Conférence de presse de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur l'examen par l'Union européenne des questions internationales liées au dossier nucléaire iranien et au droits de l'homme en Iran, à l'aide européenne aux Palestiniens et au dialogue avec le Hamas, aux réformes et au déroulement des élections législatives en Ukraine, Salzbourg le 10 mars 2006.

Prononcé le

Circonstance : Réunion informelle des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne (Gymnich) à Salzbourg les 10 et 11 mars 2006

Texte intégral

Notre hôte, Ursula Plassnik a organisé notre réunion de manière à ce que nous puissions traiter de façon informelle, comme vous le savez, les principales questions internationales d'actualité.
Demain nous évoquerons plus particulièrement la question des Balkans occidentaux. Aujourd'hui nous avons évoqué 4 grands sujets : le Proche-Orient, l'Iran, l'Ukraine et la Biélorussie. Demain j'aborderai une question qui me tient particulièrement à coeur et à laquelle je voudrais associer mes collègues, la question des enfants-soldats, en Afrique en particulier.
Sur le Proche-Orient, nous avons commencé notre rencontre par une discussion sur la situation au Proche-Orient. Notre objectif prioritaire est, bien sûr, la poursuite du Processus de paix, ce qui implique, comme nous l'avons toujours voulu, que le Hamas évolue dans le cadre de ce processus et que, parallèlement, le gouvernement israélien s'abstienne de tout acte qui aurait pour résultat de remettre en cause le processus d'Oslo.
Nous avons bien sûr débattu de l'aide européenne aux Territoires palestiniens. Nous avons rappelé notre attachement aux trois principes ; je les rappelle, la reconnaissance de l'Etat d'Israël par le Hamas, le renoncement explicite et public de la violence et enfin la reconnaissance des Accords d'Oslo, plus généralement des accords entre l'OLP et Israël. Parce que pour nous ce sont des principes qui s'imposeront au gouvernement palestinien.
Il faut bien sûr éviter une asphyxie économique des Territoires palestiniens qui ne manquerait pas d'entraîner rapidement un regain de violence et une radicalisation des Palestiniens. Donc, si nous voulons éviter un chaos social, un chaos économique et un chaos sécuritaire, nous avons intérêt à aider la population palestinienne bien évidemment via l'autorité palestinienne, via le président de l'Autorité palestinienne, qui reste institutionnellement pour nous un repère, bien sûr, et notre référence dans les Territoires palestiniens. Nous avons rappelé notre confiance à M. Mahmoud Abbas.
J'ai marqué le souci de la France de préserver l'aide qui profite directement à la population palestinienne dans les domaines humanitaire, sociaux, dans le domaine de la santé notamment. Nous devons travailler à rendre ces objectifs compatibles entre eux. Donc il nous paraît important de continuer cette aide. Il faut que les fonctionnaires soient payés. Il faut que les médecins, que les infirmières, que les instituteurs soient payés pour maintenir cet Etat de droit qui est absolument nécessaire dans les Territoires palestiniens. En même temps, nous avons vu que les Israéliens devaient suivre la Feuille de route, que c'était absolument nécessaire.
S'agissant des contacts avec le Hamas, nous avons fait connaître notre position sur la question, elle n'a pas changé : le Hamas doit accepter les propositions que nous avons fixées au préalable à un dialogue, position que je viens de vous rappeler.
S'agissant de l'Iran, vous savez que nous n'avons pas ménagé nos efforts depuis 3 ans pour persuader l'Iran de rétablir une relation, que je qualifierais de relation de confiance entre la communauté internationale et l'Iran. Le 3 mars dernier encore, avec Javier Solana, avec Frank-Walter Steinmeier, avec le directeur politique britannique, nous avons rencontré le négociateur iranien, M. Larijani, et nous lui avons dit que le rétablissement de la confiance suppose deux éléments : le retour de l'Iran à la suspension complète des activités liées à l'enrichissement et au retraitement, y compris ce que Téhéran appelle "recherche et développement", la deuxième condition étant la pleine coopération de l'Iran avec l'AIEA.
Ces conditions sont simples, elles sont légitimes, elles ne portent pas atteinte aux intérêts de l'Iran. Force est pourtant de constater que Téhéran n'est pas prête à les accepter. Le Conseil des gouverneurs de l'AIEA s'est penché une nouvelle fois cette semaine sur le dossier du nucléaire iranien. Une nouvelle fois l'Iran n'a pas saisi la main que les Européens et leurs principaux partenaires, et notamment la Russie, lui ont tendue. Nous le regrettons. Le dernier rapport du directeur de l'AIEA, M. El Baradeï, souligne la persistance de nombreux problèmes qui constituent autant de motifs de préoccupation de la communauté internationale. Le moment est venu maintenant, comme nous l'avons décidé avec mes collègues européens, avec les Américains, les Russes et les Chinois, à Londres en janvier dernier, de porter le dossier devant le Conseil de Sécurité des Nations unies.
