Interviews de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à Europe 1 le 1er mars 1999 et RTL le 4, sur le bilan du conseil européen informel de Petersberg, les conditions d'un compromis sur la stabilisation des dépenses communautaires et la réforme du financement de la PAC.

Prononcé le 1er mars 1999

Circonstance : Réunion informelle des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne (Conseil européen) à Petersberg près de Bonn (Allemagne), le 26 février 1999

Média : Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - RTL

Texte intégral

ENTRETIEN AVEC "EUROPE 1" (Extraits) le 1er mars 1999
Q - Les quinze chefs de gouvernement se sont réunis vendredi dernier à Petersberg pour une réunion informelle qui sest terminée, comme cest souvent le cas, par de bonnes paroles : volonté daboutir, bonne ambiance, ambiance constructive. A votre avis, au-delà de ces bonnes paroles réconfortantes, va-t-on effectivement arriver à un accord avant la date prévue sur le financement de lEurope ?
R - Ce nétait pas joué davance, cela paraissait plutôt mal parti. Cest vrai quil y avait eu auparavant quelques mots et limpression quon pouvait aller vers un malentendu franco-allemand. Et cela - jen ai parlé au président de la République et au Premier ministre - sest vraiment bien passé, notamment entre les Français et les Allemands. Je crois que le chancelier Schröder a fini par comprendre ce que la France pouvait accepter, ce quelle ne pouvait pas accepter. Je crois que nous sommes effectivement revenus dans une situation normale, cest-à-dire avec une négociation très difficile, mais où les Français et les Allemands sapprêtent à parler dune même voix, ou en tout cas à rapprocher leurs points de vue. Si cest comme cela, pour le 25 mars, - puisque cest dans un mois -, je suis optimiste sur la réforme de la Politique agricole commune, les fonds structurels et le reste.
Q - Pourquoi le chancelier allemand navait pas compris plus tôt ? Il navait pas vraiment suivi le dossier ou il pensait simplement que la France allait accepter de payer la note ?
R - Vous savez, il y avait peut-être une image qui courrait à Bonn, à Berlin, dans certains milieux allemands, chez certains hauts fonctionnaires allemands que la France allait payer. Cest vrai que du coup, il a fallu quon martèle notre message : « oui, la France est prête à prendre sa part de la réforme nécessaire, nous sommes prêts à faire des efforts, nous ferons des efforts, y compris sur la Politique agricole commune, mais la France ne payera pas toute seule ». Dans une affaire comme ça, il sagit de gros sous, de très gros sous, et chacun doit faire un effort vers les autres. Les Allemands ne pourront pas toucher tout ce quils veulent. Nous voulons bien réformer la PAC mais nous nacceptons pas quelle soit démantelée, défigurée, dénaturée.
Q - Demain les ministres de lAgriculture doivent reprendre leurs travaux, Jean Glavany est plutôt pessimiste sur les chances dun accord et demande un report de la réunion. Vous êtes daccord avec lui ?
R - Je pense que ce serait effectivement sage. Non parce quon est pessimiste, mais parce que nous avons dit toute la semaine dernière : il faut un accord global sur les ressources de lUnion, sur les dépenses de lUnion, sur les fonds structurels avant de faire un accord sur la PAC. On peut donc progresser. Et si cette réunion a lieu, ma foi, il faut quelle soit utile.
En même temps, la logique est toujours la même : laccord global doit précéder laccord sur la PAC. Et il ne faudrait pas quon continue un marathon dans lequel on naboutit pas. Mais en même temps, si la réunion a lieu, ce ne sera pas un drame et la France ira avec des propositions constructives, dautant quà Petersberg, on a quand même pris des décisions, notamment que la PAC aurait un coût, 40,5 milliards deuros par an, pas plus, pas moins. Donc, il y un plafonnement, il y a une ligne qui est donnée aux ministres de lAgriculture, ce qui nétait pas le cas la semaine dernière.
Q - Aux ministres de lAgriculture en général, le ministre français, lui, ne change pas dattitude. Il défend les mêmes propositions de la France ?
R - Tout à fait. Et cette ligne de départ des chefs dEtat et de gouvernement, elle est positive pour nous, parce que nous ne souhaitions pas que la réforme soit très coûteuse ; nous ne souhaitions pas quil y ait trop de baisses de prix ; et on a pris en compte le chiffre que proposaient les Français - 40,5 milliards deuros. La stabilisation des dépenses, cest cela notre thèse.
