Interviews de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, dans "Alternatives économiques" le 4 janvier 1999, "L'Hebdo des socialistes" et "L'Express" le 14, sur le passage à l'euro, la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité d'Amsterdam et la préparation de l'élection européenne.

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Circonstance : Lancement de l'euro le 1er janvier 1999

Média : Alternatives économiques - Emission Forum RMC L'Express - L'Express - L'Hebdo des socialistes

Texte intégral

ENTRETIEN AVEC LE MENSUEL "ALTERNATIVES ECONOMIQUES" le 4 janvier 1999
Q - Comment va être géré leuro ?
R - Au plan interne, le Conseil de leuro, qui réunit mensuellement les onze ministres de lEconomie et des Finances de la zone euro, dialoguera avec la Banque centrale européenne. Lobjectif aujourdhui consiste à conduire des politiques budgétaires de stabilité, la politique monétaire sefforçant dobtenir les taux dintérêt les plus bas possibles. Dans le même temps, il est urgent dharmoniser la fiscalité des revenus de lépargne et des sociétés.
Q - Et en ce qui concerne la gestion externe de leuro ?
R - Laccord sur la représentation extérieur va permettre aux pays de la zone de sexprimer dune seule voix dans les enceintes internationales. Il faut parvenir rapidement à une gestion concertée de la parité euro/dollar. Plutôt que des zones cibles, qui sont peu adaptées à la situation des marchés financiers daujourdhui, il faut établir un dialogue régulier entre les autorités politiques et monétaires des deux côtés de lAtlantique, dans un contexte où leuro va sans doute devenir assez rapidement une grande monnaie de réserve internationale.
Q - Comment mettre leuro au service de lemploi ?
R - Le rééquilibrage de la construction européenne en faveur de lemploi a commencé avec les sommets dAmsterdam et de Luxembourg et se poursuit avec le projet actuel de Pacte européen pour lemploi. La dimension emploi doit être prise en compte dans les orientations de la politique économique, et il serait souhaitable que ces deux questions soient discutées ensemble au mois de juin, quand sélaborent les politiques budgétaires des Etats membres. Car le traitement de la situation européenne de sous-emploi passe dabord par une meilleure qualité de la croissance en Europe./.
ENTRETIEN AVEC L'HEBDOMADAIRE "L'EXPRESS" le 14 janvier 1999

Q - L'euro, c'est gagné ?
R - L'euro est né et bien né. Il avait déjà fait ses preuves pendant la crise financière : son lancement est réussi, l'opinion est de plus en plus favorable et mieux informée. Nous devons, d'ici à 2002, poursuivre l'adaptation des administrations, des entreprises et des ménages. Ainsi que la pédagogie et l'action. L'euro, ce n'est pas seulement Francfort, ce n'est pas qu'une logique financière. S'il n'était perçu que sous cet angle, cela risquerait de développer une psychologie anti-euro. Il doit aussi, pour devenir la monnaie des Européens, être un instrument politique et social, assimilé à la croissance et à l'emploi.
Q - La Grande-Bretagne rejoindra-t-elle l'euro ?
R - Ce sera, je n'en doute pas. L'objectif du deuxième mandat, probable, de Tony Blair. A travers la campagne électorale, ou via un référendum, il convaincra les Britanniques.
Q - L'Europe financière fonctionne, mais pas l'Europe géopolitique.
R - En politique étrangère, il y a une demande d'Europe, et c'est tant mieux, même si les approches diffèrent selon les pays et si les mécanismes ne sont pas au point. Nous allons bientôt désigner "M." ou "Mme Pesc".
Q - Il ne sera qu'un haut fonctionnaire ?
R - Non, il faut que ce soit une personnalité politique. La conception qu'il ou elle se fera de son rôle sera importante : exercer une fonction interne, en tant que secrétaire général du Conseil, ou incarner la Politique étrangère et de sécurité de l'Union.
Q - Redoutez-vous l'actuelle présidence allemande ?
R - Il n'y aura pas de présidence allemande réussie sans accord franco-allemand,
notamment sur l'Agenda 2000 : il faut cravacher pour le régler en mars. Nous y travaillons activement avec le nouveau gouvernement de Gerhard Schroeder dans un bon climat. Mais il serait illusoire de penser qu'un accord budgétaire puisse être trouvé sur notre dos, à travers un cofinancement ou une renationalisation de la Politique agricole commune. Il est nécessaire, avant les élections de juin, de redonner des perspectives financières à l'Europe. Ne pas infliger un coup d'arrêt à l'Europe : telle est la tâche, importante, des Allemands. Nous sommes prêts à les y aider.

