontournable, l'économie mondialisée, l'économie de marché, comment faites-vous aujourd'hui ? Qu'est-ce que cela veut dire être de gauche, confrontés à une question de cette importance ? Et que proposez-vous, au fond ?
Q- D'abord, le monde n'est pas né d'aujourd'hui, il a toujours été ouvert. Vous croyez que c'était facile en 1981, au temps de l'union de la gauche, que le monde était simple, que l'Europe était organisée pour permettre au socialisme de se diffuser ? Mais quelle est cette plaisanterie ? Cela toujours été difficile, cela toujours été un combat !
R- Il y a eu l'union de la gauche qui proposait un programme
commun...
Q- Mais bien sûr ! Et en 1997, vous croyez que c'était simple pour le gouvernement de L. Jospin de créer deux millions d'emplois ? Nous l'avons fait. De relancer la croissance ? Nous l'avons fait, dans le monde tel qu'il est. Donc cessons de laisser penser que la politique ne pourrait pas agir. Elle ne peut pas tout décider, tout faire, tout restructurer, et je m'interdis d'ailleurs de le laisser penser. Mais en même temps elle peut le faire autour d'une volonté collective. Un contrat, un "programme commun" - on disait cela autrefois... Eh bien, je ne parle pas de "programme commun", je parle de "contrat commun de gouvernement". Et je dis que le temps presse maintenant. On ne va pas faire simplement des forums, des débats... Bien sûr qu'il faut le faire, bien sûr qu'il faut dialoguer avec les citoyens, bien sûr qu'il faut rencontrer les Français, bien sûr qu'il faut comprendre, bien sûr qu'il faut reconnaître ce qu'ils vivent. Mais en même temps, à un moment, il faut s'engager et j'appelle toute la gauche, aujourd'hui, à se structurer, à s'organiser et à présenter un contrat d'alternative devant les Français.
Q- "Toute la gauche", qu'est-ce que cela veut dire ? Quel spectre est-ce ? Cela va-t-il jusqu'à l'extrême gauche ? Appelez-vous, par exemple, O. Besancenot à venir avec vous et à réfléchir aux enjeux ?
R- La gauche, ce n'est pas simplement celle qui proclame, ce n'est pas celle qui conteste... Je suis toujours heureux de voir que la gauche est capable de se rassembler pour empêcher, pour contester, pour résister. Mais la gauche doit aussi se rassembler pour faire, pour agir, pour transformer. Donc j'appelle là les forces de gauche qui veulent participer à un gouvernement avec nous, avec les socialistes. Parce que s'il n'y a pas les socialistes c'est quoi la gauche ? Vous me parlez de Besancenot, Laguiller... J'ai beaucoup de respect pour eux, ce sont des amis de l'extrême gauche, mais s'ils ne veulent pas gouverner avec le Parti socialiste, c'est un problème ! Le Parti socialiste, on peut l'aimer ou pas l'aimer, mais c'est en tout cas la force principale.
Q- Mais vous ne les excluez pas ?
R- Je dis qu'il faut un contrat de gouvernement autour et avec le Parti socialiste, pour participer à un gouvernement dans le pays, pour permettre l'élection d'un président de la République de gauche en 2007. Je vais quand même revenir là-dessus. La première élection que nous avons à rencontrer, c'est l'élection présidentielle. Je constate qu'il y a déjà l'annonce au sein de la gauche de cinq, six, sept, huit candidats : trois trotskistes, un communiste, un Vert, un radical etc.
Q- N'oubliez pas la candidate...
R- Là, je ne parle que des partenaires de la gauche. On a donc dit que ce serait quand même mieux d'avoir peut-être un candidat commun de la gauche, si c'est possible. Si ce n'est pas possible, alors nous aurons notre propre candidat. Mais quand même ! J'entendais N. Sarkozy, à votre micro, dire que l'élection de 2007 ne sera pas un débat droite gauche. Ah bon ?! On veut nous refaire le coup du 21 avril 2002, on veut nous refaire la bataille entre la droite et l'extrême droite ? Alors, je m'adresse aux auditeurs...
Q- Après tout, cela ne tient qu'à vous aussi, au contenu des propositions que vous feriez...