Q - Je reviens dun mot sur la position du chancelier allemand : trouvez-vous que la présidence allemande a été un peu maladroite ou quelle a fait passer ses intérêts nationaux avant limpérieuse nécessité de trouver un accord quand on est président ?
R - Finalement, tout cela na pas grande importance.
Q - Si, quand même.
R - Pour lhistoire sans doute. Mais je ne veux pas jeter de lhuile sur ce feu qui est maintenant un peu éteint. Je pense que les Allemands, avaient effectivement deux rôles dans cette négociation : dune part, la présidence qui les oblige à chercher un compromis et donc à tenir compte de ce que pensent les autres, et puis dautre part, leur intérêt national qui les conduisait à pousser davantage. Dans un premier temps, ils ont sans doute poussé sur lintérêt national, en cherchant qui payait le moins dans cette affaire, et cest la France. Mais elle ne paye pas moins parce quelle a des avantages, elle paye moins parce que la structure des dépenses, telle quelle est prévue par les traités, lavantage. Ils se sont aperçus quon ne pouvait pas trouver une solution comme ça. Ils sont revenus à la sagesse, et pour moi cest cela qui compte. La sagesse, cest quen Europe, il faut que les Français et les Allemands soient daccord si on veut parvenir à faire avancer le moteur.
Q - On a limpression que lEurope rose cela marche, pas tellement mieux, voire même un peu plus mal que lEurope conservatrice, ou mixte, si jose dire ?
R - Je ne dirais vraiment pas ça. Dailleurs, on a vu que ce sommet informel, comme celui de Pörtschach, était un sommet où les chefs dEtat et de gouvernement pouvaient se parler directement. - Cest très important - et quentre eux, il se passe quelque chose. Le fait quil y ait beaucoup de socialistes et de sociaux-démocrates joue sans doute. Mais vous savez, là, cest quand même le sujet le plus dur : cest largent. Il est vrai que les Britanniques ont eu un rabais, un chèque, dans les années 80, ils y tiennent. Il est vrai que les Italiens payent moins, compte tenu dun peu déconomie souterraine chez eux, ils veulent que cela continue. Les Espagnols ont des avantages parce quils étaient plus pauvres que dautres pour rentrer dans leuro, et ils veulent les garder même sils sont maintenant dans leuro. Les Allemands trouvent quils payent trop. Nous, nous trouvons que ça va pas mal. Cest vraiment le choc des intérêts nationaux et donc ce nest pas le bon test pour « une Europe rose » comme vous dites.
LEurope rose ou lEurope social-démocrate, se construira quand nous bâtirons le Pacte européen pour lemploi, quand nous élargirons lEurope, quand nous réformerons ces structures politiques. Et ça, ma foi, cest pour après. Cest pour cela que je souhaite que le 25 mars, on soit un peu débarrassé de ce sale travail nécessaire, quest lAgenda 2000, pour se tourner vers...
Q - Vous étiez, hier, en Macédoine avec le président de la République. Vous avez rendu visite aux militaires français qui appartiennent à la force dextraction. A nouveau, le président de la République a lancé un appel assez ferme aux Serbes. On a limpression que les Américains, les Français, tout le monde lancent beaucoup de mises en garde mais quil ne se passe pas grand-chose et que, au fond, on donne des délais parce quon ne peut pas intervenir ?
R - On ne peut pas dire cela, il y a une décision qui a été prise à Rambouillet, qui lançait un processus. Et il y a théoriquement le 15 mars une réponse des Kossovars et des Serbes. Lavertissement que lançait le président de la République sadressait aux deux parties : faire preuve de sagesse et poursuivre le processus de Rambouillet pour aller vers la paix.
Q - Vous êtes sûr quils vont tous venir à Rambouillet ?
R - On ne peut pas en être sûr. Cest pour cela que la visite de Jacques Chirac était utile en Macédoine, auprès de la Force dextraction - tout près aussi de la Serbie et du Kossovo - pour dire quil faut maintenant aller vers la raison, cest-à-dire vers la paix./.
ENTRETIEN AVEC "RTL" le 4 mars 1999
Q - Aujourdhui reprennent les discussions sur la Politique agricole commune européenne. Avez-vous le sentiment que les Allemands ont vraiment renoncé au cofinancement ?
