Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, à France 2 le 7 février 2006, sur la journée de mobilisation contre le contrat première embauche, le contrat nouvelles embauches et la multiplicité des contrats de travail.

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Média : France 2

Texte intégral

Q- Aujourd'hui c'est la journée de mobilisation contre le contrat "première embauche", qui est pour les jeunes et qui permet de licencier plus facilement pendant deux ans. D. de Villepin a l'air très mobilisé, très déterminé sur ce sujet ; vous pensez qu'une journée de mobilisation comme celle-là peut le faire reculer ?
R- Une journée peut-être pas, mais ce n'est pas exclu qu'il y ait d'autres mobilisations derrière. Je vous rappelle que le communiqué commun des syndicats de salariés et d'étudiants parlent d'une première action le 7 février. En tous les cas, le contrat "première embauche", y compris les sondages - comme quoi, il faut être prudent avec les sondages : le Premier ministre se vantait d'avoir des sondages favorables, eh bien non ! -, depuis deux ou trois jours, la majorité des Français condamne ce contrat "première embauche" qui est, qu'on le veuille ou non, un contrat précaire.
Q- Mais on ne gouverne pas avec les sondages, vous le dites aussi...
R- Non, on ne gouverne pas avec les sondages, mais je veux simplement faire remarquer au Premier ministre, que dimanche il disait, "regardez les sondages sont pour moi", eh bien non, aujourd'hui, c'est le contraire ! Comme quoi, cela peut bouger ce genre de choses. Le Premier ministre décide tout seul et il pense avoir raison tout seul. A partir de là, par définition, sur un contrat qui est un contrat précaire, en utilisant des chiffres qui sont faux par ailleurs, qui sont multiples sujets à contestation, le Gouvernement prend une décision qui est inacceptable. Ce sont non seulement les jeunes qui sont concernés, parce que c'est pour les moins de 26 ans, mais derrière cela, il y a aussi la volonté de remettre en cause le contrat de travail à durée indéterminée, qui est, je dirais, un des fondements du code du travail. Donc c'est un ensemble. C'est un Premier ministre ultra libéral, malgré ses discours parfois lyriques sur la République ; là, dans la pratique, il est ultra libéral.
Q- Vous dites que ce contrat première embauche augmenterait la précarité, mais est-ce que la précarité ce n'est pas, comme le dit le Gouvernement, les stages à répétition pour les jeunes, les emplois mal payés ? La précarité, elle existe déjà. Est-ce que le CPE n'est pas, finalement, mieux que tous ces stages à répétition ?
R- Non, les stages existent, le CPE ne va pas supprimer les stages, c'est évident.
Q- Ce peut être une solution alternative, c'est ce que dit le Gouvernement.
R- Mais attendez : la création d'emploi ne vient pas des contrats de travail,la création d'emploi vient de la dynamique économique. Alors il faut soutenir la dynamique économique, ce que ne fait pas le Gouvernement aujourd'hui. Après, il crée un contrat, mais pendant une période de deux ans, cela veut dire que le salarié, jeune ou pas jeune d'ailleurs ? si c'est un CNE, ce n'est pas un jeune obligatoirement -, le salarié est soumis à la pression de son employeur et peut-être licencié quasiment du jour au lendemain. Mais surtout, il peut être licencié sans que l'employeur n'ait à justifier le motif de la rupture. C'est ça la grande nouveauté du CNE et du CPE et c'est ce qui est contestable, c'est ça la pierre angulaire du projet gouvernemental. A partir de là, c'est un contrat précaire. Le Premier ministre dit c'est un contrat à durée indéterminée, alors pourquoi a-t-il a eu besoin, lui ou le Gouvernement, d'appeler les banquiers pour essayer de les convaincre que c'est un contrat à durée indéterminée ? Si c'était un contrat à durée indéterminée, il n'y avait pas besoin d'appeler les banquiers, cela coulait de source. Donc lui-même était obligé de faire pression auprès des banquiers et des assureurs, etc. pour dire, "mais attention c'est bien un CDI !". Non, ce n'est pas un CDI ! C'est bien, pendant une période deux ans, un contrat précaire.