R- Si ça ne tient qu'à nous, ça tient aussi aux électeurs. A nous de les convaincre. Cela tient à nous, socialistes, de faire des propositions. Nous en faisons et j'espère qu'on continuera de m'interroger là-dessus. Cela tient à la gauche de se rassembler et cela tient aussi aux Français, à un moment, de faire le choix utile... Parce que je pense qu'il faut qu'il y ait une confrontation droite-gauche, au meilleur sens du terme, avec deux projets de société, en 2007...
Q- Je sais bien que c'est réducteur et parfois même caricatural, mais si vous aviez à mettre d'abord en avant un credo, votre credo politique, pour répondre à la critique que faisait, hier, N. Sarkozy, disant du Parti socialiste que c'est désormais "un parti conservateur où il ne se passe plus rien" ?
R- Il y a des fois où il faut quand même garder ce que l'on a. Je le dis quand même par rapport à N. Sarkozy qui voudrait lui rompre, c'est-à-dire rompre avec une part de notre schéma républicain, notre modèle social. Alors oui, quand il s'agit de conserver un certain nombre de nos règles, de nos droits du travail, de nos protections sociales, je pense qu'il faut garder. Et en même temps, il faut changer ; il faut donner du [inaud.] à la gauche, c'est le mouvement... Et il y a un grand domaine qui unit tous les Français - parce qu'aujourd'hui je pense qu'il faut unir les Français -, c'est celui de l'avenir des enfants, l'éducation. Eh bien, au-delà de l'emploi qui doit absolument être prioritaire, de la croissance qu'il faut relancer, le grand projet qui doit permettre à chacun de s'émanciper, à chaque enfant de devenir un citoyen et à la France d'être un pays d'excellence, c'est le projet éducatif. Parce que quand on met, finalement, la priorité là-dessus, alors on peut penser que le progrès et les générations futures seront considérées comme les décisions fondamentales d'un pouvoir et d'une politique de changement.
Q- Mais quand on voit des profils, comme celui d'A. Merkel au récent sommet européen, celui aussi de T. Blair, - peut-être d'ailleurs que la presse anglaise ferait bien de réfléchir un petit peu plus, car il a peut-être beaucoup plus apporté à la Grande-Bretagne qu'on ne l'imagine, avec l'accord qu'il vient de signer -, qui en France peut émerger et proposer ? Après tout, T. Blair est un homme de gauche, madame Merkel on sait aussi d'où elle vient... Donc qui en France pourrait aujourd'hui se hisser à ce niveau-là, pour proposer une vision politique à long terme qui soit une vision alternative ?
R- Les personnes existent. D'abord, il faut créer les conditions d'un changement et donc d'une victoire électorale. Nous verrons autour de qui. Mais je vous fait remarquer qu'A. Merkel, il y a encore quelques semaines, était contestée dans son propre camp, était considérée comme celle qui n'avait pas fait gagner sa formation politique, donc on s'interrogeait sur sa capacité... On a vu qu'elle l'avait. Quant à T. Blair, il est décrié en Grande-Bretagne. Donc laissons de côté les personnes, elles s'imposent une fois qu'elles ont porté un projet. Donc pour moi, l'essentiel n'est pas de choisir notre candidat, permettez-moi de le dire, ce n'est pas une nouvelle fois d'aller chercher une personnalité, parce que nous aurions le besoin d'incarner un projet. Cela viendra en son temps, à la fin de l'année 2006. Pour le moment, il s'agit de construire, avec les formations politique qui le voudront, un projet alternatif. C'est l'objectif qui est le nôtre au sein du Parti socialiste aujourd'hui : convaincre les Français qu'un changement profond est possible en 2007.
Q- Que reste-t-il de ce qu'a été le référendum, s'agissant du débat politique au sein de la gauche - pas simplement du Parti socialiste, bien au sein de la gauche ? Aujourd'hui, est-ce que par exemple un projet plus large, une espèce de projet de gouvernement qui s'ouvrirait plus largement à la gauche, pourrait dépasser le clivage qui s'était opéré ?
