Texte intégral
Verdun? Le premier obus illumina le ciel et endeuilla la terre à 7 heures 15 le 21 février 1916. Le silence qui suivit fut de courte durée. Nul ne pouvait imaginer qu'il vivait alors le dernier instant de répit avant plus de 300 jours. Trois cents jours avec la lumière des explosions et le bruit des canons : plus de nuit, plus de repos. Avec le feu et le gaz, la boue et la poussière, avec le froid et la chaleur, avec la souffrance et la peur, ce fut l'enfer.
Trois cents jours dans cet enfer? Les hommes portèrent les valeurs du courage, de l'endurance, de l'abnégation au-delà de toute mesure. Leur patriotisme, leur audace, leur lucidité en firent les véritables héros d'une des plus grandes batailles de l'Histoire. Oui, en ce 21 février 1916, à 7 heures 15, s'engageait une lutte appelée à entrer dans la mémoire des hommes comme l'une des plus déterminantes, l'une des plus féroces, l'une des plus terrifiantes. Aujourd'hui, quatre-vingt-dix ans plus tard, la France est fidèle au rendez-vous de l'histoire et de la mémoire. La France se souvient de la bataille, de la victoire, de l'enfer de Verdun. Aujourd'hui, quatre-vingt-dix ans plus tard, au nom du gouvernement, au nom des Françaises et des Français, je rends hommage au sacrifice de tous les combattants. D'emblée, mus par une sorte d'instinct, avant même d'en recevoir l'ordre devenu légendaire, les combattants qui défendaient Verdun décidèrent de « tenir ». L'ennemi ne passerait pas. Il ne passa pas. Au Bois des Caures, le lieutenant-colonel Driant, avec ses chasseurs, fut un des premiers à résister, avant de tomber. Son exemple devait être suivi par des centaines de milliers d'autres.
Le Bois des Caures, Douaumont, Vaux, la cote 304, le Mort-Homme, Fleury, et tant d'autres lieux encore, tous présents dans nos coeurs? Pour chacun de ces villages, de ces forts, de ces lignes, pour chacun de ces sites martyrisés, le combat n'aurait de cesse. Pendant dix mois, pied à pied, centimètres par centimètres, sur à peine 25 kilomètres carrés, on se battit sans relâche. Aucune once de la terre de France ne serait abandonnée, sans avoir été âprement défendue. Aucune parcelle du territoire national ne serait perdue, sans qu'on ne cherche à la reprendre. Pendant dix mois, Verdun était la France et toute la France était à Verdun. Ensemble, sur le front, mais aussi à l'arrière, dans les tranchées, bien sûr, mais aussi dans les usines, dans les décombres des villages anéantis comme au coeur de la capitale, en métropole et jusqu'aux extrémités de ce qui constituait alors « l'Empire », ensemble, les Français menèrent la bataille et sortirent victorieux de l'épreuve. Ensemble, ces Français encore si disparates, le paysan et le citadin, l'instituteur et le curé, le Breton et le Marseillais, le Vendéen et le Lorrain.
Ensemble, ces Français du Bassin parisien aux côtés de ceux venus des vastes étendues d'Afrique, des rives de la Méditerranée, des rizières indochinoises, d'Asie, d'Amérique, d'Océanie. Ensemble, par la Voie sacrée, ils gagnent le front où se joue le sort de la bataille. Ensemble, mais en moins grand nombre, par la Voie sacrée, ils rejoignent l'arrière, où se décide le destin de la guerre. Ensemble, les hommes au combat et les femmes chargées de suppléer leur absence dans les fermes et les entreprises. Ensemble, aussi, avec ces travailleurs venus de toute la planète pour assurer le ravitaillement et renforcer la production dans les usines. Par milliers, ils apportèrent un concours majeur à la victoire. N'oublions aucun d'entre eux, les anonymes, ces soldats méconnus. Ensemble, enfin, combattants français et allemands, qui mêlèrent leur sang dans la boue des mêmes tranchées au gré des progressions et des replis. Ensemble, réunis dans la mort, ces 300 000 hommes tombés au champ d'honneur, 160 000 Français. 140 000 Allemands. Ensemble, réunis dans la souffrance, ces centaines de milliers de blessés, de mutilés, de gazés, de gueules cassées.
En mémoire de cette immense destruction, après avoir surmonté une Seconde Guerre mondiale, nos deux peuples décidèrent de construire l'avenir, ensemble. Alors, aux jeunes nous pouvons lancer un message d'espoir : l'homme, capable de tout pour s'affronter, est aussi capable de tout pour s'unir. Vainqueur et vaincu peuvent, un jour, se réconcilier. Quatre-vingt-dix ans plus tard, nous pouvons contempler la victoire de Verdun avec fierté, mais sans aucune arrogance. Nous pouvons faire mémoire de ce cauchemar avec émotion, mais sans aucun esprit de revanche. Verdun est devenu signe de réconciliation et d'espérance. Pour toujours.Source http://www.defense.gouv.fr, le 7 mars 2006