Q- Cela dit, il y a un vrai problème d'emploi chez les jeunes, notamment chez les jeunes français, puisque c'est un des taux les plus élevés d'Europe, est-ce que cela n'implique pas des solutions originales comme le CPE ?
R- Non, d'abord, les statistiques on peut les discuter longuement. Si l'on
regarde les statistiques, la part des jeunes au chômage par rapport à la
classe d'âge, par rapport à l'ensemble des jeunes concernés.
Q- Le Gouvernement dit 20 %...
R- Non, c'est par rapport à la population active. Un taux de chômage, c'est un numérateur, c'est une division avec un dénominateur. Si l'on prend, y compris les statistiques européennes, par exemple, la France a un taux de chômage des jeunes - c'est trop, j'en suis d'accord - de 8,1 %, les Allemands ont un taux de chômage des jeunes, avec le même calcul, de 5,5 %. Ce sont des chiffres qu'on ne sort pas. On nous sort des 22, 23 %, parce qu'on retire tous les jeunes qui ne sont pas au travail, qui sont étudiants etc., donc cela modifie les choses.
Q- Cela reste quand très élevé.
R- Cela reste important mais pas dans les proportions qu'on nous dit.
Q- Donc, est-ce qu'il ne faut pas des solutions nouvelles comme le CPE ?
R- Non, parce le CPE, sa vocation, ce n'est pas de créer des emplois. Il y a même une étude qui vient de sortir, très prudente, qui dit qu'il n'y aura pas beaucoup d'emplois de créés d'ici 2008. Donc ce n'est pas la vocation, c'est de faire un contrat précaire. Regardez bien : quand le Gouvernement a créé le CNE, contrat "nouvelles embauches", au mois de juin, toute la justification c'était de dire que c'était pour les petites entreprises, là où les employeurs ne savent pas si leur activité va perdurer ou pas. Eh bien ça, maintenant, c'est fini, cet argument est tombé à l'eau, puisque là, même les multinationales pourront embaucher des jeunes en contrat "première embauche". Cela veut dire que pendant une période de deux ans, sans justifier le motif, le patron peut dire, "je vous envoie une lettre, je n'ai plus besoin de vous". Si ce n'est pas cela la précarité, alors qu'on nous explique ce que c'est !
Q- Mais est-ce que ce n'est pas vrai, quand même, que d'une certaine manière, il faut plus de souplesse dans le droit du travail ?
R- Je crois qu'il y a pas mal de souplesse dans le droit du travail aujourd'hui. Un contrat à durée indéterminée, cela n'empêche pas d'être licencié, d'ailleurs on voit tous les jours qu'il y a des licenciements. Des contrats à durée déterminée, qui apportent certaines garanties, même si ce n'est pas la panacée, ce n'est pas ce qu'on revendique, cela existe. Il y a combien de types de contrat de travail divers et variés dans notre pays aujourd'hui ? Il y a combien de flexibilités offertes par la durée du travail avec, notamment, la mise en place des 35 heures, tous les systèmes d'annualisation ? Nous dire qu'on n'a pas de flexibilité aujourd'hui dans notre pays, qu'il n'y a pas déjà de la précarité, il y en a déjà beaucoup trop ! Donc amener un nouvel outil, avec ce contrat qui est, par définition, un contrat précaire, ce n'est pas acceptable ! On voit bien : le Gouvernement le décide et tous les syndicats sont contre, il n'y en avait qu'un qui était favorable et maintenant il est contre. Et si j'ai bien lu dans un grand journal, y compris à l'intérieur du Gouvernement, au départ, la plupart des ministres étaient contre. Alors le Premier ministre peut avoir raison contre tous, seul, ou avec l'aide du patronat, mais ce n'est pas comme ça qu'on fait avancer la démocratie.
Q- Le Premier ministre, justement, veut que cela aille vite, il envisage d'utiliser le 49-3 pour éviter que le débat s'enlise au Parlement, cela vous choque-t-il ?