R- Nous l'avons dépassé, le "oui" et le "non". Nous avons fait un congrès du Parti socialiste, où nous nous sommes rassemblés. Nous avons dit que la question, non pas européenne, mais la question du référendum européen est derrière nous. La question européenne reste devant nous. On l'a bien vu à travers les décisions qui ont été prises à Bruxelles et qui sont l'addition d'intérêts nationaux plutôt qu'une vision européenne. Mais les socialistes ont été capables de dépasser ce qui nous avait séparés, il en est de même pour la gauche.
Q- Suffit-il de dire qu'il y a une synthèse pour qu'en effet, cela soit dépassé ?
R- Mais le référendum européen il est derrière nous et on ne va pas refaire le coup du référendum, ce n'est pas le sujet. Les Français qui sont dans rue, ils demandent pas si...
Q- Il est dépassé pour vous, c'est fini ?
Q- La question du traité est derrière nous... Alors il y aura peut-être un nouveau traité dans les années qui viennent... Et on a tous considéré qu'aujourd'hui, ce qu'il fallait c'était offrir aux Français une perspective en matière d'emploi, de croissance, de logement. ça va être ça, la confrontation de 2007. Vous me dites toujours qu'il faudrait aller au-delà du Parti socialiste. Oui, avec les forces qui veulent gouverner avec nous, mais je ne vais pas aller passer mon temps à aller chercher l'extrême gauche qui ne veut pas gouverner. A partir de là, il faut agir, il faut proposer et il faut convaincre. Et j'espère que nous le ferons en 2007. L'heure n'est plus de savoir avec qui. L'heure n'est pas encore de savoir derrière qui. L'heure est de proposer ce que les Français attendent, c'est-à-dire un changement audacieux et crédible.
Q- Juste une dernière question quand même sur le "derrière qui". Quand on entend un homme comme D. Vaillant, proche à ce point d'un homme comme L. Jospin, dire qu'après tout, L. Jospin pourrait être une carte maîtresse...
R- Des cartes, nous en avons heureusement beaucoup. Nous en avons même tout un jeu pour ça ! Mais on n'est pas en train, précisément, de se livrer à une partie de cartes. Je pense qu'il y en a assez de ces interrogations. Je ne parle pas de D. Vaillant, qui a eu raison d'évoquer la personnalité de L. Jospin... Mais ce ne sont pas les questions que se posent les Français. Franchement, savoir si c'est L. Jospin, si c'est un autre ou une autre en l'occurrence, ce n'est pas le moment ! En ce moment, de quoi parlent les Français ? Ils parlent de cette agression qui s'est produite dans un lycée professionnel. De quoi parlent-ils ? De leurs problèmes de chômage quand ils en ont, ou d'emploi qui est menacé. De quoi parlent-ils, lorsqu'ils ne trouvent pas de logement ? Ce sont les questions auxquelles il faut répondre. Et c'est à force de ne pas répondre à ces questions-là qu'on finit par les désintéresser de la politique. Et je reviens aux inscriptions sur les listes électorales : vous pensez que les jeunes - et j'espère qu'ils seront nombreux - qui vont s'inscrire sur les listes électorales, c'est simplement pour savoir si c'est avec telle ou telle personnalité ? Ce qu'ils veulent, c'est être reconnus. Eh bien, je pense que c'est le mot essentiel aujourd'hui : c'est la reconnaissance, la reconnaissance de ce qui est vécu par les Français, de ce qui est attendu d'une vie politique. C'est ce devoir de reconnaissance que les socialistes doivent engager.(Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 décembre 2005)
R- Je pense d'abord qu'il y a un besoin de changement par rapport à la situation d'aujourd'hui et que la gauche est attendue non pas simplement pour bénéficier d'un rejet, s'il vient, en 2007, mais pour porter un projet. Et il faut construire ce projet. Nous y travaillons, socialistes, depuis plusieurs mois et nous avons fait des propositions lors de notre dernier congrès. On va les populariser tout au long de l'année 2006. Est-ce qu'autour d'un projet, on peut rassembler la gauche ? Je vais le proposer à M.-G. Buffet, comme je l'ai fait avec les Verts, les Radicaux et tous ceux qui voudront gouverner.
Q- Un "contrat de gouvernement", est-ce une formule qui vous paraît recevable ou pas ?
