Texte intégral
Le Progrès. Pourquoi êtes-vous si opposé au CPE ?
François Chérèque. Avec le CPE, qui fait suite au CNE (contrat nouvelle embauche), nous assistons à une attaque en règle du contrat de travail. Il donne aux employeurs le pouvoir de licencier quand ils le veulent, sans aucun motif. Ce pouvoir est pour l'instant limité aux deux premières années d'embauche, mais il risque d'être généralisé. Le CPE va aussi se substituer petit à petit aux contrats à durée indéterminée (CDI) car il est plus intéressant pour l'employeur. La CFDT est prête à discuter de l'évolution du contrat de travail, en fonction de la réalité de l'emploi et de l'économie. Mais ce n'est pas en précarisant les plus jeunes qu'on y arrivera.
Le Progrès. Ce qui vous heurte le plus, c'est le contrat, ou l'absence de négociation ?
François Chérèque. Les deux. Le 12 décembre, le Premier ministre s'engage devant la Commission nationale de la négociation collective à ouvrir ce chantier de l'accès des jeunes à l'emploi par la concertation. Trois semaines après, il décide tout seul. Ça, c'est pour la forme. Sur le fond : on est en train de précariser tous les jeunes, y compris ceux qui ont aujourd'hui, par leur qualification, un accès au marché du travail.
Le Progrès. En exigeant le retrait du CPE, vous vous mettez dans une situation de tout ou rien ?
François Chérèque. C'est le Premier ministre qui a choisi le risque de l'épreuve de force. La CFDT ne peut se contenter d'un retrait, elle veut travailler aux solutions du problème.
Le Progrès. Vous demandez une renégociation ?
François Chérèque. Bien sûr ! le Premier ministre dit : « c'est un débat entre ceux qui veulent changer, et ceux qui s'accommodent de la situation. » Insinuer que la CFDT s'accommode de la situation, c'est une insulte. Nous voulons discuter des formations proposées aux 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans qualification. Il faut aussi aider les jeunes dont la qualification n'est pas adaptée au marché du travail. Ce n'est jamais la modification du contrat de travail qui a fait l'embauche, mais le développement de l'emploi. Et là-dessus, le gouvernement est en échec.
Le Progrès. À votre avis, pourquoi Dominique de Villepin agit-il dans l'urgence ?
François Chérèque. Le Premier ministre ne mène pas la bataille de l'emploi, mais une bataille politique. Il veut montrer au pays qu'il est capable de décider et d'avancer. C'est une situation classique d'accélération en période pré-électorale, incompatible avec le dialogue social et la recherche de solutions durables aux problèmes du pays. Ce n'est pas en créant un contrat en quinze jours qu'on va régler un problème de vingt ans.
Le Progrès. Le gouvernement parle déjà de l'étape suivante, un « contrat unique ».
François Chérèque. C'est ubuesque ! Le Premier ministre décide, en six mois, contre les partenaires sociaux, la création de deux nouveaux contrats de travail. Et maintenant, il veut discuter avec nous d'un contrat unique.
Le Progrès. En clair, vous ne discuterez pas du « contrat unique » tant que le CPE n'aura pas été retiré ?
François Chérèque. Nous avons entendu trop de promesses de dialogue, contredites par des décisions unilatérales, pour nous engager dans un débat sur l'évolution du contrat de travail. Le Premier ministre doit dire clairement s'il veut faire avec ou sans la négociation.
Le Progrès. Vous attendez, mardi, une large mobilisation ?
François Chérèque. Nous avons tiré les leçons des mobilisations de 2005, en nous concentrant sur une revendication et une seule : le contrat première embauche (CPE). Mais il est difficile de mobiliser contre un risque, dont les effets négatifs n'apparaîtront que plus tard. Et puis l'on sait que les périodes d'inquiétude sociale, de manque de visibilité, ne sont guère propices aux mobilisations, elles incitent plutôt au repli. À nous de convaincre.
Le Progrès. Fils de métallo lorrain, comment réagissez-vous à l'OPA sur Arcelor ?
François Chérèque. Avec beaucoup d'inquiétude. L'expérience de l'OPA hostile d'Alcan sur Péchiney, terminée par des fermetures de sites, inspire les plus grandes craintes pour l'emploi.
Le Progrès. Il faut « sauver l'acier français » comme on l'a écrit ?
François Chérèque. Aborder l'avenir d'Arcelor autour d'une défense patriotique de l'acier serait une erreur. Le problème n'est pas la nationalité de l'entreprise mais sa politique sociale. L'Europe s'est construite autour de l'acier et du charbon. La vraie question, c'est : quelle est la capacité de l'Europe de défendre des grands groupes européens dans la mondialisation financière ? Il y a un besoin d'Europe, au moment où la construction européenne est en panne.
Le Progrès. Pourquoi si peu de manifestations unitaires des syndicats ?