Q - La Constitution est révisée le 18 janvier pour permettre la ratification d'Amsterdam : celle-ci ne mérite-t-elle pas un référendum, comme pour Maastricht ?
R - Cela relève du président, mais mon pronostic est qu'il n'y en aura pas. Amsterdam n'est pas un bon thème de référendum. Ce traité utile, mais inachevé, complexe patchwork, serait caricaturé par ses adversaires et ses partisans le défendraient sans enthousiasme. Ce serait un rendez-vous de dupes.
Q - Réformer ses institutions avant d'élargir l'Union, n'est-ce pas imposer une Europe clés en main aux futurs membres ?
R - L'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale est lancé, nous y sommes favorables. Mais j'ai vu, dans des réunions avec les candidats à l'Europe, quelle pagaille donnerait, sans réforme des institutions, une Europe à 25. Sans réforme on détruit ce qui a fait l'Europe depuis quarante ans, cette capacité à produire des politiques communes, et on crée un "machin". Nous connaissons les problèmes : il faut une Commission plus collégiale, plus de votes à la majorité qualifiée pour faciliter la décision et une pondération des voix pour éviter la dilution. Nous avons un calendrier : à mon sens, il faut aboutir d'ici à 2001, avant de conclure les négociations d'élargissement. Reste la méthode :
une Conférence intergouvernementale prématurée risquerait d'échouer comme la première ; un groupe de sages est possible, ou bien la rédaction par une personnalité d'un "rapport sur l'état de l'Union".
Q - Comment obtenir une Commission plus efficace ?
R - Il la faudrait moins nombreuse, plus collégiale, mieux organisée. Fixons au moins un plafond à 20 membres, quel que soit le nombre des Etats. On pourrait aussi bâtir un système avec des commissaires adjoints.
Q - Qu'est-ce qu'une Europe de gauche ?
R - C'est un espace de croissance durable qui vainc le chômage de masse, où un Pacte européen pour l'emploi s'ajoute à l'euro. C'est une Europe politique. avec des institutions plus efficaces et plus légitimes - et c'est pourquoi. Je persiste à penser qu'il faut réformer le mode d'élection du Parlement européen. C'est enfin une Charte des droits sociaux : droit au logement, à l'éducation, au revenu minimum, à la santé, etc.
Q - N'avez-vous pas vocation à mener la liste PS en juin ?
R - Non. Mais je souhaite participer activement à la campagne de la liste qui se constituera autour du PS, avec une véritable ambition européenne./.
ENTRETIEN AVEC L'HEBDO DES SOCIALISTES le 14 janvier 1999
Q - Etes-vous satisfait de la façon dont nous avons basculé dans leuro ?
R - Ce que nous avons vécu, lors de ce long week-end du Nouvel An, cest dabord un défi technique, consistant à assurer le basculement en euro de lensemble es opérations du secteur bancaire et financier. Il convient de saluer cette performance en tant que telle, mais surtout les équipes qui en sont à lorigine, car elles nont ménagé ni leurs efforts ni leur temps. Je souhaite que ces efforts de plus de 10.000 salariés de la branche soient justement rémunérés, et jai le sentiment que cela sera le cas dans la plupart des établissements bancaires.
Q - Quel sens donnez-vous à cet événement ?
R - Lessentiel cest leuro. Cest un acte politique majeur que les Européens ont souverainement décidé dès 1992, en ratifiant le Traité de Maastricht, et que les gouvernements ont confirmé en organisant la convergence de leurs économies. Le gouvernement de Lionel Jospin y a contribué plus que dautres en assumant, sans imposer de sacrifices nouveaux aux salariés, un effort important de maîtrise de nos finances publiques, alors que les gouvernements conservateurs de Balladur et de Juppé les avaient laissé dériver entre 1993 et 1997.
Nous avons demandé des contreparties à ces efforts, en souhaitant que notre entrée définitive dans leuro se déroule dans les meilleures conditions. Les militants socialistes en ont débattu de manière approfondie en 1996, lors des conventions nationales sur lEurope et sur la politique économique et sociale, puis ils en ont fait le coeur de leurs engagements programmatiques en matière européenne lors des élections législatives de juin 1997.