R- Oui, parce qu'il faut dire avant les élections ce que l'on veut faire et je veux le mot "contrat de gouvernement". "Contrat", parce que c'est un contrat entre des partenaires, qui se lient avec des droits et des devoirs ; et "de gouvernement", parce qu'il faut bien gouverner. On nous dit qu'il faut "rassembler la gauche". Mais "rassembler la gauche" : avec celles et ceux qui veulent gouverner, qui veulent transformer, qui veulent prendre leur part de responsabilité. C'est ce que je vais proposer et il n'y a pas de temps à perdre.
Q- Pour qu'on comprenne, est-ce qu'on n'est pas en train, à droite comme à gauche d'ailleurs, de redécouvrir la lune ? N. Sarkozy disait, hier, qu'au fond, le prochain président de la République, il faudra le juger sur les actes. A quoi peut-on juger quelqu'un d'autre que sur ses actes ? Et vous dites maintenant qu'il faut que la gauche aussi ait un contrat et qu'on la juge là-dessus. Mais c'est ça, la politique, non ?
R- N. Sarkozy, on peut le juger déjà sur ses actes, comme D. de Villepin, comme J. Chirac depuis bien longtemps. Ils sont au gouvernement, en tout cas pour N. Sarkozy et D. de Villepin, depuis 2002. Quand ils parlent de "rupture", c'est de rupture par rapport à qui, par rapport à quoi, puisqu'ils sont déjà engagés par ce qu'ils font depuis 2002 ? Ils ne sont pas dans le brouillard, ils ne sont pas perdus, ils sont devant les Français en train d'agir. Après on peut juger : si l'on pense qu'ils ont bien travaillé, eh bien, en 2007 les Français les reconduiront. Si l'on pense qu'ils ont mal travaillé, alors c'est là que la gauche doit proposer.
Q- Mais pourquoi perdre autant de temps à le faire, franchement ?
R- Mais je l'ai fait avec le Parti socialiste ! Nous avons fait un congrès, il y a eu une synthèse, tous les socialistes sont rassemblés, nous avons des propositions, nous allons maintenant les diffuser largement. Je ne me plains pas que des électeurs, des jeunes notamment, veulent maintenant s'inscrire sur les listes électorales, parce que chacun a bien compris que 2007 va être la confrontation principale...
Q- Mais vous avez vu aussi - c'est un cas intéressant ! - que ce sont les stars qui proposent aux jeunes d'aller voter. Est-ce que ce n'était pas votre rôle à vous, au fond, aux partis politiques de s'engager là-dessus ?
R- Heureusement que les partis politiques, depuis longtemps, demandent aux citoyens non seulement de s'inscrire mais même de voter ! Mais je ne me plains pas du tout, au contraire, je dis bravo à tous ceux qui ont lancé cette idée ! Et qu'à Clichy-sous-Bois, après ce qui s'est passé, qu'il y ait des "stars", comme vous dites, mais aussi des citoyens, le maire notamment, qui appellent à s'inscrire sur les listes électorales, c'est de dire à ces jeunes qui ont eu une réaction, comme l'on sait, d'incompréhension à l'égard de ce qui s'est passé et qui ont subi les violences, parce que ce sont aussi ceux-là qui les ont subies, eh bien qu'ils viennent prendre leur part de la responsabilité en votant. Alors, vous me parlez de la gauche ? Eh bien, la gauche n'a pas de temps à perdre. Et je vais m'adresser à Marie-Georges, aux communistes, comme aux Verts, comme aux autres, en leur disant que maintenant, il ne faut pas se rassembler pour se rassembler, mais qu'il faut se rassembler pour offrir des perspectives, pour offrir des propositions. Que fait-on sur l'éducation ? Quand une enseignante se fait agresser, on va envoyer des policiers ?! Mais on va envoyer des policiers dans combien d'établissements ? J'entendais le ministre de l'éducation dire que l'on va mettre des portiques à l'entrée ?! Ce sont des solutions qu'on ne peut pas accepter de pérenniser ou d'imaginer. Que s'est-il passé dans les établissements scolaires ? On a supprimé les emplois jeunes, on a réduit le nombre des infirmières, des psychologues et des médecins scolaires. On a fait en sorte que ce soient souvent les enseignants les plus jeunes, qui soient confrontés aux classes les plus difficiles. Alors qu'est-ce qu'il faut faire, qu'est-ce que la gauche doit proposer ? Elle doit proposer de remettre de l'accompagnement, de l'encadrement, de faire que les zones d'éducation prioritaire que le ministre de l'intérieur - dont on se demande pourquoi il s'en préoccupe ! - veut supprimer. Nous, nous voulons que ces zones d'éducation prioritaire permettent d'avoir quinze élèves par classe, pour qu'on suive les élèves les plus en difficulté...Ces questions-là ne sont évidemment pas mineures, elles sont même extrêmement importantes...