François Chérèque. C'est faux, il n'y a jamais eu autant de manifestations unitaires ! La question est plutôt celle des résultats. Ensuite, on ne peut pas se contenter de faire l'unité syndicale dans la rue, et la refuser dans les négociations et la conclusion d'accords.
Le Progrès. Vous visez clairement la CGT. On a l'impression d'une hostilité personnelle entre Bernard Thibault et vous.
François Chérèque. Non, je vous l'affirme sans langue de bois, il n'y a pas de problème personnel entre Bernard Thibault et moi. Regardons plutôt les idées : nous avons la chance que les deux grandes organisations syndicales réunissent leur congrès presque en même temps (ndlr : la CGT du 24 au 28 avril, la CFDT du 12 au 16 juin).
Ce doit être l'occasion de confronter les projets : le syndicalisme doit-il d'abord peser sur les votes du parlement, en laissant la décision aux politiques, ou chercher à faire progresser le droit par la négociation ? Ce débat de fond sur la place à donner à la loi ou la négociation, c'est tout le débat de la CFDT avec la CGT. Nous devons apprendre à le dépasser pour agir de manière unitaire, et les congrès doivent nous y aider.
Le Progrès. Vous suivez les difficultés de la gauche à réunir son sommet, prévu mercredi ?
François Chérèque. Le problème n'est pas de savoir si le PS doit discuter, avec le PC, la LCR ou d'autres. Leproblème, c'est qu'il manque un parti gauche avec un programme clair. Un projet, qui permette une confrontation politique, projet contre projet, avec la droite.
Le Progrès. Le nombre de vos militants est en baisse. Vous assumez votre part de responsabilité ?
François Chérèque. Certains départs sont dus à des désaccords sur la réforme des retraites, je l'assume, bien sûr, y compris les maladresses dans la prise de décision. Mais il y a aussi et surtout un ralentissement de la dynamique de développement, qui doit nous conduire à remettre le syndicat de base au centre de notre organisation.
Le Progrès. Au moment de votre nomination, vous parliez du plaisir. Il est toujours là ?
François Chérèque. Oui intact. Le plus dur, c'est la pression médiatique : quand vous lisez que vous avez « le charisme d'un encéphalogramme plat », ça secoue. Heureusement, il y a la rencontre avec les militants. Ça, c'est le plus grand plaisir.
Propos recueillis par Francis Brochetsource http://www.cfdt.fr, le 13 février 2006
François Chérèque. Avec le CPE, qui fait suite au CNE (contrat nouvelle embauche), nous assistons à une attaque en règle du contrat de travail. Il donne aux employeurs le pouvoir de licencier quand ils le veulent, sans aucun motif. Ce pouvoir est pour l'instant limité aux deux premières années d'embauche, mais il risque d'être généralisé. Le CPE va aussi se substituer petit à petit aux contrats à durée indéterminée (CDI) car il est plus intéressant pour l'employeur. La CFDT est prête à discuter de l'évolution du contrat de travail, en fonction de la réalité de l'emploi et de l'économie. Mais ce n'est pas en précarisant les plus jeunes qu'on y arrivera.
Le Progrès. Ce qui vous heurte le plus, c'est le contrat, ou l'absence de négociation ?
François Chérèque. Les deux. Le 12 décembre, le Premier ministre s'engage devant la Commission nationale de la négociation collective à ouvrir ce chantier de l'accès des jeunes à l'emploi par la concertation. Trois semaines après, il décide tout seul. Ça, c'est pour la forme. Sur le fond : on est en train de précariser tous les jeunes, y compris ceux qui ont aujourd'hui, par leur qualification, un accès au marché du travail.
Le Progrès. En exigeant le retrait du CPE, vous vous mettez dans une situation de tout ou rien ?
François Chérèque. C'est le Premier ministre qui a choisi le risque de l'épreuve de force. La CFDT ne peut se contenter d'un retrait, elle veut travailler aux solutions du problème.
Le Progrès. Vous demandez une renégociation ?
François Chérèque. Bien sûr ! le Premier ministre dit : « c'est un débat entre ceux qui veulent changer, et ceux qui s'accommodent de la situation. » Insinuer que la CFDT s'accommode de la situation, c'est une insulte. Nous voulons discuter des formations proposées aux 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans qualification. Il faut aussi aider les jeunes dont la qualification n'est pas adaptée au marché du travail. Ce n'est jamais la modification du contrat de travail qui a fait l'embauche, mais le développement de l'emploi. Et là-dessus, le gouvernement est en échec.
Le Progrès. À votre avis, pourquoi Dominique de Villepin agit-il dans l'urgence ?