Pour lessentiel, ces engagements ont été tenus : nous avons un euro large avec 11 pays et 300 millions dhabitants ; nous avons un début de réorientation de la construction européenne dans un sens plus favorable à la croissance et à lemploi. A Vienne, tout récemment, les Européens, tous les Européens, ont adhéré sans hésitation au Pacte européen pour lemploi que nous avons préconisé avec nos amis du SPD.
Q - Quels avantages les Français sont-ils en droit dattendre de leuro ?
R - Leuro sera ce que les Européens décideront den faire. Cest la raison pour laquelle nous avions demandé à ce que soit mis en place un interlocuteur politique à la Banque centrale européenne. Cet interlocuteur politique existe aujourdhui avec le Conseil de leuro, qui réunit les onze ministres des Finances de la zone euro et doit maintenant se saisir de toutes les questions cruciales pour un fonctionnement harmonieux de léconomie européenne : concertation des politiques conjoncturelles, harmonisation fiscale, partage de la valeur ajoutée, consolidation du modèle social européen. Quand on partage un même monnaie, il faut se donner les moyens de la gérer ensemble à onze, et de manière démocratique en reflétant les aspirations exprimées par les peuples, qui ont choisi dans la plupart des pays dEurope des gouvernements au sein desquels les socialistes et les sociaux-démocrates jouent un rôle prépondérant.
Leuro devra aussi trouver sa place dans le système monétaire international. Aujourdhui, leuro est un formidable acte de puissance politique des Européens. Il leur permettra de retrouver une souveraineté monétaire quils avaient perdue en pratique depuis leffondrement du système dit de Bretton-Woods, au début des années soixante-dix. En revanche, les Etats-Unis vont redécouvrir la contrainte extérieure, et devront renoncer à faire financer leur croissance par les autres pays.
Q - Certains parlent de convergence sociale, voire de traité social. Pensez-vous quun jour il pourra y avoir un socle de droits communs garantis à tous ? Sous quelle forme ?
R - Lacquis actuel de lUnion européenne nest pas négligeable dans le domaine social, mais il nest pas toujours correctement appliqué. Laffaire de Vilvoorde a, à cet égard, permis une prise de conscience collective. Il faut donc semployer à faire respecter partout en Europe les règles européenne en matière dhygiène et de sécurité des travailleurs, en matière dinformation et de consultation des salariés, et aussi en matière de non-discrimination à lembauche. Les partenaires sociaux doivent mener cette bataille, en sorganisant mieux au niveau européen.
Il reste que lUnion doit accentuer ses efforts en vue dune harmonisation sociale plus complète et ambitieuse. En réunissant les partenaires sociaux, le 3 décembre dernier, sur ces enjeux européens, le Premier ministre a indiqué les principaux chantiers qui doivent faire lobjet dune réflexion au niveau de lUnion : la négociation de conventions collectives européennes dans les secteurs frontaliers (transports) ou fortement intégrés (banque, finance) ; la généralisation dune législation sur le salaire minimum dans toute lEurope ; laménagement et la réduction du temps de travail, car on ne comprendrait pas quun Pacte européen pour lemploi » reste silencieux sur les conditions de travail, mais aussi sur les créations demplois que nous attendons dune organisation du travail différente.
Nous devons être capables de saisir loccasion offerte par les prochaines élections européennes pour porter tous ces sujets dans le débat public, en faire un axe fort des engagements que prendront les socialistes européens. Je suis sûr que le manifeste du PSE portera la marque de ces nouvelles priorités assignées à lUnion.
En particulier, je suis très favorable à lélaboration dune Charte européenne des droits civiques et sociaux pour tous les citoyens de lUnion, dune portée juridique et politique plus grande, et dun champ plus large que lactuelle Charte des droits sociaux adoptée en 1989. Autant et plus que leuro, elle favorisera le sentiment dappartenance des Européens à un espace politique et social commun. Il faut ainsi reconnaître au niveau européen le droit à la santé , à la sécurité et la protection sociale, au travail, et à défaut, à un revenu permettant de vivre dans des conditions compatibles avec la dignité humaine, ainsi que le droit au logement, à léducation, à la formation.../.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)