Q- Elles sont majeures !
R- Bien entendu. Mais il y a aussi une autre grande question, au fond, sur laquelle la gauche tarde à répondre : face à une réalité incontournable, l'économie mondialisée, l'économie de marché, comment faites-vous aujourd'hui ? Qu'est-ce que cela veut dire être de gauche, confrontés à une question de cette importance ? Et que proposez-vous, au fond ?
Q- D'abord, le monde n'est pas né d'aujourd'hui, il a toujours été ouvert. Vous croyez que c'était facile en 1981, au temps de l'union de la gauche, que le monde était simple, que l'Europe était organisée pour permettre au socialisme de se diffuser ? Mais quelle est cette plaisanterie ? Cela toujours été difficile, cela toujours été un combat !
R- Il y a eu l'union de la gauche qui proposait un programme
commun...
Q- Mais bien sûr ! Et en 1997, vous croyez que c'était simple pour le gouvernement de L. Jospin de créer deux millions d'emplois ? Nous l'avons fait. De relancer la croissance ? Nous l'avons fait, dans le monde tel qu'il est. Donc cessons de laisser penser que la politique ne pourrait pas agir. Elle ne peut pas tout décider, tout faire, tout restructurer, et je m'interdis d'ailleurs de le laisser penser. Mais en même temps elle peut le faire autour d'une volonté collective. Un contrat, un "programme commun" - on disait cela autrefois... Eh bien, je ne parle pas de "programme commun", je parle de "contrat commun de gouvernement". Et je dis que le temps presse maintenant. On ne va pas faire simplement des forums, des débats... Bien sûr qu'il faut le faire, bien sûr qu'il faut dialoguer avec les citoyens, bien sûr qu'il faut rencontrer les Français, bien sûr qu'il faut comprendre, bien sûr qu'il faut reconnaître ce qu'ils vivent. Mais en même temps, à un moment, il faut s'engager et j'appelle toute la gauche, aujourd'hui, à se structurer, à s'organiser et à présenter un contrat d'alternative devant les Français.
Q- "Toute la gauche", qu'est-ce que cela veut dire ? Quel spectre est-ce ? Cela va-t-il jusqu'à l'extrême gauche ? Appelez-vous, par exemple, O. Besancenot à venir avec vous et à réfléchir aux enjeux ?
R- La gauche, ce n'est pas simplement celle qui proclame, ce n'est pas celle qui conteste... Je suis toujours heureux de voir que la gauche est capable de se rassembler pour empêcher, pour contester, pour résister. Mais la gauche doit aussi se rassembler pour faire, pour agir, pour transformer. Donc j'appelle là les forces de gauche qui veulent participer à un gouvernement avec nous, avec les socialistes. Parce que s'il n'y a pas les socialistes c'est quoi la gauche ? Vous me parlez de Besancenot, Laguiller... J'ai beaucoup de respect pour eux, ce sont des amis de l'extrême gauche, mais s'ils ne veulent pas gouverner avec le Parti socialiste, c'est un problème ! Le Parti socialiste, on peut l'aimer ou pas l'aimer, mais c'est en tout cas la force principale.
Q- Mais vous ne les excluez pas ?
R- Je dis qu'il faut un contrat de gouvernement autour et avec le Parti socialiste, pour participer à un gouvernement dans le pays, pour permettre l'élection d'un président de la République de gauche en 2007. Je vais quand même revenir là-dessus. La première élection que nous avons à rencontrer, c'est l'élection présidentielle. Je constate qu'il y a déjà l'annonce au sein de la gauche de cinq, six, sept, huit candidats : trois trotskistes, un communiste, un Vert, un radical etc.