R - Ils ont fait un pas, cest-à-dire quon nen parlerait pas au Conseil agricole. Autrement dit, ce nest plus la solution quils privilégient, celle quil mette en avant. En même temps, je ne suis pas tout à fait certain quils y aient renoncé et que cela ne revienne pas en fin de période si, par exemple, on narrive pas à boucler financièrement le paquet. Le paquet financier, ce nest pas uniquement la Politique agricole commune, cest aussi, les fonds structurels, les ressources, les dépenses de lUnion. Je serai donc vraiment rassuré le jour où on me dira : le cofinancement nest plus sur la table, on nen parle plus. Mais cest quand même un geste positif. Je crois quils ont vraiment compris que, pour ce qui nous concernait, nous étions totalement résolus : il ny aura pas de cofinancement, il ny aura pas de renationalisations de la PAC. Les agriculteurs doivent en être tout à fait, sur ce point, assurés.
Q - Vous allez aujourdhui rencontrer en Allemagne un certain nombre de ministres et parlementaires. Avez-vous le sentiment que les Allemands ont renoncé à faire prévaloir leurs intérêts nationaux comme vous sembliez le craindre la semaine dernière dans une interview à La Croix ?
R - Que les Allemands aient des intérêts nationaux, je le comprends. Ils ont le sentiment de payer trop pour le budget de lUnion, et cest vrai quils paient considérablement : 11 milliards deuro, en plus de ce quils touchent chaque année, cest énorme, . Mais ils ne peuvent pas faire prévaloir la totalité de leurs intérêts nationaux. Ils vont améliorer leur solde net, comme on dit. Jy suis favorable, mais ils ne peuvent pas le faire dans les proportions quils souhaitent. Il faut donc maintenant - et ils sont en train de le faire - quils élaborent un compromis. Jai la sensation quil sest passé quelque chose la semaine dernière à Petersberg lors du Conseil informel des chefs dEtat et de gouvernement : lAllemagne est revenue sur une option raisonnable. Loption raisonnable, cest celle qui dit que le budget de lUnion doit être maîtrisé comme le budget des nations et, donc, que la bonne option cest la stabilisation des dépenses, quil ne faut pas faire des choses trop coûteuses. Parce que plus ça coûte, plus ils paient, plus nous payons et moins on arrive à trouver un accord franco-allemand.
Q - Gerhard Schröder met quand même encore la pression. Il disait avant-hier : si on narrive pas à un accord dici à la fin du mois de mars sur le financement de lEurope, tout le monde va en supporter les conséquences et leuro va être affaibli.
R - Je ne suis pas daccord avec cette dernière analyse. Je pense honnêtement quil faut séparer la question monétaire de la question de lAgenda 2000. LAgenda 2000 est une négociation financière très difficile quon connaît périodiquement tous les six ans. Leuro cest autre chose, cest une construction historique qui tient compte de la situation de nos économies. En même temps, cest vrai que nous souhaitons réellement conclure le 25 mars parce que ce ne serait pas bon pour lEurope de continuer sans avoir un régime financier décidé, une réforme de la Politique agricole, une réforme des fonds structurels, des fonds régionaux. Nous voulons donc conclure, cest important. Il est certain que si le 25 mars, on ne concluait pas, ce ne serait pas un bon moment pour lEurope. Mais, je suis plutôt optimiste, en tout cas je suis volontariste. Il me semble que la présidence allemande a repris le dossier dans le bon sens et que nous voulons laider à conclure. Cest pour cela que je vais à Bonn.
Q - Cette affaire de financement de lEurope empoisonne un peu les relations entre les différents gouvernements européens. On la bien vu à Milan, vous navez parlé que des intérêts nationaux. Vous avez noté un projet de pacte pour lemploi, mais M. Schröder vous dit : cest très bien, mais parlons de nos problèmes concrets.
R - Ce nest pas la tonalité de Milan telle que je lai vécue. Jai au contraire la sensation que les socialistes avaient adopté ensemble un manifeste. Ils auront un programme commun pour les élections européennes. Ils étaient tous daccord pour aller vers un Pacte européen pour lemploi, qui sajouterait au Pacte de stabilité, qui ne sy substituerait pas parce quil faut aussi de la rigueur financière. Mais il faut plus de volonté. Par exemple, Lionel Jospin a reparlé du grand emprunt que nous proposait Jacques Delors, en essayant de lorienter sur la nouvelle technologie, sur linnovation, pour faire en sorte quon ait en Europe un modèle de croissance qui puisse se comparer, de façon tout à fait performante, compétitive, avec celui des Etats-Unis. Il y avait plutôt un bon climat. Et, en même temps, on ne transformera pas le fait que Tony Blair et Tony Blair, donc il est peut-être plus axé sur une façon libérale...