Une nouvelle fois aujourd'hui, j'ai remarqué à quel point les Européens étaient unis dans ce dossier, étaient soudés dans cette affaire. Nous avons évoqué les étapes futures, notamment au Conseil de sécurité. Notre objectif est d'appuyer l'action et l'autorité de l'AIEA. Nous avons décidé de maintenir un contact permanent avec les Etats-Unis, de poursuivre des contacts étroits et permanents avec la Russie, la Chine et d'entretenir un dialogue nourri avec les pays non-alignés sur ce dossier. J'ai indiqué, pour ma part, que la France assumera toutes ses responsabilités, qu'elle le fera avec le souci de préserver cette unité de la communauté internationale mais aussi avec la volonté de rester ferme face à tous les risques de prolifération, de manière à faire prévaloir la voix de la raison et de la paix.
Enfin, nous le redisons aujourd'hui très clairement, personne ne conteste à l'Iran le droit légitime à l'énergie nucléaire à des fins pacifiques. Mais il doit pour cela respecter ses obligations internationales et accomplir les gestes nécessaires pour la restauration de la confiance. Nous appelons donc l'Iran à accepter la suspension complète de toutes ses activités d'enrichissement et de retraitement de l'uranium, y compris la recherche et le développement. Et l'Union européenne doit être plus que jamais en tête de la diplomatie internationale dans ce dossier. Il est important que nous soyons, nous Européens, dans ce dossier, au rendez-vous de la fermeté mais aussi au rendez-vous de l'unité. Il faut que tout ce que proposons soit suffisamment progressif pour être compris par tout le monde, y compris par les Russes et les Chinois.
Sur l'Ukraine, les élections législatives se tiennent le 26 mars. Le bon déroulement des élections constituera un test important des autorités à respecter la règle du droit et à réussir la transition pour souligner la nécessité pour l'Union d'encourager le gouvernement issu de ce scrutin, quel qu'il soit, à poursuivre les réformes engagées, à assurer la mise en oeuvre pleine et entière du plan action UE-Ukraine, qui a été adopté en février 2005 dans le cadre de la politique européenne de voisinage. J'ai également marqué mon souhait de voir l'Ukraine poursuivre ses efforts en vue de contribuer à un règlement politique du conflit transnitrien.
Voilà ce qui a été dit globalement. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Q - Mme Plassnik a évoqué l'idée que nous observions une évolution progressive vis-à-vis du Hamas.
R - Ce que nous souhaitons, bien sûr, c'est que le Hamas quitte la violence pour entrer dans le processus politique et j'espère que le Hamas le fera. Pour l'instant, nous sommes dans l'expectative. Après tout, le gouvernement palestinien n'est pas encore tout à fait formé, il le sera, comme vous le savez, aux alentours du 28 mars, il y a les élections législatives israéliennes et là, nous verrons. J'ai redit les trois conditions et en particulier la trêve qui me paraît importante.
Q - Est-ce que vous pensez que l'idée d'une recherche limitée proposé par le gouvernement russe pourrait être une possible solution au problème nucléaire iranien ? Est-ce que vous pensez que l'on peut donner deux ou trois semaines de délai aux Iraniens avant de prendre une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies ?
R - D'abord, il n'est pas encore décidé s'il s'agit d'une résolution ou d'une déclaration présidentielle. Nous avons eu une discussion avec M. Laridjani qui a été intéressante, dans la mesure où M. Laridjani, à la fois devant M. Steinmeier et moi, mais également quelques heures auparavant et quelques heures après, avec les Russes, a refusé l'arrêt de toute activité d'enrichissement.
La question est là : est-ce que la recherche et le développement, comme il appelle ces activités, peuvent-être maintenues ? Nous avons dit à M. Laridjani, les Russes l'ont dit, qu'il n'y avait pas pour nous de possibilité laisser se poursuivre une activité d'enrichissement ou de retraitement de l'uranium. Je vous rappelle par ailleurs que la première étape a été la reprise de la conversion, que celle là a été également décidée unilatéralement, malgré les Accords de Paris, par l'Iran début août 2005.
Q ? Avez-vous discuté des moyens de poursuivre l'aide aux Palestiniens ?