François Chérèque. Le Premier ministre ne mène pas la bataille de l'emploi, mais une bataille politique. Il veut montrer au pays qu'il est capable de décider et d'avancer. C'est une situation classique d'accélération en période pré-électorale, incompatible avec le dialogue social et la recherche de solutions durables aux problèmes du pays. Ce n'est pas en créant un contrat en quinze jours qu'on va régler un problème de vingt ans.
Le Progrès. Le gouvernement parle déjà de l'étape suivante, un « contrat unique ».
François Chérèque. C'est ubuesque ! Le Premier ministre décide, en six mois, contre les partenaires sociaux, la création de deux nouveaux contrats de travail. Et maintenant, il veut discuter avec nous d'un contrat unique.
Le Progrès. En clair, vous ne discuterez pas du « contrat unique » tant que le CPE n'aura pas été retiré ?
François Chérèque. Nous avons entendu trop de promesses de dialogue, contredites par des décisions unilatérales, pour nous engager dans un débat sur l'évolution du contrat de travail. Le Premier ministre doit dire clairement s'il veut faire avec ou sans la négociation.
Le Progrès. Vous attendez, mardi, une large mobilisation ?
François Chérèque. Nous avons tiré les leçons des mobilisations de 2005, en nous concentrant sur une revendication et une seule : le contrat première embauche (CPE). Mais il est difficile de mobiliser contre un risque, dont les effets négatifs n'apparaîtront que plus tard. Et puis l'on sait que les périodes d'inquiétude sociale, de manque de visibilité, ne sont guère propices aux mobilisations, elles incitent plutôt au repli. À nous de convaincre.
Le Progrès. Fils de métallo lorrain, comment réagissez-vous à l'OPA sur Arcelor ?
François Chérèque. Avec beaucoup d'inquiétude. L'expérience de l'OPA hostile d'Alcan sur Péchiney, terminée par des fermetures de sites, inspire les plus grandes craintes pour l'emploi.
Le Progrès. Il faut « sauver l'acier français » comme on l'a écrit ?
François Chérèque. Aborder l'avenir d'Arcelor autour d'une défense patriotique de l'acier serait une erreur. Le problème n'est pas la nationalité de l'entreprise mais sa politique sociale. L'Europe s'est construite autour de l'acier et du charbon. La vraie question, c'est : quelle est la capacité de l'Europe de défendre des grands groupes européens dans la mondialisation financière ? Il y a un besoin d'Europe, au moment où la construction européenne est en panne.
Le Progrès. Pourquoi si peu de manifestations unitaires des syndicats ?
François Chérèque. C'est faux, il n'y a jamais eu autant de manifestations unitaires ! La question est plutôt celle des résultats. Ensuite, on ne peut pas se contenter de faire l'unité syndicale dans la rue, et la refuser dans les négociations et la conclusion d'accords.
Le Progrès. Vous visez clairement la CGT. On a l'impression d'une hostilité personnelle entre Bernard Thibault et vous.
François Chérèque. Non, je vous l'affirme sans langue de bois, il n'y a pas de problème personnel entre Bernard Thibault et moi. Regardons plutôt les idées : nous avons la chance que les deux grandes organisations syndicales réunissent leur congrès presque en même temps (ndlr : la CGT du 24 au 28 avril, la CFDT du 12 au 16 juin).
Ce doit être l'occasion de confronter les projets : le syndicalisme doit-il d'abord peser sur les votes du parlement, en laissant la décision aux politiques, ou chercher à faire progresser le droit par la négociation ? Ce débat de fond sur la place à donner à la loi ou la négociation, c'est tout le débat de la CFDT avec la CGT. Nous devons apprendre à le dépasser pour agir de manière unitaire, et les congrès doivent nous y aider.
Le Progrès. Vous suivez les difficultés de la gauche à réunir son sommet, prévu mercredi ?
François Chérèque. Le problème n'est pas de savoir si le PS doit discuter, avec le PC, la LCR ou d'autres. Leproblème, c'est qu'il manque un parti gauche avec un programme clair. Un projet, qui permette une confrontation politique, projet contre projet, avec la droite.
Le Progrès. Le nombre de vos militants est en baisse. Vous assumez votre part de responsabilité ?
François Chérèque. Certains départs sont dus à des désaccords sur la réforme des retraites, je l'assume, bien sûr, y compris les maladresses dans la prise de décision. Mais il y a aussi et surtout un ralentissement de la dynamique de développement, qui doit nous conduire à remettre le syndicat de base au centre de notre organisation.
Le Progrès. Au moment de votre nomination, vous parliez du plaisir. Il est toujours là ?
François Chérèque. Oui intact. Le plus dur, c'est la pression médiatique : quand vous lisez que vous avez « le charisme d'un encéphalogramme plat », ça secoue. Heureusement, il y a la rencontre avec les militants. Ça, c'est le plus grand plaisir.
Propos recueillis par Francis Brochetsource http://www.cfdt.fr, le 13 février 2006