Q - Que vous a dit Tony Blair ? Il a dit : moi, jen ai marre de la vieille gauche.
R - Mais pourquoi ? Vous pensez que, quand il parle de la vieille gauche, il pense à nous ?
Q - Parce quil dit : je ne veux pas de pacte pour lemploi, je veux de la souplesse dans les entreprises.
R - Non, il na pas dit ça. Dailleurs, le ministre anglais des Affaires étrangères est lauteur du manifeste européen des socialistes qui parle de ce Pacte européen pour lemploi. Je pense - je le dis très amicalement - que nous navons vraiment rien à lui envier sur le plan de la modernité, sur le plan de la stabilité, sur le plan de la crédibilité.
Q - Vous ne vous sentez pas vieux ?
R - Pas vraiment, non. Je suis un peu plus jeune que lui encore.
Q - Et quand Jacques Delors dit : arrêtons de nous vanter parce que, franchement, daccord on est peut-être au pouvoir dans 13 pays sur 15 mais avec tout ce quon se dit et la cacophonie quon est en train de proférer, on ferait mieux de se taire.
R - Il na pas dit exactement cela non plus, mais Jacques Delors donne toujours des bons conseils. Il faut que les socialistes européens soient unis. La force des socialistes est de montrer justement quils sont une force au niveau de lEurope et pas uniquement une collection de forces nationales. Quand je regarde ce qui se passe à droite, je vois des forces divisées. Je ne sais pas, par exemple, dans quel parti, au Parlement européen, vont sinscrire les élus futurs du RPR. Seront-ils chrétiens démocrates ? Cest ce qui semble être lavenir que leur prête Philippe Seguin ? Ou seront-ils à part ?
Q - Alors, parce quils sont divisés, vous pouvez vous amuser également à la division ?
R - Je ne dis pas cela. Je dis que les socialistes sont une force qui avance en Europe et que cette configuration politique nous donne des chances. Revenons à Petersberg une seconde. Le fait quil y ait 11 chefs dEtat et de gouvernement qui soient socialistes, quil y ait 13 gouvernements dans lesquels il y ait des ministres socialistes, je suis sûr que cela a aidé à inverser létat desprit comme cela avait été le cas à Pörtschach. Cela ne marche pas si mal.
Q - Peut-être avez-vous lu ce que dit Jean Boissonnat dans Le Monde : « On peut fixer aux Français un objectif réaliste et réduire le chômage à moins de 5 % dans la prochaine décennie ». Cest réaliste ?
R - Je crois que cest réaliste parce queffectivement la démographie change. Les classes creuses sont devant nous. On prend la retraite plus tôt. On entre dans la vie active plus tard. Et tout cela fait quil y a un effet démographique positif sur le chômage. Il joue dailleurs déjà. Aujourdhui, il faut moins de croissance pour créer plus demplois ou plutôt, pour faire baisser davantage le chômage. Alors, je crois queffectivement, il faut réfléchir à long terme sur une société sans chômage. On va vers cette société avec un taux de chômage à moins de 5 %. En même temps, il ne faut pas effacer lurgence derrière cet objectif mobilisateur, effacer lurgence. Lurgence cest quaujourdhui nous avons plus de 10 % de taux de chômage. Nous avons encore de trois millions de chômeurs et donc il faut lutter.
Q - Et il vous dit : il ne faut pas se tromper de politique économique. Regardons les pays européens qui ont baissé leur taux de chômage de 4 à 8 %, cest-à-dire beaucoup plus quen France, souplesse dans les entreprises, baisse des charges.
R - Cest ce que nous sommes en train de faire. Mais nous sommes aussi en train davoir une politique beaucoup plus volontariste pour répondre au chômage de court terme, notamment au chômage qui frappe les jeunes. Je pense aux emplois jeunes. Je pense aussi aux 35 heures. Je pense à une politique qui met laccent sur la croissance. Et là, je reviens à notre idée de Pacte européen pour lemploi en Europe : plus de croissance, un grand emprunt, la nouvelle technologie, linnovation. Cela, cest aussi une politique économique moderne qui aide à faire reculer le chômage./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mars 1999)