Q- N'oubliez pas la candidate...
R- Là, je ne parle que des partenaires de la gauche. On a donc dit que ce serait quand même mieux d'avoir peut-être un candidat commun de la gauche, si c'est possible. Si ce n'est pas possible, alors nous aurons notre propre candidat. Mais quand même ! J'entendais N. Sarkozy, à votre micro, dire que l'élection de 2007 ne sera pas un débat droite gauche. Ah bon ?! On veut nous refaire le coup du 21 avril 2002, on veut nous refaire la bataille entre la droite et l'extrême droite ? Alors, je m'adresse aux auditeurs...
Q- Après tout, cela ne tient qu'à vous aussi, au contenu des propositions que vous feriez...
R- Si ça ne tient qu'à nous, ça tient aussi aux électeurs. A nous de les convaincre. Cela tient à nous, socialistes, de faire des propositions. Nous en faisons et j'espère qu'on continuera de m'interroger là-dessus. Cela tient à la gauche de se rassembler et cela tient aussi aux Français, à un moment, de faire le choix utile... Parce que je pense qu'il faut qu'il y ait une confrontation droite-gauche, au meilleur sens du terme, avec deux projets de société, en 2007...
Q- Je sais bien que c'est réducteur et parfois même caricatural, mais si vous aviez à mettre d'abord en avant un credo, votre credo politique, pour répondre à la critique que faisait, hier, N. Sarkozy, disant du Parti socialiste que c'est désormais "un parti conservateur où il ne se passe plus rien" ?
R- Il y a des fois où il faut quand même garder ce que l'on a. Je le dis quand même par rapport à N. Sarkozy qui voudrait lui rompre, c'est-à-dire rompre avec une part de notre schéma républicain, notre modèle social. Alors oui, quand il s'agit de conserver un certain nombre de nos règles, de nos droits du travail, de nos protections sociales, je pense qu'il faut garder. Et en même temps, il faut changer ; il faut donner du [inaud.] à la gauche, c'est le mouvement... Et il y a un grand domaine qui unit tous les Français - parce qu'aujourd'hui je pense qu'il faut unir les Français -, c'est celui de l'avenir des enfants, l'éducation. Eh bien, au-delà de l'emploi qui doit absolument être prioritaire, de la croissance qu'il faut relancer, le grand projet qui doit permettre à chacun de s'émanciper, à chaque enfant de devenir un citoyen et à la France d'être un pays d'excellence, c'est le projet éducatif. Parce que quand on met, finalement, la priorité là-dessus, alors on peut penser que le progrès et les générations futures seront considérées comme les décisions fondamentales d'un pouvoir et d'une politique de changement.
Q- Mais quand on voit des profils, comme celui d'A. Merkel au récent sommet européen, celui aussi de T. Blair, - peut-être d'ailleurs que la presse anglaise ferait bien de réfléchir un petit peu plus, car il a peut-être beaucoup plus apporté à la Grande-Bretagne qu'on ne l'imagine, avec l'accord qu'il vient de signer -, qui en France peut émerger et proposer ? Après tout, T. Blair est un homme de gauche, madame Merkel on sait aussi d'où elle vient... Donc qui en France pourrait aujourd'hui se hisser à ce niveau-là, pour proposer une vision politique à long terme qui soit une vision alternative ?
R- Les personnes existent. D'abord, il faut créer les conditions d'un changement et donc d'une victoire électorale. Nous verrons autour de qui. Mais je vous fait remarquer qu'A. Merkel, il y a encore quelques semaines, était contestée dans son propre camp, était considérée comme celle qui n'avait pas fait gagner sa formation politique, donc on s'interrogeait sur sa capacité... On a vu qu'elle l'avait. Quant à T. Blair, il est décrié en Grande-Bretagne. Donc laissons de côté les personnes, elles s'imposent une fois qu'elles ont porté un projet. Donc pour moi, l'essentiel n'est pas de choisir notre candidat, permettez-moi de le dire, ce n'est pas une nouvelle fois d'aller chercher une personnalité, parce que nous aurions le besoin d'incarner un projet. Cela viendra en son temps, à la fin de l'année 2006. Pour le moment, il s'agit de construire, avec les formations politique qui le voudront, un projet alternatif. C'est l'objectif qui est le nôtre au sein du Parti socialiste aujourd'hui : convaincre les Français qu'un changement profond est possible en 2007.