R- Oui, cela me choque. Contrat "nouvelles embauches" : ordonnances sans consultation de personne ; contrat "première embauche", il ne consulte personne, il annonce, et puis si les d??bats traînent un peu trop, un coup de 49-3 ! A la fin, c'est la démocratie qui en prend un coup. Quand on est sûr de ses projets, on accepte le débat, on accepte d'en discuter avec les syndicats, on accepte d'en discuter au Parlement. Quand on est comme ça, raide, en disant, "puisque c'est comme ça, je tape sur les doigts, vous ne serez pas au courant, et là je tape sur les doigts je mets du 49-3". Si c'est ça la démocratie, je commence à être inquiet !
Q- Cela dit, la méthode de Villepin a l'air de plutôt marcher, puisque les chiffres du chômage sont en baisse.
R- Excusez-moi, mais cela n'a rien à voir avec la politique économique menée par le Gouvernement. J'explique que monsieur Raffarin a eu raison six ou huit mois trop tôt, quand il disait "le chômage va baisser". En fait, le chômage baisse, mais pas [grâce] à la politique du Gouvernement, ce sont des décisions qui ont été prises ou avant, avec le plan qu'on appelle "le plan Borloo de cohésion sociale", qui commence à avoir des effets, avec le traitement social du chômage sur l'emploi. [Il y a] L'effet démographique - ça c'est la vie - : ce sont toutes les générations nées après guerre, à partir de 1945, qui commencent à partir en retraite, cela a un effet sur le chômage. Et puis, [il y a] des radiations qui se maintiennent. C'est ça l'explication du chômage et il va continuer à baisser. Mais en face, il n'y a pas de création d'emploi. Je vous rappelle que l'année dernière il y a eu, au total, 60.000 créations nettes d'emploi dans notre pays. Ce n'est rien quand d'autres pays, y compris européens, ont créé plusieurs centaines de milliers d'emplois. 60.000 emplois nets créés en France, ce n'est rien, cela veut dire qu'il n'y a pas de dynamique économique.
Q- Alors vous parliez de la multiplicité des contrats de travail, il y a justement une idée qui se développe : supprimer à la fois le CDD et le CDI, pour faire un seul contrat, un contrat à durée indéterminée, mais qui serait plus souple. Est-ce que, là-dessus, vous êtes prêt à discuter ?
R- Ce n'est pas tellement ce qu'on a compris. Ce qu'on a compris, c'est qu'on fait d'abord le contrat "nouvelles embauches" - on nous avait dit d'ailleurs (là encore, on ne respecte pas les engagements), "on ne touche à rien tant qu'on n'a pas fait d'évaluation" -, maintenant, on nous fait un contrat "première embauche" et puis l'idée derrière la tête, c'est quoi ? C'est de faire ce type de contrat pour tout le monde. Cela veut dire tous les salariés en période d'essai pendant deux ans, avant d'espérer pouvoir avoir un CDI. Donc c'est ça la logique, ce n'est pas de réfléchir à consolider le contrat à durée indéterminée, c'est de faire de nouveaux contrats de travail précaire. On a des pouvoirs publics "englués", je dirais, dans une logique économique faite de limitation des déficits ou autres - c'est depuis quelques années que cela dure, ce n'est pas ce gouvernement simplement -, donc rigides sur le plan économique et ils vont chercher toutes les marges de manoeuvre sur le plan social en pressurant les salariés. C'est ça la logique qui est à l'oeuvre aujourd'hui. Alors à partir de là, c'est ça qui n'est pas acceptable !
Q- Donc vous refusez de discuter sur la réforme du code du travail ?
R- On est en train de recodifier le code du travail ; on nous avait dit "à droit constant", cela fait un an que cela dure et il y a déjà eu pas mal d'accroches sur le code du travail. On avait dit, "à droit constant, on est prêt à discuter sur la recodification du code du travail". Certaines choses peuvent être simplifiées, et sur ça, on a dit qu'on était d'accord. Mais là, ce n'est même pas discuter ! Si c'est, comme à chaque fois, "je décide et puis cela passe ou cela casse", eh bien non, ce n'est pas de la discussion, ce n'est pas de la concertation. On a des belles phrases sur le dialogue social sauf qu'on ne les met pas en application du côté gouvernemental.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 février 2006