R - L'avantage du Gymnich est que c'est une discussion tout à fait informelle. Ce peut être des mécanismes alternatifs, des mécanismes nouveaux qui, à la fois, permettent d'être ciblés mais cela n'a pas été décidé. C'est une discussion que nous avons autour de la table. En ce qui me concerne, j'ai parlé de financements qui pourraient être plus ciblés sur des hôpitaux, sur des écoles, sur la justice? Mais ce qui est vrai, c'est que si nous nous limitons aux financements via les ONG et via les agences des Nations unies, alors ce ne sont plus que 10 % des financements que l'Union européenne donnait à l'autorité palestinienne que cette dernière va recevoir. Il faut bien aller au-delà de l'aspect humanitaire, parce que vous savez, il faut préciser ce que l'on entend quand on parle d'humanitaire, il s'agit là de milliers de personnes qui en dépendent.
Donc, il faut parfaitement lister les activités que nous financerions, en évitant un chaos social, économique et sécuritaire, comme je disais tout à l'heure, en sachant qu'il y a une grande précarité dans les Territoires palestiniens et que la santé, l'éducation, la justice, tout ce qui peut contribuer à l'existence d'un état de droit, est à prendre en compte, à mon avis. En effet, la question qui est posée est de savoir comment faire, via l'autorité palestinienne ou d'autres canaux, pour poursuivre notre aide à la population palestinienne.
Q ? Dans vos relations avec l'Iran, est-ce que vous souhaitiez vous en tenir au dossier nucléaire ?
R - Je voudrais, comme vous m'y invitez, faire une petite précision sur l'Iran. Je pense que sur l'Iran, nous devons parler de deux sujets : le sujet nucléaire iranien et je me suis exprimé à plusieurs reprises sur la question. M. El Baradeï a présenté un rapport exprimant ses interrogations sur la nature du programme nucléaire iranien.
Le second sujet est celui des Droits de l'Homme en Iran. Je crois que c'est un sujet important. Je viens de recevoir au Quai d'Orsay Mme Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix en 2003. Le Quai d'Orsay l'avait déjà invitée en 1999. Nous avons eu une discussion assez longue. Il faut bien remarquer que pour parler à l'opinion publique iranienne, il faut aussi parler des Droits de l'Homme, dire qu'aujourd'hui il y a des exécutions, qu'aujourd'hui il y a des prisonniers politiques, qu'aujourd'hui il y a des problèmes de liberté de la presse et qu'il est important de pouvoir se battre aussi dans tous les pays du monde pour les Droits de l'Homme. Ce sont des sujets importants.
A côté de cela il y a en effet votre question : "est-ce que les négociations sont possibles ?" L'Union européenne pense franchement que, bien sûr, l'Iran doit se mettre autour d'une table et parler avec nous de tout un programme qui serait basé sur le programme nucléaire civil, de l'accès au nucléaire à des fins pacifiques mais également d'autres sujets, nous l'avons déjà fait pour les Accords de Paris en 2004 ; ceci nous avait donc permis d'aboutir à des accords signés par les deux parties. De manière unilatérale l'Iran a renoncé à ces accords en août 2005. Mais je pense que plus que jamais il faut qu'il y ait des négociations, il faut croire en des négociations, il faut croire à la raison. L'Iran est, je le rappelle, un très grand pays, une grande civilisation, qui a signé le TNP et il est nécessaire de négocier.
Q - Est-ce que, comme vous le disiez, dans le souci de préserver l'unité de la communauté internationale, il est nécessaire de parler de sanctions à ce stade et existe-t-il un consensus en dehors du Conseil de sécurité des Nations unies ?
R - Nous sommes prêts à tout faire pour conserver l'unité de la communauté internationale, pour la crédibilité de la communauté internationale d'abord, pour l'efficacité vis à vis de notre message à destination des Iraniens ensuite. Vous dites : "il y a des mots que l'on emploie et d'autres que l'on emploie pas ; je vous ai répondu tout à l'heure, je vous ai dit que dès l'instant nous entrons dans ce processus de sécurité, toute l'action de l'Union européenne, mais aussi des Russes, sera de pouvoir être suffisamment progressive.
Encore une fois notre objectif n'est pas punitif, notre objectif est politique. Donc il faut faire toutes les propositions possibles, la proposition russe allait dans le bon sens. Les Iraniens l'ont refusée puisqu'ils ont dit oui à l'enrichissement en Russie mais oui aussi à l'enrichissement chez eux. Les Russes le lendemain ont réagi. Que ce soit nous, la France, les Allemands, d'autres Européens ou les Russes qui amènent un nouveau consensus avec les Iraniens, nous en serions très heureux./.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2006