Q- Que reste-t-il de ce qu'a été le référendum, s'agissant du débat politique au sein de la gauche - pas simplement du Parti socialiste, bien au sein de la gauche ? Aujourd'hui, est-ce que par exemple un projet plus large, une espèce de projet de gouvernement qui s'ouvrirait plus largement à la gauche, pourrait dépasser le clivage qui s'était opéré ?
R- Nous l'avons dépassé, le "oui" et le "non". Nous avons fait un congrès du Parti socialiste, où nous nous sommes rassemblés. Nous avons dit que la question, non pas européenne, mais la question du référendum européen est derrière nous. La question européenne reste devant nous. On l'a bien vu à travers les décisions qui ont été prises à Bruxelles et qui sont l'addition d'intérêts nationaux plutôt qu'une vision européenne. Mais les socialistes ont été capables de dépasser ce qui nous avait séparés, il en est de même pour la gauche.
Q- Suffit-il de dire qu'il y a une synthèse pour qu'en effet, cela soit dépassé ?
R- Mais le référendum européen il est derrière nous et on ne va pas refaire le coup du référendum, ce n'est pas le sujet. Les Français qui sont dans rue, ils demandent pas si...
Q- Il est dépassé pour vous, c'est fini ?
Q- La question du traité est derrière nous... Alors il y aura peut-être un nouveau traité dans les années qui viennent... Et on a tous considéré qu'aujourd'hui, ce qu'il fallait c'était offrir aux Français une perspective en matière d'emploi, de croissance, de logement. ça va être ça, la confrontation de 2007. Vous me dites toujours qu'il faudrait aller au-delà du Parti socialiste. Oui, avec les forces qui veulent gouverner avec nous, mais je ne vais pas aller passer mon temps à aller chercher l'extrême gauche qui ne veut pas gouverner. A partir de là, il faut agir, il faut proposer et il faut convaincre. Et j'espère que nous le ferons en 2007. L'heure n'est plus de savoir avec qui. L'heure n'est pas encore de savoir derrière qui. L'heure est de proposer ce que les Français attendent, c'est-à-dire un changement audacieux et crédible.
Q- Juste une dernière question quand même sur le "derrière qui". Quand on entend un homme comme D. Vaillant, proche à ce point d'un homme comme L. Jospin, dire qu'après tout, L. Jospin pourrait être une carte maîtresse...
R- Des cartes, nous en avons heureusement beaucoup. Nous en avons même tout un jeu pour ça ! Mais on n'est pas en train, précisément, de se livrer à une partie de cartes. Je pense qu'il y en a assez de ces interrogations. Je ne parle pas de D. Vaillant, qui a eu raison d'évoquer la personnalité de L. Jospin... Mais ce ne sont pas les questions que se posent les Français. Franchement, savoir si c'est L. Jospin, si c'est un autre ou une autre en l'occurrence, ce n'est pas le moment ! En ce moment, de quoi parlent les Français ? Ils parlent de cette agression qui s'est produite dans un lycée professionnel. De quoi parlent-ils ? De leurs problèmes de chômage quand ils en ont, ou d'emploi qui est menacé. De quoi parlent-ils, lorsqu'ils ne trouvent pas de logement ? Ce sont les questions auxquelles il faut répondre. Et c'est à force de ne pas répondre à ces questions-là qu'on finit par les désintéresser de la politique. Et je reviens aux inscriptions sur les listes électorales : vous pensez que les jeunes - et j'espère qu'ils seront nombreux - qui vont s'inscrire sur les listes électorales, c'est simplement pour savoir si c'est avec telle ou telle personnalité ? Ce qu'ils veulent, c'est être reconnus. Eh bien, je pense que c'est le mot essentiel aujourd'hui : c'est la reconnaissance, la reconnaissance de ce qui est vécu par les Français, de ce qui est attendu d'une vie politique. C'est ce devoir de reconnaissance que les socialistes doivent engager.(Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 décembre 2005)